Sujet : Etymologie de «Travail» et «le français ne vient pas du latin» Cortez
Bonjour à tous!
Je voudrais savoir pourquoi en français on dit "Travailler"?
En Latin on dit LABOR...
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forum abclf » Histoire de la langue française » Etymologie de «Travail» et «le français ne vient pas du latin» Cortez
Bonjour à tous!
Je voudrais savoir pourquoi en français on dit "Travailler"?
En Latin on dit LABOR...
travail: du latin treppalium, instrument de torture.
cela se nomme du réalisme.
bonsoir à tous,
Alphonse Allais semble penser également que travail vaut torture :
"j'ai toujours détesté le labeur et si je travaille, c'est dans le but unique de subvenir à mes débauches (je me passe aisément du nécessaire).
Comparer (ou assimiler) le sens d'un mot actuel à son origine étymologique ne conduit pas à grand-chose sinon, comme ici, à des plaisanteries. Irène demande très justement pourquoi. L'évolution, longue et complexe, est indiquée ou du moins suggérée par le TLFi dans la dernière partie (étymologie) des mots travail (1) et travailler. Voir aussi, à titre de comparaison, les notices de labeur, labourer et celles d'ouvrer, ouvrier.
Le travail est souvent associé à la peine, voire au chagrin. Je suis d'accord avec moeffe : du réalisme !
travail: du latin treppalium, instrument de torture.
cela se nomme du réalisme.
Bonjour!
D'accord avec P. Enckell (mais c'est en général très difficile de ne pas être d'accord avec lui) : raccorder directement le trepalium au sens actuel de "travail", c'est oublier tous ses sens intermédiaires.
Il y a aussi dans "travail" l'importante notion de transformation. Travailler quelquechose, c'est anoblir une matière brute en la façonnant, en faisant intervenir le génie inventif de l'homme et son artisanat industrieux.
Trouvé ce texte: "Du tripalium au chargin" de P. Deramaix.
Extrait:
En réalité, le tripalium correspond au travail utilisé dans les fermes : c'est un dispositif de contention utilisé pour aider à la délivrance des animaux, mais il est surtout utile au ferrage, au marquage au fer rouge, ou à des interventions vétérinaires douloureuses... j’imagine volontiers qu’il fut utilisé pour " contenir " les esclaves que l’on fouettait ou punissait.
Vérification faite - le "Dictionnaire historique de la langue française" (aux éditions Robert) s'avère à cet égard un trésor - le tripalium est bien, pour le Romain, et c’est attesté au début du moyen-age un instrument de supplice, dont dérive le terme " travail " désignant l’outil de contention familier aux éleveurs. Le dictionnaire nous rappelle pertinement l'historique et le croisement étymologique avec " trabicula ", petite travée, poutre, désignant un chevalet de torture : (trabiculare signifie " torturer " et " travailler ", au sens, de " faire souffrir "). Et c’est bien dans cette acception que s’utilise en ancien français le terme " travailler " et cela jusqu’au 12e et 13e siècle, et s’applique non seulement aux suppliciés, ou aux femmes en proies aux douleurs de l’enfantement, mais aussi aux agonisants. L’enfantement étant un " travail " non pas parce qu’on y re-produit la vie, mais en raison des douleurs de l’accouchement, au cours duquel sans doute, on devait - si elle était trop forte - immobiliser la mère...
Il s’agit bien d’un sens originel, qui s’affaiblit au cours du temps, et il serait sans doute intéressant d’étudier, documents à l’appui, comment l’usage du terme glisse vers l’acception anodine de notre temps : en 1155, toujours selon ce même dictionnaire, on voit : " se travailler " : produire de grands efforts et par la suite, le courant : " travailler à " : faire tous ses *efforts* pour parvenir à un résultat... l’idée de transformation d’une matière première ne prend le pas sur l’idée de souffrance qu’à partir du 16e siècle moment où le verbe se répend dans le sens " faire un ouvrage " et " rendre plus utilisable " (indiquant qu’un ouvrage intellectuel a été travaillé pour le rendre utile, pour lui conférer une valeur d’usage).
L’association du travail à la souffrance et au châtiment, dans la culture occidentale, est certainement plus ancienne et l’on pourrait s’en référer au texte biblique où, pour avoir voulu goûter au fruit de l'Arbre de la Connaissance, Adam et Eve se voient respectivement condamnés à " produire son pain à la sueur de son front " et " à enfanter dans la douleur ".
Vécu comme destin ou comme volonté, le travail n’est pas sans rapport avec la violence. Mais nous devons garder à l'esprit que le verbe travailler est transitif : le travailleur est, en fait, le tortionnaire. Il exerce une contrainte sur la matière qu'il travaille, comme le policier brutal qui "travaille" le suspect...
http://membres.lycos.fr/patderam/tripalia.htm
(Patrice Deramaix est chef de rubrique à Res Publica, artiste peintre, et bibliothécaire documentaliste en Belgique.)
On ajoutera que cette racine a donne "travel" outre-manche et le roumain a lui adopte le mot "lucru" pour travail, du latin profit, ect...
Intéressants commentaires. Mais un bibliothécaire devrait savoir, comme nous le savons tous ici, que le Robert historique se borne dans 99% des cas à reprendre sommairement des informations publiées ailleurs, essentiellement dans le TLF.
La bibliographie des articles de ce même TLF montre que le mot "travail" et sa sémantique ont fait l'objet de nombreuses études savantes. Si l'on veut vraiment apporter de nouvelles lumières sur la question, il faudrait les avoir consultées auparavant.
Merci beaucoup à tous!
Vous avez la bibliographie?
Merci encore
Si vous consultez le TLFi en ligne, vous trouverez à la fin de beaucoup d'articles (après la notice étymologique) des renvois bibliographiques. Malheureusement, ceux-ci sont parfois abrégés de façon à être difficilement déchiffrables par le premier venu...
Paragraphe «Bbg».
TLFi : http://atilf.atilf.fr/
À propos de travail, je remarque que le portugais et l’espagnol ont un mot de même origine que le français, resp. trabalho et trabajo (l’italien a lavoro, dont je suppose qu’il dérive directement du latin labor). Étant donné le cheminement sémantique tortueux qui va d’un instrument de torture, le tripalium, à l’idée de travail, comment se fait-il que trois langues différentes, certes de la même famille, aient connu la même évolution aboutissant au même résultat? Il est difficile de ne pas voir ici l’effet d’une influence.
Adam et Eve se voient respectivement condamnés à «produire son pain à la sueur de son front» et «à enfanter dans la douleur».
Justement, travail a aussi un sens obstétrique, qui se dit d’ailleurs labor en anglais et arbeid en néerlandais (mais l’allemand Arbeit n’a pas ce sens).
Justement encore, l’anglais et le néerlandais font une distinction intéressante entre d’une part travail au sens ordinaire (work, werk), et d’autre part travail sous son aspect administratif et légal (comme dans droit du travail) ou 'existentiel' (labor, arbeid).
J'avais remarque cela également, TdP. Le catalan utilise lui 'treballar' et l'occitan 'trabalhar'. La dérivation de sens devait sans doute etre sacrément répandue pour prendre à ce point...
Vu aussi ce site qui apporte des informations intéressantes sur l'évolution phonétique du mot, mais peu sur son sens. Mais bon, si tant de livres ont été écris sur la question, pourquoi s'embêterait-on?
www3.dfj.vd.ch/~latin/Textes-etymologie … orique.htm
Le verbe *tripaliare, qui a donné travailler (attesté dès 1080), signifiait littéralement « tourmenter, torturer avec le tripalium ». En ancien français, et toujours dans l'usage classique, travailler signifie « faire souffrir » et « souffrir », physiquement ou moralement. Jusqu'à l'époque classique, le mot travail exprime couramment les idées de tourment, de peine et de fatigue. L'idée moderne d'activité productive se fait jour en moyen français (début du 15e siècle), dans les domaines manuel et intellectuel.
Chers amis françaises.... Bravo pour la finale de la Coupe du Monde, mais... nous sommes les meilleurs du monde... il y a rien à faire...
Forza Italia!!!
Chère Irene,
c'est un forum sur la langue française et votre contribution n'est pas vraiment une... d'ailleurs, la victoire des Azurri dimanche dernier n'est pas une nouvelle pour nous... croyez-moi, beaucoup de journaux français ont écrit des articles lundi dernier
À propos du travail, il est à noter que son pluriel travaux ne concerne que le sens de labeur car, lorsqu'il s'agit de l'instrument de contention utilisé pour ferrer les animaux, le pluriel en est travails.
J'ai un jour rencontré ce terme, dans une grille de mots croisés, sous la définition : Singulier pluriel.
Étonnant, non ?
Bonsoir, qui peut me dire ce qu'est un toral ? Merci. Milène.
Bonsoir, qui peut me dire ce qu'est un toral ? Merci. Milène.
Bonsoir Milène,
est-ce que vous pourriez donner plus de précisions concernant le contexte, svp ? Car le mot ne se trouve pas dans le dictionnaire (Robert, TLFi). Où l'avez-vous lu ou entendu ?
P.S. Je dois rejoindre gb dans son message dans un autre sujet : Créez un nouveau sujet pour ne pas passer de coq à l'âne, s'il vous plaît.
On peut s'intéresser à l' étymologie tout court mais aussi aux représentations des mots, à leurs sens à différentes périodes de l'histoire ou encore oublier ce qui dérange. Rappelons nous par exemple le film "Les temps modernes" de Charlie Chaplin ou encore la devise à l'entrée du camp d' Auschwitz "le travail rend libre" et on se rendrait mieux compte alors que l'idée exprimée au départ a gardé encore tout son sens très près de nous, dans l'espace et dans le temps. Je n'ose prendre des exemples tout à fait contemporains pour ne fâcher personne... sauf si on m'y obligeait.
On peut s'intéresser à l' étymologie tout court mais aussi aux représentations des mots, à leurs sens à différentes périodes de l'histoire ou encore oublier ce qui dérange. Rappelons nous par exemple le film "Les temps modernes" de Charlie Chaplin ou encore la devise à l'entrée du camp d' Auschwitz "le travail rend libre" et on se rendrait mieux compte alors que l'idée exprimée au départ a gardé encore tout son sens très près de nous, dans l'espace et dans le temps. Je n'ose prendre des exemples tout à fait contemporains pour ne fâcher personne... sauf si on m'y obligeait.
