Lévine a écrit:Vous niez donc toute perspective historique dans la création du français.
Dites-le clairement.
Je ne nie pas l'évolution diachronique des mots mais je dis qu'elle est précédée d'un conditionnement sémantique de séquences bilittérales et littérales qui datent certainement du latin, voire parfois du grec. Il est probable que, même pour ces langues, le conditionnement est issu d'onomatopées dont nous n'avons pas de traces ou très peu.
Vous cherchez la vérité en remontant le passé, ce qui n'a pour moi qu'un intérêt relatif, car je préfère examiner les mots à leur stade actuel d'évolution (en synchronie).
Si les unités que je nomme codons sont conditionnées depuis plusieurs millénaires à des sens précis et ce, de manière stable, on doit retrouver ces sens (inconscients) dans le corpus des mots actuels porteurs de ces codons.
Je viens de citer dans un message précédent des onomatopées de quelques années, voire siècles, comportant la consonne t. Cela avait pour but de mettre en évidence une certaine stabilité dans le temps de ces onomatopées.
Je vais tenter, sans trop y croire, de vous montrer que l'on peut se contenter d'examiner un corpus de mots actuels pour retrouver une notion constante de coup (rythmé) derrière la consonne t, qui s'est généralisé à la notion de temps.
L'écho du tam-tam
La première consonne de tympan commence par une consonne occlusive explosive dentale ''t'' qui évoque la notion de coup, celui d'un choc rythmé, répété comme ceux des claquements de dents lorsqu'on est terrifié et comme ceux frappés sur le tam tam, le tambour (son origine étymologique), une caisse dont le fond est formé d'une peau tendue analogue à la membrane du tympan. Ce phonème / t / résonne tambour battant dans une batterie de mots qu'il initie, toute une volée de coups :
_______________________________________________________________________________
tape, torgnole, tournée, tabassée, taloche, tarte, tannée, talmouse, tatouille, ratatouille, taquet, torchée, toper, taquer, touiller, tuméfier, tailler en pièces, tomber (sous les coups), tarauder jusqu'à torturer, voire tuer ou buter lors du coup fatal. Quel sale t ! Le phonème peut être accentué à l'intérieur du mot pour évoquer ce coup : heurter, attaquer, marteler, souffleter, calotter, brutaliser, botter, lutter, bastonner, chicoter, éreinter, fouetter, châtier, estourbir, chuter, châtaigne, estocade, frottée, battue, bataille, contusion, attentat,... C'est aussi les coups de bâton, de latte et de batte, de tête, de torchon, des coups de tabac du gros temps pour les marins dans la tourmente de la tempête. Intempéries, perturbations ou turbulences météorologiques peuvent devenir des cataclysmes lors de violentes tornades ou de typhons.
———————————————————————————————————————————————————————————————————
Le coup peut n'être que sonore tel celui du tonnerre, le bruit naturel le plus éclatant, résonnant, repris par les coups de feu de pistolet, des tirs, pétards ou pétoires qui percutent et se répercutent, un tapage, un bruit tonitruant, un tintouin qui tinte comme une volée de cloches pour sonner le tocsin. Leur timbre accélère les battements ''tip tap'' ou ''boum tac'' de nos cœurs palpitants jusqu'à la tachycardie. Tout un tohu-bohu! ''Tacatac'' imite les tirs répétés de la mitraillette et tut-tut celle du klaxon d'une automobile. Le tac tac des talons aiguilles sur le trottoir résonne comme le tagada du galop du cheval ou le « ta-ta-tam du train ».
La notion de coup n'échappe pas à nos téléphones puisque nous passons des coups de fil qui font tinter à répétition la sonnerie chez notre correspondant. Mais, si en général nous sommes réactifs à ces sons répétés, nous avons perdu, hormis les Poètes avec leurs rimes et assonances, la conscience des sons qui résonnent à longueur de phrases dans nos mots.
Toc toc ! Puis-je entrer, dit l'inconscient qui tambourine en vain contre nos tympans. Le bruit des coups de doigts sur la porte est traduit en anglais par l'onomatopée ''ratatap'' ! Pourtant le torrent tumultueux que forme le flot de ces onomatopées ne débouche que... dans le Fleuve de l'Oubli pour Saussure. Tout ce tintamarre, auquel ''s'amarre le tintement'' de ce phonème /t/, ne parvient pas à réveiller nos consciences. L'air (''r'') de rien, la mort a englouti le mot. Les envolées de la Plume des Poètes tentent de lui rendre ses Ailes. Mais nous ne percevons plus sa lumière. La chandelle s'est éteinte. La raison a tué la résonance et le sens caché. Nous sommes devenus sourds. « Frères Jacques, dormez-vous ? Sonnez les matines». Il est temps de sonner les cloches à la conscience endormie.
La voix peut pourtant s'accentuer, tonner lors de coups de gueule pour tancer, attaquer, fustiger, ameuter, critiquer, tempêter, voire crier à tue-tête. Le petit coup de langue avec libération explosive de l'air pour prononcer cette consonne provoque des vibrations qui viennent frapper la membrane souple de nos tympans transmettant mécaniquement l'énergie vibratoire aux trois osselets de l’oreille moyenne. Le marteau vient ainsi heurter l'enclume. À nous de mettre le pied à l'étrier pour entendre autrement et donner un coup de talon à Pégase.
Le coup du tambour rythme la danse (Tanz allemande), caractérisée par ses temps tels le tango, la tarentelle, la gavotte ou le cotillon. Cette notion de rythme explique l'usage du t pour évoquer le temps humain, une lettre qu'emploient les physiciens pour le symboliser. Le tic tac régulier de nos montres ou tocantes illustre l'écoulement du temps apprécié par l'intervalle entre deux coups. Au troisième top il sera 10 heures ''tapantes''. Le Titan Cronos dévore toujours ses enfants à grands coups de dents qui leur flanquent les chocottes ! Tôt ou tard il les croquera ! Zeus lui-même y échappa de peu.
Chronos, le dieu du temps, est son double phonétique. Les hommes tentent de le fuir à toute vitesse, en hâte ils se précipitent, en un tournemain magique ils croient se tailler, mais ils foncent à tombeau ouvert contre le mur. Hantés par leur passé, ils pensent le maintenir au présent, maintenant, en entassant des biens, mais ils ne font que participer à la fuite matérialiste en avant. Tuer le temps. Ce n'est que temporisation, il les attend déjà dans le futur. Il sait que l'Homme finira toujours par tituber et tomber, que sa course terrestre ventre à terre n'est qu'une course folle. Le tic tac est sa tactique perpétuelle. C'est pour bientôt. La victime aveuglée goûte ses derniers instants.
Pas facile pour vous d'entendre les mots autrement. Il suffit pourtant d'écouter le tintement du t dans ces mots qui désignent des référents pour lesquels il est question d'abord de coups (rythmés), puis de temps.
Science sans conscience n’est que ruine de l’âme !