Sujet : Questions relatives à une œuvre de Molière
On sait que dans la magistrale pièce de théâtre de Molière Dom Juan ou le Festin de pierre, le personnage principal, Don Juan, a forcé "l'obstacle sacré d'un convent pour mettre Done Elvire en sa puissance".
Selon son stratagème habituel, Don Juan épouse les femmes qu'il a séduites, mais finit toujours par les abandonner peu après.
L'expression "mettre en sa puissance", utilisée par Molière à l'acte I, scène I, signifie-t-elle bien dans son contexte quelque chose comme "séduire, enlever, puis épouser" ?
Dans la pièce, Done Elvire n'échappe pas au sort qu'ont connu toutes les précédentes "conquêtes amoureuses" de Don Juan.
Voici un extrait de la scène III de l'acte I, où Done Elvire vient à la rencontre de Don Juan pour lui demander des explications sur son départ.
DONE ELVIRE :
[...]
Que ne me jurez-vous que vous êtes toujours dans les mêmes sentiments pour moi, que vous m’aimez toujours avec une ardeur sans égale, et que rien n’est capable de vous détacher de moi que la mort ! que ne me dites-vous que des affaires de la dernière conséquence vous ont obligé à partir sans m’en donner avis, qu’il faut que malgré vous vous demeuriez ici quelque temps, et que je n’ai qu’à m’en retourner d’où je viens, assurée que vous suivrez mes pas le plus tôt qu’il vous sera possible : qu’il est certain que vous brûlez de me rejoindre, et qu’éloigné de moi, vous souffrez ce que souffre un corps qui est séparé de son âme. Voilà comme il faut vous défendre, et non pas être interdit comme vous êtes.
DOM JUAN :
Je vous avoue, Madame, que je n’ai point le talent de dissimuler, et que je porte un cœur sincère. Je ne vous dirai point que je suis toujours dans les mêmes sentiments pour vous, et que je brûle de vous rejoindre, puisque enfin il est assuré que je ne suis parti que pour vous fuir ; non point par les raisons que vous pouvez vous figurer, mais par un pur motif de conscience, et pour ne croire pas qu’avec vous davantage je puisse vivre sans péché. Il m’est venu des scrupules, Madame, et j’ai ouvert les yeux de l’âme sur ce que je faisais. J’ai fait réflexion que pour vous épouser, je vous ai dérobée à la clôture d’un couvent, que vous avez rompu des vœux, qui vous engageaient autre part, et que le Ciel est fort jaloux de ces sortes de choses. Le repentir m’a pris, et j’ai craint le courroux céleste. J’ai cru que notre mariage n’était qu’un adultère déguisé, qu’il nous attirerait quelque disgrâce d’en haut, et qu’enfin je devais tâcher de vous oublier, et vous donner moyen de retourner à vos premières chaînes. Voudriez-vous, Madame, vous opposer à une si sainte pensée, et que j’allasse, en vous retenant me mettre le Ciel sur les bras, que par... ?
DONE ELVIRE :
Ah ! scélérat, c’est maintenant que je te connais tout entier, et pour mon malheur, je te connais lorsqu’il n’en est plus temps, et qu’une telle connaissance ne peut plus me servir qu’à me désespérer ; mais sache que ton crime ne demeurera pas impuni ; et que le même Ciel dont tu te joues, me saura venger de ta perfidie.
DOM JUAN :
Sganarelle, le Ciel !
SGANARELLE :
Vraiment oui, nous nous moquons bien de cela, nous autres.
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On voit que Done Elvire interrompt la longue tirade que Don Juan lui adresse (tirade que Don Juan paraît d'ailleurs tout proche d'achever à ce moment-là) :
DON JUAN :
"[...] Voudriez-vous, Madame, vous opposer à une si sainte pensée, et que j'allasse, en vous retenant me mettre le Ciel sur les bras, que par... ?".
DONE ELVIRE :
"Ah ! scélérat, c’est maintenant que je te connais tout entier [...]".
Est-on capable d'imaginer en quelques mots ou phrases ce que Don Juan aurait ajouter s'il n'avait été interrompu par sa furieuse épouse ?
(Moi, je sèche).
Dans un entretien à la télévision française, un écrivain et théoricien littéraire dont je ne me souviens plus avec certitude du nom (je crois qu'il s'agit de Georges Steiner) a déclaré que parmi tous les grands mythes que l'Occident possède, le seul qui n'ait pas été forgé en Grèce antique est celui de Don Juan.
Le journaliste qui interrogeait l'écrivain lui a alors fait remarquer qu'il existe tout de même aussi le mythe de Faust, né au Moyen Âge, et l'écrivain de répondre : Faust c'est Prométhée.
Que penser de ce point de vue ?
Les dieux du panthéon grec consacrent me semble-t-il une large part du temps sans limite dont ils disposent au "jeu de l'amour".
Ne peut-on considérer que c'est là déjà une forme de donjuanisme "avant Don Juan" ?