J'y pige que pouic.
Après réflexion : ah, ce sont des considérations sans grande originalité concernant la valeur du travail ?
Bruicoleur
Vous pouvez tout à fait citer des exemples, ça ne choquera personne je pense; c'était même le sujet du bac philo cette année. J'ai entendu à la radio un prof de philo expliquer comment on pouvait traiter le sujet. En gros, c'est le travail qui opprime versus le travail qui libère, qui créé la civilisation, l'épanouissement. J'ignore si la vision d'Allais rapportée plus haut par Carmen aurait rapporté ou ôté des points...
Bruicoleur
Vous pouvez tout à fait citer des exemples, ça ne choquera personne je pense; c' était même le sujet du bac philo cette année. J'ai entendu à la radio un prof de philo expliquer comment on pouvait traiter le sujet. En gros, c'est le travail qui opprime versus le travail qui libère, qui créé la civilisation, l'épanouissement. J'ignore si la vision d'Allais rapportée plus haut par Carmen aurait rapporté ou ôté des points...
C'est vrai Krokodilo, vous avez raison, j'avais oublié que c'etait un sujet de bac, comme quoi il doit s'agir d'un vrai débat qui dépasse ou plus justement, intègre l'épaisseur, "le poids de mots".
Deux exemples très récents entendus aujourd'hui même à la radio :
- L'affaire de ces deux africains, maliens je crois, qui se sont fait contrôler à l'entrée d'une résidence présidentielle à Versailles et qui étaient en fait (sans mauvais jeu de mots) des "travailleurs au noir".
- Ces "travailleurs forcés" de briqueteries en chine (dont des enfants de huit ans) qui n'étaient pas payés, qui étaient battus, etc. ...
Un autre encore, un peu moins récent, ces cadres de grandes entreprises automobiles qui se suicident à cause du stress provoqué notamment par les conditions de travail.
Et un dernier plus personnel, celui de ma soeur qui a une épaule très abîmée à cause du travail répétitif sur une chaîne de montage. Il n'est pas question que l'on reconnaisse que les causes sont imputables à 32 années passées à son poste.
Je ne parle pas de la notion de "travailler plus pour gagner plus ... ou moins" ou encore des stages non rémunérés devenus la norme pour beaucoup de nos enfants. Ce serait peut-être hors sujet ou trop convenu dans ce contexte.
Oui, le sens premier de "travail = torture" est toujours bien présent dans la vie de beaucoup d'humains. Je me refuse pour ma part à dissocier en l'occurrence l'étymologie de la sémantique voire de la sociologie ou de la politique.
Bonjour,
A ce propos j'aurais une question supplémentaire sur l'usage de ce mot.
Peut-on dire "j'ai plusieurs travaux" lorsque l'on vaque à plusieurs emplois?
Cela ne sonne pas correct, je trouve.
Merci pour les réponses
Cela ne sonne pas correct pour la bonne raison que ça ne se dit pas!
J'ai cherché si par hasard il y avait un pluriel dans cette acception: apparemment pas...
Donc, je pense que vous seriez bien avisé de dire: j'ai perdu mes emplois.
Mais si vous tenez absolument à parler de travail il va falloir la jouer autrement.
Par exemple :
"J'ai perdu mon travail chez X et le lendemain j'apprenais que j'avais aussi perdu mon autre travail chez Y sans compter que je risque de perdre également celui que j'avais chez Z" (Mauvaise semaine assurément...)
Vous allez par le fait vous retrouver chômeur ou sans-travail.
Notons au passage que des "sans-travail" est invariable.
Vous souhaitant de retrouver du travail ou à tout le moins quelques menus travaux à droite et à gauche en attendant mieux.
Au risque de radoter — voir : http://www.languefrancaise.net/forum/vi … hp?id=4624 —, je ne résiste pas à la tentation de vous faire part de l'avis d'Yves Cortez, auteur de « Le français ne vient pas du latin ! (Essai sur une aberration linguistique) ».
« TRAVAIL : ce mot viendrait du mot latin TRIPALIUM (qui est un instrument de torture fait de trois pieux). Qui a fait cette trouvaille ? L'histoire ne le dit pas. Je ne m'appesantis pas sur le fait qu'on est là toujours dans la même logique qui consiste à trouver au petit hasard un mot latin qui a une consonnace assez proche. Bref, ils ont trouvé « TRIPALIUM » et ils en concluent donc que le travail était une torture.
D'abord, c'est une évidence, tout mot long est un mot composé. La première difficulté est de décomposer au bon endroit. On peut couper le mot en TRA.VAIL ou en T.RAVAIL. Nous allons voir que c'est la seconde proposition qui est la bonne. Étudions d'abord les syllabes finales RA.VAIL.
Quand on analyse de nombreuses langues, on s'aperçoit que les voyelles sont très sensibles au changement, mais que les consonnes ne se transforment que très peu, et toujours de la même façon. Ainsi, pour siplifier, je dirais que ce qui nous intéresse dans RAVAIL ce sont les lettres R et V. Or le R se transforme phonétiquement souvent en L, et le V se transforme phonétiquement souvent en B. Donc cet ensemble de lettres RV, que j'appelle un radical, peut se trouver sous les formes Lv, LB ou RB. En allemand et en russe, qui sont des langues indo-européennes, le travail se dit pour l'un ARBEIT et pour l'autre RABOT. Premier constat : les mots qui désignent le travail en allemand et en russe utilisent le même radical RB.
En italien on dit LAVORO et en latin LABOR, donc dans deux langues italiques le mot travail est bâti sur le radical LB dont j'ai dit plus haut qu'il était équivalent à RB ! Dans les mots français L.ARBIN (personne affectée à de petits travaux), CORVÉE, TURBIN... on retrouve toujours le radical RB, qui est la trace indélébile d'un mot ancien relatif au travail.
Revenons au mot TRAVAIL, que nous avons décomposé en T.RAVAIL. Le T initial est un préfixe indo-européen qui signifie l'exclusion. Donc ceux qui travaillent sont exclus du RAVAIL, du LABEUR au sens noble. Le TRAVAIL en français serait donc l'activité des serfs, opposée à d'autres activités plus nobles.
J'en parlerai dans un livre à venir sur la vie sociale de nos lointains ancêtres, décryptée grâce à une étymologie complètement renouvelée. »
PS : je ne cautionne rien mais souhaiterais connaître votre avis sur cette explication téméraire.
On ajoutera que cette racine a donne "travel" outre-manche (...)
En effet, si un <travailinge-man> ou un <travailour> est un {travailleur} en moyen-anglais, c'est aussi {quelqu'un qui souffre/peine} ou encore un {voyageur}. Etymonline explique le glissement sémantique {travailleur}? {voyageur} par la peine/souffrance que causait tout déplacement à l'époque médiévale.
Trop audacieux (ésotérique) pour moi : cela me fait penser aux chiffres sacrés/magiques qui se retrouvent partout : 7 par exemple...
Et puis, l'auteur critique la généalogie latine, basée sur une simple consonnance («toujours dans la même logique qui consiste à trouver au petit hasard un mot latin qui a une consonnance assez proche») mais il ne prouve rien de son raisonnement propre : «c'est une évidence, tout mot long est un mot composé», «je dirais que ce qui nous intéresse dans RAVAIL ce sont les lettres R et V. Or le R se transforme phonétiquement souvent en L, et le V se transforme phonétiquement souvent en B»...
Ceci, pour la méthode ; sur le fond, je n'ai vraiment pas les connaissances pour juger. Mais du côté des étymologies, il ne serait pas le premier à être très imaginatif.
Trop audacieux (ésotérique) pour moi : cela me fait penser aux chiffres sacrés/magiques qui se retrouvent partout : 7 par exemple...
C'est vrai. Ya un côté iconoclaste (Cortez n'a pas de mots assez durs pour les vestales de l'étymologie « officielle ») et un parfum vaguement télévangéliste (les premières phrases de son bouquin sont une citation de... Bouddha — rien que ça ! — invitant à se défier des idoles que sont « les traditions », « l'habitude », « l'autorité » etc).
Et puis, l'auteur critique la généalogie latine, basée sur une simple consonnance («toujours dans la même logique qui consiste à trouver au petit hasard un mot latin qui a une consonnance assez proche») mais il ne prouve rien de son raisonnement propre : «c'est une évidence, tout mot long est un mot composé», «je dirais que ce qui nous intéresse dans RAVAIL ce sont les lettres R et V. Or le R se transforme phonétiquement souvent en L, et le V se transforme phonétiquement souvent en B»...
Ceci, pour la méthode ; sur le fond, je n'ai vraiment pas les connaissances pour juger. Mais du côté des étymologies, il ne serait pas le premier à être très imaginatif.
Tu fais mouche ! Outre le raisonnement, la présentation gagnerait à être travaillée (osons le mot). L'auteur n'utilise pas de conventions symboliques (genre <>, [], //, etc) pour différencier la nature de ce sur quoi il glose : oral-écrit, phone-phonème, etc.
Ceci dit, j'ai investigué l'étymologie de certaines formes modernes pour {travail}. D'après le dico des Grimm, la forme allemande <Arbeit> serait issue de l'ancien haut-allemand <arepeit> ou <arapeit>, lequelles rappellent celles de l'islandais moderne : <erfiði> ou <erviði>, dont l'étymologie est présentée comme incertaine, et plus précisément comme pouvant être l'un des deux termes de l'alternative suivante :
Hypothèse 1
Is <erfiði> & <erviði> seraient formés par préfixation (<er> = morphème doté d'une valeur *privative*) de la racine Is <viða>, une variante de Is <vinna> = {travailler}, elle-même apparentée à Al <gewinnen> & An <win> = {gagner}. D'ailleurs <winnan> & <winnen> (équivalents respectifs en vieil- & moyen-anglais) avaient le sens de {s'efforcer de, souffrir} donc assez voisin du moyen-anglais <travailen>, l'ancêtre de An <(to) travel> comme Papageno l'indiquait à la page précédente.
