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forum abclf » Écriture et langue française » Les enfants du siècle

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Messages [ 28 ]

1 Dernière modification par Anastasia K (18-11-2021 19:41:55)

Sujet : Les enfants du siècle

Chers amis,

Je souhaiterais savoir si la formule « les enfants du siècle », tiré du roman d'Alfred de Musset et qui qualifie donc la génération romantique, pouvait aussi s'appliquer à la génération symboliste (également issue du XIXe). Ci-dessous, un extrait du texte dans lequel je souhaite utiliser cette expression.

« [...] Envoûtés par l’étincelante pâleur de cette face défunte, les symbolistes en multiplièrent les représentations. L’iconographie de la tête coupée témoigne ainsi du tourment spirituel qui les habitait, topos auquel vint s’agréger l’obsession quasi maladive du Moi, cet « esprit naguère seigneur » , déchue de son omnipotence cartésienne, que les enfants du siècle regardent décliner sous les feux bleuis de la science nouvelle. »

Qu'en dites-vous ? Qu'en pensez-vous ?

Meilleures salutations,

Anastasia K

L'oeil ne voit que lorsque l'esprit le mène... (Auguste Rodin)

2 Dernière modification par Chover (13-11-2021 12:27:02)

Re : Les enfants du siècle

Bonjour, Anastasia K.
J'éviterais d'employer l'expression « les enfants du siècle » à propos des symbolistes. Ou alors, à la rigueur, en l'expliquant davantage : … que ces nouveaux enfants du siècle regardèrent décliner…
« Topos » peut-il désigner un tourment spirituel ?
Le e de « déchue » m'interroge.
« L'obsession quasi maladive du Moi » constituait-elle un phénomène nouveau (« vint s'agréger ») ou « déclinait »-elle (cet « esprit naguère seigneur ») ?
Mais je n'ai pas la science infuse, tout le monde ne me suivra pas forcément !

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement… (Nicolas BOILEAU). Si possible !

Re : Les enfants du siècle

Je vous remercie pour votre prompte réponse !

« Ces nouveaux enfants du siècle » aurait été parfait, mais je souhaiterais éviter la répétition avec « science nouvelle » qui vient juste après... Quel casse-tête !

Le tourment spirituel me semble avoir été un véritable topos pour les symbolistes, pour autant, je ne suis pas tout à fait sûre de pouvoir utiliser ce terme (d'ordre littéraire) en histoire de l'art... Il serait peut-être plus approprié de parler de leitmotiv ?

S'agissant du « e » de « déchue », merci de me l'avoir fait remarquer ! « Déchu » s'accorde avec « esprit », donc, au masculin.

« L'obsession quasi maladive du Moi » vient s'ajouter au « tourment spirituel » des symbolistes, mais d'une manière inextricable, le terme « s'agréger » m'est donc apparu parfaitement adéquat.

L'oeil ne voit que lorsque l'esprit le mène... (Auguste Rodin)

Re : Les enfants du siècle

Puisqu'il s'agit ici de la période fin-de-siècle, que diriez-vous de remplacer « nouveaux » par « derniers » : « les derniers enfants du siècle » ?

L'oeil ne voit que lorsque l'esprit le mène... (Auguste Rodin)

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Re : Les enfants du siècle

L'expression « les derniers enfants du siècle » évoquerait pour moi une sorte de second romantisme.
Que diriez-vous de « L’iconographie de la tête coupée témoigne ainsi du tourment spirituel qui les habitait, un tourment auquel vint s’agréger… » ?

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement… (Nicolas BOILEAU). Si possible !

6 Dernière modification par Anastasia K (13-11-2021 20:32:40)

Re : Les enfants du siècle

Merci à nouveau pour votre réponse.

Étant donné la continuité entre romantisme noir et symbolisme, on peut très bien considérer (et c'est d'ailleurs l'avis de Mario Praz) que le symbolisme n'est qu'un développement du romantisme, une sorte de seconde génération ! Dès lors, on pourrait convenir, me semble-t-il, de la validité de cette expression...

J'ai légèrement modifié mon texte depuis hier (voir ci-dessous), cette version vous semble-t-elle correcte ?

