Chacun sait, depuis Balzac dont le personnage d’Andoche Finot est resté célèbre, que les journalistes ne jouissent guère d’une excellente réputation dans les milieux cultivés de notre pays. Certes, il y a parmi eux de très bonnes « plumes », de remarquables « reporters » et d’intelligents commentateurs, mais leur image s’est quelque peu dégradée depuis que se sont développés les media audiovisuels. Une autre espèce de journalistes est apparue qui suscite fort peu d’enthousiasme. On les adule parfois, mais on les craint. On les cite, mais c’est souvent pour s’en gausser ou s’en indigner. Beaucoup les considèrent comme des fossoyeurs de la langue française ou les vecteurs, conscients ou non, des « vérités » convenues, voire des mensonges officiels. Un amalgame s’est fait avec les « animateurs », les « présentateurs », les « interviewers », et autres glossateurs, de sorte que, tout autant que les sportifs, les publicitaires et les politiciens, ces spécialistes de la communication participeraient à ce massacre du français et à cette dégradation de nos modes d’expression auxquels ils paraissent se complaire. Par snobisme, par bêtise, par ignorance ou par paresse, ils envelopperaient d’un charabia médiatique certaines conceptions du monde et des relations entre les hommes que nous serions bien plus nombreux qu’ils ne le croient à refuser.
Ces critiques sont sévères. Sont-elles méritées ? Seul un examen attentif, qui portera tant sur la forme que sur le contenu de leurs prestations nous permettra d’en décider.
Le massacre du français
Pour important que soit le rôle de l’image dans la civilisation contemporaine, il est bien loin d’avoir surclassé celui du langage verbal. C’est avant tout avec des mots, organisés par la grammaire, que nous communiquons. Ces mots ont une forme canonique dont la méconnaissance engendre l’irruption du sabir, ce qui rend fort difficile de se faire comprendre, voire de se comprendre soi même. Car qui n’est pas maître de sa langue n’est pas maître de sa pensée. C’est ce que n’ont pas compris ces professionnels dont je parle. Leurs incongruités lexicales et syntaxiques, qui vont se multipliant, tendent à
faire du français une langue étrangère, quelque peu ridicule et généralement vulgaire.
Ces agressions, intentionnelles ou non, peuvent être regroupées sous deux rubriques principales: la dérive occitane, d’une part, la frénésie de l’apocope, d’autre part. De ces deux phénomènes contraires, qui contribuent néanmoins l’un et l’autre à l’appauvrissement de nos échanges verbaux, le premier est le plus risible, mais le plus agaçant c’est l’autre.
Ce que j’ai proposé d’appeler la « dérive occitane », c’est cette fâcheuse propension à ajouter un e muet à la fin de mots qui n’en comportent pas. Les exemples sont innombrables, qui traduisent une ignorance consternante de
l’orthographe. N’entendons nous pas, trop souvent, à la radio et à la télévision, mentionner le parc(ke) de Marc(Ke) cher à la gent(e) féminine ? Et ne nous dit-on pas qu’en Mars(e) on passe des test(e)s dans les pays de l’Est(e) ? Quant
à moi, je ne regarde jamais les match(e)s en direct(e) ; je ne pourrais pas savoir vraiment lequel des joueurs a marqué le but(e).
Il est vrai qu’à propos de « but », ce e, voire le t final, disparaissent fréquemment puisque les commentateurs sportifs se plaisent à compter les bu(z) ou prononcent ce mot comme s’il s’agissait du participe passé (bu) du verbe boire.
Inutile de continuer. Il suffit d’allumer n’importe quel poste de radio ou de télévision pour découvrir immédiatement d’autres exemples. A l’instar de nos compatriotes méridionaux, la France médiatique croit devoir s’exprimer comme Raimu ou Fernandel. C’est amusant parfois; c’est fastidieux quand cela se répète.
Quant à l’apocope, c’est cette étrange maladie à laquelle nul ne semble pouvoir échapper. Elle consiste à mutiler les mots les plus courants dont on supprime systématiquement une ou plusieurs syllabes. Endémique depuis bien des années, puisqu’elle nous a donné le « vélo », le « cinéma » (voire le « ciné »), le « métro », la « météo » et la « radio », elle est devenue de nos jours épidémique, pour prendre, depuis le règne de François Mitterrand une forme étonnamment paroxystique. De l’abominable « sécu » à la toute récente « Cour de Cas(sation)», innombrables sont les stigmates de cette affection dont sont atteints tous ces mutilés du verbe qui s’imaginent naïvement faire « moderne », « jeune » ou « branché » alors qu’ils ne sont que pitoyables. Faut-il citer le très vulgaire « ptidèj » (petit déjeuner) que les « ados » refuseront de prendre ce « mat(in) » ou « staprem » (cet après-midi) ? Mais il en est d’autres encore, plus répandus, comme« l’actu », les « infos », l’« anniv(versaire) », les « expos », les « profs », la « déco(ration) », « l’éco(nomie) » souci majeur de nos « deps »(les députés) ? Et cette évolution s’accélère, qui concerne de plus en plus le grand public, et touche par exemple aussi bien les noms et les prénoms (« Sarko »,« Véro(nique) » que des régions ; des lieux, voire des monuments (le « Boul’Mich (le boulevard Saint Michel ) » ou le « Troca(déro) »). Rien de ce qui vient d’être signalé n’est inventé. J’ai moi même entendu cela et cette liste s’allonge chaque jour !
Si la dérive occitane et la frénésie de l’apocope sont les plus marquantes de ces fautes, il en est d’autres qui, s’y ajoutant, contribuent elles aussi, en l’intensifiant, au massacre de notre langue.