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Le forum d'ABC de la langue française

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Revue du sujet (plus récents en tête)

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J'aurais dû préciser que chez Wace, le mot Normanz désigne tantôt les peuples scandinaves, tantôt les Normands de France et d'Angleterre dont il décrit l'histoire dans la geste de Rou (= Rollon). C'est aux peuples du Nord que je faisais allusion. Quant aux Danois, ils sont souvent cités à part : la géographie humaine n'est guère rigoureuse au XIIème siècle, de même que la chronologie...

Oui, Alco, la langue est un marqueur social (passons...) et littéraire : tel auteur moderne choisit une écriture et bien sûr un style qui ne sont pas nécessairement ceux de tous ses livres (qu'on songe à Giono, à Gary...) ; l'auteur médiéval choisit une "langue" adaptée à tel genre, surtout quand ce dernier est particulièrement normé. Adam de la Halle l'illustre à merveille, au point d'avoir fait croire à deux auteurs différents au XIXème siècle (Adam de la Halle et Adam le Bossu) : dialecte picard (jamais vraiment pur, rien que parce que l'œuvre est en vers) dans le Jeu de la Feuillée, français central dans sa lyrique courtoise, comme presque tous les trouvères, de quelque région qu'ils proviennent, langue mêlée dans les Jeux-partis (sortes de discussions rhétoriques en vers) et le fameux Jeu de Robin et de Marion.

19

Chover a écrit:

J'ai tout de même du mal à concevoir que le normand ait pu être ressenti comme « non français ».

À partie du moment où on a conscience d'une langue commune, les dialectes sont des spécificités régionales. Il ne s'agit pas de dire que le normand est non français, puisque c'est un dialecte d'oïl, mais il faut considérer que le français, pour Marie de France et d'autres auteurs, est la langue dans laquelle ils ont choisi de s'exprimer, peut-être pour le prestige qu'elle a acquis, mais aussi pour la diffusion plus large qu'elle permet aux œuvres.

18

Un échange de haut niveau.

Au message 11, Lévine a écrit:

pas une ne fait explicitement référence au "francien", toutes se rapportent au pays pris dans son ensemble, par opposition aux non-français (Breton, Normands, Danois, etc...). On sait qu'au début du Lai du rossignol, Marie de France évoque l'anglais, le français et le Breton : elle n'évoque en rien le dialecte "anglo-normand" qu'elle parle en fait (en le nommant autrement, bien sûr)

Le danois éventuellement parlé alors sur le territoire considéré l'était-il par des descendants des Vikings ?
Je suppose par ailleurs que le normand, et probablement aussi l'anglo-normand, en gardaient des traces, puisque c'est encore le cas de la toponymie locale d'aujourd'hui. J'ai tout de même du mal à concevoir que le normand ait pu être ressenti comme « non français ».

17

Merci Abel. Je connais la théorie de Lodge : prendre la langue par le bas, c'est à dire du point de vue du locuteur lambda est illusoire pour le Moyen Age... Ce que j'ai dit plus ne vaut évidemment que pour la langue littéraire, la seule qui nous soit accessible.
Non, Alco, je n'irai pas jusqu'à la conscience d'une communauté française ; simplement, en un temps où les dialectes se diversifient de plus en plus (IX-Xème siècles, un "choc des différences", comme dirait Lodge, suivi d'un précipité où la variété s'apprécie toujours.

16

Merci. Le site academia.edu propose aussi un certain nombre d'études autour de ce sujet.

15

J'ai parcouru les rayons de ma bibliothèque et retrouvé "Le français, Histoire d'un dialecte devenu langue", de R. Anthony Lodge, chez Fayard, 1993. Il contient de nombreuses pages qui vous intéresseraient.

14

Lévine a écrit:

Vers 1113, l'usage d'un français commun est nécessaire à toute œuvre cherchant une diffusion significative :

Cet argument me paraît plus convainquant que celui de vouloir élaborer une langue commune avec la conscience d'appartenir à une communauté française avant l'heure.

