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Le forum d'ABC de la langue française

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noir/nègre : des doublets ?

En apparence, c’est simple : noir(e) et nègre sont des doublets, le premier populaire, le second savant, et qui dérivent au masculin du latin nĭgrum, accusatif de nĭger et au féminin, de nĭgra.

Sauf que la réalité est plus complexe.

Non parce que le nom « nègre », apparu dans le sens moderne au XVIème siècle,  est en fait un emprunt à l’espagnol ou au portugais (Bloch-Warburg) : negro provient bien de nĭgrum, et nous avons établi ici-même la possibilité du détour par une langue étrangère d’un des éléments du couple.

Mais parce qu’il existe un mot nègre, nigre ou nècre, attesté en 1313 (Greimas) qui, comme neir ou noir, signifie « noir ». L’emploi comme noms de ces deux adjectifs est possible, mais seulement dans le sens de « couleur noire ».

Voilà donc des doublets purement français cette fois.

Restent deux remarques à faire :
a) Que nègre ait des variantes n’est pas étonnant : les mots savants formés anciennement sont soumis à des variations phonétiques qui altèrent parfois sensiblement la forme latine classique (nigre est en l’occurrence la forme la plus fidèle au latin).

b) Bourciez estime que la forme populaire neir, puis noir et l’italien nero, en face de l’espagnol negro, suppose le passage de nĭgrum à *nĭrum dès l’époque latine dans les domaines italien et gallo-romain. Le ĭ tonique, placé en syllabe libre, donne le son ẹ (GBV), ce son ayant ensuite évolué vers -ei- puis -oi- (prononcé [wɛ], puis [wa]).
Fouché, sans évoquer le cas de l’italien, s’en tient à la forme nĭgrum qui donne à peu près le même résultat en français : dans le groupe gr-, le g- passe à yod (cf. flagrare > flairer), ce yod se combine avec le ẹ qui évolue ensuite comme le ẹ libre tonique : [ei] > [oi] > [wɛ], puis [wa] .
Bourciez pense, sans doute justement, que le groupe gr-, passé à yr- après la chute de la voyelle finale, aurait dû amener le maintien de cette dernière comme voyelle d’appui, sous la forme du « e » muet ; on aurait dû avoir ainsi la forme **noire, comme par exemple dans fièvre < *fĕbrem (class. febrim).

Rien n'est simple en philologie romane.

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Alco a écrit:
éponymie a écrit:

Soyez assurés que vous aurez des lecteurs attentifs sur ABC même si ce fil semble tourner au monologue. Merci encore.

Je confirme parce que je fais partie des lecteurs intéressés par le sujet.

Ne pas oublier non plus que tout ce qui peut s'écrire de vraiment  intéressant sur Internet tombe rarement dans les yeux d'aveugles. Qui, par contre, ne savent probablement pas écrire parce que je n'ai jamais vu de remerciements lol Je l'ai constaté plusieurs fois.

27

Merci beaucoup.

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éponymie a écrit:

Soyez assurés que vous aurez des lecteurs attentifs sur ABC même si ce fil semble tourner au monologue. Merci encore.

Je confirme parce que je fais partie des lecteurs intéressés par le sujet.

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Merci beaucoup de vos paroles si aimables. Ne me survalorisez tout de même pas ! Je ne suis qu'un amateur dans le domaine de la phonétique historique romane.   

J'ai lu ce que vous aviez écrit, ce sont de très bonnes mises au point, accessibles à tous sans être superficielles. Mes explications de mots sont trop "pointues", je pense.
Je me suis constitué des fiches de datation des phénomènes à partir de plusieurs ouvrages, il faudra que je les publie, je crois que cela n'a pas encore été fait sous cette forme. Je m'en tiens aux datations les plus récentes (Zink, Joly) : il y a parfois des écarts de deux siècles entre eux ! J'ai souvent tendance à choisir la datation la plus ancienne : plus j'avance dans ce domaine, plus je me dis que le "français", pour l'ensemble, était quasiment constitué dès les V-VIème siècles.

Pardon pour le décousu !

PS : J'ai redécouvert le doublet tibia/tige dans ma dernière étude, mais j'ai vu qu'il figurait dans votre recension.

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Merci infiniment. Je reprends à mon compte ce qu'écrivait le regretté Trevor.

trevor, dans le message 13 a écrit:

[éponymie] vous lit avec beaucoup de plaisir et d'admiration, mais qu'il est quand même content de vous laisser tout faire. big_smile

Vous comprendrez bien que, pour le dilettante que je suis, alimenter un fil pareil a nécessité recherches, lectures et relectures. Maintenant encore, je suis obligé de prendre ma tête à deux mains pour suivre ma prose de l'époque. Pour vous, ce ne sera qu'une allègre ballade, sautillant de phones en phones, des divers latins aux variés romans et consorts.

Soyez assurés que vous aurez des lecteurs attentifs sur ABC même si ce fil semble tourner au monologue. Merci encore.

23

Comment passe-t-on de rubeum à rouge ?

Époque républicaine :
a) rŭbĕum > *rŭbĕu : le m final derrière voyelle ne se prononce plus.
b) *rŭbĕu > *rŭbyu : le ĕ et le ĭ en hiatus perdent leur valeur vocalique en se palatalisant pour donner un yod.

