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forum abclf » Pratiques argotiques et familières » Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

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Messages [ 48 ]

Sujet : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

Bonjour, smile     
                                                                                                                                                                                                              Voici une offre d'emploi en argot, publiée dans un journal de Nouméa (Nouvelle-Calédonie), à l'attention des bagnards libérés cherchant du travail (orthographe argotique de l'annonce, respectée).

J'ai fais un essai de traduction (hum!) mais des avis seraient souhaitables. Pour la dernière phrase, j'hésite, car il me semble que l'on peut se tromper de sens.

Annonce :

ACRÉ AUX COBALEURS

« Les mecs qui en mouillent pour gratter dans le cobalt et qui sont à la coule pour le boisage, n'ont qu'à radiner à Koumac,  ils y dégotterons du turbin et seront carmés comme des Autrichiens.
« Six linvés pour le premier marquet.
« Le deuxième marquet sept linvés pour les bates, ceux qui n'en promettent pas.
« Affure avec la camelote du store.
« S'adresser sur les lieux à Koumak, son gnase ne marche pas pour les passages.

Cité par Jean Carol, dans son ouvrage Le bagne, Paris, société d'éditions littéraires et artistiques, Librairie Paul Ollendorff, 50 chaussée d'Antin, 1903. (300 pages).
Annonce : pages 24 et 25.

Traduction :

A L'ATTENTION DES COBALEURS

Les hommes qui ne rechignent pas à suer pour travailler dans les mines de cobalt et qui sont qualifiés pour le boisage peuvent venir à Koumac, ils auront du travail et seront bien payés :
« Six francs pour le premier mois.
« Le deuxième mois, sept francs pour les bons, ceux qui n'ont pas que des belles paroles à l'embauche.
Economies assurées pour vos achats de marchandises, avec la boutique de la mine.
S'adresser sur les lieux, à Koumac, nous n'embauchons pas... (ceux qui ne viendraient que pour un très court temps ?  Je n'y crois pas beaucoup).

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

Un linvé : vingt francs (en louchébem).
Six linvés : cent vingt francs.

Il faudrait savoir l'époque de cette annonce, et comparer avec les salaires des mineurs métropolitains pour savoir si la paye est vraiment bonne.

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

3 Dernière modification par mercattore (12-02-2010 23:48:36)

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

Oui, c'est juste, je me suis trompé,  tête ailleurs car dans mes souvenirs c'était bien vingt, mais j'ai oublié de multiplier.
L'annonce doit dater des dernières années du XIXème siècle.

4 Dernière modification par Pierre Enckell (13-02-2010 00:53:27)

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

Mais les dictionnaires d'argot s'accordent pour dire qu'un linvé c'est vingt sous, donc un franc. Seules de très rares occurrences sur google, très récentes et pas très fiables, parlent de vingt francs.
Mais six ou sept francs par mois, c'est dans les 25 centimes par jour, somme ridiculement faible même pour des ex-forçats en Nouvelle-Calédonie à la fin du 19e siècle, il me semble - tandis qu'un salaire vingt fois supérieur serait presque trop élevé dans les mêmes conditions. Alors ?
Alors il serait possible que cette annonce soit fictive, écrite à coups de dictionnaires comme le sont de nombreux textes argotiques. Est-ce que vraiment tous les bagnards libérés là-bas maîtrisaient l'argot ? Et l'auteur se sera pris les pieds dans l'arithmétique. Mais bon, s'il existe quelque part un fac-similé et qu'il ne date pas d'un 1er avril, c'est la maîtrise de l'argot par l'annonceur lui-même qu'on peut mettre en cause.

Pour la dernière phrase, je propose :
son gnase = son gnasse, pronom de la 3e personne, employé ici (à tort) comme un il impersonnel ou un ça
les passages = les passages ! Koumac est très loin de Nouméa, et l'annonceur spécifie qu'il ne propose pas le transport (peut-être par mer, à l'époque?), mais qu'il faut venir sur place.

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

Mais les dictionnaires d'argot s'accordent pour dire qu'un linvé c'est vingt sous, donc un franc.

Les dictionnaires, certes, mais les auteurs ?
Tristan Bernard écrit, dans Mort de Piston :

... mon Philippe, qui les avait vendus, se met à dire à Piston qu'on est d'accord avec les mouches et qu'on va emballer ces cochons de rosbifs.
« Pourquoi ça, demande Piston, ces cochons de rosbifs ? Ils m'ont donné quatre francs pour les veiller.
— T'auras mieux si tu les vends, dit Philippe. T'auras deux linvés tout en or. Regarde-les briller. C'est dix fois tes quatre francs. De quoi t'acheter quinze mille billes ! »

Certes, il s'agit  ici de linvé en or, mais le texte est clair : nous avons là une scène de tentation, Philippe exhibe les pièces pour mieux fléchir Piston.
Rien ne dit que les mineurs calédoniens ne toucheront pas leur paie sous forme de  thunes, ou roues de derrière...

P. S. Tristan Bernard orthographie ainsi :

Il se disait : « On me crève, mais je vais être bath en crevant. »

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

6 Dernière modification par Coco 47 bis (13-02-2010 05:14:51)

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

P'tit prof a écrit:

Rien ne dit que les mineurs calédoniens ne toucheront pas leur paie sous forme de  thunes, ou roues de derrière...

