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Épousailles : la bibliothèque de Lyon signe avec Google Livres | 2009-12-09

Sur l'accord signé par la bibliothèque municipale de Lyon avec Google Livres : explications de son directeur ()

Les termes de notre contrat avec Google sont équitables, par Patrick Bazin

Plus forte que la grippe A, l'annonce de possibles discussions entre la Bibliothèque nationale de France (BNF) et Google vient de faire monter l'inquiétude d'une partie de l'opinion. Aussi n'est-il pas inutile de prendre un peu de recul en revenant sur l'accord passé, en 2008, entre la Bibliothèque municipale de Lyon (BML) et le "géant américain".

Cet accord concluait un long processus d'appel d'offres, initié par la Ville de Lyon en novembre 2006, dont l'objectif fondamental était de trouver le moyen de numériser à moindre coût une partie de ses collections patrimoniales afin de créer sa propre bibliothèque numérique, la Bibliothèque numérique de Lyon (BNL).

Les principales exigences du cahier des charges étaient les suivantes : le prestataire devait numériser gratuitement, en moins de dix ans, environ 500 000 volumes libres de droits, sélectionnés par la BML, et remettre à celle-ci les fichiers correspondants afin qu'elle puisse les rendre accessibles via Internet. En échange, le prestataire pouvait disposer des mêmes fichiers et les utiliser librement, y compris commercialement, tandis que la BML s'engageait, pendant quelques années, à ne pas en faire un usage commercial.

Nous exigions, par ailleurs, pour des raisons de sécurité, d'efficacité et de contrôle qualité, que le prestataire numérise les ouvrages à la main et crée un centre technique à proximité de Lyon. Finalement, au terme d'un appel ouvert, l'offre de Google, qui répondait au cahier des charges et proposait une numérisation en six ans, a été retenue. Actuellement, nous sommes engagés, avec les équipes de Google, dans une phase intense de préparation de la campagne de numérisation. Celle-ci devrait démarrer, dans quelques semaines, au rythme de plus de 2 000 livres par semaine...

Ainsi, nous voilà engagés, avec vingt-huit autres bibliothèques parmi les plus prestigieuses et les plus dynamiques au monde, dans un partenariat qui, paradoxalement, tout en alimentant Google recherche de livres (une solution, il faut le dire, très efficace et pratiquée par tous les chercheurs), va permettre à la BML d'acquérir, en face des "monopoles" de toutes sortes (aussi bien publics que privés), une indispensable marge de manoeuvre. La BML pourra devenir, avec son histoire, ses spécificités et l'environnement qui la nourrit, un acteur à part entière du paysage numérique, tout en assumant l'une de ses missions spécifiques de service public, la préservation à long terme du patrimoine. Mais, ce genre de paradoxe et cette approche plurielle ne sont pas toujours bien compris. Pourtant, ils représentent l'avenir. Pour les éclairer, tentons de répondre ne serait-ce qu'à cinq questions récurrentes.

D'abord, pourquoi choisir Google plutôt que la BNF ou Europeana, me demande-t-on parfois ? Comme si ce choix avait un sens ! Europeana n'est pas une bibliothèque numérique et ne prend pas en charge la numérisation des collections. C'est un portail. Pour y participer (ce que nous sommes en passe de faire pour les corpus que nous avons numérisés depuis 1992), encore faut-il disposer de documents déjà numérisés. Quant à la BNF, nous en sommes, en tant que "pôle associé", l'un des premiers partenaires, depuis 1995.

Nous venons, par exemple, de numériser ensemble la Revue du Lyonnais, grande revue culturelle du XIXe siècle (70 000 pages). Mais la BNF ne peut pas assumer la numérisation de toute la BML et, de plus, celle-ci n'a pas vocation à se fondre dans la bibliothèque numérique de la BNF, Gallica. On pourrait en dire autant des autres grandes bibliothèques patrimoniales françaises. En réalité, il faut faire feu de tout bois et jouer, comme le préconise la Commission européenne, la carte des partenariats croisés, publics et public-privé.

