J'avais envoyé un mail à Georges Coquilhat, auteur d'une thèse sur la presse néo-calédonienne au 19e siècle. Sa réponse vient de me parvenir :
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La version de l'annonce figurant sur votre forum est incomplète.
ACRÉ AUX COBALEURS
« Les mecs qui en mouillent pour gratter dans le cobalt et qui sont à la coule pour le boisage, n'ont qu'à radiner à Koumac, ils y dégotterons du turbin et seront carmés comme des Autrichiens.
« Six linvés pour le premier marquet.
« Le deuxième marquet sept linvés pour les bates, ceux qui n'en promettent pas.
« Affure avec la camelote du store.
« S'adresser sur les lieux à Koumak, son gnase ne marche pas pour les passages.
Voici la version exacte de Jean Carol.
ACRÉ AUX COBALEURS
« Les mecs qui en mouillent pour gratter dans le cobalt et qui sont à la coule pour le boisage, n'ont qu'à radiner à Koumac, ils y dégotteront du turbin et seront carmés comme des Autrichiens.
« Six linvés par jour pour le premier marquet.
« Le deuxième marquet sept linvés pour les bates, ceux qui n'en promettent pas.
« Affure avec la camelote du store.
« S'adresser sur les lieux à Koumak, son gnase ne marche pas pour les passages.
Et voici la version donnée par Patrick O'Reilly (La Nouvelle-Calédonie au Temps des Cartes Postales).
ACRÉ AUX COBALEURS
« Ceux qui en mordent pour l'cobalt n'ont qu'à radiner à Koumac. Ils y seront carmés comme des Autrichiens.
« Six linvés par jour pour les battes.
« Affure avec la camelote du store.
L'annonce en question, je l'ai vue mais je crois bien que c'est en reproduction dans le Mémorial Calédonien.
Je ne dispose malheureusement ni de l'ouvrage de Philippe Godard ni d'un cliché de La France Australe du 19 octobre 1900 pour vérifier l'exactitude du texte de cette annonce dont par ailleurs Patrick O'Reilly donne une version différente.
Peut-être y a-t-il eu deux ou plusieurs versions de l'annonce en question ?
Par ailleurs, ce qu'écrit Jean Carol et qui motive la reproduction en note de ladite annonce est tout à fait faux. Il écrit en effet : "Les journaux les plus académiques de Nouméa ne font pas difficulté d'insérer des annonces en langue verte. A côté de polémiques brillantes et quelquefois courtoises entre publicistes locaux, on peut lire des entrefilets ou certains entrepreneurs offrent du travail aux libérés, en se servant de l'idiome qui, sans doute, les persuade le mieux."
Je peux témoigner que toutes les annonces publiées dans la presse calédonienne (des origines à 1900) étaient rédigées dans le français le plus correct, l'annonce en question (si elle existe bien, ce que je crois) est l'exception.
Une caractéristique des gens qui écrivent à cette époque est le respect chatouilleux que tous éprouvent pour la langue française et si j'ai pu noter des polémiques entre écrivains de presse écrites en termes parfois bien sentis, toujours ils se sont efforcés de respecter la syntaxe, la grammaire et l'orthographe de notre langue afin de s'offrir à l'occasion le luxe de critiquer la qualité de la prose de leurs confrères.
Si j'ai rencontré quelquefois des annonces traduites en anglais, je ne connais en revanche que deux textes écrits l'un en argot (celui qui nous intéresse présentement) et l'autre en bichelamar pour la reproduction d'une affiche électorale (http://gnc.jimdo.com/biographies/amic-g/).
Cette rareté a fait le succès de l'une et de l'autre publication :
- la reproduction de l'affiche a tout particulièrement attiré l'attention du président de mon jury de thèse qui m'a reproché de ne pas avoir assez développé cet aspect folklorique de la presse calédonienne, ce à quoi je lui ai répliqué qu'il n'y avait rien à développer puisque ce texte était unique en son genre ;
- quant à l'annonce aux "cobaleurs" elle doit bien être la seule annonce connue de la presse de Nouvelle-Calédonie, cette rédaction argotique est donc un plein succès.
Pour ce qui est de la "traduction" de ce texte, voici ce que j'en pense à propos des termes tombés de nos jours dans l'oubli :
- "Acré aux cobaleurs" => Avis aux cobaleurs ;
- "qui se mouillent" ou "qui en mordent" => on dirait aujourd'hui "qui en veulent" ;
- "carmés comme des Autrichiens" => "bien payés", littéralement "argentés comme des Autrichiens", ce qui est une image faisant allusion à la richesse des Autrichiens qui peut remonter très loin dans le temps (la période des guerres impériales par exemple ou même bien plus loin, au 16ème siècle quand la monarchie autrichienne possédait l'Espagne et ses riches mines d'Amérique) et non à des Autrichiens travaillant sur les mines de cobalt (mines à ciel ouvert) ;
- "six linvés par jour" => six pièces de vingt sous (en argot, "linvé" signifie "vingt"), soit six francs, soit à peu près le salaire normal d'un ouvrier d'usine ou d'un mineur de fond en métropole (à l'époque, à Nouméa, une douzaine d'œufs coûte 1 F ; un pantalon bleu 2,50 F ; 1 pantalon en drap noir 10 F ; une paire de souliers de brousse 7,50 F ; une chemise flanelle de mineur 4 F) ;
- "les bates"=> avec cette orthographe cela veut peut-être se comprendre comme les "baths", c'est-à-dire les "bons" mais si l'orthographe est "les battes", cela peut plutôt faire référence à l'une des activités des cobaleurs, le "battage", voici le couplet de "La Chanson des Cobaleurs" (1886) de Georges Baudoux qui y fait référence :
Ils n'en fout' pas un' secousse
Les laveurs
Voilà les mecs qui la r'troussent
Su' not' sueur ;
Ça n'us' pas de rigodons
À grimper sur le mam'lon
Et ça gagne du pognon
Les batteurs.
- "affure"=> "avantages", "profit", "affaires" (vous pourrez profiter de prix avantageux pour les marchandises en vente au store).
Bien cordialement.