Anastasia K a écrit:« Je n’ai jamais dit : l’Art pour l’Art ; j’ai toujours dit : l’Art pour le Progrès. » !!! Magnifique formule de Hugo, bien que je sois totalement allergique à cette idée.
Contrairement au réalisme naturaliste qui rend compte de la réalité brute, telle quelle, le « réalisme symboliste » ne témoignerait-il pas plutôt d’une recherche de Vérité, « l’intérieur des choses » selon Plotin, à travers les apparences illusoires du monde sensible ?
Le réalisme, même naturaliste, opère toujours sur une réalité choisie du seul fait que l'écrivain ne rédige pas des traités de sociologie ou d'anthropologie, mais des romans. Ce que j'aime dans Zola, c'est moins la réalité "telle qu'elle est" que la puissance de ses mythes (l'Assommoir, Germinal, la Bête humaine, etc...).
Oui, tout à fait, bien que cette "vérité" varie évidemment suivant les auteurs et qu'on hésite toujours entre une quête mystique authentique et une alchimie du langage. La question ne se pose évidemment pas que pour les Symbolistes. En clair : la poésie n'est-elle pas affaire que de mots ? Je n'ai jamais résolu cette question.
Anastasia K a écrit:La peinture de Louis Welden Hawkins, Le foyer, me semble être une sorte d’équivalent pictural de la suggestion/traduction que vous reprochez à Baudelaire. Le style est réaliste, presque photographique, mais l’œuvre suggère une présence mystérieuse, inquiétante, fantomatique.
Le problème de la peinture, c'est qu'avant l'art moderne, elle propose toujours une "image" reconnaissable par celui qui la voit, que ce soit de l'ordre de la simple "imitation" ou du symbole.
Anastasia K a écrit:À propos de Van Gogh, Aurier écrivait : « sous cette chair très chair, sous cette matière très matière, gît, pour l'esprit qui sait l'y voir, une pensée, une Idée, et cette Idée, essentiel substratum de l'œuvre, en est, en même temps, la cause efficiente et finale. » Si la peinture de Hawkins, à l'inverse, semble presque immatérielle, désincarnée, elle est aussi énigmatique, rêvée...
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/ … _Foyer.jpg
Il me semble qu'on peut en dire autant de chaque grande œuvre : lisez ce que Huysmans fait dire à Durtal à propos d'une crucifixion de M. Grünewald au début de Là-bas (dont le titre est très évocateur ; "là-bas", c'est ce que j'appelle "l'ailleurs" en poésie.)
Anastasia K a écrit:Donc selon vous, ce que les symbolistes (certains symbolistes) ne seraient pas parvenus à faire (une transformation totale du langage poétique), les surréalistes l’auraient accompli ?
Accompli, c'est vite dit. La différence, c'est qu'avec l'écriture automatique, ils prétendaient bannir la conscience, le travail, le souci de faire de la "littérature". Autre chose : même si leur recherche s'apparente parfois à une quête mystique, il n'y a pas pour eux de transcendance : la "vraie vie", c'est la nôtre débarrassée du carcan de la raison et des convenances. L'ailleurs est immanent au monde et chacun peut le saisir pour peu qu'il fasse le vide dans son esprit et qu'il accueille, non pour en rendre compte, mais pour y participer pleinement, "la voix qui continue à prêcher au-delà des orages". Dans son premier Manifeste du Surréalisme, A. Breton prend l'exemple d'une image obsédante qu'il avait eue un jour : un homme "coupé en deux par une fenêtre" ; il s'est aperçu qu'elle était née d'un simple redressement de l'image d'un homme accoudé à cette fenêtre... On n'est plus ici dans la symbolique, comme vous le voyez.
Anastasia K a écrit:Votre déclaration d’amour à Apollinaire est admirable. Il n'est rien de plus beau que le culte d’un poète, d’un écrivain ou d’un artiste…
J'ai découvert Apollinaire en classe de seconde, et la révélation a été foudroyante et durable.
J'aime aussi beaucoup Reverdy, Claudel, Éluard, Saint-John Perse, Anna Akhmatova...
Anastasia K a écrit:Je vous remercie encore pour ces longues explications, qui dépassent très largement mes attentes. Comme Chover, votre érudition me laisse sans voix !
Merci, vous êtes très aimable, ainsi que Chover, mais l'érudition, c'est tout à fait autre chose. Je suis simplement content de parler de ce que j'aime. Et entre nous, de la part d'un prof' de lettres, c'est le moins qu'on puisse attendre...
Merci du lien. Le tableau laisse bien entrevoir ce qu'il peut y avoir au-delà des barrières...