Tout ça pour dire qu'il existence une équivalence formelle entre les spéculations de Cortez : « Le T initial est un préfixe indo-européen qui signifie l'exclusion. Donc ceux qui travaillent sont exclus du RAVAIL, du LABEUR au sens noble. Le TRAVAIL en français serait donc l'activité des serfs, opposée à d'autres activités plus nobles. » et cette première hypothèse sur l'islandais : morphème privatif préfixé + lexème {travailler} ? <er>#<fiði> & <er>#<viði>. Ce parallélisme formel entre une langue latine et une langue germanique serait providentiel pour Cortez. Mais le hic c'est que cette première hypothèse islandaise est rejetée.
Hypothèse 2
Plus en rapport avec la vague similitude entre les étymons écrits AHA <arapeit> <arepeit> & Is <erfiði> <erviði>. Le gothique serait <arbaiþs>. L'étymon anglo-saxon associé aurait donné <earfoþ> = {difficulté, souffrance, labeur, travail} (sans suite directe en moyen-anglais, à ma connaissance).
Ces formes germaniques seraient issues d'une protoforme de la même famille : ?<arbejiðiz> ?= {peine, détresse, misère, besoin} que certains reliraient volontiers à l'hypothétique racine indo-européenne ?<orbh> ?= {privé de père, orphelin, dépossédé du statut d'homme libre, changer de statut, modifier ses alliances, etc}. Laquelle racine aurait donné <rabu> = {esclave, serf} & <rabota> = {servitude, corvée} en paléoslave (après modification d'une racine slave encore antérieure ? ?<orbu>) et <orbare> = {priver quelqu'un des ses enfants/parents} en latin.
Il y aurait donc un lien hypothétique entre la perte du père et du statut qu'il pourrait transmettre à sa progéniture (biologique ou sociale) et la nécessité de travailler au service d'un tiers jouissant d'un avantage hiérarchique (déclassement social, aliénation de l'individu par la corvée, détresse personnelle etc).
Pour finir, voici un point de vue en italien qui ajoute le grec et le sanscrit :
Franchement, c'est peu abscons pour un non spécialiste : si pour évaluer la thèse il faut connaître les langues dont il est question, parfois reconstruites intellectuellement, ce n'est pas à la portée de tout de le monde. Mais critiquer certaines étymologies, latines ou pas, ayant cours, pourquoi pas : il n'y a pas de raison qu'elles soient toutes exactes De là à dire que le français ne vient pas du latin, c'est autre chose : il faudrait montrer que la majorité des étymologies qui passent par le latin sont erronnées. Je ne sais pas non plus si le ton pamphlétaire va dans le sens de la recherche scientifique. Il faudait démontrer, pas forcer les esprits par la violence (mais c'est moins amusant).
Le saviez-vous, l'auteur a un blog en ligne (un peu léger : il ne prouve rien, mais nous invite à acheter son livre, alors qu'il faudrait faire l'inverse : nous prouver d'abord la valeur de sa thèse pour qu'on achète ensuite) : http://yvescortez.canalblog.com/
Mais il y manque sa présentation : bien qu'on puisse être autodidacte et talentueux, on aimerait en savoir plus : illuminé ? savant certifié ? anarchiste ? Le propos, quel est-il, au fond ? retour à l'indo-européen ? Son nom apparaît souvent en ligne, mais jamais avec Dumézil. Parfois aussi, les options étymologiques (l'origine des langues), sont liées (soumises) à des options disons politiques : il ne serait pas le premier à éviter le passage par le latin : certains ont misé sur le breton, d'autres sur le grec, sans doute d'autres choses encore. Bref, pour qui roule-t-il ?
Revenons au mot TRAVAIL, que nous avons décomposé en T.RAVAIL. Le T initial est un préfixe indo-européen qui signifie l'exclusion. Donc ceux qui travaillent sont exclus du RAVAIL, du LABEUR au sens noble. Le TRAVAIL en français serait donc l'activité des serfs, opposée à d'autres activités plus nobles.
J'en parlerai dans un livre à venir sur la vie sociale de nos lointains ancêtres, décryptée grâce à une étymologie complètement renouvelée. »PS : je ne cautionne rien mais souhaiterais connaître votre avis sur cette explication téméraire.
Une explication hasardeuse qui se fonde sur des spéculations plutôt que sur des bases scientifiques. - tout comme son blog, qui crie et cherche à provoquer par des hypothèses exagérateurs («Toute l'étymologie est fausse»; «Vers le deuxième siècle avant J.-C la langue italienne a submergé le latin comme langue parlée, mais les Romains ont conservé le latin comme langue écrite»).
Le saviez-vous, l'auteur a un blog en ligne (un peu léger : il ne prouve rien, mais nous invite à acheter son livre, alors qu'il faudrait faire l'inverse : nous prouver d'abord la valeur de sa thèse pour qu'on achète ensuite) : http://yvescortez.canalblog.com
Merci pour l'info, gb. Je vais aller faire un tour.
Mais il y manque sa présentation : bien qu'on puisse être autodidacte et talentueux, on aimerait en savoir plus : illuminé ? savant certifié ? anarchiste ?
La 4e de couv' du bouquin vendu sur le blog mentionne un « passionné par l'étude des langues et de la linguistique » parlant « plusieurs langues anciennes et modernes (allemand, anglais, espagnol, hébreu, italien...) ».
Le propos, quel est-il, au fond ? retour à l'indo-européen ? Son nom apparaît souvent en ligne, mais jamais avec Dumézil. Parfois aussi, les options étymologiques (l'origine des langues), sont liées (soumises) à des options disons politiques : il ne serait pas le premier à éviter le passage par le latin : certains ont misé sur le breton, d'autres sur le grec, sans doute d'autres choses encore. Bref, pour qui roule-t-il ?
Je ne sais. La seule chose que je sache, pour avoir lu le bouquin, c'est qu'il conteste la filiation linguistique directe entre la Romanie contemporaine (ou médiévale) et la latinophonie antique dont il fixe le début du « déclin » au « IIe siècle avant J.-C. » et la phase terminale « dès le Ier siècle de notre ère ». Selon lui, à partir du premier siècle le latin cesse d'être orolatin et scriptolatin pour n'être plus que le second (sauf peut-être pour une caste aristocratique numériquement réduite). L'orolatin aurait été évincé par l'ororoman (qu'il appelle « italien ancien »), une ?(famille de) langue?(s) apparemment dépourvue de représentation écrite car cette fonction aurait été conservée par le scriptolatin (et même le scriptogrec ?).
Pour accréditer sa vision, l'auteur invite à se pencher sur la situation linguistique actuelle de l'Algérie. Si un cataclysme venait à rayer ce pays de la carte, les futurs archéologues ne trouveraient que des écrits en français et en arabe classique alors qu'aucune de ces deux langues n'est l'idiome maternel de la plupart des Algériens, qui s'expriment en arabe "dialectal" (apparemment une langue pas ou peu écrite : les scriptolangues algériennes seraient l'arabe classique et le français). Ce qu'il veut dire c'est qu'en Algérie le bilinguisme à l'écrit cache un monolinguisme à l'oral (ce qui est discutable puisqu'on peut être trilingue à l'oral : arabe non-"classique", français & kabyle par ex.) et qu'à Rome le bilinguisme à l'écrit (latin & grec) masquait un monolinguisme à l'oral (le roman ou « italien ancien »).
Il est vrai qu'on peut savoir écrire dans une langue qui n'est pas la sienne tout en étant illettré dans son idiome maternel. C'est assez rare en France, mais ça l'était probablement moins vers la fin du XIXe.
Si l'on suppose que l'illettrisme était la norme pour la multitude aux temps antiques, l'hypothèse selon laquelle une scriptolangue puisse coexister avec une orolangue (une langue tout court en fait) n'est pas absurde, quand bien même les deux idiomes seraient distincts. Par exemple, le scriptofrançais et le scriptolatin ont longtemps cohabité avec l'oro-anglais alors que la vieille langue anglaise écrite avait pratiquement disparu. Autrement dit, il est possible que deux langues (ou plus) se maintiennent sur un même espace donné (ou une communauté) pourvu que l'une jouisse seule du statut de vernaculaire effectif tandis que l'autre (les autres) est (sont) affectée(s) à des usages qui nécessitent d'écrire ou de lire l'écrit.
Revenons au mot TRAVAIL, que nous avons décomposé en T.RAVAIL.
Une explication hasardeuse qui se fonde sur des spéculations plutôt que sur des bases scientifiques. - tout comme son blog, qui crie et cherche à provoquer par des hypothèses exagérateurs («Toute l'étymologie est fausse»; «Vers le deuxième siècle avant J.-C la langue italienne a submergé le latin comme langue parlée, mais les Romains ont conservé le latin comme langue écrite»).
Oui, c'est vrai. Mais il avance des arguments qui demandent à être réfutés. Bien sûr, on peut s'épargner cette peine en arguant d'une présomption de mercantilisme, de racolage, voire de faute de goût, qui dissimulerait assez mal une escroquerie éhontée. Mais la question demeure : les langues romanes sont-elles issues du latin à l'exclusion de toute autre langue italique contemporaine du latin ? Si oui, comment fait-on pour le démontrer ?
Bonjour à tous !
Greg a excité ma curiosité sur le livre de ce cher Yves Cortez (Le français ne vient pas du latin !, L’Harmattan, 2007) et c’est ainsi que je viens de le lire. Pour montrer l’obstination et aussi les incorrections multiples de la théorie de ce monsieur, je me permets de vous donner ici un commentaire détaillé sur le livre :
Prologue
Premier message de l’auteur : Tous nuls sauf moi !
Le dos du livre nous promet « une véritable révolution linguistique », l’auteur nous annonce que « toute l’étymologie du français est fausse ». Oui, oui, toute ! On va voir si c’est une révolution linguistique ; en tous cas, on assiste à une écriture révolutionnaire : le style de tout l’ouvrage est très émotionnel (caractères souvent en gras, points d’exclamation, emploi exagéré de tournures généralisantes : tout, aucun, toujours, jamais…). Mais regardons le contenu :
La thèse globale de l’ouvrage est la suivante :
Les langues romanes (y inclus le français) ne descendent pas du latin mais d’une autre langue (non attestée) qui aurait coexisté avec le latin depuis toujours. Les Romains, selon Cortez, écrivaient en latin et parlaient une langue totalement différente. Cette langue (inconnue), Cortez la nomme « italien ancien ».
