Parfaitement ! Mon champ d'étude concerne l'histoire de l'art et je rencontre les mêmes difficultés à définir cette "tendance diffuse" (Rodolphe Rapetti) qu'est le symbolisme. Si vous souhaitez lire le début de mon travail qui traite de cette question, je me permets de le joindre ci-dessous.
Une étude sur le symbolisme, lorsqu’il s’agit d’un travail aussi protocolaire que le mémoire de recherche, assurément, cela ne va pas de soi et on ne saurait donner plus juste conseil que celui exprimé par Baudelaire dans son Salon de 1846 :
« Ainsi, le meilleur compte rendu d’un tableau pourra être un sonnet ou une élégie ».
Défions-nous de l’érudition ! disent en cœur les symbolistes, défions-nous du formidable orgueil qui cherche à résoudre l’Énigme. N’est-ce pas l’hubris qui inspira à Œdipe sa réponse au Sphinx, et la démesure de sa raison qui le précipita dans un tourbillon de crime monstrueux ? Si Ingres réalisa un portrait du héros en pleine possession de son cogito triomphant — l’œil victorieux, dardé en direction de la bête féminiforme — Gustave Moreau, à rebours de l’esprit néo-classique, en donnera une version plus énigmatique, où Œdipe, loin d’affronter le Sphinx comme un ennemi, se laisse envouter par l’indissoluble mystère de son regard. « Au milieu d’une société rationaliste et superficielle, affamée de logique, pleine de discours, sacrifiant aux dieux du plaisir, et préférant toujours avec un instinct des plus sûrs la convention à la création » , au milieu de cette société, le symbolisme apparaît, « chargé d’une mission de profondeur et de ténèbres » (Pierre Jean Jouve)
Malgré ces mises en garde, l’exégèse suit son cours, intarissable, se heurtant avec obstination à l’écueil symboliste. Ni un style, ni un mouvement, pas même une école ou une époque, nombreux sont ceux à avoir relevé le caractère insaisissable de cet art sans contour qui se voulait total, cette « nébuleuse », comme l’a écrit Paul Valery dans un article de 1936 intitulé Existence du Symbolisme :
« Le mot Symbolisme fait songer les uns d’obscurité, d’étrangeté, de recherche excessive dans les arts ; d’autres y découvrent je ne sais quel spiritualisme esthétique, ou quelle correspondance des choses visibles avec celles qui ne le sont pas ; et d’autres pensent à des libertés, à des excès qui menacent le langage, la prosodie, la forme et le bon sens. Que-sais-je ? Le pouvoir excitant d’un mot est illimité. »
Si ces considérations sont d’ordre littéraire, l’idée vaut aussi bien pour la peinture et la sculpture : à la question de Valery « quoi de commun entre Verlaine et Villiers de l’Isle-Adam, entre Maeterlinck, Moréas et Laforgue ? » on pourrait ajouter « quoi de commun entre Moreau et Puvis, entre Khnopff, Gauguin et Redon ? » ou encore : « entre Rodin et Carriès, entre Minne, Lacombe et Fix-Masseau ? A cette question demeure une seule et même réponse : rien, ou plutôt rien d’esthétique.
Les repères chronologiques s’avèrent tout aussi inopérants à situer l’existence du symbolisme. On a parfois suggéré l’année 1886 comme point de départ, date à laquelle Jean Moréas publiait dans le Figaro, le Manifeste littéraire du symbolisme, mais cet article venait entériner, sinon justifier, par la théorie, de ce qui lui était bien antérieur dans la pratique. Si, comme l’écrit Robert Delevoy « l’humanité ne vit pas plus par tranches annuelles, décennies, générations que par « saccades séculaires » », si « on ne date pas davantage l’apparition d’une superstructure, d’un courant de l’art, d’une inflexion du goût […] comme on date l’avènement ou la chute d’un empire » , la « tendance diffuse » que fut le symbolisme, en résistant à toute forme de segmentation, contrarie plus encore la froide exactitude des datations savantes.
Nébuleux, diffus, changeant… l’approximation lui sied davantage, à condition de s’en tenir à la définition qu’en donna Mario Praz en introduction de son essai La chair, la mort et le diable. Afin de légitimer l’usage du terme romantique et son corolaire, l’inexorable opposition classique¬-romantique, le professeur Praz, sans jamais nier la valeur ou l’utilité de ces repères historiques, rappelle que ce ne sont que des approximations et que :
« ces approximations, n’ont pas à être plus que des symboles de tendances spécifiques de la sensibilité. Elles doivent être des catégories empiriques, et celui qui les condamne comme de vaines abstractions n’a guère moins tort que celui qui les exalte comme des hypostases dialectiques. »
L'oeil ne voit que lorsque l'esprit le mène... (Auguste Rodin)