IIIème siècle :
a) *rŭbyu > *rŭbd̬u : le yod, attiré vers l’avant par la labiale, se transforme en une dentale palatalisée.
b) *rŭbd̬u > *rŭbdžu : l’articulation palatale, instable, se consolide en donnant une chuintante sonore.

IVème siècle : *rŭbdžu > *rbdžọ : l’ancien u bref latin prend le son du o fermé.

VIème - VIIème siècles :
a) *rbdžọ > *rβdžọ > *rvdžọ : l’occlusive labiale devient une fricative labio-dentale sous l’effet du d, en passant par un intermédiaire fricatif bilabial.
b) *rvdžọ > *rvdže̥ : la voyelle finale s’affaiblit, mais persiste sous la forme du e « moyen » pour servir d’appui au groupe consonantique complexe.   

IXème siècle : *rvdže̥ > rdže̥ (graphié roge au XIIème siècle) : le premier élément du groupe disparaît (1).

XIIIème siècle :
a) rdže̥ > rudže̥ : le o fermé en entrave évolue vers [u ] (cf. cọrte > cort > cour, etc…)   
b) rudže̥ > ruže̥ (graphié rouge) : c’est au tour de l’élément dental de disparaître (cf. JAUNE).

XVIIème siècle :
a) ruže̥ > ruž(ə) : le e moyen final devient caduc.
b) ruž(ə) > Ruž(ə) : le r « roulé » devient grasseyé dans le parler urbain.

Graphie :
a) Le son ž restera graphié « g » devant e (et i), le « j » notant celui provenant du yod initial latin (cf. JAUNE).
b) Le son [u ] ne pouvait être graphié « u », comme en latin, étant donné que cette lettre avait servi à noter le [ü] provenant du [u ] long latin. On a donc inventé le digramme « ou » au XIIIème siècle quand le [u ] « français » a fait son apparition.

(1) Je me fonde ici sur Gaston Zink, Phonétique historique du français, PUF.

Traitements comparables :
a) Avec by : tibia > tige (tiens, des doublets !), gubia > gouge, gobionem > goujon, cambiare > changer…
b) Avec py : apia > ache, sapiam > sache (vbe), Clippiacum > Clichy...

On peut là encore observer la parfaite corrélation des traitements : occlusive labiale sonore > chuintante sonore / occlusive labiale sourde > chuintante sourde.

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Lévine a écrit:

La forme galbĭnŭm  n'est pas un neutre, mais un accusatif masculin. On part traditionnellement de ce cas puisque c'est de lui que dérivent les formes romanes qui ont fini par s'imposer. Le cas sujet est en partie artificiel pour nombre de mots.
Le -m final de l'accusatif est caduc depuis la haute époque du latin, au point que la plupart des manuels ne le portent même pas dans l'étymon. Je ne sais pas si vous avez fait du latin

J'en ai fait... un peu. Et je m'en veux de ne pas avoir pensé à l'accusatif masculin, ayant effectivement appris jadis qu'on part traditionnellement de ce genre et de ce cas pour beaucoup d'étymons de langues romanes.
Merci.

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La forme galbĭnŭm  n'est pas un neutre, mais un accusatif masculin. On part traditionnellement de ce cas puisque c'est de lui que dérivent les formes romanes qui onr fini par s'imposer. Le cas sujet est en partie artificiel pour nombre de mots.
Le -m final de l'accusatif est caduc depuis la haute époque du latin, au point que la plupart des manuels ne le portent même pas dans l'étymon. Je ne sais pas si vous avez fait du latin, mais dans la scansion, le m devant voyelle chute, entraînant l'élision de la voyelle qui le précède : c'est la preuve de sa faiblesse. Par contre, il se maintient devant consonne.
Et ce m est caduc derrière toutes les voyelles, comme en témoignent les inscriptions (Ex : die Jovis pour diem Jovis, cu amecis pour cum amicis à Pompéi (époque impériale).
On explique cette débilité du -m final par son caractère implosif qui, dans le cas d'une nasale, fait que le son ne "sort" plus des organes phonatoires, il est en quelque sorte absorbé par la voyelle. Väänänen (Introduction au latin vulgaire, Klincksieck) doute cependant qu'une nasalisation se soit produite en latin, comme le pensent certains. Il est à signaler que le vieux-slave connaît exactement le même phénomène.   
Même le -s final n'était pas aussi nette qu'on peut le croire, comme en témoignent des élisions que l'on trouve chez Plaute...
Tout cela nous fait conclure que la langue écrite, celle des auteurs, était sensiblement différente de la langue vulgaire dès l'origine de la littérature latine...

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Passionnant.

Lévine a écrit:

Époque républicaine : galbĭnŭm > galbĭnŭ : le m final derrière voyelle ne se prononce plus.

La disparition de ce m final aura peut-être été facilitée par la brièveté du u (ŭ) ? Ainsi que par la présence de l'accent tonique (a) sur la première syllabe ? Et la terminaison -um du neutre n'était-elle pas ressentie comme plus instable que le reste du mot, puisque en concurrence avec -us et -a pour le masculin et le féminin ?