« Les symbolistes, envoûtés par l’étincelante pâleur de cette face défunte, en multiplièrent les représentations et firent de l’iconographie de la tête coupée un véritable leitmotiv témoignant des affres spirituelles qui les habitaient, tourment auquel vint s’agréger l’obsession quasi maladive du Moi, cet « esprit naguère seigneur » , déchu de son omnipotence cartésienne, que les derniers enfants du siècle regardèrent décliner sous les feux bleuis de la science nouvelle. »

L'oeil ne voit que lorsque l'esprit le mène... (Auguste Rodin)

Re : Les enfants du siècle

Attention : il a symbolistes et symbolistes...

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

Re : Les enfants du siècle

« Le mot Symbolisme fait songer les uns d’obscurité, d’étrangeté, de recherche excessive dans les arts ; d’autres y découvrent je ne sais quel spiritualisme esthétique, ou quelle correspondance des choses visibles avec celles qui ne le sont pas ; et d’autres pensent à des libertés, à des excès qui menacent le langage, la prosodie, la forme et le bon sens. Que-sais-je ? Le pouvoir excitant d’un mot est illimité. »

Paul Valery

L'oeil ne voit que lorsque l'esprit le mène... (Auguste Rodin)

Re : Les enfants du siècle

En effet, et le même Valéry disait que ce qui réunit tous ceux qu'on appelle "symbolistes", c'est la croyance... aux symboles !

C'est dire la difficulté de cerner le symbolisme dans son ensemble : à partir d'Hugo, on peut qualifier de symbolistes quasiment tous les poètes, sauf Hérédia.

Malgré tout, il a existé une école symboliste, avec des manifestes (celui de Moréas date de 1886) mais celle-ci est postérieure aux grands précurseurs, dont Nerval et Baudelaire, qui ne se sont jamais qualifiés de symbolistes, justement, sans compter Rimbaud.

C'est peut-être Verlaine qui fait le lien entre tous...

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

Re : Les enfants du siècle

Parfaitement ! Mon champ d'étude concerne l'histoire de l'art et je rencontre les mêmes difficultés à définir cette "tendance diffuse" (Rodolphe Rapetti) qu'est le symbolisme. Si vous souhaitez lire le début de mon travail qui traite de cette question, je me permets de le joindre ci-dessous.


Une étude sur le symbolisme, lorsqu’il s’agit d’un travail aussi protocolaire que le mémoire de recherche, assurément, cela ne va pas de soi et on ne saurait donner plus juste conseil que celui exprimé par Baudelaire dans son Salon de 1846 :

« Ainsi, le meilleur compte rendu d’un tableau pourra être un sonnet ou une élégie ».

Défions-nous de l’érudition ! disent en cœur les symbolistes, défions-nous du formidable orgueil qui cherche à résoudre l’Énigme. N’est-ce pas l’hubris qui inspira à Œdipe sa réponse au Sphinx, et la démesure de sa raison qui le précipita dans un tourbillon de crime monstrueux ? Si Ingres réalisa un portrait du héros en pleine possession de son cogito triomphant — l’œil victorieux, dardé en direction de la bête féminiforme — Gustave Moreau, à rebours de l’esprit néo-classique, en donnera une version plus énigmatique, où Œdipe, loin d’affronter le Sphinx comme un ennemi, se laisse envouter par l’indissoluble mystère de son regard. « Au milieu d’une société rationaliste et superficielle, affamée de logique, pleine de discours, sacrifiant aux dieux du plaisir, et préférant toujours avec un instinct des plus sûrs la convention à la création » , au milieu de cette société, le symbolisme apparaît, « chargé d’une mission de profondeur et de ténèbres » (Pierre Jean Jouve)

Malgré ces mises en garde, l’exégèse suit son cours, intarissable, se heurtant avec obstination à l’écueil symboliste. Ni un style, ni un mouvement, pas même une école ou une époque, nombreux sont ceux à avoir relevé le caractère insaisissable  de cet art sans contour qui se voulait total, cette « nébuleuse », comme l’a écrit Paul Valery dans un article de 1936 intitulé Existence du Symbolisme :

« Le mot Symbolisme fait songer les uns d’obscurité, d’étrangeté, de recherche excessive dans les arts ; d’autres y découvrent je ne sais quel spiritualisme esthétique, ou quelle correspondance des choses visibles avec celles qui ne le sont pas ; et d’autres pensent à des libertés, à des excès qui menacent le langage, la prosodie, la forme et le bon sens. Que-sais-je ? Le pouvoir excitant d’un mot est illimité. »

Si ces considérations sont d’ordre littéraire, l’idée vaut aussi bien pour la peinture et la sculpture : à la question de Valery « quoi de commun entre Verlaine et Villiers de l’Isle-Adam, entre Maeterlinck, Moréas et Laforgue ? »  on pourrait ajouter « quoi de commun entre Moreau et Puvis, entre Khnopff, Gauguin et Redon ? » ou encore : « entre Rodin et Carriès, entre Minne, Lacombe et Fix-Masseau ? A cette question demeure une seule et même réponse : rien, ou plutôt rien d’esthétique.

