-Allo, Monsieur TLFi ?
-Bonjour Monsieur, je m'appelle Isabelle et je suis standardiste au TLFi. Que puis-je faire pour vous ?
-Ah. Bonjour Isa. Dites-moi mon ange, pourrais-je parler à l'auteur de l'article «zeugme» s'il-vous-plaît ?
-Une seconde. Ne quittez pas. Et soyez un peu plus respectueux je vous prie.
(....)
-Ah, je l'ai, poste 55-54, je vous passe Monsieur Georges Mounin. Au revoir.
-Je vous remercie Isa, vous êtes bien aimable.
(musique de téléphone : le Boléro de Ravel)
-Allo ?
-Allo ? Monsieur Mounin ?
-Oui, bonjour, c'est lui-même, que puis-je pour vous ?
-Bonjour, gb à l'appareil ; je me permets de vous appeler pour savoir ce que vous voulez dire quand vous parlez d'un zeugme au sens grammatical. C'est pas pour moi, hein, mais c'est pour Cyrano, rapport aux doutes qui l'habitent.
-Ah ! je vois, c'est classique. Cyrano a probablement en tête le zeugme vu par la rhétorique, auquel j'ai consacré le deuxième paragraphe de ma notice. C'est en effet le plus connu, parfois utilisé par les auteurs comiques -je pense à Pierre Desproges-...
-Très bon ce Desproges !
-Oui, n'est-ce pas ?
-Pardon, je vous ai interrompu !
-Il n'y a pas de mal... Je disais donc que Cyrano avait sans doute en tête le zeugme le plus connu, celui qu'utilise Desproges par exemple, mais, car il y a un mais, mais que si je suis payé royalement par le CNRS, si je suis la gloire de ma famille et le phare de la linguistique moderne, c'est pour avoir découvert le zeugme au sens grammatical. Et ça, c'était pas du billard !
-Parlez-nous en, cher maître, dites-nous tout !
-Oui, mais par où commencer ?
-Commençons par le commencement si vous le voulez bien ?
-Soit, bonne idée. Hum... Donc, tout a commencé en 1974, en mai 1974, le 12 très précisément, à 18 heures 35. Nous avions pris une semaine de vacances, ma femme Priscilla et moi, au camping des Flots Bleus, à Argelès, vous connaissez ?
-Euh, non... c'était bien ?
-Eh bien non, ce n'était pas bien mais c'est comme ça que j'ai fait ma découverte : météo dégueu, temps pourri, on se serait cru sur une plage bretonne en janvier. C'est à cause de ça qu'il est arrivé, le zeugme grammatical. Vous savez, cher gb, les grandes découvertes procèdent toujours du plus grand des hasards : la pomme qui tombe sur la figure à Newton, Pasteur qui découvre la vaccination au retour d'un week-end, ètcétéra. Bref, je m'en souviens comme si c'était hier, j'étais parti pêcher des crevettes, avec mon petit panier et ma petite épuisette, et à mon retour, en fin d'après-midi, ma femme me demande si c'était bien. «De la merde oui ! L'océan était vide et la plage déserte, quelles vacances pourrites !», que je lui dis, emporté par une sainte colère. Vous comprenez ?
-Euh, non, pas précisément : soyez plus clair Maître.
-«L'océan était vide et la plage déserte», c'est ça l'important : au lieu de «l'océan était vide et la plage était déserte», je dis à Priscilla : «L'océan était vide et la plage déserte». Vous voyez le zeugme ?
-Je l'entrevois, mais il est bien caché.
-Certes, certes, ce serait trop facile si c'était à la portée du premier pékin venu. Mais regardez de plus près gb, approchez les yeux : nous sommes bien à l'évidence en présence d'une construction qui consiste à sous-entendre dans un énoncé un élément (monème ou syntagme) exprimé dans un énoncé voisin, c'est évident !
-...
-Si, si ! J'ai déposé le brevet !
-Ah vous êtes un savant prévoyant Georges !
-Absolument ! et depuis ces vacances pourrites à Argelès, je peux vous dire que j'emballe toutes les étudiantes que je veux. Mais ne le répétez pas à Priscilla.
-C'est promis Georges. Merci encore !
-À vot'service.