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forum abclf » Écriture et langue française » Proust, imposture littéraire ?

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Messages [ 401 à 450 sur 554 ]

401 Dernière modification par goofy2 (23-05-2012 21:30:47)

Re : Proust, imposture littéraire ?

"Le temps retouvé" commence très fort; rien ne nous sera épargné.

Proust ( car depuis bien longtemps je ne crois plus du tout à cette histoire à dormir debout du narrateur) Proust donc veut nous faire partager sa lecture du "Journal des Goncourt" et au lieu d'en citer discrètement un court extrait, il en recopie 9 pages pour l'inclure dans son oeuvre.
Allons-y le papier n'est pas cher !

Je ne voulus pas emprunter à Gilberte la Fille aux yeux d'Or puisqu'elle le lisait. Mais elle me prêta, le dernier soir que je passai chez elle, un livre qui me produisit une impression assez vive et mêlée. C'était un volume du journal inédit des Goncourt
.......
Voici les pages que je lus jusqu'à ce que la fatigue me fermât les yeux :

« Avant-hier tombe ici, pour m'emmener dîner chez lui, Verdurin, l'ancien critique de la Revue, l'auteur de ce livre sur Whistler où vraiment le faire, le coloriage artiste de l'original Américain est souvent rendu avec une grande délicatesse par l'amoureux

9 pages plus loin, il en termine enfin avec ce copier/coller   OUF ...............

« Car il avait une maladie de foie et c'est de cela qu'il est mort, conclut le docteur. »

Je m'arrêtai là, car je partais le lendemain et, d'ailleurs.....
Je fermai donc le journal des Goncourt

in "le temps retrouvé"

On atteint ici le summum de l'inqualifiable.

Re : Proust, imposture littéraire ?

Mais... mais... c'est un canular ou vous êtes sérieux ?

C'était un volume du journal inédit des Goncourt

Inédit, on peut le dire, on ne peut plus inédit : c'est un pastiche composé par Proust !
Comment voudriez-vous que les Goncourt puissent citer dans leur  Journal Verdurin, qui est un personnage fictif ?
Au cas où vous ne l'auriez pas compris, c'est indiqué en toutes lettres dans l'index des personnages de Pléïade I :

transcription (pastiche) d'un passage : 709-717.

Je vous accorde que c'est un peu longuet, surtout pour quelqu'un qui, comme moi à l'époque où je découvris la Recherche, ne connait pas le modèle. Le Journal des Goncourt a été publié chez Bouquins, en trois tomes, et ils sont morts depuis assez longtemps pour que le texte soit numérisé.

Ce qui fait le sel de la plaisanterie de Proust c'est que dans les années 1920, le Journal n'avait pas encore été intégralement publié. Les éditeurs le distillaient au compte-goutte(s) par crainte des procès en diffamation.
Proust fabrique donc un faux scoop, ce qui pourrait lui faire (enfin) mériter l'étiquette d'imposteur que vous lui collez, sauf qu'il n'a aucune volonté de duper qui que ce soit, et que personne n'est dupe.
J'ai cueilli ceci pour vous sur le site de l'Académie Goncourt :

Après la mort de Jules, Edmond, qui se révélera un extraordinaire reporter sur la société de son temps, décida d'en publier une partie. Neuf volumes parurent entre 1887 et 1896. L'Académie Goncourt qui avait la charge, par testament, de publier l'intégralité du manuscrit, proposera en 1935 une édition tronquée préfacée par Lucien Descaves. Une autre le fut par André Billy.
Au risque de procès en diffamation, il était encore trop tôt pour dévoiler la totalité de ce précieux document qui témoigne, sans fausse pudeur, de la vie artistique et mondaine de la deuxième moitié du XIXe siècle. Le pastiche du Journal des Goncourt par Marcel Proust dans La Recherche du Temps Perdu est sans doute le plus bel hommage rendu aux deux frères.

C'est moi qui souligne.

Raté, caramba, encore raté !

« Je l'aurai un jour, je l'aurai ! »

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

403 Dernière modification par goofy2 (01-06-2012 15:06:59)

Re : Proust, imposture littéraire ?

Pourquoi n'utilise t-il pas, tout simplement, le mot précaution !

Saint-Loup me parlait-il d'une mélodie de Schumann, il n'en donnait le titre qu'en allemand et ne prenait aucune circonlocution pour me dire que quand, à l'aube, il avait entendu un premier gazouillement à la lisière d'une forêt, il avait été enivré comme si lui avait parlé l'oiseau de ce « sublime Siegfried » qu'il espérait bien entendre après la guerre.

in "Le temps retrouvé"

404

Re : Proust, imposture littéraire ?

Peut-être simplement parce que « circonlocution » n'est pas synonyme de précaution. C'est plus précis. On peut prendre des précautions en prévenant, en s'excusant à l'avance, ou en noyant le poisson.

Caesarem legato alacrem, ille portavit assumpti Brutus.

Re : Proust, imposture littéraire ?

Je développe  la réponse d'Alco : précaution et circonlocution ne sont pas synonymes.
La précaution, pré-caution (dérivant du latin cavere, prendre garde) est, selon le Tlfi :

A. 1. Gén. au plur. (Mesure de) prudence, (de) prévoyance minutieuse que l'on observe pour éviter ou atténuer un mal, un inconvénient, un désagrément ultérieur pressenti.

Autrement dit, un comportement. Fermer le robinet d'arrivée d'eau quand on part en voyage,  c'est une précaution.

La circonlocution, où l'on reconnait circa, autour, et un verbe signifiant parler, est une manière de s'exprimer, comme le dit toujours le Tlfi :

Détours de langage qui, en évitant les termes précis, visent à masquer la pensée ou à adoucir ce que l'on veut dire. Sans employer aucune circonlocution (A. DUMAS Père, Le Comte de Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 167). Je vous ai parlé sans détours ni circonlocutions (BALZAC, La Cousine Bette, 1846, p. 129) :

Saint-Loup, en bon militaire, va droit au fait, il ne s'embarrasse pas de circonlocuions. C'est le terme propre.