Les repères chronologiques s’avèrent tout aussi inopérants à situer l’existence du symbolisme. On a parfois suggéré l’année 1886 comme point de départ, date à laquelle Jean Moréas publiait dans le Figaro, le Manifeste littéraire du symbolisme, mais cet article venait entériner, sinon justifier, par la théorie, de ce qui lui était bien antérieur dans la pratique. Si, comme l’écrit Robert Delevoy « l’humanité ne vit pas plus par tranches annuelles, décennies, générations que par « saccades séculaires » », si « on ne date pas davantage l’apparition d’une superstructure, d’un courant de l’art, d’une inflexion du goût […] comme on date l’avènement ou la chute d’un empire » , la « tendance diffuse »  que fut le symbolisme, en résistant à toute forme de segmentation, contrarie plus encore la froide exactitude des datations savantes.

Nébuleux, diffus, changeant… l’approximation lui sied davantage, à condition de s’en tenir à la définition qu’en donna Mario Praz en introduction de son essai La chair, la mort et le diable. Afin de légitimer l’usage du terme romantique et son corolaire, l’inexorable opposition classique¬-romantique, le professeur Praz, sans jamais nier la valeur ou l’utilité de ces repères historiques, rappelle que ce ne sont que des approximations et que :

« ces approximations, n’ont pas à être plus que des symboles de tendances spécifiques de la sensibilité. Elles doivent être des catégories empiriques, et celui qui les condamne comme de vaines abstractions n’a guère moins tort que celui qui les exalte comme des hypostases dialectiques. »

L'oeil ne voit que lorsque l'esprit le mène... (Auguste Rodin)

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Re : Les enfants du siècle

Oui, ce n'est pas mal, mais il ne faut pas abuser des citations. Pour les Beaux-Arts, je ne peux pas trop vous aider.
La date de 1886 marque le début du symbolisme en tant que mouvement ; dans tous les "mouvements littéraires", à commencer par le réalisme, on distingue des tendances générales dont l'origine peut être très lointaine et des écoles qui, à un moment donné de l'Histoire, définissent des principes - parfois très stricts - et se dotent de manifestes. Dans le cas présent, il y a une grosse différence entre les deux. L'école symboliste a hélas sombré dans des considérations purement formelles à propos du vocabulaire, du vers, des sonorités, etc... qui donnent un caractère artificiel à l'art. Certes, l'art doit être quelque part artifice, surtout depuis A rebours, mais pas, selon moi, de cette manière beaucoup trop consciente et concertée. On obtient du faisandé, à ce compte-là. Heureusement que Moréas a su rester un vrai poète (pas de méprise sur "vrai poète" ; non, je ne songe pas à Hugo).

Il n'y a rien de plus beau que Langueur de Verlaine, à l'origine du mouvement décadent dont Chover a parlé :

Je suis l'Empire à la fin de la décadence,
Qui regarde passer les grands Barbares blancs
En composant des acrostiches indolents
D'un style d'or où la langueur du soleil danse.

[...]

Lui ne triche pas.

Pardonnez mon manque d'objectivité.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

12 Dernière modification par Anastasia K (13-11-2021 23:31:59)

Re : Les enfants du siècle

Merci beaucoup pour cette réponse magnifique et pour ces précisions.

J'use et j'abuse des citations, cela est vrai... Mais je ne pense pas me tromper en disant que la surcharge citationnelle est tout à fait dans l'esprit symboliste, ce qui pourrait me donner bonne conscience...

Je répondrai donc à votre remarque... par une citation ! J'espère que vous ne m'en tiendrez pas rigueur. Dans son texte sur Karl Kraus, Walter Benjamin écrivit cette phrase admirable : « La citation appelle le mot par son nom, l’arrache de manière destructrice à son contexte mais, par là même, le rappelle à son origine […]. Devant le langage, les deux empires – origine et destruction – déclinent leur identité dans la citation. »

Pour en revenir à notre sujet, le symbolisme n'a-t-il pas été une forme de réaction au formalisme parnassiens ? A qui pensez-vous exactement ?

