Dans cette discussion, l'idéologique, c'est-à-dire le subjectif est en train de prendre le pas sur la réflexion quant aux différentes fonctions d'une langue dont un des rôles est de rendre compte de l'évolution d'une société ( évolution économique, intervention professionnelle des femmes dans certains secteurs de l'économie, évolution concrète qui peut se traduire en chiffres).
C'est là qu'il y a subitement un décalage entre ce que peut exprimer la langue française et la réalité de la société dont elle rend compte.
D'où mon souhait de laisser de côté ces propos qui vont invectiver d'un côté des supposés/supposées féministes et de l'autre des tout autant supposés conservateurs ( cf #9 , bien oublié
)
L'allemand , par exemple, qui accepte trois genres dont un neutre, recourt également au masculin , par défaut, lorsqu'on ne souhaite pas préciser si un homme ou une femme exerce une profession. Or, cela n'empêche nullement cette langue de forger des féminins pour pratiquement tous les noms de métiers, simplement en y ajoutant le suffixe féminin -in : die Ingenieurin, die Rechtsanwältin, die Ärztin, die Richterin, die Professorin . Chacune de ces dames exerce respectivement le métier d'ingénieur, d'avocat,de médecin,de juge et de professeur.
Ainsi, si je veux traduire un article de sociologue analysant le travail professionnel des femmes, je me trouve, en français, dans l'embarras, obligée de recourir à l'artifice ci-dessus ( métier de...) . C'est là qu'il y a un manque, un vide linguistique.
Les Allemands, la société allemande ne sont pas plus progressistes quant aux droits des femmes. Moins de femmes dans la vie professionnelle, pas d'école maternelle ( cela n'existe pas) , très peu de crèches. Il n'y a presque pas d'infrastructures facilitant l'entrée des jeunes femmes dans la vie professionnelle, en tout état de cause un grand retard par rapport à la France.
Et cependant, la langue allemande, elle, a pris en compte ces évolutions et créé des féminins pour les domaines professionnels où les femmes exercent maintenant en nombre. Le rapport entre évolution linguistique et droit des femmes/ féminisme n'est donc pas automatique ni mécanique.
De plus, dans les différentes interventions, on n'a pas tenu compte des situations de langage.
*Comme déjà évoqué, un sociologue qui s'intéresserait à un groupe humain, ici les femmes aura besoin de termes. Sinon il lui faudra toujours dire les juges-femmes, les professeurs de sexe féminin... c'est bien pire!
* Faire la distinction entre une situation où on évoque un métier , donc une activité professionnelle sans tenir compte de l'individu qui l'exerce et d'autres situations où,
au contraire, le point de vue du locuteur sera plus personnalisé, regardant l'identité de la personne qui exerce la profession, voire la personne elle-même qui se qualifie.
Si le masculin sert effectivement d'épicène, toutes les situations de communication, dans l'usage, n'imposent cependant pas l'épicène.
Ainsi, le public, les gens font souvent une distinction : s'il est vrai qu' on attend d'un médecin savoir et compétence et que c'est sur cette base-là uniquement qu'il obtiendra le droit d'exercer, le public lui ne choisit pas toujours selon les mêmes critères. Une fois les premiers admis, il y aura des préférences , il existe des gens qui seront plus à l'aise avec une femme, d'autres avec un homme, une troisième catégorie s'en moquera. Mais, les uns et les autres ont besoin de mots. Cela va se faire par contournement " Mon généraliste/ ma généraliste. Mon gynéco/ma gynéco... "
De même les élèves, le premier jour de l'année scolaire et quel que soit le niveau de classe commentent immédiatement le premier contact avec le nouvel enseignant ( épicène) en annonçant à leurs amis s'ils ont un ou une prof.
Autrement dit, pendant que nous débattons de la nécessite, de la correction de ces féminisations, des arrière-plans idéologiques, l'usage lui, crée spontanément ce dont il a actuellement besoin, sans se soucier des règles linguistiques. Il y a fort à parier qu'au niveau de la langue écrite, administrative, dite correcte ( sans abréviation) le reste suivra comme dans d'autres pays. Et, àmha, cela ne fera ni avancer ni reculer la cause des femmes.
" Wer fremde Sprachen nicht kennt, weiß auch nichts von seiner eigenen." J.W.v.Goethe