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

406 Dernière modification par goofy2 (02-06-2012 18:46:31)

Re : Proust, imposture littéraire ?

Proust emploie le verbe se désengouer ......... qui n'est pas validé par le Larousse Encyclopédique

Bref, les gens du monde s'étaient désengoués de M. de Charlus,

in " Le temps retrouvé "

Autre mot: infusoire ( français celui-ci) mais dont on comprend très mal l'emploi dans ce passage.
D'autant plus, qu'on remarquera la mauvaise construction de la phrase qui alourdit le style.
Le verbe voir précédant son sujet qui est placé n'importe comment
beurk ! ! !

.... et il les verra à l'échelle où verraient le corps d'un homme de haute taille des infusoires dont il faudrait plus de dix mille pour remplir un cube d'un millimètre de côté.

in " Le temps retrouvé "

Enfin, pour un auteur comme Proust qui se targue d'être sensible à la musicalité, le lecteur ne peut que sursauter en lisant la phrase qui suit et qui fait penser à un énorme couac orchestral.

On ne peut faire plus laid.

..... poursuivait le baron d'une haine d'autant plus coupable que, quelles qu'eussent été ses relations exactes avec le baron...

in " Le temps retrouvé "

On en trouve une forme différente et moins choquante  (corrigée ?) sur internet

.... poursuivait le baron d'une haine implacable ; c'était non seulement cruel de la part de Morel, mais doublement coupable, car quelles qu'eussent été ses relations exactes avec le baron

in " Le temps retrouvé "

Re : Proust, imposture littéraire ?

goofy2 a écrit:

Proust emploie le verbe se désengouer ......... qui n'est pas validé par le Larousse Encyclopédique

Il n'avait pas cet ouvrage à sa disposition, mais certainement le Littré où l'on trouve désengouer et, bien sûr, infusoires, souvent pris comme exemple d'êtres vivants très petits.

408

Re : Proust, imposture littéraire ?

Un peu plus de culture et de sensibilité littéraire — mais on dirait que de telles qualités sont en train de devenir des défauts, aux yeux de la plupart de nos contemporains... — vous auraient appris que Proust a formé son style à l'époque fin de siècle, époque où les plus grands raffinements en matière de style, de syntaxe, de lexique, d'allusions à la littérature du passé sont de mise. Il s'agit de se distinguer, à tous les sens du terme. Après tout, c'est assez facile à comprendre quand on écrit APRÈS Balzac, Stendhal, Flaubert, Maupassant, Zola, les Goncourt, Tourgueniev, Huysmans... et j'en passe.

En outre, il fait, c'est vrai, une satire du snobisme dont il participe en partie.

Sans partager l'élitisme des décadents et des symbolistes (Laforgue, Moréas,  Vielé-Griffin, Gourmont, Rachilde, Jarry, H. de Régnier, etc.), parce qu'il considère, au contraire que le grand art peut nous permettre à TOUS de (re)trouver le sens de notre vie en nous en fournissant la quintessence, Proust a tout de même été, comme tout créateur, influencé par le style de son époque (personne ne faisait des meubles Louis XV sous Louis XVI, capisce ?). Il a l'écriture de son temps, ce qui est inévitable.

Enfin, vous semblez ignorer ou oublier qu'il est mort avant d'avoir pu relire — et donc corriger — un grand nombre de pages de la Recherche... Mais tenter de vous en convaincre serait sans doute distribuer de nouvelles perles aux pourceaux.

409 Dernière modification par yd (03-06-2012 05:05:28)

Re : Proust, imposture littéraire ?

Et ce dont il faudrait plus de dix mille n'étonne personne ?

Mais tenter de vous en convaincre serait sans doute distribuer de nouvelles perles aux pourceaux.

Goofy n'ignore pas que Proust n'a pu se relire, puisque cela fut dit en plusieurs occasions depuis l'ouverture de ce sujet. Est-ce Proust qu'il raille, ou l'usage qu'en ont nombre de pharisiens ou idolâtres des temps modernes ? Et quel auteur est-il digne d'être appelé une perle au sens des Évangiles quand ils disent de ne pas jeter ses perles aux porcs ? Certaines pensées sont dignes d'être appelées des perles au sens noble, mais des œuvres entières ou leurs auteurs ? Chacun a les perles qu'il peut.

Fille légère ne peut bêcher.

410

Re : Proust, imposture littéraire ?

Argyre a écrit:

Un peu plus de culture et de sensibilité littéraire — mais on dirait que de telles qualités sont en train de devenir des défauts, aux yeux de la plupart de nos contemporains... — vous auraient appris que Proust a formé son style à l'époque fin de siècle, époque où les plus grands raffinements en matière de style, de syntaxe, de lexique, d'allusions à la littérature du passé sont de mise.

A la différence qu'on peut lire du George Sand sans avoir à se plonger continuellement dans le Littré pour comprendre le sens d'une phrase et sans qu'il y ait nécessité comme chez Proust de construire des phrases avec  profusion de verbes conjugués à l''imparfait du subjonctif qui donnent plutôt dans le ridicule.

Quant à dire qu'il n'a pas eu le temps de se relire , cela n'aurait pas changé grand-chose.
Proust fait davantage penser à certains médecins du passé qui pour leur expliquer leur maladie assomaient leurs patients de termes savants de sorte que ceux-ci n'arrivent pas à les comprendre et se sentent humiliés.

Re : Proust, imposture littéraire ?

goofy2 a écrit:

A la différence qu'on peut lire du George Sand sans avoir à se plonger continuellement dans le Littré pour comprendre le sens d'une phrase et sans qu'il y ait nécessité comme chez Proust de construire des phrases avec  profusion de verbes conjugués à l''imparfait du subjonctif qui donnent plutôt dans le ridicule.