L'oeil ne voit que lorsque l'esprit le mène... (Auguste Rodin)

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Re : Les enfants du siècle

Si, tout à fait, mais aussi à l'épanchement romantique ou à la poésie "engagée" (Hugo). Par malheur, l'école symboliste - attention à cette distinction capitale entre école et précurseurs - a recréé un autre type de formalisme par son attention exagérée à l'expression, mais aussi à ce qu'on pourrait appeler la représentation, qui a je crois son correspondant chez les peintres. Alors que l'exploration d'un univers qui soit autre que celui qui nous environne, et qui suscite en cette fin de siècle une nausée ou de vaines tentatives vers l'artifice (je pense à Huysmans) nécessitait une transformation totale du langage poétique, que tenteront plus tard les Surréalistes, on assiste chez eux à une sorte de nouveau réalisme du fait qu'ils donnent une image du monde suggéré - celui des correspondances baudelairiennes, par exemple - beaucoup plus qu'ils nous y transportent. C'est du reste un peu ce que je reproche à Baudelaire ; ce n'est pas pour rien qu'on trouve chez lui des métaphores et des comparaisons qui s'établissent dans tout le poème. L'univers poétique de Mallarmé est plus opaque, mais on trouve aussi chez lui des "tableaux" (le cygne, par exemple) qui participent de la même idée, même si elle apparaît parfois "cryptée" à souhait, comme le disent ses détracteurs, ce que je ne crois pas.
Marcel Raymond, dans de Baudelaire au Surréalisme (éd. Corti), dit très justement :

Le symbole authentique, en effet, naît d'une adhésion directe de l'esprit à une forme de pensée naturellement figurée ; n'étant jamais une traduction, il ne peut non plus jamais être traduit.

D'où la diversité extrême des "symbolistes" qui, chacun de leur côté, ont résolu diversement ce problème de traduction sans vraiment le remettre en cause, allant au contraire chercher des correspondances dans les éléments infimes du langage ou de la "musique" : ainsi, R. Ghil affectait un symbole à chaque voyelle ! Rimbaud, par jeu, avait fait bien mieux que lui !

Donc oui, rupture voulue avec le "réalisme poétique" des Parnassiens, mais malgré tout "traduction" dans les deux cas, même si l'objet est différent.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

Re : Les enfants du siècle

Bon Dieu, mai c'est bien sûr ! Chrisor est un disciple de R. Ghil !

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

15 Dernière modification par Lévine (14-11-2021 13:27:14)

Re : Les enfants du siècle

Et à partir du moment où c'est fait délibérément, l'impression d'artifice devient difficilement supportable : on peut même dire que la voix poétique, qui doit seule compter quelles que soient les écoles, en est comme bridée, étouffée.

Quel ridicule aussi ce parti-pris de "tordre" la syntaxe, d'introduire de faux archaïsmes, etc...

Début d'un poème de R. Ghil pris dans sur le site "bonjourpoésie"

En m'en venant au tard de nuit.

En m'en venant au tard de nuit
se sont éteintes les ételles :
ah ! que les roses ne sont-elles
tard au rosier de mon ennui
et mon Amante, que n'est-elle
morte en m'aimant dans un minuit.

[...]

J'ai omis de parler d'un point de rupture important avec le Parnasse : l'abandon du sonnet, qui domine par ailleurs chez les "précurseurs", comme on le sait, et la promotion du vers libre, avec des poèmes organisés en strophes inégales, censés mieux se mouler sur la pensée poétique et permettant à chaque poème de se doter de sa propre forme, et surtout de son propre schéma rythmique. Mais là encore, ce sont des poètes ultérieurs, qui n'ont qu'un lien indirect avec l'école symboliste qui illustreront le mieux cette poétique nouvelle : je songe à Verhaeren, à Claudel, au jeune Gide,

à Apollinaire, évidemment :     

Pauvre automne
Meurs en blancheur et en richesse
De neige et de fruits mûrs
Au fond du ciel
Des éperviers planent
Sur les nixes nicettes aux cheveux verts et naines
Qui n'ont jamais aimé

[...]