13

Tout clerc a reçu une éducation latine et religieuse, mais tous les clercs ne sont pas des religieux. On peut leur donner le nom moderne d' "intellectuels", et ces intellectuels promeuvent depuis longtemps une littérature spécifiquement française avec les moyens de diffusion ordinaires : lectures orales, copies, échanges ou ou dons de manuscrits au sein des cours ducales ou comtales (cours royales plus tardivement)... Peut-on imaginer un seul instant les aventures de Roland, celles de Tristan et Iseut ou des chevaliers de la Table Ronde, la poésie courtoise écrites en latin ? Les clercs voyageaient, comme l'atteste la provenance de nombreux manuscrits, et chacun d'entre eux avait son dialecte, mais les contacts mutuels favorisaient ce que l'on peut appeler un "colinguisme" (J. Picoche) ; c'est pourquoi la plupart des textes n'ont qu'une "coloration dialectale" plus ou moins prononcée.

Vers 1113, l'usage d'un français commun est nécessaire à toute œuvre cherchant une diffusion significative :

Philippe de Taün
en franceise raisun (= langage (langue))
ad estrait Bestiaire, (= traduit)
un livre de grammaire (= latin),
[...]

Eh oui, il faut "traduire" !

Un seul trait anglo-normand : raisun au lieu de raison.

12

Merci pour ce développement très intéressant. L'élaboration d'une langue commune va de pair avec des déplacements que les clercs effectuaient d'une abbaye à l'autre. Mais pour quelle raison promouvoir une langue commune parmi ces clercs qui avaient été élevés, chacun dans son cercle familial, dans un dialecte particulier ? Le latin suffisait bien et il était bien établi depuis des siècles comme langue universelle (du moins à l'échelle de l'Europe). Peut-être les rapports avec le monde séculier y étaient-ils pour quelque chose, monde séculier qui devait s'exprimer dans une langue romane et était peu familier du latin. On sait que les seigneurs se faisaient lire (je crois qu'on ne lisait qu'à voix haute) des romans courtois et des chansons de geste. Mais l'œuvre d'un Chrétien de Troyes, par exemple, suppose l'existence d'une langue commune en amont, et son enseignement. Tout cela reste bien mystérieux pour moi.

11

Cerquiglini a raison quand il dit que le terme moderne de francien ne recouvre aucune réalité, même si les habitants des régions centrales de l'aire d'oïl parlaient bien une ou des langues !!! J'ai naguère cherché chez Wace toutes les occurrences du terme "francois" (une trentaine) et pas une ne fait explicitement référence au "francien", toutes se rapportent au pays pris dans son ensemble, par opposition aux non-français (Breton, Normands, Danois, etc...). On sait qu'au début du Lai du rossignol, Marie de France évoque l'anglais, le français et le Breton : elle n'évoque en rien le dialecte "anglo-normand" qu'elle parle en fait (en le nommant autrement, bien sûr) ; cet exemple est précieux parce qu'il se réfère à la langue et non à des peuples, comme chez Wace. Dès le XIIème, il existe un "français" commun, qu'on écrit ou parle en haut-lieu (?), mais qui ne correspond sûrement pas à la langue familière.
Par contre, Cerquiglini me semble avoir tort quand il prétend que ce "français" n'est décrit nulle part, alors que les manuels de grammaire historique le prennent justement pour modèle, voire pour référence... Et c'est lui que j'appelle le "français central", non par référence à une aire géographique impossible à déterminer précisément, mais parce que cette langue s'est formée à partir de traits communs, comme une confluence, et en écartant ce qu'il y avait de plus atypique phonétiquement ou morphologiquement (surtout phonétiquement, l'usager prenant essentiellement conscience de la langue par ses sons et leur "prononciation"). Seuls des clercs qui lisent, écrivent et diffusent pouvaient avoir cette conscience et s'atteler à une telle entreprise, peut-être au seuil de l'an 1000.