Re : L'ABC de la phonétique historique française
Si je l'on main et manuel,...
En quelle langue cela est-il dit ?
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Si je l'on main et manuel,...
En quelle langue cela est-il dit ?
C'est bien le phonème /x/, mais il existe toute une gamme de réalisations de ce phonème suivant son environnement (cf. le "ch" de Buch et celui de ich, souvent évoqué ; idem en russe, en grec (moderne))... Ici, on doit indiscutablement le transcrire [x].
Le ch (guttural) de Buch et celui (chuinté) de ich n'ont pour moi rien à voir l'un avec l'autre. L'API note /x/ le premier et /ç/ le second, ainsi qu'on le voit ici (après Schnellnavigation, cliquer sur C d'une part, sur X d'autre part).
Les prononciations sont certes très différentes, mais c'est le même phonème, non ? Comme dans Buch et Bücher ?
https://www.youtube.com/watch?v=ZpL13Cn0L5g (en 3'45)
Donc si je comprend bien les prénom et nom Lech Wałęsa se prononcent en langue polonaise [lɛx] [vawɛ̃nsa] ?
On est bien loin de la prononciation "française" "standard", que l'on entend habituellement dans les médias audiovisuels :
[lɛʃ] [valeza]...
Ces médias ne devraient-ils pas systématiquement faire appel à des spécialistes en langues étrangères pour savoir quelle est la manière la moins incorrecte de prononcer en français des patronymes étrangers ?
Consulter des linguistes n'est pas si difficile !
La consonne [x] n'existant pas en français, pourrait-elle être remplacer, à l'oral, par [k] (ce que l'on fait habituellement, me semble-t-il) ? un journaliste français pourrait parfaitement dire [lɛk] [vawɛ̃nsa] au lieu de... [lɛʃ] [valeza] !
Est-il vrai qu'outre le français les deux seules autres langues européennes qui possèdent des voyelles nasalisées sont le polonais et le portuguais ?
Ces deux langues, pourtant bien différentes, possèdent d'ailleurs à l'oral des "sonorités" étrangement proches (phénomène bien décrit et analysé dans cette vidéo) : https://www.youtube.com/results?search_ … portuguese
La consonne [x] n'existant pas en français, pourrait-elle être remplacer, à l'oral, par [k] (ce que l'on fait habituellement, me semble-t-il) ? un journaliste français pourrait parfaitement dire [lɛk] [vawɛ̃nsa] au lieu de... [lɛʃ] [valeza] !
Est-il vrai qu'outre le français les deux seules autres langues européennes qui possèdent des voyelles nasalisées sont le polonais et le portuguais ?
C'est ce qu'on faisait dans le nom de "monsieur K", Khrou(ch)tchev (Хрущëв), qui avait dit d'ailleurs qu'il n'y avait pas de "k" dans son nom !
Il y a peut-être d'autres langues, je ne sais pas.
Voilà comment le finnois résout le problème :
https://fi.wikipedia.org/wiki/Lech_Wa%C5%82%C4%99sa
Le polonais a une complexité graphique qui rebute peut-être. C'est parce qu'elle a adopté l'alphabet latin, comme le tchèque, et que celui-ci n'est pas adapté à une langue slave... Pour la notation des nasales, cela n'aurait pas changé grand chose, mais pour la ville de SZCZECIN, si !
Merci du lien.
Le polonais a une complexité graphique qui rebute peut-être. C'est parce qu'elle a adopté l'alphabet latin, comme le tchèque, et que celui-ci n'est pas adapté à une langue slave... Pour la notation des nasales, cela n'aurait pas changé grand chose, mais pour la ville de SZCZECIN, si !
Voilà la manière dont je vois les choses.
En polonais "c" se prononce "ts", "sz" se prononce "ch", et logiquement "cz" se prononce "tch".
Donc Szczecin se prononce "chtchètsine".
C'est bien cela ?
La suite de consonnes "szcz" en polonais correspond je crois à une seule lettre en alphabet cyrillique russe : "щ" (que l'on trouve dans le nom Хрущëв que vous citez).