Je conviens que le style de Sand est plus directement accessible et qu'il faut un peu d'entraînement pour se sentir à l'aise dans la syntaxe de Proust. Mais le jeu en vaut la chandelle, car Proust met ses emberlificotis de phrases au service d'une description des méandres du sentiment et de l'intelligence.
Pour le vocabulaire, je ne suis pas sûr qu'il n'y ait pas chez Sand de nombreuses occasions d'ouvrir son dictionnaire, car elle aime aussi les mots rares et notamment les provincialismes comme fadette ou besson.

412

Re : Proust, imposture littéraire ?

Abel Boyer a écrit:

car elle aime aussi les mots rares et notamment les provincialismes

     Les ‹ provincialismes › de certains écrivains ne sont-ils pas simplement les mots bien français de leur parler quotidien, et dont le ‹ provincialisme › francilien ne faisait pas usage ?

diconoma est typographe, relecteur-correcteur, dictionnairiste

Re : Proust, imposture littéraire ?

Certains accrochent sur cette phrase :

.... et il les verra à l'échelle où verraient le corps d'un homme de haute taille des infusoires dont il faudrait plus de dix mille pour remplir un cube d'un millimètre de côté.

L'inversion du sujet : elle est canonique.
Notamment, selon Riegel et sa bande dans les subordonnées relatives introduites par un pronom complément, ce qui est le cas ici.

des infusoires dont il faudrait plus de dix mille pour remplir un cube : ordre des mots canoniques, et pronom pertinent :
il faudrait plus de dix mille de ces infusoires : des infusoires dont il faudrait plus de dix mille...

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

Re : Proust, imposture littéraire ?

Quant au style limpide de George Sand, exempt de mots rares et d'imparfait du subjonctif, lisons ce paragraphe tiré des premières pages d'Indiana :

Il arpentait avec gravité son vieux salon meublé dans le goût de Louis XV, s’arrêtant parfois devant une porte surmontée d’Amours nus, peints à fresque, qui enchaînaient de fleurs des biches fort bien élevées et des sangliers de bonne volonté, parfois devant un panneau surchargé de sculptures maigres et tourmentées, dont l’oeil se fût vainement fatigué à suivre les caprices tortueux et les enlacements sans fin. Mais ces vagues et passagères distractions n’empêchaient pas que le colonel, à chaque tour de sa promenade, ne jetât un regard lucide et profond sur les deux compagnons de sa veillée silencieuse, reportant de l’un à l’autre cet oeil attentif qui couvait depuis trois ans un trésor fragile et précieux, sa femme.

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

Re : Proust, imposture littéraire ?

A la différence qu'on peut lire du George Sand sans avoir à se plonger continuellement dans le Littré


Se plonger continuellement dans le Littré !
Si c'est ainsi que vous lisez, on comprend que la lecture soit un pensum...
On ne vous a donc jamais donné le conseil de poursuivre votre lecture ? L'important est de ne pas perdre l'élan. Le sens d'un mot vous manque ? La suite va l'éclairer, neuf fois sur dix le mot se comprend par le contexte.
Par exemple ces infusoires : la phrase est claire, il s'agit d'animaux, puisqu'ils peuvent voir, et d'animaux de petite taille, puisqu'il en faut dix mille pour remplir un milliètre cube. Il doit s'agir d'une variété d'amibes, on continue.
Et si un mot n'est pas éclairé par le contexte, tant pis ! Cela produit un effet poétique, un mot dépourvu de sens. Vous pourrez toujours vérifier dans votre dictionnaire le soir  avant de vous coucher... si vous l'avez gardé en tête !

Les Chauveau, spécialistes de l'apprentissage de la lecture, citent le cas d'une dame, déjà adulte, que la lecture rebutait. La lecture la rebutait, car, influencée par le souvenir des dictées, elle était convaincue qu'il fallait prononcer mentalement virgule à chaque virgule et point à chaque point. Ce fut une libération pour elle d'apprendre qu'il n'en était rien...

Puisse être pour vous une libération, goofy, d'apprendre qu'il ne faut pas interrompre sa lecture pour consulter le dictionnaire.

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

416 Dernière modification par yd (03-06-2012 16:52:08)

Re : Proust, imposture littéraire ?

[...] il faudrait plus de dix mille de ces infusoires : des infusoires dont il faudrait plus de dix mille...

Les gendarmes / des gendarmes / ces gendarmes, dont il faudrait (plus d') une centaine... est français.
Les gendarmes / des gendarmes / ces gendarmes, dont il faudrait (plus de) cent... n'est pas français.

Par oral, on n'a pas d'autre choix que celui de poursuivre la construction boiteuse, on s'en tire donc avec dont, et c'est cent fois pardonnable.

Mais par écrit on renonce à la formulation, qui n'offre pas de solution satisfaisante, à moins de remplacer dix mille par une myriade, et on en cherche une autre. Tenter de remplacer dont par desquels est souvent un bon test, or ici desquels va encore moins bien que dont : le test est sans appel. Dont est un peu plus passe partout, mais avec des limites.


Quant au style limpide de George Sand, exempt de mots rares et d'imparfait du subjonctif, lisons ce paragraphe tiré des premières pages d'Indiana :

Il arpentait avec gravité son vieux salon meublé dans le goût de Louis XV, s’arrêtant parfois devant une porte surmontée d’Amours nus, peints à fresque, qui enchaînaient de fleurs des biches fort bien élevées et des sangliers de bonne volonté, parfois devant un panneau surchargé de sculptures maigres et tourmentées, dont l’œil se fût vainement fatigué à suivre les caprices tortueux et les enlacements sans fin. Mais ces vagues et passagères distractions n’empêchaient pas que le colonel, à chaque tour de sa promenade, ne jetât un regard lucide et profond sur les deux compagnons de sa veillée silencieuse, reportant de l’un à l’autre cet œil attentif qui couvait depuis trois ans un trésor fragile et précieux, sa femme.

