Eh bien , il y aura au moins une voix contradictoire.
Non que l'ajout du e à professeur me plaise, mais de toute façon, ici, la discussion ne porte pas uniquement sur la féminisation de ce mot précis.
La question, posons-là clairement, est bien : « féminiser les noms de métier, oui ou non? »
Professeur n'est qu'un exemple parmi d'autres et l'ajout d'un suffixe féminin n'est pas la seule solution possible, parfois il suffit d'user d'un déterminant féminin. Un juge, une juge, un professeur, une professeur ?
Mon avis sur les arguments apportés jusqu'ici: Oui, je pense aussi que l'égalité des salaires, l'égalité concernant les conditions de travail, l'accueil de la petite enfance sont d'une importance bien plus grande pour les femmes et leur dignité.
Ainsi, si je suis personnellement plutôt pour la féminisation de ces termes, si j'accueille ces évolutions d'un bon oeil, ce n'est pas au nom d'une revendication féministe et je n'en fais pas un cheval de bataille.
D'abord, je pense que cette question linguistique n'influe pas sur ce qu'on appelle la cause des femmes. Ni elle la fait avancer ni elle la dessert.
C'est simplement que les arguments apportés ne me convainquent pas.
L'activité économique, professionnelle n'est pas sexuée, le poste, le métier, la fonction ne le sont pas... en théorie. La société, elle, ne conçoit pas, dans les faits, les choses de cette façon. Et, pour que cet argument soit valable, il faudrait que tous les termes de notre langue désignant un métier revêtent ce caractère de neutre, épicène, représenté par le masculin.
Nous ne devrions pas avoir de directrice, d'informaticienne, d'institutrice, de traductrice , de boulangère , de couturière, de puéricultrice, de technicienne... car c'est exactement la même chose. Leur fonction, leur poste, leur travail n'est pas sexué et le sérieux, la qualification et la compétence ne dépendent pas de cet aspect. Pourtant, depuis toujours, la langue française a forgé des mots féminins pour désigner l'intervention et l'activité des femmes dans la vie publique ou professionnelle.
Les seuls termes qui ont échappé à cela sont ceux qui correspondent à des métiers, des fonctions traditionnellement et longtemps occupés par des hommes. L'institutrice exerçait la même activité professionnelle qu'un professeur du secondaire ou du supérieur, il s'agit d'une même fonction, qui consiste à enseigner. Mais dans le primaire enseignaient autrefois une majorité de femmes ou du moins leur pourcentage était élevé, si bien que le féminin est venu de lui-même.
Dans le secondaire et le supérieur, autre paire de manches ! Pendant des décennies, pour ne pas parler de centaines d'années, il n' y eut que des hommes, d'où l'inutilité pour la langue de créer un terme, correspondant à ce qui n'existait pas.
On pourrait faire les mêmes observations dans le monde de la santé où les femmes exerçaient comme aide-soignantes, infirmières, les postes supérieurs, médecin, chirurgien, étant longtemps l'apanage masculin.
Il se trouve que la réalité économique n'est plus la même. Dans ces domaines ( santé, éducation), non seulement le pourcentage de main d'oeuvre féminine a augmenté, il est même devenu prépondérant. Ces branches professionnelles sont actuellement féminisées à près de 80%, 90%.
Du coup, malgré les traditions, réticences individuelles, il me semble normal que la langue trouve les moyens de décrire , d'exprimer ces réalités nouvelles. C'est sa fonction objective, en dehors de ce que peut ressentir telle ou telle femme vis-à-vis de cette question ( humiliation ou, au contraire, fierté ).
Si pour tous les autres métiers, la langue a créé des termes féminins lorsque des femmes étaient concernées [ et, encore une fois, aucune de ces activités n'est sexuée, mis à part le plus vieux métier du monde], je ne vois pas pourquoi ceux-là devraient échapper à cette règle.
Ainsi, ce n'est pas pour moi un sujet de polémique, je pense seulement que cette évolution se fera d'elle-même, que les générations futures ne se poseront même plus ces questions qui hérissent aujourd'hui. J'ai lu qu'au début du 20 ème siècle, il y eut des discussions acharnées autour du terme avocate, or il est passé aujourd'hui dans l'usage courant et si les membres de l'Ordre n'en usent pas tous, le public, lui, dit familièrement qu'il consulte un avocat ou une avocate.
En conclusion, aucun affect pour moi à ce sujet, je pense seulement, à tort ou à raison, l'avenir le dira, qu'il s'agit d'une évolution inéluctable, à moins de changements, de retour en arrière de la société. Si les trois K revenaient à l'ordre du jour...
" Wer fremde Sprachen nicht kennt, weiß auch nichts von seiner eigenen." J.W.v.Goethe