En parlant d'Apollinaire, les Calligrammes sont bel et bien un avatar original de la représentation symbolique !

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

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Re : Les enfants du siècle

Vous avez affaire à un connaisseur, Anastasia K. Merci à vous, Lévine. En vous lisant on ne peut que regretter, comme moi, de ne pas avoir une plus grande culture littéraire et de connaître si mal, en l'occurrence, le, ou plutôt les mouvements symbolistes.

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement… (Nicolas BOILEAU). Si possible !

17 Dernière modification par Lévine (14-11-2021 18:29:05)

Re : Les enfants du siècle

Connaisseur, un bien grand mot, mais amateur, oui, certes.

Pour ce qui est de l'art, il faut puiser dans Gustave Moreau : certains thèmes "mystiques" illustrent les préoccupations des poètes et artistes de trouver par là un "ailleurs" à représenter ou à suggérer. Les courants occultistes, voire satanistes, le recours facile à un Moyen Age fantasmé, issu du Romantisme noir, encore perceptible de nos jours, connaissent leur heure de gloire en cette fin de siècle (cf Là-bas de Huysmans). Apollinaire n'y a pas échappé, mais comme il change en or tout ce qu'il trouve, même le fatras encyclopédique, ça n'a aucune importance.

Ah oui, concernant Apollinaire, je manque totalement d'objectivité.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

18 Dernière modification par Anastasia K (14-11-2021 18:47:34)

Re : Les enfants du siècle

« Je n’ai jamais dit : l’Art pour l’Art ; j’ai toujours dit : l’Art pour le Progrès. » !!! Magnifique formule de Hugo, bien que je sois totalement allergique à cette idée.

Contrairement au réalisme naturaliste qui rend compte de la réalité brute, telle quelle, le « réalisme symboliste » ne témoignerait-il pas plutôt d’une recherche de Vérité, « l’intérieur des choses » selon Plotin, à travers les apparences illusoires du monde sensible ?

La peinture de Louis Welden Hawkins, Le foyer, me semble être une sorte d’équivalent pictural de la suggestion/traduction que vous reprochez à Baudelaire. Le style est réaliste, presque photographique, mais l’œuvre suggère une présence mystérieuse, inquiétante, fantomatique.

À propos de Van Gogh, Aurier écrivait : « sous cette chair très chair, sous cette matière très matière, gît, pour l'esprit qui sait l'y voir, une pensée, une Idée, et cette Idée, essentiel substratum de l'œuvre, en est, en même temps, la cause efficiente et finale. » Si la peinture de Hawkins, à l'inverse, semble presque immatérielle, désincarnée, elle est aussi énigmatique, rêvée...

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/ … _Foyer.jpg

Donc selon vous, ce que les symbolistes (certains symbolistes) ne seraient pas parvenus à faire (une transformation totale du langage poétique), les surréalistes l’auraient accompli ? 

Votre déclaration d’amour à Apollinaire est admirable. Il n'est rien de plus beau que le culte d’un poète, d’un écrivain ou d’un artiste…

Je vous remercie encore pour ces longues explications, qui dépassent très largement mes attentes. Comme Chover, votre érudition me laisse sans voix !

L'oeil ne voit que lorsque l'esprit le mène... (Auguste Rodin)

19 Dernière modification par Lévine (15-11-2021 15:51:02)

Re : Les enfants du siècle

Anastasia K a écrit:

« Je n’ai jamais dit : l’Art pour l’Art ; j’ai toujours dit : l’Art pour le Progrès. » !!! Magnifique formule de Hugo, bien que je sois totalement allergique à cette idée.

Contrairement au réalisme naturaliste qui rend compte de la réalité brute, telle quelle, le « réalisme symboliste » ne témoignerait-il pas plutôt d’une recherche de Vérité, « l’intérieur des choses » selon Plotin, à travers les apparences illusoires du monde sensible ?

Le réalisme, même naturaliste, opère toujours sur une réalité choisie du seul fait que l'écrivain ne rédige pas des traités de sociologie ou d'anthropologie, mais des romans. Ce que j'aime dans Zola, c'est moins la réalité "telle qu'elle est" que la puissance de ses mythes (l'Assommoir, Germinal, la Bête humaine, etc...).