Pour moi c'est un remarquable contre-exemple, il tend à démontrer l'inverse, car les deux usages de l'imparfait du subjonctif y paraissent on ne peut plus naturels et tout à fait actuels, au moins dans la langue écrite.

Je l'avais déjà développé au début de ce fil : beaucoup d'auteurs du plein XIXe siècle utilisent une langue remarquable de limpidité et de simplicité. Je ne fais pas de reproches à Proust, car il n'est pas responsable des tendances littéraires de son époque, étant mort trop jeune pour tenter de l'en corriger et pour s'en corriger lui-même. Mais ce français littéraire du début du XXe siècle veut trop bien faire, il perd de la fluidité, il manque de naturel : tout se passe comme si la langue littéraire était alors devenue un peu trop scolaire, donc, inévitablement, un peu trop primaire, et les héritiers de cette formation, ou de cette déformation, ne veulent toujours rien en savoir. On ne peut pas tout remettre de son vocabulaire à son dictionnaire, de la même manière on ne peut pas tout remettre de sa langue à sa grammaire, c'est trop tirer sur la langue et c'est trop tirer sur la grammaire.

Fille légère ne peut bêcher.

Re : Proust, imposture littéraire ?

Les gendarmes / des gendarmes / ces gendarmes, dont il faudrait (plus d') une centaine... est français.
Les gendarmes / des gendarmes / ces gendarmes, dont il faudrait (plus de) cent... n'est pas français.

Français, pas français : quel est le critère ?
Mon sentiment naturel juge correcte l'une et l'autre de ces phrases.
Pouvez-vous en dire plus pour me tirer d'erreur ?

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

418

Re : Proust, imposture littéraire ?

Vous renversez un peu la charge de la preuve, mais vous savez aussi bien que moi que ces gendarmes dont il faudrait cent n'est pas français, et pas davantage en remplaçant ces par des ou par les.

Pouvons-nous partir de là ?
Si oui, le raisonnement que je suis est de dire que l'ajout de plus de - dans cette phrase - ne change rien dans l'usage ou le non usage de dont.

Fille légère ne peut bêcher.

Re : Proust, imposture littéraire ?

Diconoma, les "provincialismes" de Sand, en fait surtout les mots de son cher Berry, ça n'a rien d'une critique, et ce sont naturellement -- par définition -- des mots généralement ignorés du français "central" de Paris.
Yd, d'accord avec vous pour les imparfaits du subjonctif ; ceux de Sand (du moins dans ce passage), à la 3e personne du singulier, passent très bien, encore aujourd'hui ; ce sont d'ailleurs les seuls qui passent encore. Ceux dont Proust abuse (ce qui ne me gêne pas mais peut paraître un peu ridicule quand on n'a pas l'habitude), ce sont ceux qui ont les lourds suffixes en -ass... et -iss...
En revanche, je ne vois pas ce que vous reprochez à la phrase avec "dont il faudrait plus de dix mille ...". Elle est parfaite pour moi.

420

Re : Proust, imposture littéraire ?

Tiens, je ne savais pas que besson était un mot régional. C'est même devenu un patronyme, lorsque je consulte les pages blanches sur le site,  uniquement pour Marseile, il en sort sept à huit pages.  Et dans une de ces familles au moins, la nouvelle génération produit encore des jumeaux smile

" Wer fremde Sprachen nicht kennt, weiß auch nichts von seiner eigenen."   J.W.v.Goethe

Re : Proust, imposture littéraire ?

Eric Besson et Patrick Besson sont deux de nos Besson les plus connus, mais il y en a plein.
Il n'empêche que le mot avait déserté le français central, et les dictionnaires l'accueillaient jusqu’à une période récente, comme "vieux" ou "régional" (TLFi, Petit Robert 93). Littré précisait : Vieux et inusité, si ce n'est dans quelques provinces.
Les patronymes conservent souvent des mots anciens, qui peuvent avoir disparu du vocabulaire courant.

Re : Proust, imposture littéraire ?

Eric Besson et Patrick Besson sont deux de nos Besson les plus connus

Excellent !

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

423 Dernière modification par yd (03-06-2012 21:42:24)

Re : Proust, imposture littéraire ?

Je crois que c'est l'usage de dont avec la tournure il faut tel nombre ou telle quantité qui me heurte, mais le TLFi ne cite pas ce cas particulier. Je crois qu'on mélange entre (1) il faut de ceci ou de cela, et (2) il faut tant (tel nombre ou telle quantité ou tel ensemble) de (tels éléments ou telle chose). Il faut cent gendarmes : dont est impossible ; il faut une troupe, une quantité, un nombre de cent gendarmes : dont est possible s'il se rattache non pas aux gendarmes mais à une troupe, un ensemble, une quantité, un nombre. En plus de la difficulté due à il faut tel nombre ou telle quantité en survient une autre avec plus de : plus n'est ni un ensemble ni un nombre ou une quantité, le de qui s'y rattache ne saurait justifier àmha un remplacement par dont.

21h40 : En fait, si Proust avait écrit tout simplement dix milliers, le problème que j'ai vu disparaissait, car on aurait tout de suite compris plus de dix milliers d'infusoires. Avec dix mille, ça ne marche plus, mais la similitude des deux formules explique probablement que vos oreilles ne soient pas heurtées.

Fille légère ne peut bêcher.

424

Re : Proust, imposture littéraire ?