Il se disait : « On me crève, mais je vais être bath en crevant. »

Intéressant. Je me souviens que du temps des anciens francs, donc avant le 1er janvier 1960, la thune, la pièce de cinq francs en aluminium, était la plus grosse des pièces de monnaie, bien plus grosse que celle de un franc (ou vingt sous) et celle de deux francs (quarante sous), qui, elles, pouvaient figurer les roues de devant du carrosse ou de la calèche. J'ai appris quelque chose aujourd'hui. Merci.

Pour bath, mes souvenirs de la même époque me disent bien bath. Ce mot était très employé alors, avec une connotation un peu snob. On le retrouvait dans le nom d'OSS 117 : Hubert Bonnisseur de La Bath.

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

Coco 47 bis a écrit:

Pour bath, mes souvenirs de la même époque me disent bien bath. Ce mot était très employé alors, avec une connotation un peu snob. On le retrouvait dans le nom d'OSS 117 : Hubert Bonnisseur de La Bath.

http://fr.vivat.be/images/OSS%20117.jpg

HUBERT BONISSEUR DE LA BATH

Et voilà ce qui arrive quand, aux petites heures,  on ne retrouve plus  sa collection d'OSS 117 pour y vérifier l'orthographe du nom du héros big_smile

« Jeunesse, folies. Vieillesse, douleurs ». Proverbe rom.

8 Dernière modification par Pierre Enckell (13-02-2010 07:48:22)

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

En examinant Le Bagne de Carol (sur Gallica), je constate que  cette annonce, citée en note, est donnée comme un échantillon de "l'idiome qui, sans doute, les [les bagnards libérés] persuade le mieux". Mais dans tout le reste du livre les quelques ex-bagnards rencontrés par l'auteur parlent un excellent français (il y en a un qui écrit des vers élogieux sur les présidents de la république Faure et Loubet). Seul le bourreau du bagne, ancien condamné lui-même, parle de "trancher des cabèches" (p. 224). C'est quand il se risque, très tard dans son récit, à visiter le bagne lui-même que Carol dit avoir surpris des conversations dans les "arcanes de l'argot" (p. 248) - sans en reproduire le moindre mot. Un peu plus loin (p. 257-264), il oppose les bagnards dominateurs, macques, zigues, tierces (?), draguignans (?!), aux inférieurs pantriaux et aux délateurs : vaches, bourriques, porte-clés.

Jean Carol est un journaliste du Temps de Paris, qui a séjourné en Nouvelle-Calédonie en 1899. Il a publié dès 1900 Enquêtes coloniales, la Nouvelle-Calédonie minière et agricole (sur Google Livres). On y trouve beaucoup de choses sur les industriels, et très peu de données sur les ouvriers. Toutefois, p. 33, on apprend que la société Le Nickel emploie des condamnés et relégués fournis par l'administration pénitentiaire, mais préfère employer des ouvriers venus de France avec leur famille. Dans une autre exploitation, il trouve "soixante-cinq condamnés, presque tous Arabes, employés à la mine". Rien, donc, qui justifie une annonce riche en argot.
Il ne mentionne comme salaires que ceux des Canaques récoltant le café : 5 francs par semaine, 2 francs 50 pour les femmes,  et des Javanais, considérés comme particulièrement bon marché : 16 francs 80 par mois. Mais de là à 120 ou 140 francs par mois, la distance est très (trop?) grande.
Par ailleurs, p. 39, il confirme s'être déplacé par mer, comme je le soupçonnais, et dans Le Bagne, p. 16, c'est aussi en bateau qu'il va de Nouméa à Thio.

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

P'tit prof a écrit:

Il faudrait savoir l'époque de cette annonce, et comparer avec les salaires des mineurs métropolitains pour savoir si la paye est vraiment bonne.

A Carmaux, en 1896, le mineur "ne travaille que huit heures" et gagne 5 francs 50 par jour (Léon de Seilhac, Une enquête sociale, la grève de Carmaux, 1897, sur Archive.org).
En comptant 25 jours de travail par mois, le salaire mensuel est donc de 137 francs 50. Cela correspond bien aux chiffres néo-calédoniens avec un linvé à 20 francs. Je me demande toutefois s'il est plausible qu'un exploitant colonial propose autant, quand il a une main-d'oeuvre meilleur marché à sa disposition (bagnards de l'administration, Arabes, Javanais...).

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

Carol écrit que les journaux de Nouméa ont  l'habitude de passer ce genre d'annonces. Pourquoi mettre son annonce en doute ? C'est un peu facile.

http://photomaniak.com/upload/out.php/i905810_KOUMAC.jpg
http://photomaniak.com/upload/out.php/i905809_KOUMAK2.jpg

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

Il faut aussi remarquer que l'annonce spécifie que l'on recherche des personnes sachant boiser, donc qualifiées pour un travail de sécurité, et non de simples manoeuvres.

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

mercattore a écrit:

Carol écrit que les journaux de Nouméa ont  l'habitude de passer ce genre d'annonces. Pourquoi mettre son annonce en doute ?

Parce que je suis méfiant de nature.
Parce que le texte me paraît trop riche en argot mal maîtrisé.
Parce qu'il ne comporte ni source, ni date.
Parce que si les journaux ont cette habitude, ce serait vraiment exceptionnel.
Parce que Carol cite fort peu d'argot dans les autres 299 pages.
Parce que si l'on recherche des ouvriers qualifiés, on ne s'adresse pas à eux dans un argot parisien d'usage restreint....
... et pour quelques autres raisons encore.

