oeil & à l'oeil ; faire l'oeil ; faire à l'oeil ; avoir l'oeil ; prendre à l'oeil ; donner à l'oeil ; enlever à l'oeil ; ouvrir l'oeil ; fermer l'oeil ; avoir de l'oeil (1827)
#nom masc., locution
■ (hist.) Crédit ; à crédit ; faire crédit, ouvrir le crédit, fermer le crédit, avoir du crédit ; ■ (moderne) gratuitement, gratis, sans payer, sans faire payer, offert, cadeau ; ne rien payer
- L'oeil est celui de nos organes le plus fertile en applications métaphoriques (...). Les Romains avaient une manière charmante de qualifier, soit une personne aimée véritablement, soit une personne indifférente, mais qu'on avait intérêt à flatter ou caresser : ils l'appelaient 'mon oeil', ocule mi ; 'mon petit oeil', ocelle mi ; 'mon très oeil', oculissime. Toutes ces exp. sont dans Plaute et dans Térence (...) Quelques-uns pensent que prendre un objet à l'oeil pourrait équivaloir à : prendre d'amitié, sans façon, et comme on en use à l'égard des amis, entre lesquels, dit-on, tout est commun. Mais il ne fait pas envisager cette conjecture avec trop de complaisance. Selon d'autres, l'oeil des tailleurs était autrefois le nom d'un coffre où ils mettaient le reste du drap des habits faits à façon. Quand on leur redemandait ce drap, 'ils juroient, dit Oudin, de n'en avoir plus de reste qu'il en pouvoir tenir dans leur oeil'. De là, a-t-ton dit, l'origine de notre dicton. (Nisard est d'avis d'en rabattre sur le tout). 'Faire quelque chose à l'oeil' pour obéir, est une locution que Nisard ne voudrait pas déclarer impropre ; elle veut dire : faire à commandement. On ajoute au doigt, et l'on dit : faire obéir au doigt et à l'oeil. Saint-Paul s'est servi deux fois d'une expr. grecque qu'il a forgée (xxx) ch. IV ép. aux Ephésiens, et ch.III ép. aux Colossiens : dans les deux passages il avertit les serviteurs de rendre à leurs maîtres les devoirs et l'obéissance auxquels ils sont obligés envers eux, mais il leur défend 'de servir seulement ceux-ci sous leurs yeux, càd de manière à en être vus, comme s'ils ne cherchaient qu'à plaire aux hommes, mais de le faire dans la simplicité de leur coeur et dans la crainte de Dieu'. Nous disons, au contraire, parlant d'un maître qui est bien servi, qu'il l'est au doigt et à l'oeil (…) Ces exemples font assez voir quelles variétés de sens peut recevoir le même mot, selon les temps et selon les peuples. Il n'est donc pas étonnant si le nôtre tient de l'imagination du peuple une acception de plus, et si elle est malhonnête. C'est une des plus fortes tendances du langage populaire, que celle de s'approprier certaines formes de la langue générale, d'imposer aux nobles un sens ignoble, aux plus claires un sens équivoque, de les travestir enfin de telle sorte qu'elles disent ou tout autres choses, ou précisément le contraire de ce qu'elles disent en effet. C'est peut-être conformément à cette tendance que à l'oeil dont la vraie signification est à commandement, signifie populairement gratis ou à crédit. Mais Nisard pense qu'il fait peut-être ici preuve de trop d'érudition car si ses souvenirs de jeunesse ne le trompent pas, l'origine de cette locution ne tiendrait à rien de tout cela et se rattacherait à un fait bien connu au temps de la monarchie de juillet, peut-être avant même. Elle viendrait de la petite carte orange marquée d'un oeil, que les agents de police, vêtus en bourgeois, montraient au contrôle des théâtres et des bals publics, pour entrer, sans payer, et faire leur service. Ils entraient donc à l'oeil. En 1836, Odry, parlant à un interlocuteur qui voulait se faire servir quelque chose à crédit, lui disait, en se posant sur l'oeil une pièce de cinq francs : 'C'est égal, t'as pas l'oeil comme ça'. Ce qui voulait dire qu'avec son argent, il pouvait se passer de tous les oeils des monarques de comptoirs d'étain. La plaisanterie était accueillie par des applaudissements enthousiastes. Un homme d'âge respectable à qui Nisard parle de ce trop pittoresque lui dit, qu'étant jeune et beau garçon, il fut accosté un soir par une de ces belles personnes qui étaient alors l'ornement et le scandale des Galeries de bois. Elle dit tout haut et pour qu'il l'entendît bien : 'Quel joli garçon ! je l'enlèverais à l'oeil' Ce qui voulait dire : Je lui donnerais pour rien ce que les autres me payent. Pris dans le sens de à crédit, l'oeil a donné lieu à une autre expression aussi spirituelle que juste, et qui mériterait presque, Dieu et les puristes me pardonnent ! d'être du bon style : c'est ouvrir un oeil. Quand un ivrogne a épuisé son crédit chez un marchand de vin, il ouvre un oeil ailleurs, càd chez un autre marchand. De même, quand il s'est libéré de son premier oeil, le marchand de vin consent à lui en ouvrir un second ; mais il arrive souvent que ce même ivrogne oublie de payer partout : alors, tous les marchands de vin qu'il a dupés lui ferment l'oeil. (NISparis)
- On connaît la lettre d'un général de l'armée d'Italie à Bonaparte : « Les lapins manquent de pain ; pas de pain pas de lapins ; pas de lapins, pas de victoire ; ainsi, ouvre l'oeil. N i ni, c'est fini ». (NISparis)
- Proprement sur la vue, la bonne mine. (GR)
synonyme | grivèlerie, crédit |
---|---|
index | Oeil |
datation | 1827 || ●● à l'oeil, 1827 ; oeil, crédit, ardoise, 1843 d'après DDL (GR) |
fréquence | 118 |
registre ancien | 9 |
registre actuel | 7 |
liens | ⧉ GL ⧉ Gallica ⧉ MDZ ⧉ Argoji ⧉ Hathi ⧉ Archive ⧉ ULB |
historique | dernière modification le 2025-06-02 16:04 +1 source (diff) |