Faut-il rappeler que « français » et « pas français » sont des critères qui auraient déjà mérité d'être abandonnés du temps de Rivarol ? Voir H. Meschonnic, De la langue française, essai sur une clarté obscure, Hachette-Littératures 1997 ; Pluriel, 2001. Ils n'ont en effet rien de scientifique. Tout énoncé que je prononce ou écris dans ma langue est français puisque je suis français. Il serait difficilement chinois !
Les seuls critères scientifiques sont ceux de grammaticalité et d'acceptabilité. Et là encore, il peut y avoir de grandes tolérances puisque la phrase « Moi Tarzan ! Toi Jane ! » est agrammaticale (elle n'obéit pas aux règles de la grammaire française) mais acceptable (elle a un sens parfaitement compréhensible dans certains contextes) ; tandis que la phrase « Le cadavre exquis boira le vin nouveau », parfaitement grammaticale, n'est pas acceptable en dehors du contexte d'un poème surréaliste, par exemple (pas de sens dans la plupart des situations, et même absurde).
Mais vous avez raison, il vaut mieux décréter que Proust n'est pas français — bien sûr, puisqu'il était juif ! CQFD ! —, qu'il vaut mieux lire Sand, qui elle au moins, respecte le génie de la langue française (et que d'ailleurs Proust avait lue), et décréter que tous les admirateurs d'un des plus grands écrivains du XXe siècle sont des snobs pharisiens idolâtres.
Comme répondait Mallarmé, autre auteur pas français bien connu pour snobs p(h)arisiens idolâtres, au reproche d'obscurité ou d'hermétisme : « Devant l'outrage, je préfère répondre que des contemporains ne savent pas lire ! »

425 Dernière modification par goofy2 (04-06-2012 18:20:14)

Re : Proust, imposture littéraire ?

"ce fussent eux qui eussent"

Pas mal du tout, hein ?
A la télé, ils appellent ça le bétisier.

J'ai souvent pensé que, dans le tortillard de Balbec, les fidèles qui souhaitaient tant les aveux devant lesquels il se dérobait n'auraient peut-être pas pu supporter cette espèce d'ostentation d'une manie et, mal à l'aise, respirant mal comme dans une chambre de malade ou devant un morphinomane qui tirerait devant vous sa seringue, ce fussent eux qui eussent mis fin aux confidences qu'ils croyaient désirer.

in "Le temps retrouvé "

426 Dernière modification par éponymie (04-06-2012 18:35:59)

Re : Proust, imposture littéraire ?

goofy2 a écrit:

"ce fussent eux qui eussent"

Pas mal du tout, hein ?
A la télé, ils appellent ça le bétisier.

J'ai souvent pensé que, dans le tortillard de Balbec, les fidèles qui souhaitaient tant les aveux devant lesquels il se dérobait n'auraient peut-être pas pu supporter cette espèce d'ostentation d'une manie et, mal à l'aise, respirant mal comme dans une chambre de malade ou devant un morphinomane qui tirerait devant vous sa seringue, ce fussent eux qui eussent mis fin aux confidences qu'ils croyaient désirer.

in "Le temps retrouvé "

Quel est le problème ? Quand j'étais petit, je ne sais plus si c'était au CM1 ou au CM2, on répétait en coeur les deux formes du conditionnel passé. Vous êtes ma madeleine sur ce coup-là Goofy.

https://lewebpedagogique.com/famillesdemots/files/2021/10/Les-doublets-en-fran%C3%A7ais.pdf

427 Dernière modification par goofy2 (04-06-2012 19:09:51)

Re : Proust, imposture littéraire ?

éponymie a écrit:

Quel est le problème ? .

Vous imaginez par exemple, tiens au hasard, Hollande (ou Sarkozy) qui se retrouvent avec un " ce fussent eux qui eussent " dans un de leurs discours.
Aimerais pas être à la place du type qui aurait écrit le discours !

428

Re : Proust, imposture littéraire ?

C'est pas très honnête, intellectuellement parlant, de comparer un roman du début du XXe à un discours politique du début du XXIe...

elle est pas belle, la vie ?

Re : Proust, imposture littéraire ?

Terre ! Terre !
Nous en sommes au Temps retrouvé, bientôt il ne sera plus question de Proust.
A moins d'embrayer sur Jean Santeuil.

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

430 Dernière modification par glop (04-06-2012 19:22:47)

Re : Proust, imposture littéraire ?

Je suis plutôt d’accord avec goofy «ce» & «fussent» sont désaccordés. A moins que la phrase ait une signification qui m’échappe.

Nomina si nescis, perit cognitio rerum. Edward Coke

431

Re : Proust, imposture littéraire ?

goofy2 a écrit:

Aimerais pas être à la place du type qui aurait écrit le discours !

Je concède un problème : je peux ne pas être choqué par l'utilisation - à bon escient - de l'imparfait du subjonctif dans un texte mais je ne suis pas suffisamment sûr de moi pour en faire usage sans complexe. Démonstration :

Je n'aimerais pas être à la place de l'individu qui eût écrit un tel discours !

est correct ? Problème de scripteur qui tenterait de faire usage d'une norme désuète qui ne lui est plus naturelle. Mais si on vient me chercher des puces dans un siècle sur ce que j'ai écrit aujourd'hui dans ce forum, je me laisserai pas faire smile

https://lewebpedagogique.com/famillesdemots/files/2021/10/Les-doublets-en-fran%C3%A7ais.pdf

432

Re : Proust, imposture littéraire ?

glop a écrit:

Je suis plutôt d’accord avec goofy «ce» & «fussent» sont désaccordés. A moins que la phrase ait une signification qui m’échappe.

M'enfin glop :

J'ai souvent pensé que, dans le tortillard de Balbec, les fidèles qui souhaitaient tant les aveux devant lesquels il se dérobait n'auraient peut-être pas pu supporter cette espèce d'ostentation d'une manie et, mal à l'aise, respirant mal comme dans une chambre de malade ou devant un morphinomane qui tirerait devant vous sa seringue, s'il avait cessé de se dérober, ça aurait été eux qui auraient mis fin aux confidences qu'ils croyaient désirer.

Je n'avais jamais remarqué qu'aux temps composés du verbe être, la troisième personne du pluriel du présentatif est impossible : c'étaient eux mais ça avait été eux. Encore une observation qui a peu d'utilité pratique.

https://lewebpedagogique.com/famillesdemots/files/2021/10/Les-doublets-en-fran%C3%A7ais.pdf

433 Dernière modification par éponymie (04-06-2012 19:47:00)

Re : Proust, imposture littéraire ?