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

Ce sont des arguments valables,  j'en conviens. Mais je suis moins méfiant que vous et je crois à la véracité de cette annonce.
Le gros écueil, est, comme vous le précisez, l'absence de source. Dommage.

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

J'ai envoyé un mail au sujet de cette annonce à quelqu'un qui a soutenu une thèse sur les journaux de Nlle-Calédonie au 19e siècle. On va voir s'il répond.

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

Sur le cours du linvé, j'ai déniché l'information suivante, qui réconcilie tout le monde :

À travers chants? -
Maurice Lefèvre - 1893 -

Là-haut, sur la butte, faire un linvé équivaut à gagner vingt sous ; mais dans
les quartiers riches, le linvé est de vingt francs. ...

Demeure la question :
le mois à six francs, c'est bien peu ; le mois à cent vingt francs, c'est peut-être un peu beaucoup...
Il faudrait connaitre le coût de la vie en Nouvelle-Calédonie à l'époque.

Mais là, nous dépassons la sandale : ce n'est plus de la lexicologie, c'est de l'histoire.

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

J'ai de même envoyé un courriel en Nouvelle-Calédonie. Attendons.

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

Sur linvé, voir notre administrateur :
                                                                                     http://www.languefrancaise.net/bob/detail.php?id=3226

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

Méfiants, nous ne le sommes sans doute pas assez : nous partons du principe que l'annonce vise bien à recruter des mineurs.
Nous oublions que les annonces, au XIXe siècle, et que certaines sont codées et sous des dehors innocents cachent des choses qui le sont moins.
Par exemple, Zola ne pouvait être présent auprès de Jeanne Rozerot lors de ses accouchements : il voyageait avec sa femme. Il avait donc convenu avec un ami de confiance de faire paraitre une annonce anodine, parlant d'un envoi de gibier : lapin, si c'est un garçon, me semble-t-il, peu importe.


Personne ne va mettre une annonce en clair pour recruter une bande de casseurs, mais une annonce pour un travail de boisage, dans un argot suffisamment clair pour ne pas alarmer les caves ?
N'y aurait-il pas un second sens à boisage ?
Chaque spécialité criminelle a un nom précis, et un nom d'apparence innocente, tels les vendangeurs de Villon, qui sont en fait des coupeurs de bourses.

Mais nous parlons en l'air tant que nous n'avons pas retrouvé le texte original dans les archives des journaux de l'époque. Nous verrons s'il a été correctement transcrit, et s'il existe d'autres annonces analogues.

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

19 Dernière modification par Pierre Enckell (13-02-2010 16:14:41)

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

Réponse à Mercattore (un autre post est venu s'insérer pendant que j'écrivais ceci)

Oui, c'est ce que je disais. Mais la citation de Tristan Bernard (son recueil Amants et voleurs est de 1905), ajoutée à l'annonce publiée par Carol (à moins qu'il ne s'agisse d'une fumisterie) et aux quelques rares citations de Google dont j'ai parlé, montre qu'il faut aussi tenir compte d'un sens secondaire linvé=20 francs.
Mais le sens "un franc" est de très loin le plus en usage. Esnault date le mot de 1872, chez les forçats, justement.

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

P'tit prof a écrit:

Personne ne va mettre une annonce en clair pour recruter une bande de casseurs, mais une annonce pour un travail de boisage, dans un argot suffisamment clair pour ne pas alarmer les caves ?
N'y aurait-il pas un second sens à boisage ?
Chaque spécialité criminelle a un nom précis, et un nom d'apparence innocente, tels les vendangeurs de Villon, qui sont en fait des coupeurs de bourses.

Vous pensez peut-être à ratiboiser. Pour ce qui est de boisage, il est inconnu de tous les dictionnaires d'argot que je connais.
Mais l'idée même d'un recrutement de casseurs par petites annonces codées dans des journaux de Nouvelle-Calédonie, où la presse est étroitement surveillée par le gouverneur et par la puissante Administration pénitentiaire, n'est pas soutenable. Des casseurs sachant lire (et peut-être écrire) ! des casseurs lisant les journaux ! des casseurs possédant un code secret n'ayant jamais filtré hors de leur groupe ! des casseurs diaboliquement organisés, comme Ferragus ou Fantômas ! Voilà qui demande une imagination particulière.

Mais nous parlons en l'air tant que nous n'avons pas retrouvé le texte original dans les archives des journaux de l'époque. Nous verrons s'il a été correctement transcrit, et s'il existe d'autres annonces analogues.

Oui. Quand vous dites "tant que nous n'avons pas retrouvé", cela signifie-t-il "tant que vous n'avez pas retrouvé" ? Quoi qu'il en soit, s'il s'agit d'une invention de Jean Carol ou d'un de ses informateurs, il n'y aura rien à retrouver.

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

Si nous ne l'avons pas encore retrouvé, nous nous en approchons. La seconde éd. du dict. d'argot de Bruant (1905) cite cette annonce d'après le journal parisien l'Intransigeant, qui renvoie lui-même au journal de Nouméa la France australe du vendredi 19 octobre 1900. Hélas, il ne semble pas consultable en ligne. Quant à l'Intransigeant (sur Gallica), il faudrait le dépouiller jour après jour à la fin de 1900 et au début de 1901, ce qui demanderait beaucoup de temps et de peine. Le journal présente cette annonce sur le ton humoristique.
 
La même citation est reprise par Jean-Paul Faivre, Géographie de la Nouvelle Calédonie (1955), p. 106, et par Patrick O'Reilly, La Nouvelle Calédonie au temps des cartes postales (1973), p. 109 ; malheureusement Google Livres ne donne que des fragments de ces deux livres.

