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Messages [ 8 ]

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Sujet : Fontenelle

Voici un extrait du célèbre ouvrage de Fontenelle :
Entretiens sur la pluralité des mondes

====================================

— Ne trouvez-vous pas, lui dis-je, que le
jour même n'est pas si beau qu'une belle
nuit ?

— Oui, me répondit-elle, la beauté du jour '
est comme une beauté blonde qui a plus de
brillant ; mais la beauté de la nuit est une
beauté brune qui est plus touchante.

— Vous êtes bien généreuse, repris-je, de
donner cet avantage aux brunes, vous qui ne
l'êtes pas. Il est pourtant vrai que le jour est
ce qu'il y a de plus beau dans la nature, et
que les héroïnes de roman, qui sont ce qu'il
y a de plus beau dans l'imagination, sont
presque toujours blondes.

— Ce n'est rien que la beauté, répliqua-t-elle,
si elle ne touche. Avouez que le jour ne vous
eût jamais jeté dans une rêverie aussi douce
que celle où je vous ai vu prêt de tomber
tout à l'heure à la vue de cette belle nuit.

— J'en conviens, répondis-je ; mais, en
récompense, une blonde comme vous me
ferait encore mieux rêver que la plus belle nuit
du monde avec toute sa beauté brune.

— Quand cela serait vrai, répliqua-t-elle,
je ne m'en contenterais pas, je voudrais que
le jour, puisque les blondes doivent être dans
ses intérêts
, fit aussi le même effet. Pourquoi
les amants, qui sont bons juges de ce qui
touche, ne s'adressent-ils jamais qu'à la nuit,
dans toutes les chansons et dans toutes les
élégies que je connais ?

— Il faut bien que la nuit ait leurs
remerciements, lui dis-je.

— Mais, reprit-elle, elle a aussi toutes leurs
plaintes. Le jour ne s'attire point leurs
confidences. D'où cela vient-il ?

====================================

Je ne suis pas sûr de précisément saisir le sens du passage mis en gras :
puisque les blondes doivent être dans ses intérêts

D'après les lignes qui précèdent (le passage), je « penche » pour ce sens :
— Quand cela serait vrai, répliqua-t-elle,
je ne m'en contenterais pas, je voudrais que
le jour,
puisque les blondes lui sont liées (comme
les brunes sont liées à la nuit)
, fit aussi le même effet.

Est-il correct de comprendre ce passage ainsi ?

2 Dernière modification par Chover (17-10-2023 09:48:37)

Re : Fontenelle

Logos a écrit:

Je ne suis pas sûr de précisément saisir le sens du passage mis en gras :
puisque les blondes doivent être dans ses intérêts

Je suis toujours un peu triste de voir qu'une intervention comme la vôtre ne provoque aucune réaction. Je n'ai pas lu Entretiens sur la pluralité des mondes et je me prends à le regretter. J'apprends sur Gallica :

Pour « instruire et divertir tout ensemble », Fontenelle présente les dernières découvertes astronomiques dans un dialogue galant : un Philosophe, inspiré par Copernic et par Descartes, entretient une jeune Marquise pleine d'esprit, et la fait rêver, pendant quelques promenades nocturnes, aux mouvements des astres et à la pluralité des mondes habités, « mondes possibles » dit-il. Le charme de ce court ouvrage tient à un mélange habile de considérations scientifiques et métaphysiques et de galanteries.

J'ai l'impression que la marquise, en disant puisque les blondes doivent être dans ses intérêts, réagit à la phrase du philosophe Il est pourtant vrai que le jour est ce qu'il y a de plus beau dans la nature, et que les héroïnes de roman, qui sont ce qu'il y a de plus beau dans l'imagination, sont presque toujours blondes. Dans la rivalité-compétition entre le jour et la nuit, si l'on s'en tient à la galanterie, c'est le jour qui l'emporte, car la blondeur des jolies femmes, à laquelle on peut le comparer, fait pencher la balance en sa faveur : tel est le sens que je donnerais, sans certitude, à « les blondes doivent être dans ses intérêts ».

Mais (devinette !) avez-vous vu la faute dans « Quand cela serait vrai, répliqua-t-elle, je ne m'en contenterais pas, je voudrais que le jour, puisque les blondes doivent être dans ses intérêts, fit aussi le même effet » ? !