P'tit prof a écrit:

A moins d'embrayer sur Jean Santeuil.

GOOOOOFY !!! Il vous a tendu une perche grosse comme un mât de misaine, allez voir sur wikipedia : pour le coup voilà le bouquin autobiographique de Proust. Lisez, comparez et venez faire votre rapport. Mais vous l'aurez déjà lu...

https://lewebpedagogique.com/famillesdemots/files/2021/10/Les-doublets-en-fran%C3%A7ais.pdf

Re : Proust, imposture littéraire ?

Pas autobiographique : Jean n'est pas Marcel, et Santeuil n'est pas Proust, et Proust n'était pas l'ami du roi de Portugal.
Proust s'ennuyait tellement  à l'écrire qu'il ne l'a jamais fini.

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

435

Re : Proust, imposture littéraire ?

P'tit prof a écrit:

Pas autobiographique : Jean n'est pas Marcel, et Santeuil n'est pas Proust, et Proust n'était pas l'ami du roi de Portugal.
Proust s'ennuyait tellement  à l'écrire qu'il ne l'a jamais fini.

J'ai découvert son existence hier (dans ma crasse ignorance) et en lisant ça

Ce livre intéresse surtout pour les rapports qu'il entretient avec la grande œuvre de Proust, À la recherche du temps perdu, dont beaucoup de passages se trouvent en genèse dans Jean Santeuil.

Il est aussi intéressant puisqu'il peut être lu comme un livre quasi autobiographique de Marcel Proust de vingt-quatre ans à vingt-neuf ans ; il livre ici ses souvenirs d'enfance et de jeunesse, la description des lieux qu’il a fréquentés, ses idées et sa vision de l’art.

je me suis dit qu'il y avait de quoi alimenter un discussion récurrente dans ce fil.

https://lewebpedagogique.com/famillesdemots/files/2021/10/Les-doublets-en-fran%C3%A7ais.pdf

436

Re : Proust, imposture littéraire ?

P'tit prof a écrit:

Le sens d'un mot vous manque ? La suite va l'éclairer, neuf fois sur dix le mot se comprend par le contexte.

euh  ?   non !

Puis Gilberte cessa de s'en tenir à la prétérition.

in " A l'Ombre des Jeunes Filles en Fleurs"

Re : Proust, imposture littéraire ?

Puis Gilberte cessa de s'en tenir à la prétérition.

Là, en effet, ce n'est pas la suite qui éclaire, mais ce qui précède.

En répétant toujours : « La vie a pu changer pour nous, elle n'effacera pas le sentiment que nous eûmes », par désir de m'entendre dire enfin : « Mais il n'y a rien de changé, ce sentiment est plus fort que jamais », je vivais avec l'idée que la vie avait changé en effet, que nous garderions le souvenir du sentiment qui n'était plus, comme certains nerveux pour avoir simulé une maladie finissent par rester toujours malades. Maintenant chaque fois que j'avais à écrire à Gilberte, je me reportais à ce changement imaginé et dont l'existence, désormais tacitement reconnue par le silence qu'elle gardait à ce sujet dans ses réponses, subsisterait entre nous. Puis Gilberte cessa de s'en tenir à la prétérition.

Là, en effet, vous marquez (enfin !) un point contre Proust, car ce n'est pas de prétérition stricto-sensu qu'il s'agit ici, mais de sous-entendu.

A supposer que vous ignorassiez ce qu'est la prétérition, le contexte vous eût permis de comprendre qu'il s'agit du mode d'expression adopté par Gilberte.
On peut saisir un texte sans saisir le sens chaque mot.

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

Re : Proust, imposture littéraire ?

Jouez hautbois, résonnez musettes !
Goofy a enfin pris Proust en flagrant délit de faux-sens, un faux-sens d'autant plus inexcusable que Proust avait appris au lycée, dans son cours de rhétorique, c'est qu'est une prétérition.

Il s'agit cependant d'un coup de billard à trois bandes : goofy ne voulait que me montrer mon béjaune en posant que le contexte n'éclaire pas le sens des mots inconnus. Démonstration impossible, car il ne fournissait pas le contexte.

Quoi qu'il en soit, il a mis le doigt sur prétérition, alléluia !

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

439 Dernière modification par Argyre (06-06-2012 00:25:29)

Re : Proust, imposture littéraire ?

A la télé, ils appellent ça le bétisier.

« A la télé » : faute d'accent ; « ils » au lieu de on : faute de syntaxe (solécisme anglicistoïde) ; « bétisier » : faute d'accent... et c'est vous qui prétendez juger de la langue de Proust ? Que ne restez-vous devant... la télé.

Oui, on trouve des lourdeurs, peut-être même des « fautes » dans Proust, pour les raisons qui ont dix fois été rappelées ici. On en trouverait beaucoup aussi dans à peu près n'importe quel roman contemporain qui, en revanche, ne crée aucun univers comparable. Il faut mériter un roman poétique comme celui-là.

Je ne serais pas étonné, d'ailleurs, que ces subjonctifs soient en partie ironiques — Proust est aussi un auteur comique, eh oui — et que, poétique oblige, ils miment ici l'effort respiratoire, au bord de l'asphyxie, du Narrateur asthmatique ; et je conclurai en disant que je préfère surinterpréter avec Proust, voire être snob,  à être lucide avec Où est le bec ?
Fermez le ban.

440 Dernière modification par goofy2 (06-06-2012 16:31:48)

Re : Proust, imposture littéraire ?

1) Encore un faute de français !

Derrière les volets clos de chaque fenêtre la lumière, tamisée à cause des ordonnances de police, décelait pourtant un insouci complet de l'économie.

in "Le temps retrouvé "

Insouciance oui, mais insouci ça n'existe pas en bon français.