Mais ces trois publications, peut-être indépendantes l'une de l'autre, ont un même texte : six linvés par jour. Bruant ajoute le premier marquet, ce que ne font pas les deux autres : six linvés par jour, sept pour les battes (O'Reilly). Voilà qui est nettement plus plausible : à 25 jours par mois, cela fait 150 à 175 francs mensuels.

Maintenant, le fait que cette seule et même annonce ait été citée tant de fois (il y a d'autres références encore chez Google Livres) peut faire sérieusement douter de "l'habitude" des journaux dont parle Carol. Serait-ce le seul exemple d'argot dans la presse du lieu ?  Et, une fois de plus, ne pourrait-il pas s'agir d'une plaisanterie ?

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

Et, une fois de plus, ne pourrait-il pas s'agir d'une plaisanterie ?

Surtout si, comme vous le faites excellemment remarquer les forçats libérés ne savent ni lire ni écrire...

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

P'tit prof a écrit:

Et, une fois de plus, ne pourrait-il pas s'agir d'une plaisanterie ?

Surtout si, comme vous le faites excellemment remarquer les forçats libérés ne savent ni lire ni écrire...

Ceci n'est pas exact. Consultez les comptes généraux de l'administration de la justice criminelle en France, et vous verrez qu'un nombre non négligeable de condamnés savaient lire et écrire. Sans compter les rélégués, qui n'étaient certes pas des condamnés libérés, mais qui pouvaient être aussi à la recherche d'un travail.

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

Du témoignage (plus tardif, et concernant la Guyane) d'Albert Londres les relégués, condamnés qui ont fini leur temps mais ne peuvent revenir en Métropole si leur condamnation dépassait sept ans, ces relégués, donc, ne trouvent pas de travail car ils subissent la concurrence des condamnés en cours de peine que l'Administration met gratuitement (ou à un tarif très bas) à la disposition des employeurs.
De plus, à Cayenne, les emplois sont rares.
A Nouméa, avec les mines de cobalt, les emplois ne sont pas rares.

Cela dit, ce n'est pas moi qui pose que les libérés sont analphabètes... J'ai lu Albert Londres !

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

L'analphabétisme ou non n'est pas un problème. Bien sûr, parmi les ex-bagnards, il y avait des bourgeois,  un notaire, un horloger, et certainement aussi des prolétaires ayant été à l'école. Mais cet argot excessif, l'usage "des fortifs et des bouges" parisiens comme le dit l'Intransigeant, ne s'adressait pas à eux.
Il y avait sûrement aussi d'infâmes voyous : mais ceux-là, croit-on qu'ils achetaient régulièrement un journal pour le lire avec attention ? Et si vous étiez chef d'une exploitation minière, serait-ce à eux que vous vous adresseriez pour recruter des ouvriers en leur offrant un salaire correct ?

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

L'avenir donnera peut-être une réponse. Mais je ne suis pas convaincu par vos derniers propos. Attendons.

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

mercattore a écrit:

Attendons.

Comme l'enquête s'est déjà montrée assez fructueuse, je préfère chercher  qu'attendre. J'ai trouvé sur l'irremplaçable Google Livres : Edouard Glasser, Rapport à M. le ministre des Colonies sur les richesses minérales de la Nouvelle-Calédonie, Paris, Dunod, 1904, soit presque au même moment que la période qui nous occupe.
Le chapitre concernant les mines de cobalt est fort intéressant, mais n'apporte rien au sujet en cours.
C'est tout à la fin de ce gros ouvrage que l'auteur traite de la main-d'oeuvre. Il y a environ 3000 ouvriers dans les mines (pour l'auteur, le mot "mineur" désigne l'exploitant), dont la moitié de blancs. Ils sont payés, par journée de 9 heures (p. 533) :
Travailleurs blancs libres : 7 à 8 francs par jour
Libérés : 5,50 à 7, 50 francs
Relégués : 3,50 à 4 francs
Japonais régulièrement engagés : 4,75 à 5,25 francs
Japonais évadés : 4 à 4,50 francs
Tonkinois, Annamites, Javanais : 2,50 à 3 francs
Noirs [c'est-à-dire Canaques et Néo-Hébridais] : 2;50 à 3,50 francs.
A plusieurs reprises, l'auteur fait remarquer que les ouvriers, logés dans des campements de fortune, ne touchent réellement que les deux tiers de ces sommes, étant donné les retenues exagérées faites par les "stores" sur tout achat de vivres, etc.
Voilà une source qui paraît parfaitement fiable sur les salaires de l'époque.

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

On progresse. On arrive, même.

http://www.persee.fr/web/revues/home/pr … m_6_6_1662

L'auteur de l'annonce (citée sous une autre forme encore dans cet article) est Georges Baudoux, né à Paris (18e) en 1870, et qui part pour l'île à l'âge de quatre ans, quand son père est nommé surveillant des déportés. Après un apprentissage de prote, il devient prospecteur minier et crée plusieurs exploitations. Il est l'auteur d'une "Chanson des cobaleurs" argotico-populaire datée "1896, Koumac" où quelques rares mots (store, cobaleur, marquet) correspondent à ceux de l'annonce. Après 1918, il fera une seconde carrière comme romancier.

