C’est tout de même un phénomène bien curieux que ce h dit «aspiré». Dans un mot isolé, il ne s’entend absolument pas, ne devenant perceptible qu’en contexte, lorsque le mot qui le contient est précédé d’un autre dont une lettre est susceptible d’être élidée ou d’un mot avec lequel une liaison est possible; c’est alors qu’il joue son rôle d’empêcheur d’élision et de liaison. Le h aspiré lui-même ne se prononce jamais, il n’a qu’une existence en quelque sorte virtuelle. Pourtant, il a bien un rôle phonologique, puisqu’il permet de différencier des mots tout à fait identiques par ailleurs: être et hêtre, heurt et heure, etc. Mais peut-on parler d’élément phonologique dans le cas du h aspiré? Sans doute non, puisqu’il est toujours muet de toute façon, qu’il n’a aucune réalisation phonétique en soi. Mais il a le pouvoir d’influencer la réalisation phonétique des mots que le précèdent: il est donc présent sans être présent, sans se montrer. C’est un phénomène assez insaisissable, et qui, à ma connaissance, n’existe qu’en français.
Par ailleurs, ce h aspiré, qui, a une existence au minimum virtuelle, et devrait donc, à ce titre, avoir une représentation distincte à part entière dans la graphie, est en fait mal noté en français, en ce sens d’abord qu’il est représenté de la même manière que le h dit non aspiré (qui, lui, n’a aucune existence ni virtuelle, ni phonétique, ni autre, et dont la présence dans le seul code écrit n’est qu’un reliquat orthographique reflétant une situation très ancienne), et dans le sens aussi qu’il lui advient même parfois, quoique très rarement, de n’être point noté, comme p.ex. dans uhlan ou dans ululement (ce mot pouvant, il est vrai, s’écrire aussi, et plus logiquement, hululement), mais aussi dans le numéral onze («les onze mille francs»: pas de liaison). Tout cela est assez rude pour les non francophones qui apprennent notre langue: à la curiosité du phénomène en soi s’ajoute une confusion due aux inconséquences de l’orthographe. Pour être logique, on ne devrait pas noter le h dit muet ou non aspiré, et noter par un h le h aspiré partout où il se trouve, soit: huhlan, hululement, honze.
J’ai dit que le h aspiré n’était jamais prononcé, mais ce n’est pas tout à fait exact, puisqu’on continue à le prononcer dans certaines régions, notoirement dans la bonne ville de Liège («je m’en vais hhhumer l’air»), où vous passez même pour un prétentieux si vous ne le prononcez pas. Il a été prononcé, si mes informations sont exactes, jusqu’aux alentours de 1800 à Paris, tandis que le h dit muet avait disparu déjà depuis un certain temps. On peut se demander pourquoi ces h, ces sons fricatifs glottaux, n’ont pas tous disparu d’un seul coup en français, au lieu de disparaître en deux étapes, d’abord (à quelle époque?) ceux qui sont aujourd’hui nos h muets, puis ensuite (vers 1800) ceux que nous appelons aujourd’hui les h aspirés.