Oui, tout à fait, bien que cette "vérité" varie évidemment suivant les auteurs et qu'on hésite toujours entre une quête mystique authentique et une alchimie du langage. La question ne se pose évidemment pas que pour les Symbolistes. En clair : la poésie n'est-elle pas affaire que de mots ? Je n'ai jamais résolu cette question.


Anastasia K a écrit:

La peinture de Louis Welden Hawkins, Le foyer, me semble être une sorte d’équivalent pictural de la suggestion/traduction que vous reprochez à Baudelaire. Le style est réaliste, presque photographique, mais l’œuvre suggère une présence mystérieuse, inquiétante, fantomatique.

Le problème de la peinture, c'est qu'avant l'art moderne, elle propose toujours une "image" reconnaissable par celui qui la voit, que ce soit de l'ordre de la simple "imitation" ou du symbole.

Anastasia K a écrit:

À propos de Van Gogh, Aurier écrivait : « sous cette chair très chair, sous cette matière très matière, gît, pour l'esprit qui sait l'y voir, une pensée, une Idée, et cette Idée, essentiel substratum de l'œuvre, en est, en même temps, la cause efficiente et finale. » Si la peinture de Hawkins, à l'inverse, semble presque immatérielle, désincarnée, elle est aussi énigmatique, rêvée...

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/ … _Foyer.jpg

Il me semble qu'on peut en dire autant de chaque grande œuvre : lisez ce que Huysmans fait dire à Durtal à propos d'une crucifixion de M. Grünewald au début de Là-bas (dont le titre est très évocateur ; "là-bas", c'est ce que j'appelle "l'ailleurs" en poésie.)


Anastasia K a écrit:

Donc selon vous, ce que les symbolistes (certains symbolistes) ne seraient pas parvenus à faire (une transformation totale du langage poétique), les surréalistes l’auraient accompli ?

Accompli, c'est vite dit. La différence, c'est qu'avec l'écriture automatique, ils prétendaient bannir la conscience, le travail, le souci de faire de la "littérature". Autre chose : même si leur recherche s'apparente parfois à une quête mystique, il n'y a pas pour eux de transcendance : la "vraie vie", c'est la nôtre débarrassée du carcan de la raison et des convenances. L'ailleurs est immanent au monde et chacun peut le saisir pour peu qu'il fasse le vide dans son esprit et qu'il accueille, non pour en rendre compte, mais pour y participer pleinement, "la voix qui continue à prêcher au-delà des orages". Dans son premier Manifeste du Surréalisme, A. Breton prend l'exemple d'une image obsédante qu'il avait eue un jour : un homme "coupé en deux par une fenêtre" ; il s'est aperçu qu'elle était née d'un simple redressement de l'image d'un homme accoudé à cette fenêtre... On n'est plus ici dans la symbolique, comme vous le voyez. 

Anastasia K a écrit:

Votre déclaration d’amour à Apollinaire est admirable. Il n'est rien de plus beau que le culte d’un poète, d’un écrivain ou d’un artiste…

J'ai découvert Apollinaire en classe de seconde, et la révélation a été foudroyante et durable.

J'aime aussi beaucoup Reverdy, Claudel, Éluard, Saint-John Perse, Anna Akhmatova... 

Anastasia K a écrit:

Je vous remercie encore pour ces longues explications, qui dépassent très largement mes attentes. Comme Chover, votre érudition me laisse sans voix !

Merci, vous êtes très aimable, ainsi que Chover, mais l'érudition, c'est tout à fait autre chose. Je suis simplement content de parler de ce que j'aime. Et entre nous, de la part d'un prof' de lettres, c'est le moins qu'on puisse attendre...

Merci du lien. Le tableau laisse bien entrevoir ce qu'il peut y avoir au-delà des barrières...

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

20 Dernière modification par Anastasia K (16-11-2021 20:10:33)

Re : Les enfants du siècle

Pardonnez le retard avec lequel je reviens vers vous.

Pour ma défense, je suis en plein travail de rédaction de mon mémoire de fin d'étude, ce qui ne me laisse pas une minute de libre pour répondre correctement à vos commentaires très détaillés... Mais j'y remédierai une fois que la soutenance sera derrière moi.

Pour autant, je me permettrai de vous poser une question supplémentaire s'agissant de Claudel auquel vous vous intéressez également. Dans le paragraphe ci-dessous, l'interprétation que je fais du terme « co-naissance » (que Claudel utilise dans son Art Poétique), vous semble-t-elle correcte ?