Avatar : statue de Bruno Catalano

Re : Fontenelle

Logos a écrit:

Je ne suis pas sûr de précisément saisir le sens du passage mis en gras :
puisque les blondes doivent être dans ses intérêts

D'après les lignes qui précèdent (le passage), je « penche » pour ce sens :
— Quand cela serait vrai, répliqua-t-elle,
je ne m'en contenterais pas, je voudrais que
le jour,
puisque les blondes lui sont liées (comme
les brunes sont liées à la nuit)
, fit aussi le même effet.

Est-il correct de comprendre ce passage ainsi ?

Oui, c'est à peu près cela. Selon l'Académie : Être, entrer dans les intérêts de quelqu’un, c'est « lui être, lui devenir favorable, lui apporter son aide, son appui. » Les blondes sont venues au soutien du jour dans l'argumentation développée, et puisqu'elles font rêver plus que la plus belle nuit, il faudrait que le jour fît aussi rêver plus que la plus belle nuit. La comparaison est artificielle et sur le ton de l'aimable badinage.

Re : Fontenelle

Chover a écrit:

Mais (devinette !) avez-vous vu la faute dans « Quand cela serait vrai, répliqua-t-elle, je ne m'en contenterais pas, je voudrais que le jour, puisque les blondes doivent être dans ses intérêts, fit aussi le même effet » ? !

Une faute selon les conventions orthographiques d'aujourd'hui, assurément. Mais il est amusant de regarder de vieilles éditions de l'ouvrage. Voici par exemple celle de 1736 :

https://i.ibb.co/42W5S7F/Capture-d-cran-2023-10-17-152829.jpg

On observe que, quoique l'accent circonflexe soit assez largement distribué dans l'ouvrage (cf.eût, vû, prêt, vûë, rêver, être, intérêts, même) , il n'y en a point sur le "fit" qui est pourtant au subjonctif. Et ce n'est pas une erreur isolée ; aucune des multiples occurrences du subjonctif "fît" dans l'ouvrage ne porte l'accent caractéristique d'aujourd'hui.

Comparons le même passage dans l'édition originale de 1686 :

https://i.ibb.co/8DFtwjb/Capture-d-cran-2023-10-17-153059.jpg
https://i.ibb.co/84fq9js/Capture-d-cran-2023-10-17-153159.jpg

Point de circonflexe sur les mots visés plus haut, écrits à l'ancienne : eust, veu,prest, veuë, resver, estre, interests, mesme. Et notre imparfait du subjonctif se distingue bien du passé simple car il s'écrit fist.

Il y aurait quelques autres remarques orthographiques classiques à faire, mais aussi une remarque touchant une tournure qu'on considère souvent comme fautive aujourd'hui : prêt de qui mélange près de et prêt à. C'était tout à fait courant à l'époque classique.

5

Re : Fontenelle

Chover a écrit:

Mais (devinette !) avez-vous vu la faute dans « Quand cela serait vrai, répliqua-t-elle, je ne m'en contenterais pas, je voudrais que le jour, puisque les blondes doivent être dans ses intérêts, fit aussi le même effet » ? !

Oui, c'est une erreur de transcription de ma part.
Il aurait fallu le subjonctif « FÎT » ; dans le texte de Fontenelle il y a aussi un point juste avant « Je voudrais que... » :
« Quand cela serait vrai, répliqua-t-elle, je ne m'en contenterais pas. Je voudrais que le jour, puisque les blondes doivent être dans ses intérêts, fît aussi le même effet ».

Question naïve : « FÎT » est-il un subjonctif passé ou présent (que l'on pourrait donc remplacer par « FASSE ») ?

Le texte corrigé :

— Ne trouvez-vous pas, lui dis-je, que le
jour même n'est pas si beau qu'une belle
nuit ?

— Oui, me répondit-elle, la beauté du jour '
est comme une beauté blonde qui a plus de
brillant ; mais la beauté de la nuit est une
beauté brune qui est plus touchante.

— Vous êtes bien généreuse, repris-je, de
donner cet avantage aux brunes, vous qui ne
l'êtes pas. Il est pourtant vrai que le jour est
ce qu'il y a de plus beau dans la nature, et
que les héroïnes de roman, qui sont ce qu'il
y a de plus beau dans l'imagination, sont
presque toujours blondes.

— Ce n'est rien que la beauté, répliqua-t-elle,
si elle ne touche. Avouez que le jour ne vous
eût jamais jeté dans une rêverie aussi douce
que celle où je vous ai vu prêt de tomber
tout à l'heure à la vue de cette belle nuit.

