La mer était belle. Un temps à aller à la pêche aux moules, pensa le grand-père. Mais, sans compter que le mot était déjà pris, sa petite fille n'aimait rien tant que d'aller pêcher le mulet à cornes * avec lui. Il faut dire que sa technique était très au point. Il attirait l'animal en agitant à ses barbes rien moins qu'une muleta, histoire aussi de finir d'user le chiffon devenu inutile depuis que son fils, grâce au Ciel, avait renoncé à toréer. Et d'un coup de maillet bien asséné, l'animal passait sans douleur de vie à trépas. L'affaire était dans le sac, lequel pesait son poids. Aussi le retour, du moins pour le grand-père, s'effectuait-il à dos de mulet ( sans cornes cette fois), la mouflette trottinant à ses côtés. Afin de faire sécher la muleta, l'homme agitait maintenant le chiffon devant les naseaux de l'animal, ce qui avait aussi pour vertu de le faire avancer. En fait, la couleur rouge de la muleta avait passé avec l'air de la mer, et le mulet, dont la vue baissait avec l'âge, prenait bêtement ce bout de chiffon pour des carottes. Je ne vois pas d'autre explication. Le grand-père appréciait la balade, admirant à loisir la démarche à l'élégance prometteuse de sa descendance. "Sûr qu'elle sera faite au moule, cette petite !", pensait-il avec fierté.
J'aurais bien ajouté que la fillette tenait le licol, la main glissée dans une moufle tricotée par sa grand-mère, mais moufle étant, comme mouflette, du féminin, ce serait pas honnête.
* semotilus atromaculatus