« À cet égard, est-il nécessaire de rappeler la parfaite co-naissance du symbolisme et de la psychanalyse ? Co-naissance historique mais aussi co-naissance au sens claudélien du terme, à savoir l’établissement et la constatation des rapports qui sont entre les choses : « Nous ne naissons pas seul. Naître, pour tout, c’est co-naître. Toute naissance est une connaissance. » La méthode psychanalytique entre ainsi en résonance avec le caractère saturnien du symbolisme, l’attention portée au recueillement, au regard intérieur. Comme le fait remarquer Jean Clair :

« Quand paraît L’interprétation des rêves, au tournant du siècle, on peut dire qu’avec cet ouvrage s’achève le règne d’Hypnos. […] Mais on pourrait aussi voir dans la Traumdeutung, le monument théorique du symbolisme, le chef-d’œuvre d’une herméneutique qui, pour fonctionner, postule l’existence du symbole, sans jamais s’interroger sur la validité heuristique de ce dernier. » »

L'oeil ne voit que lorsque l'esprit le mène... (Auguste Rodin)

21 Dernière modification par Anastasia K (16-11-2021 19:56:55)

Re : Les enfants du siècle

Claudel m'en voudrait certainement d'utiliser ce terme pour parler de la psychanalyse à laquelle il faisait discrètement et inopinément référence dans son texte sur la cathédrale de Strasbourg : « n'avons-nous pas tous connu un grand penseur qui a déclaré que nous pourrions nous attendre désormais à vivre du parfum d'un vase vide et qu'il n'y a rien de plus nourrissant ? »

« Una frecciatina ! » comme disent les italiens.

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22 Dernière modification par Lévine (17-11-2021 10:06:24)

Re : Les enfants du siècle

Non, vous ne trahissez pas le principe général de Claudel, surtout si vous n'envisagez pas la co-naissance comme une simple série de rapports entre choses, mais comme une conscience de chaque être à saisir ces rapports à la lumière de ce qu'il n'est pas lui-même, car seul Dieu est l'Être, infini et incréé, alors que l'univers est mouvement (cf son premier "article"). Cette conscience "intelligente" est du reste la mesure de toutes choses sur cette terre ; on rejoint pas là la croyance des Symbolistes en la toute-puissance de la conscience pour arriver à entrevoir l'autre monde (chrétien ou non), ou du moins à en donner une image. La psychanalyse peut être rapprochée de ce ce type de connaissance, mais elle est davantage destinée à lever les voiles intimes de l'être. En ce sens, c'est avec le Surréalisme qu'elle a le plus d'affinité (cf. l'écriture automatique, l'hypnose chère à Desnos...).

Et cependant, quand tu m'appelles, ce n'est pas avec moi seulement qu'il faut répondre, mais avec tous les êtres qui m'entourent.
                                      Cinq grandes Odes, la Muse qui est la grâce (Pléiade).

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

23 Dernière modification par Anastasia K (17-11-2021 22:23:15)

Re : Les enfants du siècle

Merci infiniment pour ces éclaircissements.

J'ai souvent lu chez Jean Clair que les surréalistes auraient accordé une part trop importante à l'automatisme (l'inconscient), ce qui témoignerait d'une interprétation divergente, sinon erronée, des idées initiales de Sigmund Freud, qui a d'ailleurs écrit dans une lettre à Zweig du 20 juillet 1938, à la suite de sa rencontre avec Dalí : « La notion d'art se refuse à toute extension lorsque le rapport quantitatif entre le matériel inconscient et l'élaboration préconsciente ne se maintient pas dans des limites déterminées. »

Êtes-vous de cet avis ?

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Re : Les enfants du siècle

Intéressant, mais nous remettrons cela à demain, si vous le voulez bien.

Bonne soirée !

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

Re : Les enfants du siècle

Avec plaisir !
Bonne soirée également...