On trouvera le texte de la chanson en googlant "cobaleur". Cette page donne aussi accès à quelques textes sur le français local qui, malgré les affirmations d'une dame du CNRS sur ses origines, ne semble pas avoir conservé quoi que ce soit d'argotique, excepté l'inoffensif peau de balle.

On ne saura probablement jamais si l'annonce argotique si souvent citée a été rédigée sérieusement ou non. Je penche personnellement pour la plaisanterie faite plus pour intriguer les lecteurs de la France australe (dont Baudoux connaissait le fondateur) que pour recruter du personnel. On a parfaitement le droit de penser différemment.

Ouf ! boufre ! bigre ! vingt-quatre heures environ de recherches assidues à propos d'une petite annonce vieille de plus d'un siècle ! Mais ce travail d'enquête, quand il produit autant de résultats qu'ici, est tout à fait amusant à effectuer.

29 Dernière modification par mercattore (14-02-2010 19:57:54)

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

Bonjour Pierre Enckell,

Je poste ce message et je m'aperçois que vous en avez posté un avant celui-ci et indiquant Georges Baudoux. Malgré tout, j'ai laissé mon message,  composé avant d'avoir lu le votre, ce dont je vous prie de mexcuser. 
                                                                                                                                Il s'agit de l'écrivain calédonien Georges Baudoux,  fils d'un surveillant à l'île des pins,  qui travailla dans la presse, devint prospecteur puis propriétaire minier.  Un collège porte son nom à Nouméa.

Source de l'annonce : Parole communication et symbole en Océanie. Actes du septième colloque C.O.R.A.I.L, publiés sous la direction de Frédéric Angleviel. C.O.R.A.I.L - l'Harmattan, Paris, 1995.
                                                                                  http://photomaniak.com/upload/out.php/i906736_BAUDOUX1.jpg
http://photomaniak.com/upload/out.php/i906737_BAUDOUX2.jpg
http://photomaniak.com/upload/out.php/i906738_BAUDOUX3.jpg

30 Dernière modification par Pierre Enckell (14-02-2010 20:25:35)

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

Oui. Il serait sûrement intéressant de relever "l'argot des bagnards" dans les ouvrages de Baudoux. Comment on s'évadait de la Nouvelle-Calédonie a été publié à Nouméa en 2001 (Catalogue collectif des bibl.). Est-ce le même ouvrage que L'Evadé d' la Nouvelle ? Et qu'en est-il de Nocturne calédonien devenu L'Emprise du crime ? Il y a peut-être d'autres textes encore : O'Reilly parle du "cycle de l'Ile des Pins et de l'Ile Nou".
Il faudrait aussi être sûr que les publications posthumes ont recopié avec exactitude les manuscrits (eux-mêmes souvent remaniés, semble-t-il). On voit, en comparant les nombreuses versions de l'annonce qui initia ce fil, que la simple transcription d'un texte de quelques lignes peut être assez fautive...

31 Dernière modification par mercattore (14-02-2010 20:47:21)

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

Un autre son de cloche. smile

En fouinant dans un carton de bouquins, j'ai trouvé un ouvrage de Jacques Dhur Visions de bagne , publié en 1928, mais je crois que la première édition date de 1925. Il raconte son séjour en Nouvelle-Calédonie, mais il ne le date pas. Un indice, quand même : il mentionne sa rencontre avec l'exécuteur des hautes-oeuvres, à l'île Nou, M. Macé. Ce dernier est décédé en 1905. Avec d'autres recoupements, je pense que J. Dhur a dû faire sa visite à peu près à la même époque que Jean Carole (1900/1902).

Le sujet de cette partie du livre est Bourail.
Page 56 et 57.

« Enfin Bourail a son journal : l'Indépendant,  qui, inspiré par l'administration, est rédigé et imprimé par un bagnard. On y vante les bienfaits du programme de « Relèvement moral des transportés ». On y insère aussi  des annonces en langue verte, dans ce goût-ci :

ACRÉ AUX COBALTEURS.  — Les mecs qui en mouillent pour gratter dans le cobalt, et  qui sont à la coule pour le boisage, n'ont qu'à radiner à Koumac, ils y dégotterons du turbin ! »

32 Dernière modification par Pierre Enckell (14-02-2010 21:19:36)

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

C'est tout à fait drôle. big_smile On continue ?

La version de Carol a d'abord été publiée dans La Revue de Paris, nov.-déc. 1901, p. 14, mais sans le titre. On y lit bien, comme dans le dict. de Bruant par exemple, "qui en mouillent".
La version de 1995 que vous donnez est, à en juger par un fragment, la même que celle publiée en 1979 par Ph. Godard, Le Mémorial calédonien, tome V, p. 478 dans un article sur Baudoux, avec s'ront, linvrés et la batte.

J'imagine que peu de textes provenant de journaux néo-calédoniens ont été publiés tant de fois, et sous tant de formes...

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

Pierre Enckell a écrit:

J'imagine que peu de textes provenant de journaux néo-calédoniens ont été publiés tant de fois, et sous tant de formes...

Oui, trop de fois même !  J'attends un courriel d'un correspondant calédonien qui, parait-il, est très au courant de ce texte mais, le temps passant, je ne suis pas certain d'une réponse.

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

On revient sur l'élucidation du texte de l'annonce ? Carmés comme des Autrichiens veut certes dire "bien payés", mais ce n'est pas une locution figurée comme je le croyais d'abord. Il s'agit de vrais Autrichiens d'Autriche. Dans son livre cité au # 27, Glasser indique en effet qu'une partie de la main-d'oeuvre des mines est constituée de Dalmates ayant émigré aux antipodes. La Dalmatie, en Croatie aujourd'hui et en Yougoslavie auparavant, faisait alors partie de l'empire d'Autriche-Hongrie (il y a d'ailleurs toute une émigration yougoslave qui s'est fixée en Australie, aux environs de Perth, je crois).