Si je ne m'abuse, la "suite" de consonnes "chtch" n'existe pas en français... sauf dans une expression comme "riche Tchèque" prononcée d'un seul jet sans aucune "pause" entre les deux mots... et dans le mot venu du russe "borchtch" ???
Les prononciations sont certes très différentes, mais c'est le même phonème, non ? Comme dans Buch et Bücher ?
Sous votre lien le phonème /ç/ n'est mentionné ni dans le tableau ni par le professeur commentateur. À 3 minutes 45 du début, il considère les voyelles.
Dans Bücher, on trouve ce /ç/, dans Buch, on a /x/. Voici un autre site qui mentionne /ç/ en toute indépendance de /x/.
Mais cela devient trop difficile pour moi !
En effet, les avis divergent entre ma source et la vôtre. Dans cette dernière, je lis :
/x/ et /ç/ sont traditionnellement des allophones, mais en voie de devenir des phonèmes distincts (cf. rauchen/Frauchen, Kuchen/Kuhchen) ;
Je ne connais pas assez l'allemand pour contrôler la vérité de cette assertion, mais j'aimerais qu'on me prouve qu'il peut y avoir permutation entre [x] et [ç], et non simplement changements conditionnés, "allophones", comme il est dit.
Sur tout cela, je vous conseille de vous rapporter à l'avis de P'tit prof qui propose une piste intéressante (message 151).
Est-il vrai qu'outre le français les deux seules autres langues européennes qui possèdent des voyelles nasalisées sont le polonais et le portuguais ?
Le breton nasalise encore plus ses voyelles que le français. Le kouign amann, bien connu des gourmands de pâtisserie, se prononce d'ailleurs [kwiɲ a'mãn]. Les voyelles nasalisées portent même souvent l'accent tonique : unanom (unissons) [y'nãnõm], entanet (enflammé) [ɛn'tãnɛt].
Je constate que la consonne nasale est présente dans vos exemples, comme en portugais et en polonais. Le français (moderne) présente donc une originalité notable.
Les sons [x] et [ç], n'est-ce pas ce que l'on appelle parfois en allemand le "Ach-Laut" ([x]) et le "Ich-Laut" ([ç]) ?
L'allemand et le néerlandais sont des langues très proches.
Des mots de même origine, de même sens et s'écrivant de manière identique (et contenant "ch") se prononcent cependant de manière différente parfois.
Par exemple :
Le mot "echt" (vrai, véritable) : eine echte [ɛçtə] Möglichkeit en allemand ; een echte [ɛxtə] mogelijkheid en néerlandais.
Ou le mot "licht" (lumière) : ein blaues Licht [liçt] en allemand ; een blauw licht [lixt] en néerlandais.
Par contre le mot "acht" (huit) se prononce de manière quasi-identique dans les deux langues : [axt], acht [axt] Männer en allemand et acht [axt] mannen en néerlandais.
En langue suisse alémanique également le "Ach-Laut" se substitue systématiquement (ou presque ?) au "Ich-Laut".
Par exemple, "ich" (je) se prononce [iç] en Allemagne mais [ix] en Suisse.
J'ai quand même bien l'impression que les consonnes [x] et [ç], très distinctes à l'oreille, "dérivent" l'une de l'autre et sont
« phonétiquement liés » (comme d'ailleurs semble-il le sont les consonnes [x] et [k] : verbe "faire" => "machen" [maxən] en allemand et "maken" [ma:kə] en néerlandais ; pronom "je" => "ich" [ix] en suisse alémanique et "ik" [ik] en néerlandais...).
Je fais ces remarques en pur amateur « néophyte » ; mes remarques ont un caractère "approximatif", j'en ai conscience ; j'espère ne pas avoir dit de trop grosses bêtises !
Les consonnes vélaires ont pour caractéristiques d'avoir des points d'articulation qui varient beaucoup suivant les époques, les régions et même les individus. Mais là, on est dans la phonétique ; le seul problème est de savoir si l'on a ou non affaire au même phonème.
Est-ce qu'en allemand, [iç] peut commuter avec [ix] pour former un signifiant différent, par exemple ?