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26 Dernière modification par Lévine (19-11-2021 21:31:25)

Re : Les enfants du siècle

Bonjour Anastasia,

Étant donné que Freud se réfère à la peinture, et que d'autre part Dali ne représente pas tout le Surréalisme (il a même été désavoué par Breton qui avait forgé l'anagramme Avida Dollars pour se moquer de lui) je ne peux faire qu'une réponse partielle, concernant l'écriture automatique, puisqu'elle est au plus près du sujet qui unit Freud et Breton : le problème de la part de l'inconscient dans l'œuvre d'art.
En l'occurrence, Freud avait un a priori en matière d'art, bien mis en valeur par votre source : l'œuvre suppose nécessairement un refoulement, masqué par l'activité préconsciente ou consciente du poète. Or si l'écriture automatique n'est que la libération de cet inconscient (ce qu'elle ne peut jamais être totalement, mais passons), l'art ne saurait exister ; c'est pourquoi il parle d'un "rapport quantitatif" nécessaire entre la part d'ombre refoulée et la conscience de l'artiste, son dessein lucide et ses procédés, si l'on veut. Ce rapport varie avec les périodes de l'Histoire et avec les artistes, mais il existe depuis l'origine de l'art. L'exemple le plus célèbre de découverte de cette part d'ombre insoupçonnable au premier abord est l'analyse que fait Freud du Moïse de Michel-Ange, que vous connaissez sûrement.
Mais c'est oublier que le Surréalisme n'a justement aucun a priori, et qu'il bannit l'"art", le travail, l'intention consciente de l'artiste (même si le mouvement a évolué, en témoignent les nombreuses exclusions, volontaires ou non ; je ne parle ici que de ses principes). Pour Breton, le surréalisme doit accomplir la "révolution de l'esprit" et nous faire découvrir la "vraie vie" : celle que nous côtoyons dans les rêves, la demi-conscience (au début, il ne parle d'ailleurs presque jamais de l'inconscient), le hasard, subjectif ou objectif (s'il associe plusieurs sujets, comme dans Nadja ou l'Amour fou), le merveilleux, l'amour, même la folie !... C'est dire qu'il se veut un procédé , un "automatisme psychique par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée" (premier Manifeste). Il n'est pas du tout question ici de faire de l'art... Certes, je n'épuise pas la question en disant cela parce que le Surréalisme a incontestablement débouché sur une production artistique variée : poétique, picturale, cinématographique. Il faut donc bien envisager le problème de l'art avec lui, mais c'est un autre problème.
Je pense donc que Freud a mal perçu, ou rejeté d'emblée l'originalité foncière du Surréalisme ; pour lui, si ce dernier ne produisait pas un art susceptible d'analyse, il s'engageait dans une impasse. Or on ne voit pas en quoi ses productions écrites ou ses tableaux ne recèleraient pas elles-mêmes leur part d'ombre ; les dialogues "automatiques" de Poisson soluble et les tableaux de Dali (pourtant à l'opposé des premiers) semblent au contraire un terrain de choix... Force des préjugés ? Amateurisme reproché aux surréalistes dans l'exploration de l'inconscient ? Soupçons d'inauthenticité ? Je pense aussi qu'il n'aimait pas l'esprit provocateur et dérangeant du mouvement, si visibles dans l'attitude même de Dali...

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Puisque Nantes nous réunit :

Nantes : peut-être avec Paris la seule ville de France où j'ai l'impression que peut m'arriver quelque chose qui en vaut la peine [...]

                                                                                            A. Breton, Nadja.

A signaler que Nadja se présente comme une relation, un "compte-rendu", non comme un texte d'écriture automatique. En aucun cas il ne faut réduire le Surréalisme à cela.
On y retrouve parfois l'esprit du Flâneur des deux rives d'Apollinaire.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

Re : Les enfants du siècle

Bonsoir Lévine,
Je m'accorde un temps de réflexion (et de digestion... ah ! les nourritures de l'esprit...) car votre réponse soulève des questions essentielles que je souhaite pouvoir formuler avec précision et surtout n'en oublier aucunes !

Cette phrase de Breton laisse rêveur... Ce Nantes là n'existe plus qu'à l'état de songe.

L'oeil ne voit que lorsque l'esprit le mène... (Auguste Rodin)

28 Dernière modification par Lévine (19-11-2021 11:08:01)

Re : Les enfants du siècle

A.Breton pensait aussi à Jacques Vaché, mort d'une overdose d'opium à l'hôtel de France, Place Graslin, où était descendu Stendhal un siècle plus tôt. C'est dans cette ville qu'ils s'étaient rencontrés, dans un hôpital militaire (annexe du lycée Guist'hau), où Breton était médecin auxiliaire.

Nantes n'existe plus qu'à l'état de songe ? Mais tout n'est que songe, figurez-vous...

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

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