La différence entre le concept du latin vulgaire (répandu aujourd’hui dans la linguistique historique pour expliquer l’origine des langues romanes) et celui de « l’italien ancien », c’est que la langue imaginée par Cortez n’aurait pas été une variété du latin mais une langue bien distincte. À en croire l’auteur, les Romains appelaient cette langue inconnue « lingua Romana » et la langue écrite / le latin « lingua Latina ».
L’existence du latin se serait donc limitée à l’écriture et l’autre langue (« l’italien ancien ») aurait donné naissance aux langues romanes.
Nous pouvons déjà dire à cet instant que, malheureusement pour Cortez, il n’y a nulle part aucune trace de cet « italien ancien » dans l’Antiquité romaine. Il n’y a non plus d’écrits / de témoignages qui racontent que les Romains parlaient une autre langue qu’ils écrivaient…
Malheureusement encore pour Cortez, l’emploi du terme « lingua Romana » pour désigner une langue distincte du latin date du Moyen Âge – dans l’Antiquité, lingua Romana et lingua Latina étaient des synonymes parfaits.
(-> voir à ce sujet l’analyse très détaillée de Johannes KRAMER (1998) : Die Sprachbezeichnungen Latinus und Romanus im Lateinischen und Romanischen. Berlin, Erich Schmidt Verlag.)
Pour nous montrer qu’il a quand même raison, Cortez nous livre « sept preuves établies avec une rigueur scientifique ». On va les voir de près. ;-)
1) (Première « preuve ») Le latin est une langue morte dès le Ier siècle après J.-C.
Ah bon ? Selon Cortez, le latin est « submergé » (!) au IIe siècle av. J.-C. par « l’italien ancien » (et cela tout à coup par un miracle diluvien, à la surprise de tous les Romains, aimerait-on ajouter en lisant ça).
Pour prouver qu’on cesse de parler latin au IIe siècle av. J-C., l’auteur cite une inscription sur la tombe de Naevius (dont on ne sais pas si elle a véritablement existé ou pas) vers 200 av. J.-C. : « Obliti sunt Romae loquier lingua Latina » (« À Rome, ils ont oublié de parler le latin »). Au lieu de voir dans l’épitaphe une simple critique puriste comme elle est fréquente aussi en français (« Nos élèves ne savent plus le français », « Le français est en train de mourir », etc.), Cortez l’interprète comme témoignage de la mort réelle du latin.
Il ne s’exprime d’ailleurs pas à propos du fait que le style de la langue de Naevius était admiré et donc pris comme modèle, et qu’on pourrait, dans une remarque ironique sur sa tombe, comparer la mort réelle de Naevius avec la « mort » du bon style classique, du bon latin…
Il fait suivre cette interprétation par un bon nombre d’autres citations de textes antiques qu’il place hors de leur contexte pour les interpréter ensuite selon sa théorie. La liste est longue, c’est pourquoi je me limite à donner un autre exemple de ce chapitre :
Le concile de Tours, en 813, ordonne aux prêtres de traduire leurs sermons en « rustica Romana lingua » (que Cortez cite faussement comme « lingua romana rustica ») pour que les fidèles puissent comprendre plus facilement. Selon Cortez, le fait que « lingua » est écrit au singulier montre que le roman du IXe siècle est encore « homogène dans la totalité de l’espace chrétien ».
Tant pis pour lui que les décisions du concile de Tours se limitaient au diocèse de Tours, dans le centre/nord/ouest de la France et ne concernaient nullement d’autres parties de l’espace chrétien…
Il condamne en outre rapidement l’idée que les langue romanes descendent du latin vulgaire. Selon lui, le latin vulgaire est une « fiction » puisqu’on n’aurait nulle part des attestations écrites d’un stade intermédiaire entre latin classique et roman. Peut-être Cortez ne sait encore rien de l’existence des inscriptions pompéiennes, de l’Appendix probi, du Consentii ars, des écrits mérovingiens…
Venons à la deuxième « preuve » :
2) Le vocabulaire de base des langues romanes n’est pas latin
Pour montrer que les langues romanes n’ont rien à voir avec le latin, l’auteur nous présente une foule de listes de vocabulaire (30 pages), comparant le français, l’italien, l’espagnol et le roumain au latin pour arriver toujours à la conclusion que le mot latin est totalement différent des mots qu’ont les langues romanes. Petit exemple ?
Fr. « foie » - it. fegato – esp. figado – roum. ficat – lat. iecur
L’auteur attire ici notre attention sur le mot roumain qui ressemble (quel miracle !) aux mots espagnol, italien et français. Comme la Roumaine se serait détachée de l’Empire romain déjà en 270 av. J-C., cela prouverait que « l’italien ancien », langue-mère cortezienne des langues romanes, était parlée déjà au IIIe siècle av. J-C.
Malheureusement pour cette géniale découverte de M. Cortez, il faut ajouter que le détachement de la Roumanie ne se fait pas en 270 avant J-C. mais en 270 après J-C…
Pour revenir aux listes de vocabulaire, en voici une qui présente des noms d’animaux (p. 45) :
Le fait que les mots roumains diffèrent tous de leurs voisins romans est volontairement mis de côté cette fois pour accentuer d’autant plus fort le fait que les mots latins ne ressemblent pas aux mots espagnol, italien et français. Preuve pour l’auteur que les langues romanes n’ont pas de rapport avec le latin.
Avec une telle argumentation (listes de vocabulaire), on pourrait aussi prouver facilement que l’anglais et l’allemand, considérés comme langues germaniques, n’ont pas la même origine :
Vous voyez ? Les mots ne se ressemblent pas, l’allemand et l’anglais n’ont donc pas la même origine, si on applique la logique de Cortez. Comme ça, on peut aussi prouver que l’anglais descend en vérité du français, et vice-versa, et que le français moderne ne descend pas de l’ancien français et que le français familier parlé aujourd’hui et le français littéraire sont deux langues distinctes qui n’ont aucun rapport étymologique l’une avec l’autre etc. etc…
Un dernier point : On peut observer que le choix des mots latins que Cortez place dans les tableaux est douteux : Ainsi, dans le tableau de français « maître », it. maestro, …au lieu d’insérer le mot latin étymologique « magister », il choisit exprès le mot « dominus ». Et au lieu d’opposer « domina » ou « femina » aux mots romans fr. femme et it. donna, il choisit un quasi-synonyme latin (« uxor ») qui a l’aspect totalement différent (p. 101).
Bref : La méthode de Cortez repose sur un tri : les listes sont sélectifs et lorsque le mot latin ressemble à ceux des langues romanes, il est remplacé par un mot différent qui a à peu près le même sens, juste pour nous faire croire que le latin et les langues romanes ne se ressemblent dans aucun point.
3) La grammaire des langues romanes n’est pas latin
Après le vocabulaire, la même « preuve » est établie en comparant la grammaire du français moderne à la grammaire du latin classique, avec une méthode semblable : Cortez soulève ce qui ne ressemble pas aux structures du latin, et il oublie comme par hasard tout ce qui les deux grammaires ont en commun. Et il présente le tout dans un florilège sans structure véritable (on passe des articles définis au genre neutre, puis aux formes du vouvoiement etc.). Petit exemple ?
Comparaisons des formes du passé simple (p. 65) :
Les formes latines comme « amavi » contrastent avec le français aimai et l’italien « amai ». La disparition du –v– est une impossibilité pour Cortez, pour une raison qu’il ne nous dit pas. Tant pis pour lui que les formes contractes du parfait en latin sont attestées, et déjà à l’époque classique. Par ex. chez Catulle, 91 : « quod te non nossem bene » (novissem syncopié en nossem). Et on trouve ailleurs amasti (< amavisti), amasse (< amavisse)…
Quant aux ressemblances entre les formes du présent latin et français, ou entre celles du subjonctif, point de mot chez Cortez…
Autre exemple : la position du verbe
Je cite :
En latin le verbe se trouve souvent à la fin de la proposition. Ce n’est jamais le cas dans les langues romanes.
Quand aurait eu lieu une telle mutation ? Nul ne lesait car les textes latins écrits aussi bien au IVe qu’au VIIIe siècle conservent le même ordre des mots. Alors que les langues romanes ne prennent jamais la liberté d’une inversion !
(p.67)
Si M. Cortez regardait un peu plus près des textes d’ancien français, il constaterait que le verbe n’était pas toujours au milieu comme aujourd’hui. Le système bicasuel permettait une grande liberté dans l’ancien français et le verbe pouvait se trouver aussi à la fin de la proposition.
De même, le verbe latin n’était pas toujours à la fin de la proposition. Voici un exemple pris chez Varron, De lingua latina, 5, 1 :
In his ad the scribam, a quibus rebus vocabula imposita sint in lingua Latina, et ea quae sunt in consuetudine apud populum et ea quae inveniuntur apud poetas.
(j’ai souligné les verbes)
P.S. : Remarquons d’ailleurs que Varron inclut le peuple (populum) explicitement dans l’usage de la langue latine : le peuple comme les poètes inventent des nouveaux mots, tous les strates de la société participent à la langue latine. Il n’est rien dit concernant l’hypothèse que le peuple parle une langue différente, ou que la langue parlée et la langue écrite soient radicalement différentes…
4) Les langues évoluent très lentement
Cortez est contre l’idée selon laquelle le latin se serait transformé en quelques siècles (parfois il parle de quatre siècles, parfois de six, la linguistique « officielle » parle peut-être de huit, si on prend les inscriptions pompéiennes comme départ…). Selon Cortez, les langues ne changent que très trèèès lentement.
Pour prouver son affirmation, il renvoie à la comparaison des textes écrits de quelques langues. Ainsi, il constate que le grec ancien et le grec moderne sont quasiment identiques. Dommage qu’il ne l’ait fait pour l’ancien anglais (Old English) et l’anglais moderne, il ne comprendrait plus rien…
Pour prouver que le français a de même toujours été une langue stable, il compare un texte du XVIe siècle au français d’aujourd’hui et il constate qu’il peut facilement comprendre une phrase de Rabelais. Miracle !