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

Donc,  ces hommes originaires d'Autriche, avaient un réputation de travailleurs  sérieux, réalisant un très bon travail, au point qu'ils étaient  mieux rémunérés que les autres travailleurs. Information intéressante.

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

Les rémunérations ne paraissent pas avoir dépendu de la qualité, mais du statut (ethnique et social) des ouvriers : voir le tableau de Glasser au # 27. Les Dalmates étaient a) blancs, b) immigrés volontaires...

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

D'accord. Je vais regarder le tableau.

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Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

Le texte trouvé par Mercattore est d'abord intéressant : c'est une « source  ». Qu'il faudrait évaluer et discuter, bien entendu.
Il faudrait aussi faire son histoire : qui l'a cité (la première fois), qui l'a repris et, idéalement, si on a les sources, que lui fait-on dire ? à quoi sert-il ?
Il en est parlé dans cette étude (Georges Baudoux en serait l'auteur ?) : http://www.persee.fr/web/revues/home/pr … m_6_6_1662

D'après ce que je vois, sa première citation est antérieure à 1903 : elle se trouverait déjà dans le Guide pratique du colon en Nouvelle-Calédonie (1901 ; visible avec un proxy sur GL, p. 39) et dans l'article de Carol paru dans la Revue de Paris, nov-déc 1901.
Question : qui est le premier ? Carol1901 ou Davillé ?

---
(Dans la partie du site consacrée à l'argot, où se trouve un début de bibliographie, je me proposerais bien d'ajouter sur le même mode du listage chronologique les « sources » de ce type, authentiques ou pas : chansons, parodies, paroles et discours rapportés, lettres et, pour chacune, énumérer qui les a listées.
Un embryon est commencé sur cette page : http://www.languefrancaise.net/Argot/Do … rgotiques, avec un premier jet pour Acré aux cobaleurs (http://www.languefrancaise.net/Argot/AcreAuxCobaleurs).
Acré aux gus qui veulent en être  !

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

Cher Gb, vous n'avez pas lu ce fil avec suffisamment d'attention. Il mentionne un certain nombre de publications et de versions de cette annonce amusante.
Jusqu'à plus ample informé, la première publication, en Nouvelle-Calédonie, serait celle de la France australe du 19 octobre 1900, à en croire le dict. de Bruant citant l'Intransigeant. Ensuite, le 22 octobre 1900, dans le Calédonien, selon Davillé que vous avez repéré. Elle aurait aussi paru dans l'Indépendant de Bourail, dit Dhur cité par Mercattore, mais sans indication de date.
Puis l'annonce est reprise en France par l'Intransigeant, fin 1900 ou début 1901 j'imagine. C'est peut-être là que Carol l'a lue (il était de retour en France dès l'automne 1899).
Si cela en valait la peine, on pourrait établir une généalogie des diverses variantes de ce texte bref, un stemma comme disent les médiévistes à propos des manuscrits. La version Davillé, par exemple, ne paraît pas avoir eu de postérité, avec son carinés (pour carmés) qui n'est repris nulle part ailleurs - sauf nouvelles découvertes ! 
Une collection de la France australe est conservée à la BnF. Grâce à la date, il devrait être assez facile de retrouver l'annonce, si la référence est exacte. Pour le Calédonien, la présentation de la BnF semble indiquer que la collection est défectueuse Pour l'Intransigeant, il s'agirait de faire apparaître successivement sur Gallica tous les numéros quotidiens à partir de, mettons, décembre 1900 et jusqu'à la mi-1901 peut-être, et de demander des mots comme cobaleurs ou radiner, etc. Bon courage, hardis chercheurs ! (Ce ne sera pas moi.)

40 Dernière modification par mercattore (15-02-2010 18:59:59)

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

Bonsoir à tous,   
Il est à noter Davillé mentionne le nom du journal et la date à laquelle l'annonce est parue alors que Carol ne cite aucune source.
De ce fait, ne pensez-vous pas donner une antériorité à Davillé ?

Un  gus qui  ne refuserais pas d'en être. smile

41 Dernière modification par mercattore (15-02-2010 19:17:16)

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

Ah, la, la, j'ai mal lu aussi Pierre Enckell !
mad

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Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

Pierre Enckell a écrit:

Cher Gb, vous n'avez pas lu ce fil avec suffisamment d'attention. Il mentionne un certain nombre de publications et de versions de cette annonce amusante.

Une partie des réponses a été faite pendant que je rédigeais la mienne wink
Ce que je propose pour les « documents argotiques » est plus modeste qu'une étude des variations (qui pourrait y être ajoutée) : ce serait en premier lieu de lister où a été reproduit tel document (combien d'éditions, dates, où, par qui : au moins pour dater le vocabulaire).
J'ai commencé une page pour centraliser les informations ; je vais la compléter avec les éléments donnés ici, chacun étant invité, s'il le souhaite, à corriger les erreurs que je (ou qqun d'autre) risque de commettre ou à compléter les informations. (La syntaxe du wiki n'est pas difficile à maîtriser, surtout s'il s'agit de revoir une page déjà faite).