Cela démontre que Proust est un auteur dangereux car quiconque croira s'enrichir d'un nouveau vocabulaire, sera induit en erreur, en s'appuyant en toute confiance sur ce genre de littérature.

2) Voici encore une construction narrative, qui prouve que nous ne sommes pas dans une oeuvre de fiction.

Je ne me trompais pas et je dirai tout de suite les deux faits qui me le prouvèrent rétrospectivement (j'anticipe de beaucoup d'années pour le second de ces faits, postérieur à la mort de M. de Charlus. Or elle ne devait se produire que bien plus tard, et nous aurons l'occasion de le revoir plusieurs fois, bien différent de ce que nous l'avons connu, et en particulier la dernière fois, à une époque où il avait entièrement oublié Morel).

in "Le temps retrouvé "

441

Re : Proust, imposture littéraire ?

goofy2 a écrit:

Insouciance oui, mais insouci ça n'existe pas en bon français.

Peut-être pas dans le "bon français" tel que vous le concevez, mais dans les bons dictionnaires, cela existe bel et bien.
(Avez-vous entendu parler du CNRTL ?)

Re : Proust, imposture littéraire ?

2) Voici encore une construction narrative, qui prouve que nous ne sommes pas dans une oeuvre de fiction.

Curieux entêtement à ne pas vouloir que la Recherche soit une fiction. Quoi qu'il en soit, fiction, pas fiction, cela n'entre pas en ligne de compte dans le jugement sur la qualité littéraire.
Marc Lévy, c'est de la fiction, les Confessions de Rousseau de l'autobiographie, qui oserait dire que Marc Lévy est supérieur à Rousseau ?

Ici, vous pointez un procédé narratif connu comme le loup blanc : le narrateur s'exhibe en position de narrateur. Cela crée un effet de réel, preuve que Proust n'est pas si mauvais romancier.

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

443 Dernière modification par Argyre (08-06-2012 18:59:28)

Re : Proust, imposture littéraire ?

Laissons tomber, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, Goût fî ! est dans le solipsisme : il n'écoute pas ce qu'on lui dit. Laissons-le persévérer diaboliquement, ne tentons plus de disputer, ne le contredisons même plus, c'est manifestement inutile.

D'ailleurs, qui sait si sa marotte ne nous protège pas d'effets plus graves ?

444 Dernière modification par Etq (08-06-2012 11:17:53)

Re : Proust, imposture littéraire ?

Argyre a écrit:

Allez, sage, Goût fî ! couché ! Donner la papatte ! Voi-là !

Voilà une manière exemplaire de s'adresser à quelqu'un
sur cette discussion consacrée à l'un des plus grands auteurs de langue française
et sur ce forum consacré à cette langue magnifique qui se trouve ainsi illustrée de merveilleuse façon !

Je n'aurai par ailleurs pas l'indélicatesse de vous demander si par

Argyre a écrit:

Laissons tomber, Messieurs, [...]

vous ne vous adressiez véritablement qu'aux messieurs, ou bien s'il s'agissait simplement d'un oubli maladroit.

Pour en revenir au propos de goofy2,
il ne m'apparaît pas que la dernière citation de la Recherche constitue un aveu de son écriture autobiographique
car il est raisonnablement possible de penser que le narrateur, qui conte des événements révolus,
informe par-là le lecteur qu'il évoquera ultérieurement des choses qui sont advenues par la suite
comme on peut le faire lors d'une narration à l'oral dans la vie courante par exemple en disant :
"attendez un peu, vous comprendrez quand je vous aurai raconté ce qui se passe ensuite" ;
c'est du moins ce qu'il m'en semble.

445

Re : Proust, imposture littéraire ?

Je suis, pour ma part, un fervent admirateur de toute improusture littéraire.

La vie n'est pas un bal musette.

446 Dernière modification par Argyre (10-06-2012 10:14:09)

Re : Proust, imposture littéraire ?

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

D'accord, je corrige mon intervention et présente mes plus plates excuses à Goût fî !... surtout s'il nous présente les siennes pour nous traiter plus ou moins virtuellement et implicitement de snobs prétentieux depuis un bon moment, ça vous va, comme ça, madamoiselle ?

Je suis désolé, réellement, mais tout ce qui ressemble de près ou de loin à de l'inculture triomphante ou à de l'insensibilité satisfaite, actuellement et compte tenu de ce dont nous sortons (en sortons-nous bien d'ailleurs ?) me rend quelque peu paranoïaque, voire mauvais. Ah ! l'humanisme...

Sage, Argyre ! Couché ! Donner la papatte, voi-là !

C'est bon ! j'ai pris mes herbes de la saint Jean, on peut continuer !

P.S. : merci, Hulot ! Je suis pour ma part fervent admirateur de toute prousture littéraire...

447 Dernière modification par yd (08-06-2012 20:45:30)

Re : Proust, imposture littéraire ?

Goofy n'a jamais pris de haut les amateurs de Proust : c'est moi qui ai émis l'hypothèse, sous forme de question, selon laquelle ses critiques pourraient ou devraient en réalité s'adresser plutôt à ceux qui l'« académisent » qu'à l'auteur lui-même. Cas de figure somme toute classique, non ? De la même façon Goofy pratique une lecture certes critique, mais attentive, voire studieuse, de Proust : je vois mal là pour ma part un prêche de l'inculture.

Sur l'usage de dont j'avais parcouru le TLFi trop vite :

Rem. Dont n'est pas considéré comme correct lorsqu'il est compl. d'un numéral régime; certains aut. utilisent cependant ce tour : a) avec un nom de nombre. Puis on répandit devant eux des saphirs dont il fallut choisir quatre (Maupassant, Fort comme la mort, II, 4 cité ds Grev. 1964, § 558); b) avec un indéf. numéral (cf. Grev., op. cit.).