Cependant, on le voit se plaindre quelques pages plus loin à propos des Serments de Strasbourg (IXe siècle) : « il est assez peu lisible et la transcription de certains mots est sujette à caution » (p. 82). Dommage pour Cortez, en théorie, il n’aurait du avoir aucun problème à déchiffrer les Serments de Strasbourg, vu la grande « stabilité » des langues (« Je parle couramment le français ancien ! », p. 75)…
5) L’étymologie « officielle » du français est fantaisiste
Ici, il accuse les étymologistes d’inventer à tort et à travers des étymologies. Je trouve d’ailleurs notable que Cortez semble posséder un point de vue « indigène » : Le contact des langues ne se fait pas, les emprunts sont très rares, pratiquement tous les mots du lexique français sont hérités de « l’italien ancien ».
Je cite (il s’en prend au superstrat germanique) :
Non, le peuple français n’est pas un peuple de gogos qui passe son temps à happer les mots des langues des autres peuples, non une langue ne se bâtit pas sur l’emprunt en grand nombre de mots étrangers. (p. 86)
Il expose ensuite quelques étymologies pour les qualifier de « fantaisistes » et pour y opposer ses propres hypothèses d’étymologies. Exemple :
Le mot « sanglier » viendrait du mot latin « singularis » (solitaire). Impossible, dit Cortez, les sangliers ne sont pas seuls, l’étymologie est fausse. La nouvelle étymologie proposée est la composition des éléments *san- (racine indo-européenne, « animal ») + « gueule ». Le sanglier serait ainsi « simplement un animal ayant une énorme gueule » (p. 89).
Tant pis pour lui que la composition des racines indo-européennes avec des mots du français moderne est extrêmement rare ;-) Tant pis aussi qu’il arrive à se contredire soi-même : il propose un étymon différent pour « sanglier » p. 45 : « singiale », qui semble clairement inspiré de l’italien « cinghiale ». Tant pis tellement aussi que « singularis ferus » est attesté en latin dans la Vulgata avec le sens de sanglier…
Et ainsi de suite : Pour « forest », il condamne l’étymon latin « forestis » et le remplace par la vision d’une racine indo-européenne *for- (« feu ») : le forêt serait un lieu où on trouve du bois pour le feu…
Et au lieu de voir dans « trivial » l’étymon latin « trivium », il dit que c’est une composition de « t- » et « rivial », « t- » étant une racine indo-européenne marquant l’exclusion.
On voit : l’étymologie à la Cortez est encore plus fantaisiste que l’étymologie officielle…
6) Les langues romanes sont quasiment identiques
[...oui, c’est peut-être parce qu’elles ont une même origine… ? :-)]
7)L’ancien français est un français italianisé
Dans cette dernière « preuve », l’auteur présente encore une fois des tableaux de vocabulaire, cette fois-ci comparant des mots d’ancien français avec des mots italiens – et constate une forte ressemblance, ce qui le conduit à affirmer encore plus fortement que le français descend de l’italien ancien.
Il aurait aussi pu comparer l’ancien français et l’occitan, ou l’ancien français et l’ancien espagnol… Quant aux secrets de la « méthode » des listes de vocabulaire, nous en avons déjà parlé plus haut.
D’ailleurs, si les mots d’ancien français présentés osent par hasard ressembler à des mots latin, Cortez l’explique par le fait que « l’italien ancien » aurait emprunté ces mots au latin, vu que les deux langues auraient coexisté chez les Romains pendant si longtemps. Etrange théorie qui se contredit encore une fois si l’on considère le fait que l’auteur avait prétendu quelques pages auparavant que le contact des langues ne se fait pas et que le lexique d’une langue est essentiellement hérité, jamais emprunté à une autre langue.
Conclusion
À cet instant, moi et l’auteur, nous arrivons à notre conclusion. Malheureusement, cette conclusion n’est pas la même pour nous deux.
L’auteur conclut que :
- le latin vulgaire est une fiction
- il y a un seul latin homogène, c’est le latin classique écrit, et il n’a jamais changé au cours de son histoire
- les langues romanes descendent d’une langue totalement différente du latin, nommée « italien ancien »
- tout ce livre est bien une extraordinaire révolution de la recherche linguistique : « Imaginez le tremblement de terre que va provoquer dans l’enseignement la découverte » (p. 138)
- l’orthographe du français a été relatinisée par « les premiers rédacteurs en langue française »
On note que le dernier point est presque juste : L’orthographe du français a en effet subi une relatinisation partielle mais ce n’était qu’au XVIe siècle, pas aux débuts de l’écriture.
Quant à moi, je conclus que :
- l’auteur a visiblement une grande opinion de soi-même
- la théorie de M. Yves Cortez est sans fondement scientifique et que le tremblement de terre annoncé n’aura sans doute jamais lieu.
- cette théorie repose elle-même sur des méthodes de travail, d’interprétation et de présentation douteuses qui ressemblent déjà à une idéologie
- l’auteur a une vision bien singulière et étroite du changement des langues, du contact entre les langues et des variations à l’interne d’une même langue (toute langue est homogène, les dialectes n’existent pas, pas non plus des variations diastratiques etc.)
- l’auteur, en critiquant la linguistique actuelle, cite essentiellement des ouvrages du XIXe et début du XXe siècle. Les seules observations critiques qui soient justes s’adressent à une linguistique qui est aujourd’hui déjà dépassée (Cortez n’est pas le premier à découvir par ex. ce qu’on nomme aujourd’hui la différenciation interne de la Romania)
- les « preuves » exposées s’effectuent sur le fond d’un tri justifié par le résultat à obtenir : tout ce qui ne ressemble pas au latin est mentionné, tout ce qui conduirait à pouvoir croire à une parenté entre latin et français est volontairement oublié : ainsi, l’évolution phonétique est complètement laissée de côté tout au long du livre, l’essentiel de ses preuves se base sur des listes de vocabulaire.
- Je vais envoyer un exorciste à l’équipe chargée de « linguistique » chez l’éditeur L’Harmattan.
Je n'ai personnellement pas besoin de preuve pour prétendre que le français ne vient pas du latin.
Est-ce que le breton est une langue latine ? Il paraît que non... Pourtout les racines communes avec le latin sont légion... (C'est la cas de le dire...)
Aujourd'hui encore, en Italie on parle une pléthore de langues locales... pourquoi voulez-vous qu'à l'époque de l'Italie antique, où la moitié sud était peuplée de grecs et la moitié nord de gaulois, on eût parlé une langue unique, la latin, alors même que la langue de l'élite et de la culture était le grec!... (Jules César parlait grec)...
Tout comme aujourd'hui (ou du moins j'usqu'au siècle dernier), les langues du nord de l'Italie étaient certainement très proches de celle du sud de la Gaule, et celles du nord de la gaule, très semblables à celles de l'île de Bretagne, de même que le gaulois de la rive gauche du Rhin devait ressembler fort aux langues alémaniques de la rive droite... D'ailleurs, ce que nous appelons le breton, c'est très certainement du gaulois...
Le français est donc la langue parlée par les Gaulois et qui a évolué au contact des langues parlées par les légionnaires romains ou germanique, les colons de l'Empire romains, et plus tard les envahisseurs germaniques, le contact avec l'Orient, la colonnisation et l'immigration ...
La relatinisation érudite a fait beaucoup de tort aux langues dites latines (roman) car elle a faussé leur évolution naturelle vers plus de cohérence et de simplicité...
Qu'on arrête donc de nous casser les oreilles avec le latin!...
Le Dictionnaire étymologique du français, de la maison Robert aide à comprendre l'évolution du sens. Le tripalium (un instrument de torture comportant trois pieux) a donné tripaliare dont vient travailler Le sens primitif était torturer et sa forme pronominale se travailler signifiait se donner de la peine, d'où le sens actuel. Travailler a remplacé ouvrer, qui survit sous la forme oeuvrer.
Verbum
D'où vient le latin ?
Nous pouvons déjà dire à cet instant que, malheureusement pour Cortez, il n’y a nulle part aucune trace de cet « italien ancien » dans l’Antiquité romaine. Il n’y a non plus d’écrits / de témoignages qui racontent que les Romains parlaient une autre langue qu’ils écrivaient…
Nous avons au contraire des témoignages en abondance sur l'existence d'un bilinguisme grécolatin chez l'élite romaine — la classe la moins suspecte d'illettrisme, la plus à même de générer une production écrite dont nous puissions retrouver la trace. Pour autant l'aristocratie antique n'a légué à la postérité aucune conversation antique enregistrée au format mp3 — rien, nichts, niente, nada... Nous ne lui en tenons pas rigueur : les écrits de l'élite nous paraissent des garanties suffisantes. Notre méfiance est plus grande à l'égard des masses romaines analphabètes : non seulement celles-ci n'ont pas été plus prévoyantes que le dessus du panier (toujours pas de fichier audio à se mettre sous la dent) mais elles ont poussé le bouchon jusqu'à ne laisser aucun écrit derrière elles — un comble pour des illettrés... Il est donc à craindre que nous ne trouvions jamais aucun écrit antique en « italien ancien ». Tu dis que rien ne nous est parvenu sur l'« italien ancien ». Disons que rien en effet ne nous est parvenu que nous n'ayons préalablement découvert. Car on fait des découvertes tous les jours — y compris demain ou dans dix siècles.
Sur l'invraisemblance de tout bilinguisme à Rome, ton argument ne tient pas : nous avons la diglossie latinogrecque élitaire. Sur la réalité d'un bilinguisme hors le grec, ta position est essentiellement fondée sur les lacunes de notre temps, lesquelles seront peut-être les révélations de nos continuateurs.