Sur tout cela, je vous conseille de vous rapporter à l'avis de P'tit prof qui propose une piste intéressante (message 151).
Suggestions. Sur ce fil intitulé L'ABC de la phonétique historique française, vous apportez une nouvelle pierre à l'édifice, P'tit prof, et vous nous dites, Lévine, ce qui se cache derrière « Si je l'on main et manuel ».
Les consonnes vélaires ont pour caractéristiques d'avoir des points d'articulation qui varient beaucoup suivant les époques, les régions et même les individus. Mais là, on est dans la phonétique ; le seul problème est de savoir si l'on a ou non affaire au même phonème.
Est-ce qu'en allemand, [iç] peut commuter avec [ix] pour former un signifiant différent, par exemple ?
Pas à ma connaissance. Mais [ux] passant à [uç] peut donner un autre signifiant : Kuchen [ku:xən], gâteau, et Kuhchen [ku:çən], petite vache*.
À vrai dire, je ne comprends pas pourquoi on a besoin d'entrer dans cette sorte de considération. C'est la raison pour laquelle je trouve cela trop difficile.
D'ailleurs, vous avez cité à juste titre, me semble-t-il, Logos, le verbe néerlandais maken. L'allemand machen, [maxən], et lui ont manifestement un étymon commun. En déduit-on que [k] et [x] seraient deux formes d'un même phonème ?
J'y reviens : lorsque je compare [x] et [ç] dans ma bouche, ils me semblent nettement plus différents l'un de l'autre que [b ] et [p], [d] et [t]…
* Une forme Kühchen, [ky:çən], de sens à peu près identique, existe aussi.
Kuhchen, c'est évidemment Kuh + chen (cf. Mädchen, Brötchen...), mais soit.
Vous savez, les fricatives vélaires ont beaucoup de réalisations phoniques ; pour la version sonore, cela peut aller jusqu'au yod (en grec moderne), stade ultime de l'avancement du point d'articulation (même situation pour le [l] slave, d'où on était parti). La différence entre [p] et [b ] est forcément moindre, puisque le point d'articulation est le même.
Bon, revenons aux nasales après cet intéressant excursus.
Réponse tardive...
Voilà la manière dont je vois les choses.
En polonais "c" se prononce "ts", "sz" se prononce "ch", et logiquement "cz" se prononce "tch".
Donc Szczecin se prononce "chtchètsine".
C'est bien cela ?
Tout à fait.
La suite de consonnes "szcz" en polonais correspond je crois à une seule lettre en alphabet cyrillique russe : "щ" (que l'on trouve dans le nom Хрущëв que vous citez).
Un seul phonème et une seule lettre en russe.
Si je ne m'abuse, la "suite" de consonnes "chtch" n'existe pas en français... sauf dans une expression comme "riche Tchèque" prononcée d'un seul jet sans aucune "pause" entre les deux mots... et dans le mot venu du russe "borchtch" ???
En russe, la prononciation de ce phonème n'est canonique que dans борщ et щи (la fameuse soupe aux choux et autres légumes, sans oublier la crème !!!), et encore. Dans le nom de l'ancien dirigeant, par exemple, on le réalise comme un [ʃ] appuyé.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:R … shchev.oga
A signaler d'ailleurs que les transcriptions phonétiques du russe sont plus phonématiques que phonétiques, on le constate avec le [x].
Je reprends - en la reformulant - ma question à propos de la nasalisation :
Quel est le point commun des mots en "ain", "ein", "oin", "uin" (Ex : plaindre - plein - point - juin) ?
Quel est le point commun des mots en "ain", "ein", "oin", "uin
Deux voyelles qui précèdent la consonne nasale.
En effet. Je ne vais pas poursuivre mes questions pour ne transformer le sujet en interrogatoire. Ces deux signes graphiques sont le souvenir des anciennes diphtongues qui se sont nasalisées à peu près aux mêmes époques que les voyelles simples, avant de se réduire à un son vocalique unique (la langue standard moderne ne comporte plus de diphtongues). J'avais laissé de côté ce chapitre, je vais à présent l'aborder, de façon basique car c'est une partie de la phonétique historique plutôt indigeste.
