totoll a écrit:deux garde-fous à éviter : le jargon ésotérique ou abscons , et à l'autre extrémité , le ruisseau ou la fange de laquelle certains mots semblent sortir tout droit
On est tous pareils (cf. le fil, mes horreurs) : il y a des expressions, des locutions, qu'on n'aime pas entendre, qu'on n'emploie pas, soit parce qu'elles sont «laides» ou qu'elles rappellent des choses qu'on cache habituellement (esthétique, pudeur, «sons laids»), soit parce qu'elles sont socialement opposées à ce que nous estimons («populaires», «vulgaires», «basses» -du point de vue de ceux qui n'aiment pas le peuple et les «pue-la-sueur»-, mais aussi «jargonesques», «précieuses», «efféminées», -du point de vue de ceux qui n'aiment pas les intellectuels, et autres «chieurs d'encre», avec leur langage de «gonzesse et de pédé»-, etc.), soit encore parce qu'elles sont mal faites linguistiquement (étant entendu que ce dernier cas me semble à vue de nez le plus rare, le plus exigeant en connaissances, et qu'il n'est sorti du chapeau que pour couvrir les autres motivations).
Mais tout ça, hors l'argument linguistique, ce sont -je pense- des choix personnels, individuels. Vous avez le droit de ne pas aimer «entamer» ou «référencer». Moi aussi, comme tout le monde, il y a des mots que je n'aime pas (par exemple, je n'aime pas «conséquent» = «important») . Et je ne les emploie pas.
De là à les condamner au nom de la défense de la langue, il y a un fossé.
Bon, mais imaginons qu'il y ait des mots vraiment contestables au point de vue linguistique : on peut les condamner au nom de la défense de la langue, c'est sans doute vrai. Mais n'y a-t-il pas plus important à faire pour défendre/promouvoir le français ? D'autant que ça va être lent : c'est au coup par coup cette lutte minuscule contre un néologisme ou un mot mal employé (et combien d'exemples de luttes gagnées par les puristes ? À mon avis aucune, parce que c'est impossible).
En fait, la défense de la langue, à mon sens, devrait complètement revoir sa stratégie (en vérité, ils n'en ont pas) et s'en prendre aux vrais problèmes (et fermer les yeux sur les détails), qui sont aussi ceux sur lesquels il est possible d'agir (vous ne pouvez rien faire contre 50000 mots sur google, mais vous pouvez agir sur les choix politiques, c'est beaucoup plus simple).
Cela suppose d'identifier quelques problèmes et d'attaquer toujours et continuellement au même endroit, de mener un combat d'usure sur les points identifiés, et cesser d'ennuyer les locuteurs lambda pour -au pire- des péchés véniels.
Oarsman a écrit:je suis convaincu que c'est en se disant "défenseur" de la langue française qu'on crée le péril
Oui, il y a sûrement un peu de ça. Mais ils sont, ou pourraient être, utiles, et la situation linguistique n'est pas aussi bonne qu'on le souhaiterait.
On pourrait aussi leur reprocher de créer un climat tendu et violent, fanatique (cf. délire verbal : collaboration, 5e colonne, traître, sacré, etc.).
Mais encore : ce qui est péjudiciable à la défense de la langue au sens large, c'est qu'elle est très politisée (les gens de DLF, par exemple, sont très proches de l'AF, pas vraiment connue pour son progressisme, d'autres associations sont proches de radio courtoisie, carrément très à droite, avec des gens franchement sulfureux, et ceux qu'on pourrait trouver à gauche seraient des communistes et des altermondialistes qui essayent de placer les langues régionales ou l'esperanto par la même occasion, et qui pour le style ne valent pas Aragon ; Etiemble, qui a écrit l'un des meilleurs ouvrages sur le sujet, dans les années 70, par exemple était maoïste je crois). Donc, défendre la langue, c'est un peu comme prendre la carte d'un parti, et ça «ça pose problème».
je sens confusément que le décorticage vétilleux des inovations langagières et le chipotage puriste ne sont pas totalement dénués de sens. Ne serait-ce parce qu'ils finissent toujours par influencer la politique linguistique du pouvoir en place
Là, je ne suis pas trop d'accord : les puristes sont des fixistes, pour ne pas dire des passéistes : s'il y avait une politique linguistique, ils la freineraient, même, et surtout pour des détails (remarquez l'importance du détail dans les religions, et chez les défenseurs de la langue). C'est vrai qu'ils chipotent : vous n'êtes jamais parfait. Les rédacteurs de la revue de DLF doivent recevoir, j'en suis certain, des palanquées de lettres critiques de maniaques sur une virgule mal placée, une coquille, un accord mal fait. Comment voulez-vous avancer si, dès la première phrase, on il faut s'arrêter pour tout décortiquer, si toujours et constamment c'est la forme qui écrase le fond. En fait, ce sont des chomskyens (qui s'ignorent), ou dans le genre : ce qui les intéresse, c'est la grammaticalité, point barre, pas le sens.
(mais je ne dis pas qu'ils ne servent à rien, je prétends qu'ils ne travaillent comme faudrait).
est-ce vraiment défendre le français l'objectif de ce site internet?
Non, pas du tout ; c'est un sujet parmi d'autres, qui est intéressant. Cela dit, tous les sites en français donnent du poids (argument quantitatif) au français. C'est déjà bien (dans la défense de la langue, comme dans tous les combats symboliques (qui sont des combats de mots), les chiffres sont essentiels, même s'ils ne veulent rien dire : combien de francophones (120 ou 250 millions ?) combien de mots en français (langue riche?)).