« Appliqué au bilinguisme gréco-romain, le concept de diglossie vient révéler le rôle du grec dans la formation du latin ainsi que la syntaxe latine. Les interférences linguistiques sont les conséquences pratiques d’une vie quotidienne s’appuyant sur un usage des deux langues et sur l’implication politique, sociologique ou linguistique. En fait, les pratiques linguistiques dépendent des espaces (Sénat par exemple) ou des fonctions (magistrats en exercice) particuliers. Mais il n’y a pas de conflit linguistique à Rome. On en vient à se poser la question des rapports Grèce – Rome. " Le grec est toujours en même temps pensé comme interne et externe à la culture ; la Grèce est avec Rome dans un double rapport d’identité et d’altérité. Ce paradoxe n’est pas résorbable. " Dés leur conquête les Romains décident consciemment de s’approprier le grec aussi prestigieux et riche qu’il soit, ainsi les Romains vainqueurs en font leur langue. La capacité à maîtriser ses deux langues est utraque lingua. Cette expression unit compétence linguistique et culture littéraire, c’est une expression romaine exclusivement. La littérature romaine est d’ailleurs celle qui émane de citoyens romains (et pas seulement celle écrite en latin). »
Cortez est contre l’idée selon laquelle le latin se serait transformé en quelques siècles (parfois il parle de quatre siècles, parfois de six, la linguistique « officielle » parle peut-être de huit, si on prend les inscriptions pompéiennes comme départ…). Selon Cortez, les langues ne changent que très trèèès lentement. Pour prouver son affirmation, il renvoie à la comparaison des textes écrits de quelques langues. Ainsi, il constate que le grec ancien et le grec moderne sont quasiment identiques. Dommage qu’il ne l’ait fait pour l’ancien anglais (Old English) et l’anglais moderne, il ne comprendrait plus rien…
Tu rejettes, et c'est légitime, l'idée d'évolution lente, que Cortez croit illustrer par le grec, en te servant d'un exemple à ton tour. Or l'anglais est le plus mauvais exemple qui se puisse choisir pour débattre du changement que subit une langue livrée à elle-même. La vitesse et la portée des évolutions linguistiques en circuit fermé ne sont a priori pas celles qu'on relève dans le cas de langues en contact intime et durable avec des idiomes étrangers — surtout quand le parler autochtone est en position défavorable sur son propre sol. Au début du second millénaire, l'anglais n'était même plus le seul autochtone en Angleterre : outre les vieilles langues scandinaves transplantées au nord et à l'est, des idiomes orbitant dans la galaxie de l'ancien français ont imposé leur prestige au cœur d'Albion, au point d'éclipser presque totalement l'anglais de la sphère écrite. De la dynastie royale au modeste clerc de campagne, des francophones maternels se sont mêlés aux indigènes dont ils ont pris le commandement à tous les niveaux. L'impact sur la langue a été phénoménal et il suffit d'analyser n'importe quel texte moderne, même bref, pour en prendre conscience. Cela dit, le plus intéressant n'est pas de comparer un texte anglais du XXIe siècle avec sa traduction française. Non, quand on rapproche la littérature de l'époque moyen-anglaise, à partir du XIe siècle, des écrits antérieurs à la Conquête, la comparaison est infiniment plus révélatrice de l'énormité des changements dont l'anglais n'est pas l'initiateur mais le simple réceptacle.
Aussi quand tu confrontes l'anglais de Paris Hilton à celui de Bède le Vénérable, le choc du contraste tient certainement, pour une large part, aux bouleversements fantastiques imputables à l'influence de l'ancien français (et du médiolatin à sa suite), sur une période limitée à quelques décennies seulement. Cela ne constitue en aucune manière une réfutation du concept de lenteur défendu par Cortez — qu'un exemple différent aurait pu permettre de repousser.
Malheureusement encore pour Cortez, l’emploi du terme « lingua Romana » pour désigner une langue distincte du latin date du Moyen Âge – dans l’Antiquité, lingua Romana et lingua Latina étaient des synonymes parfaits.
(-> voir à ce sujet l’analyse très détaillée de Johannes KRAMER (1998) : Die Sprachbezeichnungen Latinus und Romanus im Lateinischen und Romanischen. Berlin, Erich Schmidt Verlag.)
Je ne suis spécialiste ni du latin ni de l'Antiquité, mais il me semble que <romanus> et <latinus> ne désignent pas la même chose. Le premier vocable renvoie à une ville ainsi qu'aux Empires qui s'en sont réclamés tandis que le second fait penser à un peuple issu d'un ancêtre mythique ou encore à une région d'Italie. Dans tous les cas la superposition n'est qu'imparfaite. Et d'ailleurs langue de Rome sonne quand même plus classe que langue des Latins... Plaisanterie à part, je n'affirme pas que Cortez est fondé à relier le vocable <lingua romana> à la signification {italien ancien}. Ça n'a d'ailleurs aucune espèce d'importance dans la mesure où le nom n'est pas la chose : notre débat porte sur une langue ancienne et non sur un glossonyme antique.
Mais pour en revenir à Kramer, je voudrais attirer ton attention sur ce passage extrait d'une recension que fait Foltys de l'ouvrage que tu citais :
« Die auf die ursprüngliche Stammes- bzw. Stadtbezeichnung zurückgehende Quasi-Synonymie lingua latina / lingua romana gilt auch für die Zeit weiter, da sich aus und neben dem Lateinischen neue Volkssprachen herausbildeten, deren Bezeichnungssysteme für den neuen Sprachtyp bzw. die jeweils entstehenden Einzelsprachen zwar durch das Aufkommen von romani(s)ce bereichert, terminologisch aber eher noch mehrdeutiger wurden. »
Si je comprends bien ce texte, il est question d'une quasi-synonymie <lingua romana> / <lingua latina> qui aurait dérivé d'une ancienne distinction entre peuple et cité et se serait maintenue tandis que de nouveaux vernaculaires issus du latin prenaient leur essor dans le sillage de la langue-mère. Le vocable <romani(s)ce> est entré en scène pour qualifier, non sans équivoque, aussi bien le tout nouveau diasystème que chacune des jeunes langues romanes qui le composaient. Mon allemand n'est pas terrible et je n'ai pas lu le bouquin de Kramer — pardon si j'ai commis un contresens.
Alors ? Synonymie parfaite ou quasi-synonymie ?
Il condamne en outre rapidement l’idée que les langue romanes descendent du latin vulgaire. Selon lui, le latin vulgaire est une « fiction » puisqu’on n’aurait nulle part des attestations écrites d’un stade intermédiaire entre latin classique et roman. Peut-être Cortez ne sait encore rien de l’existence des inscriptions pompéiennes, de l’Appendix probi, du Consentii ars, des écrits mérovingiens…
Justement, peux-tu nous éclairer sur le caractère vernaculaire, plutôt que véhiculaire, des documents que tu mentionnes ?
Pour prouver que le français a de même toujours été une langue stable, il compare un texte du XVIe siècle au français d’aujourd’hui et il constate qu’il peut facilement comprendre une phrase de Rabelais. Miracle ! Cependant, on le voit se plaindre quelques pages plus loin à propos des Serments de Strasbourg (IXe siècle) : « il est assez peu lisible et la transcription de certains mots est sujette à caution » (p. 82). Dommage pour Cortez, en théorie, il n’aurait du avoir aucun problème à déchiffrer les Serments de Strasbourg, vu la grande « stabilité » des langues (« Je parle couramment le français ancien ! », p. 75)…
Il n'est pas besoin d'être un grand mathématicien pour saisir que le cumul continu de changements infinitésimaux produit un plus grand effet sur un laps de 1.167 ans que sur une période de moins de six siècles (postérieure à Gutemberg qui plus est). C'est le doublement de l'intervalle de référence qui, en définitive, altère l'impression de stabilité que Cortez s'imagine malgré tout discerner. On peut lui opposer une réfutation du concept de stabilité, mais pas au prix d'un artifice spécieux.
Sur un plan plus général, il est clair que Cortez n'était pas linguiste. Comme tu l'as remarqué, les comparatifs lexicaux interlangues relèvent de l'onomasiologie et ne reflètent donc pas la diachronie des étymons italiques. Tu l'as très bien montré avec l'histoire de <maître> comparé au seul <dominus> alors que <magister> est bien la forme latine la plus proche de la forme française, dont les acceptions incluent dailleurs {dominus} et {magister}... Je pense que Cortez n'aurait pas dû comparer le latin au français — ni même au castillan ou à l'italien. C'est à l'ancien français, au castillan médiéval et au toscan le plus reculé que Cortez aurait dû comparer le latin. En outre l'analyse aurait pu être étendue aux formes médiévales connues d'autres langues romanes : le catalan, les langues d'oc, le portugais etc.
La technique et l'érudition font défaut à l'auteur. Le ton iconoclaste est imposé par le choix du pamphlet. D'où l'impression d'un incroyable amateurisme doublé d'une arrogance sans limite. Fort de l'audace des naïfs, Cortez s'est choisi un adversaire de taille : une prestigieuse tradition universitaire solidement établie. Il n'en reste pas moins qu'on attend toujours la confirmation probante que l'ancêtre des langues romanes est bien le latin et non un "cousin" italique qu'on pourrait qualifier de paléoroman. On aimerait également savoir pourquoi tout étymon roman, dont la tradition antiromane n'a pu établir l'origine latine, est, en général sans le moindre commencement de preuve, systématiquement réputé provenir du germanique ancien.
Dieu a conçu le nez pour porter les lunettes... et certains ont inventé le bas latin pour expliquer l'origine latine des langues romanes...
La ressemblance entre deux langues ne signifie pas que l'une vient de l'autre ni qu'elles ont un origine commune, le phénomène le plus courant dans l'évolution d'une langue étant l'emprunt à d'autres langues, notamment voisines ou dominantes...
Sur l'invraisemblance de tout bilinguisme à Rome, ton argument ne tient pas : nous avons la diglossie latinogrecque élitaire. Sur la réalité d'un bilinguisme hors le grec, ta position est essentiellement fondée sur les lacunes de notre temps, lesquelles seront peut-être les révélations de nos continuateurs.
Je n'ai jamais nié le bilinguisme latin-grec ; en revanche, il m'a paru trop osé de la part de ce monsieur Cortez quand il prétend fournir des "preuves" pour l'existence d'une langue très distincte du latin dont seraient issues les langues romanes. Je me dis : s'il y avait eu un vrai bilinguisme entre un « italien ancien » comme langue à part et un latin uniquement reservé à l'écrit, nous en aurions des témoignages, ou du moins un terme spécifique que reservaient les Romains à cette langue. Mais pour l'instant, les indices portent à croire que les Romains ont perçu la variété qu'ils écrivaient et les variétés qu'ils parlaient comme appartenant à une même langue : le latin.
Tu rejettes, et c'est légitime, l'idée d'évolution lente, que Cortez croit illustrer par le grec, en te servant d'un exemple à ton tour. Or l'anglais est le plus mauvais exemple qui se puisse choisir pour débattre du changement que subit une langue livrée à elle-même. La vitesse et la portée des évolutions linguistiques en circuit fermé ne sont a priori pas celles qu'on relève dans le cas de langues en contact intime et durable avec des idiomes étrangers — surtout quand le parler autochtone est en position défavorable sur son propre sol.