Je reconnais que je n'aurais pas vu de problème, au moins à l'oral, avec une formulation telle que dont dix mille furent nécessaires. Sommes-nous devant un cas de souplesse grammaticale qui varierait de l'écrit à l'oral, d'un individu à l'autre, d'une formulation à l'autre ?

J'avais envisagé moi aussi la thèse humoristique dans l'usage - ou au moins dans quelques usages - que fait Proust de l'imparfait du subjonctif, puisque dans le dernier cas soulevé par Goofy, si toutefois les deux écoles c'est / ce sont + pluriel avaient cours au début du XXe siècle, Proust aura préféré ce fussent à ce fût.

Je me pose encore la question par exemple dans le cas de certaines phrases interminables, peut-être calquées des constructions en latin : j'avais envisagé un français un peu trop scolaire, or maintenant je me demande si justement Proust n'aurait pas porté ce français, qu'il aurait donc lui-même jugé un peu trop scolaire, à sa quintessence par cette forme de plaisanterie que l'on connaît chez certains élèves à l'égard du style savant. L'hypothèse ludique me plairait assez. Imaginez qu'on ait pris les Précieuses ridicules pour un éloge...

Fille légère ne peut bêcher.

448 Dernière modification par yd (10-06-2012 12:59:06)

Re : Proust, imposture littéraire ?

Je reviens sur la phrase de Maupassant citée par le TLFi : puis on répandit devant eux des saphirs dont il fallut choisir quatre.
Il y a bien un problème, car si on remplace dont par parmi lesquels, il faut ajouter en, ce qui est impossible avec dont : puis on répandit devant eux des saphirs parmi lesquels il fallut en choisir quatre.

Essayons de remplacer dont par desquels dans dont dix mille furent nécessaires, on obtient desquels dix mille furent nécessaires, cela paraît correct si l'on considère que le sujet n'a pas à être répété. Dans la formulation choisie par Proust avec dont il fallut tout court, cela ne marche plus : si on remplace dont par desquels, il faut ajouter en, ce qui est impossible avec dont, et ce qui est de toute façon impossible avec il fallut tout court : dans la phrase reprenant celle de Maupassant, en serait COD de choisir, non pas de il fallut ; avec il fallut tout court, l'option avec parmi lesquels ou desquels et ajout de en ne serait plus possible. En clair, la phrase de Proust serait encore plus fautive que celle de Maupassant : ce dernier n'aurait pu écrire puis on répandit devant eux des saphirs dont il fallut quatre, ni puis on répandit devant eux des saphirs desquels il fallut quatre et encore moins puis on répandit devant eux des saphirs parmi lesquels il en fallut quatre ou puis on répandit devant eux des saphirs desquels il en fallut quatre.

Je n'ai pas accès au Grevisse en ligne, mais je suis curieux de connaître son analyse.

Édité le 10 juin à 12h45 : j'ai repris toute la partie que j'ai mise en bleu, puisque parmi lesquels ne convient de toute façon pas en option à la phrase de Proust, mais desquels, d'entre lesquels...

Fille légère ne peut bêcher.

449 Dernière modification par Argyre (10-06-2012 12:26:49)

Re : Proust, imposture littéraire ?

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

pour la nieme (désolé, ai pas trouvé la fonction mise en exposant) fois, il n'y a pas de « faute de français » dans insouci (v. http://atilf.atilf.fr/ à l'art. concerné) ; seulement la preuve que Proust utilise en partie l'écriture de sa fin de siècle, celle, d'abord dite « artiste » (Gautier, Flaubert, les Goncourt, Huysmans...), qui deviendra « décadente » puis « symboliste ». À ce compte, ni les romanciers susnommés ni les décadents ni les symbolistes (ni d'ailleurs une bonne partie des romantiques, les baroques, les précieux, les poètes de la Pléiade, etc.) ne seraient « français » ! Plaisante thèse... qui était précisément celle d'une certaine droite et de l'extrême-droite française dans l'entre-deux guerres et pratiquement jusqu'aux années 60. V. l'ouvrage de Meschonnic déjà cité.

[Et je m'avise avec un temps de retard que le problème de cette thèse n'est pas tant son origine idéologique que son erreur historique et théorique qui consiste, en gros, en une tentative de réduction de la langue française à l'écriture classique, voire à l'idée que l'on s'en fait. Que l'on relise Pascal et Saint-Simon, autre figure tutélaire de Proust : leur style est bien peu « classique », au fond, et la syntaxe du duc bien plus torturée qu'on ne croirait. Tant il est vrai que la véritable éloquence se moque de l'éloquence et le véritable classicisme, pardon du truisme, ...du classicisme].

Couvrons-nous la tête de cendres, mes frères et mes sœurs, et flagellons-nous en cadence : nous avons lu et aimé la propagande de l'Anti-France ! rédigée, d'ailleurs, dans on ne sait trop quelle langue, du coup... Le patagon ? le volapük ? le javanais, peut-être ? Oui, ce doit être cela : Proust, plus grand auteur javanais... après Gainsbourg, bien entendu.

Questions subsidiaire : les ceussent qui trouvent que Proust n'écrit pas français (première étape, j'insiste, avant le péché mortel qui consiste à n'être pas français...) aiment-ils le rap ?

P.S. : et quand toutes ces fautes, réelles ou fantômales, seraient avérées, que prouveraient-elles ? Que Proust est un mauvais écrivain ? Alors il faudrait nous résoudre à ne plus conserver au Panthéon que Racine, Flaubert [?] et Valéry. Un peu maigre, non ?

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Re : Proust, imposture littéraire ?

Si ne pas être français n'est pas français, c'est on ne peut plus français. Ma remarque ne concernait qu'un point de grammaire, celui d'une construction avec dont, dans une seule phrase de Proust. A trop tendre l'élastique, et il faut voir ça, tout y passe, jusqu'à toute l’œuvre de Proust, jusqu'à l'homme Proust, jusqu'à ses origines ou sa religion, il va finir par vous claquer dans les doigts.

Fille légère ne peut bêcher.

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