Dans le fil
https://www.languefrancaise.net/forum/v … 44#p196144
Lévine a écrit:[moi] Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;
Rimbaud, Le Bateau ivre.
Lévine a écrit:vh a écrit:Sont-ce les cieux bleu outremer ?
Je n'ai jamais posé la question à Rimbaud. C'est un peu les deux : la couleur du ciel, mais aussi les contrées mystérieuses situées dans un espace mystique, très au-delà des cordes des haleurs, juste entrevues dans leur magnificence...
... et qui feront dire au poète (pardon, au bateau) :
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir !
Ylou a écrit:Ce n'est évidemment pas par hasard que Rimbaud a choisi "ultramarins" qui évoque, au-delà de la couleur, des espaces inconnus à explorer, mieux que le ferait '"outre-mer", terme plus courant.
Sans doute aussi les sonorités s'accordent-elles à la rugosité de ces espaces sauvages.
Il est certain que Rimbaud aime forger des mots ou utiliser des mots rares, rassembler des images de couleurs surprenantes. Pas loin, on trouve les "azurs verts" puis les "bleuités".
Où a-t-il pêché "ultramarin(s)" ?
Le mot existait avant lui, mais le connaissait-il ? C'était en français un mot peu employé. En revanche, il existait en anglais et en allemand pour traduire la couleur de bleu d'outremer.
C'est par une paresse de traduction de l'anglais qu'on trouve le mot dans les Annales de Chimie et Physique, tome 17, publiées en 1821 par Gay-Lussac et Arago.
L'eau de l'Océan , dit M. Scoresby, est, comme on sait, aussi transparente et aussi dépourvue de toute couleur que celle des sources les plus pures. C'est uniquement dans les lieux où la mer est très-profonde que l'eau paraît acquérir une teinte déterminée et permanente. Cette teinte est ordinairement un bleu ultramarin (ultramarine), qui diffère très-peu du bleu que nous offre l'atmosphère quand elle est dégagée de nuages et de vapeurs.
https://books.google.fr/books?id=fcj-OD … mp;f=false
Le traducteur a collé au plus près au texte anglais et a mis l'expression en italiques.
Je doute que cela fît partie des lectures du jeune Rimbaud. En revanche, on trouve dans la revue scientifique Les Mondes, des années 1870-1871 (celles de la rédaction du Bateau ivre), ceci par exemple :
J'ai donc dû être parfaitement libre de préventions dans mes observations faites ici; elles établissent d'une manière indubitable que quand l'eau de la mer est verte, elle contient de la matière fine en suspension, et que si elle a une couleur ultra-marine, et plus spécialement une couleur indigo foncé, elle ne contient pas de cette matière en suspension.
Le mot était dans l'air... ou dans la mer ! Au sens de la couleur.
Dans le Tableau de l'Angleterre pour 1780, publié en 1783, je vois l'autre sens d'ultramarine apparaître :
Les forces de mer de la Grande Bretagne. [...]
Depuis ce tems elle s'est aggrandie par degrés. Olivier Cromwell fut le premier qui se servit de bons Amiraux, et la conquête de la Jamaique avec les établissemens en Amerique continuerent de former d'excellens Marins pour les Flottes de l'Angleterre; et c'est encore à son commerce immense qu'elle doit ses forces de mer. Rétrécissez les possessions ultramarines de l'Angleterre, et vous lui oterez la pépinière des Matelots pour l'équipement de ses Flottes, qui naturellement se fondront.
https://books.google.fr/books?id=5sVbAA … mp;f=false
Il est bien possible que ce soit aussi un anglicisme car je trouve "ultramarine possessions" à des dates antérieures dans des livres anglais. Une influence de l'espagnol n'est pas non plus à exclure.
Mais bien sûr, Rimbaud a pu aisément recréer le mot, dans l'un ou l'autre sens, même s'il ne l'a pas pris tout fait dans ses lectures.