Sujet : Dramouss
En un autre dossier, Torsade des Pointes rapporte le jugement selon lequel la différence de style est telle entre l'Enfant noir et Dramouss que d'aucuns ont émis le soupçon que Laye Camara ait eu recours aux services d'un... nègre pour la première œuvre.
Cette accusation est à peu près contemporaine de la célèbre phrase d'André Breton, dont la pyramidale sottise lui vaudrait d'être gravée dans le marbre : « Ce noir (il parle d'Aimé Césaire) parle le français mieux qu'aucun blanc. »
Pyramidale sottise, car Aimé Césaire, agrégé de l'Université enseignait alors les Lettres Classiques : pas de quoi s'étonner qu'un agrégé s'exprime bien, il est payé pour cela !
Pyramidale sottise que d'opposer ce noir à l'ensemble indéfini des blancs : beaucoup de blancs ne parlent pas français du tout...
Cette admiration est révélatrice : l'époque se refuse à admettre qu'un Noir puisse avoir du talent. Breton s'émerveille de ce qu'un professeur de Lettres sache écrire (!!!!!), d'autres posent que Laye Camara écrit trop bien pour avoir écrit tout seul. C'est le même préjugé qui s'exprime dans ces réactions opposées.
Pour ce qui en est de Laye Camara, j'ignore totalement les tenants et les aboutissants, mais j'ai rouvert mon Dramouss.
C'est la suite de l'Enfant noir, sans l'être : le narrateur se nomme Fatoman, ce qui introduit une distance avec l'auteur : nous ne sommes plus dans l'autobiographie, mais dans le roman. Cependant, Fatoman descend, à Orly, de l'avion que Laye avait pris...
Le jour de son arrivée, il cueille cette perle, sur les lèvres d'un passant bienveillant :
« Il dit qu'il est arrivé ce soir d'Afrique, qu'il n'a jamais vécu en France, et il parle un français tout à fait correct ! »
Il n'y a pas de trame narrative proprement dite, seulement le Cahier d'un retour au pays natal, une sorte de reportage, de panorama de la Guinée des années 60 : le livre a paru en 1966.
On peut trouver certains passages bavards, mais comment mieux faire saisir la mentalité des personnages qu'en leur donnant la parole ?
On peut trouver aussi que l'ouvrage manque d'unité, comprenant deux hors d'œuvre, un conte traditionnel, et le récit d'un rêve prémonitoire, deux passages qui annoncent le Regard du Roi, au demeurant, mais tranchent sur le réalisme de l'ensemble.
L'ouvrage est un manifeste :
Libérer cette extraordinaire puissance de sympathie qui est au plus profond de chacun de nous, savoir dominer nos passions pour qu'elle émerge en nous, la rendre plus active et plus présente encore, lui donner tout son champ pour que notre appel, l'appel d'une Afrique authentique, consciente et résolument engagée dans la voie de sa sagesse tutélaire et de la raison parvienne, à tous, pour que l'incommunicable soit communiqué et l'ineffable entendu, tel est le dessein de l'auteur.
L'ouvrage aura déçu les amateurs de pittoresque facile, tout en fâchant équitablement partisans et adversaires de la colonisation. Fatoman, le narrateur, ne dit-il pas :
Certes, il y a eu des côtés négatifs dans la colonisation, je l'admets. Mais, tout compte fait, le bilan de la colonisation, dans ce pays est positif.
Pas de pittoresque, beaucoup trop de politique, et de la politique pas correcte, voilà qui explique le relatif insuccès du livre. Relatif, car Presses-Pocket le rééditait en 1974.
Pour mieux noyer le chien, on dit qu'il a la rage, et on l'accuse d'être mal écrit. Ce dernier point ne m'a pas particulièrement frappé lors de ma relecture TGV.