Merci de votre participation !
ANGE (chose promise, chose due).
Face à l’italien, qui dérive angolo de angŭlu(m) et angelo de angĕlu(m), le français, avec angle et ange ne présente pas une aussi belle régularité.
Commençons par le mot angle < angŭlu(m). L’étymon latin étant accentué sur la syllabe antépénultième, la voyelle pénultième atone [ŭ] a régulièrement subi la syncope. Ce phénomène, déjà présent en latin, s’est étendu en français a presque tous les mots de même structure, alors qu’il n’a touché les autres langues romanes que si la syncope remontait à l’époque latine, ce qui n’est pas le cas d’angŭlu(m). En français, on a donc eu l’évolution suivante :
angŭlu(m) > *ang(o)lo > angle, alors que l’italien, avec angolo, présente une forme non syncopée, du reste conforme à son caractère « demi-savant ».
Suivant ce principe, angĕlu(m) aurait dû aussi aboutir à *angle [angl(ə)]. Mais comme ce mot relevait du domaine religieux, une réaction savante a fait maintenir jusqu’au VIème siècle la voyelle pénultième atone. Entre temps, [g] était passé à [ʤ]. On a donc eu :
angĕlu(m) > *[anʤelo] > *[anʤele] (VIème siècle).
Or une telle formation contrariait la tendance du français à mal supporter la succession de deux syllabes atones, et surtout l’accentuation sur la syllabe antépénultième, dite paroxytonique ; c’est du reste ce qui avait provoqué la généralisation de la syncope dans les autres mots. Mais au moment ou les voyelles finales commençaient à s’affaiblir (VIIème siècle), la syncope a tout de même fini pas avoir lieu. On a eu alors :
*[anʤelə] > [anʤ(e)lə] > [anʤlə] (angle) largement attesté, bien que beaucoup plus tardivement.
Toutefois, le groupe [ʤ] n’entrait pas dans les habitudes articulatoires de la langue (ce qui avait sans doute concouru au retard de la syncope). Trois siècles plus tôt, la langue aurait sans doute trouvé une solution pour l’éviter (assimilation ou transformation du groupe [ʤl]) ; on trouve bien la forme mot angre [anʤrə] (angre), comme l’atteste l’écrit, mais ce n’était guère plus satisfaisant, et vers l’époque carolingienne, c’est finalement a consonne [l] qui a chuté, la voyelle atone finale se maintenant comme voyelle d’appui du [ʤ] menacé de disparaître à son tour par sa position… L’évolution a donc donné :
[anʤlə] > [anʤ(lə)] (IX-Xème) >[anʤə] (VIIIème ?) > [ɑ̃nʒ(ə)] (XIIIème) > [ɑ̃ʒ] (à partir du XVIème).
Quant aux graphies angele, angle, angre, que l’on trouve dans nos premiers textes, elles sont conservatrices et ne correspondent plus à la prononciation « moderne », comme l’atteste le quintil XVIII de la Vie d’Alexis, qui renferme – comme pour illustrer une leçon de phonétique – trois mots relevant du même traitement :
Puis s’en alat en Alsis la citet
Por une imag(e)ne dont il odit parler,
Qued ang(e)le firent par comandement Deu
El nom la virg(e)ne qui portat salvetet, ( = au nom de la Vierge qui porta (en elle) le salut)
Sainte Marie, qui portat Damnedeu. (= le Seigneur Dieu)
On voit clairement que les voyelles que j’ai mises entre parenthèses ne comptent pas dans la mesure. La syncope était donc observée en dépit de la graphie et, du fait de l’élision fréquente de la finale féminine du premier hémistiche devant consonne (cf. aussi firent) (décasyllabe à césure dite épique), je ne pense pas que le [l] ou le [n] finals de ces mots fût bien clair à cette époque…
Quant à la graphie angre, l’auteur – ou le scribe – du Roman de Guillaume de Dole, en faisant rimer le mot avec change (v. 4538-9), révèle que celle-ci ne correspondait nullement à la prononciation du mot au début du XIIIème siècle. Ici comme ailleurs, une certaine tradition s’imposait toujours…
La liste des formations ainsi tronquées est assez limitée (une quinzaine). On peut les diviser en deux groupes :
a) celui des mots a syncope tardive, présents dans l’Alexis :
- vĭrgĭne(m) > [virʤənə] (virgene) > [virʤnə] (virgne) (1) > [virʒ(n)(ə)] > vierge (le -ie est « moderne »).