Les souhaits sont : 1-dater les documents ; 2-faire apparaître les relais de sa diffusion.
Dans le cas de cette publicité, c'est tout de même intéressant : ce texte est court, pas spécialement remarquable, et déjà on relève :
Davillé, Carol(2), Publicité moderne =4
La France australe,  Le Calédonien, L'Indépendant de Bourail, L'Intransigeant =4
Huit reprises dans une dizaine d'années. Et sans doute ailleurs, plus tard. Pour une quinzaine de lignes, c'est beaucoup.

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

J'avais envoyé un mail à Georges Coquilhat, auteur d'une thèse sur la presse néo-calédonienne au 19e siècle. Sa réponse vient de me parvenir :

******************************************************************

La version de l'annonce figurant sur votre forum est incomplète.

ACRÉ AUX COBALEURS

« Les mecs qui en mouillent pour gratter dans le cobalt et qui sont à la coule pour le boisage, n'ont qu'à radiner à Koumac,  ils y dégotterons du turbin et seront carmés comme des Autrichiens.
« Six linvés pour le premier marquet.
« Le deuxième marquet sept linvés pour les bates, ceux qui n'en promettent pas.
« Affure avec la camelote du store.
« S'adresser sur les lieux à Koumak, son gnase ne marche pas pour les passages.

Voici la version exacte de Jean Carol.

ACRÉ AUX COBALEURS

« Les mecs qui en mouillent pour gratter dans le cobalt et qui sont à la coule pour le boisage, n'ont qu'à radiner à Koumac,  ils y dégotteront du turbin et seront carmés comme des Autrichiens.
« Six linvés par jour pour le premier marquet.
« Le deuxième marquet sept linvés pour les bates, ceux qui n'en promettent pas.
« Affure avec la camelote du store.
« S'adresser sur les lieux à Koumak, son gnase ne marche pas pour les passages.

Et voici la version donnée par Patrick O'Reilly (La Nouvelle-Calédonie au Temps des Cartes Postales).

ACRÉ AUX COBALEURS

« Ceux qui en mordent pour l'cobalt n'ont qu'à radiner à Koumac. Ils y seront carmés comme des Autrichiens.
« Six linvés par jour pour les battes.
« Affure avec la camelote du store.

L'annonce en question, je l'ai vue mais je crois bien que c'est en reproduction dans le Mémorial Calédonien.
Je ne dispose malheureusement ni de l'ouvrage de Philippe Godard ni d'un cliché de La France Australe du 19 octobre 1900 pour vérifier l'exactitude du texte de cette annonce dont par ailleurs Patrick O'Reilly donne une version différente.
Peut-être y a-t-il eu deux ou plusieurs versions de l'annonce en question ?
Par ailleurs, ce qu'écrit Jean Carol et qui motive la reproduction en note de ladite annonce est tout à fait faux. Il écrit en effet : "Les journaux les plus académiques de Nouméa ne font pas difficulté d'insérer des annonces en langue verte. A côté de polémiques brillantes et quelquefois courtoises entre publicistes locaux, on peut lire des entrefilets ou certains entrepreneurs offrent du travail aux libérés, en se servant de l'idiome qui, sans doute, les persuade le mieux."
Je peux témoigner que toutes les annonces publiées dans la presse calédonienne (des origines à 1900) étaient rédigées dans le français le plus correct,  l'annonce en question (si elle existe bien, ce que je crois) est l'exception.
Une caractéristique des gens qui écrivent à cette époque est le respect chatouilleux que tous éprouvent pour la langue française et si j'ai pu noter des polémiques entre écrivains de presse écrites en termes parfois bien sentis, toujours ils se sont efforcés de respecter la syntaxe, la grammaire et l'orthographe de notre langue afin de s'offrir à l'occasion le luxe de critiquer la qualité de la prose de leurs confrères.
Si j'ai rencontré quelquefois des annonces traduites en anglais, je ne connais en revanche que deux textes écrits l'un en argot (celui qui nous intéresse présentement) et l'autre en bichelamar pour la reproduction d'une affiche électorale (http://gnc.jimdo.com/biographies/amic-g/).
Cette rareté a fait le succès de l'une et de l'autre publication :
- la reproduction de l'affiche a tout particulièrement attiré l'attention du président de mon jury de thèse qui m'a reproché de ne pas avoir assez développé cet aspect folklorique de la presse calédonienne, ce à quoi je lui ai répliqué qu'il n'y avait rien à développer puisque ce texte était unique en son genre ;
- quant à l'annonce aux "cobaleurs" elle doit bien être la seule annonce connue de la presse de Nouvelle-Calédonie, cette rédaction argotique est donc un plein succès.

Pour ce qui est de la "traduction" de ce texte, voici ce que j'en pense à propos des termes tombés de nos jours dans l'oubli :
- "Acré aux cobaleurs" => Avis aux cobaleurs ;
- "qui se mouillent" ou "qui en mordent" => on dirait aujourd'hui "qui en veulent" ;
- "carmés comme des Autrichiens" => "bien payés", littéralement "argentés comme des Autrichiens", ce qui est une image faisant allusion à la richesse des Autrichiens qui peut remonter très loin dans le temps (la période des guerres impériales par exemple ou même bien plus loin, au 16ème siècle quand la monarchie autrichienne possédait l'Espagne et ses riches mines d'Amérique) et non à des Autrichiens travaillant sur les mines de cobalt (mines à ciel ouvert) ;
- "six linvés par jour" => six pièces de vingt sous (en argot, "linvé" signifie "vingt"), soit six francs, soit à peu près le salaire normal d'un ouvrier d'usine ou d'un mineur de fond en métropole (à l'époque, à Nouméa, une douzaine d'œufs coûte 1 F ; un pantalon bleu 2,50 F ; 1 pantalon en drap noir 10 F ; une paire de souliers de brousse 7,50 F ; une chemise flanelle de mineur 4 F) ;
- "les bates"=> avec cette orthographe cela veut peut-être se comprendre comme les "baths", c'est-à-dire les "bons" mais si l'orthographe est "les battes", cela peut plutôt faire référence à l'une des activités des cobaleurs, le "battage", voici le couplet de "La Chanson des Cobaleurs" (1886) de Georges Baudoux qui y fait référence :