— J'en conviens, répondis-je ; mais, en
récompense, une blonde comme vous me
ferait encore mieux rêver que la plus belle nuit
du monde avec toute sa beauté brune.

— Quand cela serait vrai, répliqua-t-elle,
je ne m'en contenterais pas. Je voudrais que
le jour, puisque les blondes doivent être dans
ses intérêts, fît aussi le même effet. Pourquoi
les amants, qui sont bons juges de ce qui
touche, ne s'adressent-ils jamais qu'à la nuit,
dans toutes les chansons et dans toutes les
élégies que je connais ?

— Il faut bien que la nuit ait leurs
remerciements, lui dis-je.

— Mais, reprit-elle, elle a aussi toutes leurs
plaintes. Le jour ne s'attire point leurs
confidences. D'où cela vient-il ?

Fontenelle est un auteur dont, à "mon époque", les professeurs parlaient au lycée, en classe de première, et qu'ils présentaient, autant que je me souvienne, comme penseur, philosophe faisant en quelque sorte la transition entre le XVIIe et le XVIIIe siècle (on étudiait souvent le passage des Entretiens où il était conjecturé qu'un jour des hommes pourraient se rendre sur la Lune ; on évoquait souvent cet auteur en même temps qu'un autre auteur précurseur de la pensée du XVIIIe siècle : Pierre Bayle).

Entretiens sur la pluralité des mondes est un véritable petit bijou littéraire qui mériterait d'être redécouvert :
la langue est savoureuse et l'on sent constamment poindre l'humour de Fontenelle ; en outre l'ouvrage présente l'intérêt d'exposer de manière claire et ramassée l'état des connaissances astronomiques à la fin du XVIIe siècle.

6

Re : Fontenelle

Une simple remarque.

Dans le texte de Fontenelle, la belle marquise est, comme il se doit (?), blonde.
La Princesse de Clèves (roman de Madame de Lafayette, écrit à la même époque que les Entretiens) l'est aussi, je crois.

Fontenelle fait dire au Philosophe ceci :
Vous êtes bien généreuse, [...], de
donner cet avantage aux brunes, vous qui ne
l'êtes pas. Il est pourtant vrai que le jour est
ce qu'il y a de plus beau dans la nature, et
que les héroïnes de roman, qui sont ce qu'il
y a de plus beau dans l'imagination, sont
presque toujours blondes.

En passant, je remarque aussi que dans le poème de Heine Die Lorelei, écrit au XIXe siècle,
la femme (la Lorelei) qui séduit et mène à leur perte les bateliers est elle-même
"excessivement" blonde.

C'est assez étrange, ce privilège souvent donné aux femmes blondes dans la littérature des temps passés !

Re : Fontenelle

Anny Playden était blonde, de toute façon.

Puisque les blondes doivent être dans ses intérêts = "puisque les blondes ont nécessairement partie liée avec lui...".

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

8

Re : Fontenelle

Logos a écrit:
Chover a écrit:

Mais (devinette !) avez-vous vu la faute dans « Quand cela serait vrai, répliqua-t-elle, je ne m'en contenterais pas, je voudrais que le jour, puisque les blondes doivent être dans ses intérêts, fit aussi le même effet » ? !

Oui, c'est une erreur de transcription de ma part.
Il aurait fallu le subjonctif « FÎT » ; dans le texte de Fontenelle il y a aussi un point juste avant « Je voudrais que... » :
« Quand cela serait vrai, répliqua-t-elle, je ne m'en contenterais pas. Je voudrais que le jour, puisque les blondes doivent être dans ses intérêts, fît aussi le même effet ».
Question naïve : « FÎT » est-il un subjonctif passé ou présent (que l'on pourrait donc remplacer par « FASSE ») ?

D'un point de vue strictement grammatical, on a affaire à un subjonctif imparfait. Le subjonctif passé est une forme composée du verbe : pour « faire », « qu'il ait fait ». À l'époque de FONTENELLE, le subjonctif imparfait s'imposait dans la subordonnée amenée par un verbe au conditionnel présent. En français d'aujourd'hui, on ne trouve plus guère que « il faudrait qu'il fasse ».
Mais j'ai l'impression que vous avez à l'esprit un sens moins grammatical de « passé » : effectivement, l'hypothèse que le jour fasse le même effet que la nuit n'est pas envisagée dans le passé.

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