- ĭmagĭne(m) > [imagənə] [imagene] > [imag(ə)(n)(ə)] > image (2) ;
b) celui des mots qui ne semblent jamais avoir subi de syncope, sans doute du fait du caractère imprononçable du groupe de consonnes qui en aurait résulté ; pour ces derniers, c’est toute la dernière syllabe qui a disparu, dès le VIIème siècle (Zink, Joly). La voyelle pénultième atone a joué alors le rôle de voyelle d’appui.
- episcopu(m) > [evescovə] > [evescə(və)] > évêque.
- principe(m) > [printsevə] > [prinsə(və] > prince.
(1) Nombreux intermédiaires, dont vierche, voirgne…
(2) Presque pas d’occurrences autres qu’imagene.
L’équivalent italien (florentin) de ces cinq mots est angelo, vergine, imagine, vescovo, principe…
Ce n’est pas pour rien qu’on parle d’érosion phonétique dans la formation du français !
Merci. Très intéressant. Mais je ferai une deuxième lecture.
« (3) » annonce probablement la pénultième phrase L’équivalent italien (florentin) de ces cinq mots est angelo, vergine, imagine, vescovo, principe…
Non, c'est une note devenue inutile.
Merci de votre lecture !
• Après relecture, je me pose une question : l'accent tonique d'angŭlu(m) « sur la syllabe antépénultième » était-il connu avant qu'on restitue son évolution vers « angle » ou – cela me paraîtrait plus vraisemblable – est-ce notre « angle », souvent monosyllabique oralement, qui a permis rétroactivement d'affirmer que l'étymon était accentué sur son a ?
• Vos explications quant à l'évolution de angĕlu(m) vers « ange » confirment la spécificité de ce dernier : j'ai l'impression que dans toutes les autres langues où le mot de même sens remonte au grec angelos ou à son dérivé latin angelus*, le l s'est maintenu. Impression ! En tout cas, Engel en allemand.
* Je ne suis pas certain que l'on puisse affirmer que le mot latin dérive du grec. Toutefois, le Gaffiot mentionne Ἄγγελος à son entrée Angelus.
Merci de votre lecture attentive. Je pense que je procéderai désormais par mots choisis (dont on a discuté ou non) : c'est plus concret et moins rébarbatif que des "leçons".
• Après relecture, je me pose une question : l'accent tonique d'angŭlu(m) « sur la syllabe antépénultième » était-il connu avant qu'on restitue son évolution vers « angle » ou – cela me paraîtrait plus vraisemblable – est-ce notre « angle », souvent monosyllabique oralement, qui a permis rétroactivement d'affirmer que l'étymon était accentué sur son a ?
Bien sûr ; non seulement l'accent était connu, mais encore pratiqué : l'accent est une réalité qui a joué un rôle déterminant sur toute la philologie romane. Mais quand bien même ce mot ne serait-il connu qu'à l'écrit, son u central bref, prouvé par son emploi dans un vers de Lucrèce, ferait conclure ipso facto à son accentuation sur la première syllabe. Je développerai si cela vous intéresse.
• Vos explications quant à l'évolution de angĕlu(m) vers « ange » confirment la spécificité de ce dernier : j'ai l'impression que dans toutes les autres langues où le mot de même sens remonte au grec angelos ou à son dérivé latin angelus*, le l s'est maintenu. Impression ! En tout cas, Engel en allemand.
Toutes les langues d'Europe qui ne sont pas d'origine latine ont calqué le nom de l'ange soit sur le latin (sauf le grec moderne, bien sûr), soit sur une autre langue. Ainsi, le mot russe ангел dérive-t-il de l'allemand, ainsi que le mot finnois enkeli.