Là, je ne comprends pas ton argumentation. Le français aussi a subi de tels contacts (superstrat germanique), il n'a pas été livré à lui-même.
Je ne suis spécialiste ni du latin ni de l'Antiquité, mais il me semble que <romanus> et <latinus> ne désignent pas la même chose. Le premier vocable renvoie à une ville ainsi qu'aux Empires qui s'en sont réclamés tandis que le second fait penser à un peuple issu d'un ancêtre mythique ou encore à une région d'Italie. Dans tous les cas la superposition n'est qu'imparfaite. Et d'ailleurs langue de Rome sonne quand même plus classe que langue des Latins... Plaisanterie à part, je n'affirme pas que Cortez est fondé à relier le vocable <lingua romana> à la signification {italien ancien}. Ça n'a d'ailleurs aucune espèce d'importance dans la mesure où le nom n'est pas la chose : notre débat porte sur une langue ancienne et non sur un glossonyme antique.
(...)
Alors ? Synonymie parfaite ou quasi-synonymie ?
Il est vrai que j'ai abregé les informations sur Kramer (je n'ai pas lu tout l'ouvrage, j'en ai retenu l'essentiel). En fait, Kramer dit que ce sont des quasi-synonymes. Dans la plupart des contextes, les deux termes pouvaient être utilisé sans changement ni de sens ni de connotation. Le plus souvent, lingua Romana sert à éviter une répitition du terme lingua Latina dans un même paragraphe, donc à paraphraser. Cependant, dans certains contextes, « lingua Romana » semble être connoté d'un peu plus de noblesse parce que connoté avec la ville de Rome (ça sonne "plus classe", comme tu as dit). Mais Kramer rejette l'hypothèse selon laquelle « lingua Romana » voulait signifier une langue différente.
D'ailleurs, à mon avis, cela a quand même importance de savoir si un tel terme pour une langue distincte du latin existe ou non : Car qui décide si une variété parlée est une langue à part ou un dialecte de la langue écrite ? Ce sont les locuteurs eux-mêmes.
Le suisse-allemand est considéré comme dialecte de l'allemand parce que les autochtones le considèrent ainsi, ils ne parlent pas d'une langue à part - même si ce dialecte est déjà très loin de l'allemand standard et considéré comme langue à part par des Romands qui ont appris l'allemand standard à l'école.
En revanche, on pourrait aisément tenir le norvégien et le suédois comme dialectes de la même langue si on considère les proximités de leurs systèmes linguistiques, de leur lexique etc. Mais les locuteurs eux-mêmes les considèrent comme deux langues distinctes (pour des raisons historiques/politiques, au fond : chacun des deux "dialectes" a une armée). Donc, le suédois et le norvégien sont deux langues.
Et le même raisonnement devrait s'appliquer au latin : si les Romains considéraient leur variété parlée comme distincte de leur latin écrit, ils auraient laissé trace d'un terme distinct ou d'un témoignage. Je te rappelle le passage de Varron que j'ai cité : Le peuple comme les poètes participent à l'usage de la langue latine. Ils ne parlent pas de deux langues différentes.
Andreas a écrit:Peut-être Cortez ne sait encore rien de l’existence des inscriptions pompéiennes, de l’Appendix probi, du Consentii ars, des écrits mérovingiens…
Justement, peux-tu nous éclairer sur le caractère vernaculaire, plutôt que véhiculaire, des documents que tu mentionnes ?
Alors :
Les inscriptions sur les murs de Pompéï (vers 78/79 après J.-C.) sont particulièrement précieuses parce qu'elles sont censées représenter l'usage linguistique du peuple et parce qu'on peut y voir des caractéristiques de ce qu'on nomme le latin vulgaire : chutes (nombreuses !) de consonnes (-m final, h- initial), lexique particulier, diminutifs, changements vocaliques (par ex. "que" au lieu de "qui"), constructions moins synthétiques...
L'Appendix probi (IIIe/IVe) et le Consentii ars (Ve s.) sont deux textes puristes qui veulent enseigner un latin classique et qui fustigent des « erreurs ». On pense que les « erreurs » mentionnées sont indicatifs pour l'usage réel de cette époque. Ces grammaires blâment, entre autre, les diminutifs, les syncopes, des chutes de consonnes, des régularisations/simplifications/réductions des déclinaisons. L'appendix Probi se laisse sans doute aussi trouver sur internet quelque part.
Quant aux écrits tardifs, c'est à Frodebert et à Egérie que j'avais pensé. Leur latin est parsemé de de changements de sens, des constructions analytiques, l'emploi de "ille" et "ipse" comme article défini et des alterations de mots (substitution de consonnes).
La technique et l'érudition font défaut à l'auteur. Le ton iconoclaste est imposé par le choix du pamphlet. D'où l'impression d'un incroyable amateurisme doublé d'une arrogance sans limite. Fort de l'audace des naïfs, Cortez s'est choisi un adversaire de taille : une prestigieuse tradition universitaire solidement établie. Il n'en reste pas moins qu'on attend toujours la confirmation probante que l'ancêtre des langues romanes est bien le latin et non un "cousin" italique qu'on pourrait qualifier de paléoroman. On aimerait également savoir pourquoi tout étymon roman, dont la tradition antiromane n'a pu établir l'origine latine, est, en général sans le moindre commencement de preuve, systématiquement réputé provenir du germanique ancien.
Il est vrai que son ouvrage n'est pas sans mérite et sans justification quant aux critiques portés vers la linguistique « traditionnelle ». C'est peut-être parce que les deux côtés (Cortez comme une partie de la linguistique actuelle) ont des visions qui les enferment quelque part : Cortez dans sa conception de l'homogénité de toute langue : je crois pouvoir lire dans son ouvrage une absence de l'imagination des variations diatopiques, diastratiques etc. dans une même langue. Pour lui, le latin est homogène et il n'a jamais changé. (c'est peut-être du aussi au fait qu'il est Français. Le français est fortement normé aujourd'hui et les différences régionales dans le français d'aujourd'hui sont beaucoup moins fortes que dans d'autres langues)
Quant à la linguistique traditionnelle, elle est peut-être aussi prisonnière d'une vision : celle d'après laquelle le latin vulgaire est qqch. comme le successeur du latin écrit. Les traités de phonétique historique partent du mot en latin classique, pour ainsi montrer quel son a changé pour que ça devienne le latin vulgaire et ainsi de suite.
En réalité, je pense que nous devons nous imaginer que le latin vulgaire a toujours coexisté avec le latin classique comme variété italique, avec des caractéristiques propre à elle. Dans ce sens, je suis tout à fait d'accord avec Cortez et avec toi. Mais je ne suis pas d'accord quand il dit que cette langue parlée aurait été clairement distincte du latin écrit et ainsi été une langue à part, fermée et sans connection aucune avec le latin classique.
Tu rejettes, et c'est légitime, l'idée d'évolution lente, que Cortez croit illustrer par le grec, en te servant d'un exemple à ton tour. Or l'anglais est le plus mauvais exemple qui se puisse choisir pour débattre du changement que subit une langue livrée à elle-même. La vitesse et la portée des évolutions linguistiques en circuit fermé ne sont a priori pas celles qu'on relève dans le cas de langues en contact intime et durable avec des idiomes étrangers — surtout quand le parler autochtone est en position défavorable sur son propre sol.
Là, je ne comprends pas ton argumentation. Le français aussi a subi de tels contacts (superstrat germanique), il n'a pas été livré à lui-même.
E?e?ploya? laformule "unela?gue livr?e à?lem?me", jevoule?dire, pr?cis?me?, qe larelative fixit? dugr?c e?trevue par Cort?z nesaure?·t'?tre·mise sur lem?me pla? qe lam?tamorfose dela?glais. No?pa auvu dela?pleur d?z?volutio? survenues da?s lune ou lautre la?gue, ni m?me e?raiso? deleurnature, mais ava?tout e?disti?ga? l?cha?geme?t selo? qe leurorigine e? t'e?dog?ne ou ?xog?ne.
E?retena? ced?rni?r crit?re, ladiacronie a?glaise apare? come articul?e autour du?pivot ce?tral, auq?l ?leneser?duit c?rtes pa, mais sa?s leq?l la?glais ? so?istoire post?rieure au XIe si?cle, t?ls qe noul?ze?te?do?? àcejour, noussere? t'?tra?g?rs. Il?xiste u?axe tr?n?t qi sci?de listoire dela?glais e?deux te?ps. C?teligne departage cor?spo?? no?seuleme? àl?ssor, puis aud?cli?, dela?cie? fra?çais e?A?glet?re, mais aussi auxplugra?de tra?sformatio?s qi o??marq? la?glais. Ava?t dedisparaitre, "fagocyt?" par lala?gue deChaucer, ? luic?d?r saplace, la?cien fra?çais outrema?chois a?t? unekoïn? a?glaise no?g?rmaniqe — luim?me soumis, e?trautres, auxi?flue?ce dela?cie? fra?çais delacour deFra?ce. O?sesouvie?? qe levieuxsaxo? occidental fut, e?so?te?ps, lala?gue v?hiculaire e?A?glet?re (aumoi? àl?crit). O?se? qe ce? t'uneforme m?rci?ne "fra?cis?e" qi ad?log? « [...] la lange Franceis, q'est trop desconue [...] »¹.
¹ 1362 ? parleme? a?glais, da?s let?xte, co?tre lavis d?douard III, fra?cofone ? occitanofone nesacha?pa la?glais.
O?nere?co?tre rie? det?l av?c la?tiqe ????? gr?qe. C?tegra?de la?gue v?hiculaire e?bas?e sur l·atiqe ? lionie?, pa sur lelati?, ni sur rie? qi neso? gr?c. Plutard, apr?s l?poqe h?l?nistiqe, lelati? e?devenu la?gue ofici?le e?Gr?ce mais jamais lapositio? dugr?c na?t?fragilis?e — ni e?t?re h?l?ne ni da?s lemo?de h?l?nofone. Auco?traire, lavictoire deRome sur At?nes ap?rmis augr?c desere?forc?r, yco?pris da?s lUrbs. Alors, bie?sur, legr?c asubi dautres i?flue?ces, ava?t P?ricl?s ? apr?s Byza?ce, mais jenevo? rie? deco?parable ausort dumoye?a?glais.