Ils n'en fout' pas un' secousse
Les laveurs
Voilà les mecs qui la r'troussent
Su' not' sueur ;
Ça n'us' pas de rigodons
À grimper sur le mam'lon
Et ça gagne du pognon
Les batteurs.

- "affure"=> "avantages", "profit", "affaires" (vous pourrez profiter de prix avantageux pour les marchandises en vente au store).
Bien cordialement.

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

Excellentes informations de Georges Coquilhat,  Donc, M. Carol nous joue un air de pipeau en mentionnant que les journaux les plus académiques de Nouméa ne font pas difficulté d'insérer des annonces en langue verte.
Pierre Enckell avait raison de ne pas croire à cette mention.

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Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

Ce qui semble avéré est que, contrairement à ce qui est parfois annoncé, les journaux calédoniens ne sont pas farcis de textes argotiques. Celui-ci est une exception. Sans doute que cela explique en partie la multiplication des reproductions.
Mais pour autant, il ne s'agit pas d'un pastiche. D'après A. Martin (p. 72, « Ces publicités [pluriel?] auront un grand succès et seront appréciées par cette clientèle qu'il recrutait pour sa mine (cf. “Clotho”, “L'emprise du crime”). Le respect et la confiance qu'il témoignait aux forçats évadés lui vaudront la reconnaissance de nombreux évadés. »
(Ceci, sous réserve que le texte existe bien, ce dont je ne doute pas).

Merci Pierre d'avoir transmis ici la réponse de votre correspondant.

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

gb a écrit:

Mais pour autant, il ne s'agit pas d'un pastiche. D'après A. Martin (p. 72, « Ces publicités [pluriel?] auront un grand succès et seront appréciées par cette clientèle qu'il recrutait pour sa mine (cf. “Clotho”, “L'emprise du crime”). Le respect et la confiance qu'il témoignait aux forçats évadés lui vaudront la reconnaissance de nombreux évadés. »
(Ceci, sous réserve que le texte existe bien, ce dont je ne doute pas).

Le texte existe certainement. Mais ce M. Alain Martin ne l'a pas vu, puisqu'il cite la variante (récente?) qui comporte linvrés. Il n''a pas non plus pu recueillir les témoignages de "nombreux évadés" morts depuis longtemps lorsqu'il rédigeait son intervention. Il répète sans doute une tradition dont nous ne connaissons pas la valeur.
Cela dit, que Baudoux ait connu "l'argot du bagne", c'est tout à fait vraisemblable. Et qu'il soit l'auteur de l'annonce, c'est pour le moins probable. Je persiste à penser, toutefois, que cette annonce a été composée à titre de plaisanterie, avec une densité en argot exagérée. Et que l'auteur, s'il connaissait cet argot, ne le maîtrisait pas forcément : son gnasse continue à faire problème.

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Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

La référence de A. Martin est donnée en note : Patrick O’Reilly, Georges Baudoux, prospecteur et écrivain calédonien, Société des Océanistes, Musée de l’Homme, Paris, 1951. La copie diffère de celle donnée dans son article.
Vous avez raison sur la réception du texte, qui emprunte trop à O'Reilly : il s'agit probablement de la redite d'une tradition.

Re : Traduction : Les mecs qui se mouillent pour gratter dans le cobalt

Pierre Enckell a écrit:

J'avais envoyé un mail à Georges Coquilhat, auteur d'une thèse sur la presse néo-calédonienne au 19e siècle. Sa réponse vient de me parvenir :

******************************************************************

La version de l'annonce figurant sur votre forum est incomplète.

ACRÉ AUX COBALEURS

« Les mecs qui en mouillent pour gratter dans le cobalt et qui sont à la coule pour le boisage, n'ont qu'à radiner à Koumac,  ils y dégotterons du turbin et seront carmés comme des Autrichiens.
« Six linvés pour le premier marquet.
« Le deuxième marquet sept linvés pour les bates, ceux qui n'en promettent pas.
« Affure avec la camelote du store.
« S'adresser sur les lieux à Koumak, son gnase ne marche pas pour les passages.

Voici la version exacte de Jean Carol.

ACRÉ AUX COBALEURS

« Les mecs qui en mouillent pour gratter dans le cobalt et qui sont à la coule pour le boisage, n'ont qu'à radiner à Koumac,  ils y dégotteront du turbin et seront carmés comme des Autrichiens.
« Six linvés par jour pour le premier marquet.
« Le deuxième marquet sept linvés pour les bates, ceux qui n'en promettent pas.
« Affure avec la camelote du store.
« S'adresser sur les lieux à Koumak, son gnase ne marche pas pour les passages.

Hé, oui, (six linvés) par jour à sauté dans ma reproduction de l'annonce. C'est triste, mais je ne peux pas compter sur moi.

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