* Je ne suis pas certain que l'on puisse affirmer que le mot latin dérive du grec. Toutefois, le Gaffiot mentionne Ἄγγελος à son entrée Angelus.
Il ne peut en être autrement. Dans le cas d'angulum, on peut trouver aisément une racine PIE commune aux langues germaniques, slaves et au grec ; en ce cas, la discussion serait possible : mots apparentés par l'emprunt ou cognats ? Mais le nom grec ἄγγελος "messager" (tardivement "ange") et le verbe très courant ἀγγέλω "annoncer" n'ont pas d'étymologie certaine. Comment expliquer qu'un sosie comme angelus puisse se retrouver miraculeusement en latin ?
Toutes les langues d'Europe qui ne sont pas d'origine latine ont calqué le nom de l'ange soit sur le latin (sauf le grec moderne, bien sûr), soit sur une autre langue. Ainsi, le mot russe ангел dérive-t-il de l'allemand, ainsi que le mot finnois enkeli.
Breton ael < *agelus < latin angelus. Mais gallois angel.
Irlandais aingeal < vIrl aingel < latin angelus.
Bien sûr ; non seulement l'accent était connu, mais encore pratiqué : l'accent est une réalité qui a joué un rôle déterminant sur toute la philologie romane. Mais quand bien même ce mot ne serait-il connu qu'à l'écrit, son u central bref, prouvé par son emploi dans un vers de Lucrèce, ferait conclure ipso facto à son accentuation sur la première syllabe. Je développerai si cela vous intéresse.
Pas question pour moi de douter de la réalité de cet accent tonique ! Ni du rôle de la brève centrale favorable à la présence de cet accent sur la syllabe précédente, la première !
Mais… pardonnez l'éventuelle naïveté de la question : en quoi le vers de Lucrèce prouve-t-il la brièveté du u central d'angŭlu(m) ?
Une petite initiation aux méthodes de recherche en métrique :
Voici le vers de Lucrèce qui contient opportunément le mot angulus, qu'on ne s'attendrait pas à rencontrer en poésie (De rerum natura, IV, 455 éd. Les Belles Lettres) :
āngŭlŭs/ōptū/sūs quĭă/lōngē/cērnĭtŭr/ōmnĭs
C’est un hexamètre dactylique ; comme son nom l’indique, il est formé de six dactyles (un dactyle = une longue et deux brèves). Un spondée (= deux longues) peut souvent se substituer au dactyle puisque la mesure de ces deux pieds est identique. Quant à la longueur de la voyelle finale, elle est indifférente (mais peu importe ici).
Dans la prosodie latine et grecque, toute syllabe fermée est longue, ce qui revient à dire qu’une voyelle suivie de deux consonnes compte pour une longue même si elle était brève « par nature ».
C’est dont le cas du a de angelus. Si je commence par le début du vers, je pose donc ān. La seconde voyelle peut théoriquement être soit brève, soit longue. Mettons qu’elle soit longue : j’aurai alors āngū/ (premier spondée). Mais ensuite, ça se gâte puisque la terminaison du nominatif singulier de la 2ème déclinaison est brève, et que le u final n’est suivi que d’une seule consonne : j’obtiens en effet āngū/lŭs, ce qui est impossible, puisque le début de ce second pied ne saurait annoncer ni un dactyle, ni un spondée. Certes, un tribraque (trois brèves) peut être exceptionnellement employé, mais on voit tout de suite que le ō de ōptusus ne peut être que long, ce qui exclut notre tribraque. Le ŭ central de angulus est donc forcément bref, et ce vers commence très classiquement par un dactyle.
Note :
Les dictionnaires indiquent les quantités par nature, mais comme ces ouvrages sont destinés aux traducteurs et non aux philologues, ils ne mettent aucun signe sur les voyelles suivies de deux consonnes puisqu'elles sont nécessairement considérées comme longues en prosodie, alors que que ce dernier aurait parfois bien besoin de savoir si une telle voyelle est longue ou brève "par nature". Le problème est moindre en grec du fait de la distinction ε/η, ο/ω (par exemple, le ε et le ο de ἄγγελος sont évidemment brefs).
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