Qa?t ausup?rstrat g?rmaniqe, s?z?f? e?Fra?ce s?pte?trionale so?? gra?deme? exag?r?s, ou co?scie?cieuseme? no?d?mo?tr?s, lu? nala?pa sa?s lautre. Situatio? diam?traleme? opos?e pour lesup?rstrat v?t?rofra?cofone doutreMa?che qi, lui, e?·t'ultradocume?t?. L?co?ditio? politiqes ?te? co?parables mais ?leno??pa·z'u l?m?me co?s?qe?ces sur lala?gue hote. Le?prei?te dece q'ile?co?venu dapel?r la?cien basfra?ciqe sur la?cie? fra?çais arcaïqe e? t'ava?tout lefruit du XIXe si?cle ? delimaginatio? d?brid?e defilologues g?rmanisa?s ? latinolatres, sego?d?s par leurz?l?s col?gues h?xagonaux, tro·p'heureux dem?tre lamai? sur lemagot provide?ti?l qe repr?se?te? uneg?n?alogie pr?stigieuse car latine. Lagrife delala?gue visiteuse e?A?glet?rre m?di?vale — jeveudire levieux fra?çais — nefe? par co?tre lobj?t daucune pol?miqe s?rieuse.
En employant la formule "une langue livrée à elle-même", je voulais dire, précisément, que la relative fixité du grec entrevue par Cortez ne saurait être mise sur le même plan que la métamorphose de l'anglais. Non pas au vu de l'ampleur des évolutions survenues dans l'une ou l'autre langue, ni même en raison de leur nature, mais avant tout en distinguant les changements selon que leur origine est endogène ou exogène.
En retenant ce dernier critère, la diachronie anglaise apparaît comme articulée autour d'un pivot central, auquel elle ne se réduit certes pas, mais sans lequel l'anglais et son histoire postérieure au XIe siècle, tels que nous les entendons à ce jour, nous seraient étrangers. Il existe un axe très net qui scinde l'histoire de l'anglais en deux temps. Cette ligne de partage correspond non seulement à l'essor, puis au déclin, de l'ancien français en Angleterre, mais aussi aux plus grandes transformations qui ont marqué l'anglais. Avant de disparaître "phagocyté" par la langue de Chaucer, et lui céder sa place, l'ancien français outremanchois a été une koïnê anglaise non-germanique — lui-même soumis, entre autres, aux influences de l'ancien français de la cour de France. On se souvient que le vieux-saxon occidental fut, en son temps, la langue véhiculaire en Angleterre (au moins à l'écrit). On sait que c'est une forme mercienne ''francisée'' qui a délogé « [...] la lange Franceis, q'est trop desconue [...] »¹.
¹ 1362 ? parlement anglais, dans le texte, contre l'avis d'Édouard III, francophone et occitanophone ne sachant pas l'anglais.
On ne rencontre rien de tel avec l'antique ????? grecque. Cette grande langue véhiculaire est basée sur l'attique et l'ionien, pas sur le latin, ni sur rien qui ne soit grec. Plus tard, après l'époque hellénistique, le latin est devenu langue officielle en Grèce mais jamais la position du grec n'a été fragilisée — ni en terre hellène ni dans le monde hellénophone. Au contraire, la victoire de Rome sur Athènes a permis au grec de se renforcer, y compris dans l'Urbs. Alors, bien sûr, le grec a subi d'autres influences, avant Périclès et après Byzance, mais je ne vois rien de comparable au sort du moyen-anglais.
Quant au superstrat germanique, ses effets en France septentrionale sont grandement exagérés, ou consciencieusement non démontrés, l'un n'allant pas sans l'autre. Situation diamétralement opposée pour le superstrat vétérofrancophone d'outre-Manche qui, lui, est ultradocumenté. Les conditions politiques étaient comparables mais elles n'ont pas eu les mêmes conséquences sur la langue hôte. L'empreinte de ce qu'il est convenu d'appeler l'ancien bas-francique sur l'ancien français archaïque est avant tout le fruit du XIXe siècle et de l'imagination débridée de philologues germanisants et latinolâtres, secondés par leurs zélés collègues hexagonaux, trop heureux de mettre la main sur le magot providentiel que représentait une généalogie prestigieuse car latine. La griffe de la langue visiteuse en Angleterre médiévale — je veux dire le vieux français — ne fait par contre l'objet d'aucune polémique sérieuse.
D'ailleurs, à mon avis, cela a quand même importance de savoir si un tel terme pour une langue distincte du latin existe ou non : Car qui décide si une variété parlée est une langue à part ou un dialecte de la langue écrite ? Ce sont les locuteurs eux-mêmes.
Pa sisi?ple. Toudabord jetie?? z'àpr?cis?r q'u?idiome parl? ne?pa ''u?dial?cte'' dunela?gue ?crite. E?suite, lelati? n?te?pa seuleme? u?code ?crit : o?leparle?. Qi leparle? ? Ça ce? t'unautre istoire... Qoi q'il e?so?, ce àqoi l?zil?tr?s pal?oromanofones delaRome a?tiqe — e?t?rino?? z'u?i?sta?t lat?se deCort?z — aure?puco?par?r leurla?gue mat?rn?le, ce? lelati? parl?, mais ?vidame? pa d?t?xte r?dig?s e?lati?.
Pas si simple. Tout d'abord je tiens à préciser qu'un idiome parlé n'est pas un ''dialecte'' d'une langue écrite. Ensuite, le latin n'était pas seulement un code écrit : on le parlait. Qui le parlait ? Ça c'est une autre histoire... Quoi qu'il en soit, ce à quoi les illettrés paléoromanophones de la Rome antique — entérinons un instant la thèse de Cortez — auraient pu comparer leur langue maternelle, c'est le latin parlé, mais évidemment pas des textes rédigés en latin.
En marge de cette discussion, pour répondre à greg qui s'interrogeait sur le traitement de "travail" par Cortez.
Il fallait beaucoup de courage pour s'atteler au livre de Cortez ; la citation de Greg suffisait à établir le diagnostic: nous sommes plongés dans la sphère de ce que Sylvain Auroux a jadis appelé la "linguistique fantastique". Il s'agit de constructions parascientifiques, souvent délirantes, parfois très drôles, en général des généalogies imaginaires destinées à conférer à sa langue maternelle une apparence de pérennité, de stabilité. Souvent pour contrer le "scandale" que constituent les emprunts - les locuteurs ont de la peine à digérer ce fait pourtant bien établi.
Tenez, les quelques phrases ci-après sont typiques de la linguistique fantastique.
"(...) ce mot viendrait du mot latin TRIPALIUM (qui est un instrument de torture fait de trois pieux). Qui a fait cette trouvaille ? L'histoire ne le dit pas."
=> notez l'absence de citation de recherches philologiques (en fait, la bibliographie sur ce vocable est importante). Et de quelle "histoire" s'agit-il?
"Bref, ils ont trouvé « TRIPALIUM » et ils en concluent donc que le travail était une torture."
=> personne ne procède ainsi (on ne peut stricto sensu rien conclure d'un constat d'existence, même pas l'existence elle-même); notez le "ils"
"D'abord, c'est une évidence, tout mot long est un mot composé."
=> recours à l'évidence, à l'intuition. L'idée qu'y compris à époque historique, on doit retomber sur des mots simples, et l'équivalence simple = court. Il s'agit là de constantes dans la linguistique fantastique.
"La première difficulté est de décomposer au bon endroit. On peut couper le mot en TRA.VAIL ou en T.RAVAIL."
=> Notez la contingence: on peut ici, on peut là... Et l'auteur promeut - sans lui donner le moindre fondement historique - une procédure qui permettra d'obtenir en fin de course ce que l'on souhaite. Ce caractère anhistorique de l'approche, combiné à l'élection d'une "procédure magique" est typique du type de textes dont je parle ici.
"Quand on analyse de nombreuses langues,"
=> naïveté du propos ; notez le pronom "on"
" on s'aperçoit que les voyelles sont très sensibles au changement,"
=> la non pertinence des voyelles en regard de la pérennité de la carcasse consonantique est un serpent de mer de la linguistique fantastique. Vous le trouverez chez Johannes Goropius Becanus (1519-1572), qui démontrait que le Christ ne pouvait parler que le flamand.
"mais que les consonnes ne se transforment que très peu, et toujours de la même façon."
=> notez le "toujours de la même façon" qui ne semble pas supposer de description des conditions dans lesquelles intervient ladite modification, des facteurs tels que l'accent de mot, la place dans la syllabe etc. et qui font qu'ils n''existe nulle loi simple de modification de phonème.
"Ainsi, pour si/m/plifier,"
=> Je gage que l'auteur peinerait à donner la version "non simplifiée". Il s'agit, là aussi, d'un procédé rhétorique bien connu des linguistes imaginaires.
(...)
"Donc cet ensemble de lettres RV,"
=> Notez la confusion "lettres" / "sons"!
"que j'appelle un radical,"
=> approche totalement idiosyncrasique, tout se passe comme si C. voulait mettre en pratique de vague lectures sur la morphologie supposée du protoindoeuropéen...
La suite du texte est à l'avenant: il y des erreurs factuelles, les habituelles rodomontades des auteurs de cette farine.
Il très amusant d'observer combien ces productions se ressemblent, de tous temps et en toutes contrées.
PS. Les éditions L'Harmattan fournissent un travail remarquable. L'édition scientifique en France est sclérosée: il est très difficile de publier, il faut le blanc-seing de telle unité de recherche, beaucoup de sous etc. Voyez le malheur des thèses françaises empilées dans les bibliothèques universitaires... L'Harmattan offre un débouché naturel à maintes publications qui, sans cela, ne verraient jamais le jour. Le revers de la médaille est que le lecteur doit savoir séparer le bon grain de l'ivraie. Mais peut-être n'est-ce pas si mauvais que cela?
Le latin a-t-il jamais existé où est-ce une invention des latinistes et autres papistes ?...
Cicéron et Virgile sont des canulars de normaliens, tout le monde sait cela !
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