N'est-il pas urgent d'attendre des financements publics, renchérit-on ? Nous en bénéficions déjà, et pas seulement de la part de la BNF. Par exemple, nous avons mis en ligne cinquante-quatre de nos manuscrits les plus anciens (20 000 pages) grâce à un financement de la mission de la recherche et de la technologie du ministère de la culture, très active dans ce domaine.

Mais, le coût du traitement des 100 millions de pages que nous visons, c'est-à-dire près de 60 millions d'euros, est sans commune mesure. En outre, on est en droit de se demander s'il est pertinent de faire appel aux contribuables lyonnais pour une opération qui relève de "l'industrie lourde", alors qu'il vaut mieux investir dans la valeur ajoutée que génère l'activité propre de la bibliothèque à travers des portails d'accès, des services associés et, surtout, la compétence des bibliothécaires, ces médiateurs indispensables d'une société de la connaissance de plus en plus complexe. Il est d'ailleurs étonnant que, depuis cinq ans, le débat médiatique au sujet des bibliothèques se soit enkysté autour de la seule numérisation des livres de la BNF alors que les bibliothèques, BNF comprise, qui jouent un rôle majeur dans l'aménagement d'un espace public de la connaissance, ont bien d'autres défis à relever.

Une autre question revient souvent à propos d'une supposée domination de la culture et de la langue américaines que Google chercherait à imposer. Souhaite-t-on, au prétexte de la contrer, que le patrimoine éditorial français et européen soit mis en ligne à partir des fabuleuses collections européennes des bibliothèques américaines, comme cela commence à être le cas dans Google recherche de livres ? Prenons l'exemple de Lyon, qui fut la capitale de l'imprimerie à l'époque de Rabelais. Faut-il que sa bibliothèque, témoin majeur de l'épopée du livre, disparaisse en tant que telle, c'est-à-dire en tant que collection du nouveau paysage de la connaissance ?

Méfions-nous : un certain nationalisme a la fâcheuse habitude de se tirer une balle dans le pied et d'entraîner tout le monde dans sa chute. Il est plus utile d'être présent là où il le faut. D'autant que, ne l'oublions pas, les contenus libres de droits appartiennent à tout le monde et que l'on ne voit pas ce qui pourrait interdire à Google ou à quelque éditeur que ce soit de les valoriser.

Une autre objection est souvent formulée, portant sur l'alliance contre-nature entre économie et culture. Mais, peut-on imaginer un seul instant que nous serions en train de disserter sur la culture livresque si, à la Renaissance, dans des villes comme Mayence, Venise ou Lyon, l'alliance des banques, de la technologie et des intellectuels n'avait pas permis au livre d'exister et de se diffuser, comme, à présent, le numérique dans la Silicon Valley ? Il est heureux que l'on puisse parler d'une économie de la connaissance. A condition, bien sûr, que le service public sache jouer son rôle et garder le cap, c'est-à-dire garantir un savoir et une mémoire partagés. Mais, pour cela, il doit rester un acteur crédible du système et agir plutôt que broyer du noir.

La polémique autour du numérique naît d'une certaine angoisse quant à l'avenir de la culture, voire à son idée même. Il y a vingt ans, déjà, lorsque nous étions quelques-uns, sous la houlette de l'éclairé Jean Gattégno, à plancher sur le projet de numérisation de la future BNF, quelques universitaires en vue agitèrent, avec un certain succès, le spectre d'une culture à l'encan, allant jusqu'à critiquer l'ouverture des espaces de la BNF au grand public.

Les mêmes peurs ressurgissent. Il est vrai que la révolution numérique induit une mutation encore plus importante qu'à l'époque de Gutenberg et remet en question bien des positions acquises. La mutation est violente. Dans le nouveau paysage du savoir, les surplombs, les transcendances et les hiérarchies propres à la civilisation du livre sont travaillés par de multiples transversalités qui modifient non seulement la topographie de ce paysage, mais sa topologie, car il rend proches de ce et de ceux qui ne l'étaient pas. Pour domestiquer cette nouvelle donne dans le sens du bien public, il n'y a pas d'autre voie que d'expérimenter et d'échanger. En un mot, il faut se résoudre à chasser la bile noire de la mélancolie.

Patrick Bazin est directeur de la Bibliothèque municipale de Lyon (BMF).

    Source : http://www.lemonde.fr/
    Posté par gb