L'intervention d'ABtrad m'inspire plusieurs réflexions :
- le cas du mot courriel est emblématique et "personnifie" à mes yeux l'effort fait pour trouver des équivalents aux anglicismes ; le mot courriel est d'ailleurs le nom d'une association de défense de la langue française. Tel que je vois cela, il me paraît important d'essayer de trouver des équivalents à partir de bases françaises / latines pour des mots anglais notamment. Si l'on doit utiliser mail, je préfère qu'on l'écrive mél, car cela respecte les règles de prononciation françaises habituelles. Utiliser des mots français équivalents revient pour moi essentiellement à régulariser et adapter aux règles de notre langue les emprunts aux langues étrangères. Le cas échéant, on crée une langue qui comporte plus d'exceptions que de régularités. Pour le cas de mail, on peut donc envisager mél (ainsi on garde l'usage du mot déjà largement diffusé, tout en le resémentisant, en lui redonnant du sens : m-él : contraction de message électronique). Courriel est encore plus transparent pour un français : courrier + el, suffixe que l'on retrouve dans le mot logiciel (autre création des commissions de création de mots), dans didacticiel (que l'on retrouve maintenant fréquemment à la place du mot anglais tutorial). Le but de la francisation des mots est de retomber sur un vocabulaire construit à partir de bases facilement reconnues par tout le monde, les anglicistes comme les autres. J'ai entendu sur un site de promotion du français la proposition Carrefour-au-volant ou Leclerc-au-volant. Je pense que c'est plus limpide que l'équivalent anglais que vous connaissez sans doute (je ne le donne pas, pour voir si vous trouvez facilement). Autre anecdote : ma vieille voisine va au "Coksimarké" (en prononciation) quand moi je vais au "Coksimarkète". Elle respecte les règles de prononciation qu'elle a apprises à l'école il y a 60 ans : -et se prononce é. Comment prononcez-vous white spirit, tuperware (tiou'perwore ? ou tu-père-ouare ?) ? Cela pose le problème de graphie en corrélation avec la prononciation.
Le cas du mot mail est cependant tangent, vu que son écriture peut se prononcer quasiment de la même façon en français, ce qui a à mon avis facilité son utilisation en France. Par contre, il n'évoque pas grand chose contrairement à courriel ou pourriel que l'on peut deviner assez facilement.
- la deuxième réflexion que cela m'inspire, c'est que l'on a fait des efforts pour parler français tout petit, que l'on nous a corrigé d'automatismes incorrects rapport à la norme. Le français, c'est, au fond, une norme et des conventions que l'on respecte pour se faire comprendre. Rapport aux anglicismes, je pense que c'est la même démarche : certains mots sont comme des habitudes que l'on a prises, il s'agit de changer cela, de la même façon que lorsque l'on veut arrêter de dire un gros mot, on met une petite pièce dans la tirelire pour s'y obliger. Tout le monde n'a cependant pas vocation à s'y obliger, ce n'est bien sûr pas vital. Mais je pense que si l'on est attaché à une qualité de langue, on peut faire cet effort d'utiliser des mots précis, facilement compréhensibles. Dans le langage commun, on parle maintenant de "boîte de réception" et pas de "inbox", de logiciel, et plus tellement de "software", de disque dur, et plus tellement de "hard". Il s'agit d'utiliser des mots qui évoquent plus facilement ce qu'ils désignent, en gardant en conscience que tout le monde n'a pas vocation à être bilingue anglais pour savoir ce dont on parle et comment se prononce ce qu'il écrit en français (franglais). Je pense qu'un mot s'installera d'autant mieux en français que le lien avec son sens est direct.
Cependant, certains mots comme vous le soulignez sont entrés dans la langue française : week-end par exemple. Je me surprends cependant à entendre tablette numérique, alors que les i-pod et autres i-pad (je fais difficilement la différence...!) me semblaient partis... pour rester.
J'ai consacré plusieurs articles sur mon blogue (ou cybercarnet) aux emprunts à la langue anglaise et aux problèmes que cela pose. Je vous livre mes conclusions (si cela vous intéresse!) :
- il me paraît impossible d'imposer l'usage de termes français équivalents à des anglicismes dans la sphère privée. Déjà, personne ne peut contrôler les mots utilisés, mais en plus cela serait complètement contre-productif, cela énerverait, moi en premier lieu.
- par contre, il me paraît judicieux d'intervenir dans la sphère publique, seul domaine où la puissance publique peut se permettre d'intervenir. Ainsi, il existe des commissions terminologiques qui proposent des équivalents pour les milliers de mots techniques qui arrivent en français tous les ans (on pourrait dire qu'il faut un dictionnaire pour parler de tous les aspects d'un avion !). Cela concerne donc des termes techniques (que l'on retrouve sur le site franceterme) ainsi que des termes plus courants (sur le wikilf). Ces commissions font un énorme travail sans que l'on soit vraiment au courant. Le problème est qu'elle doivent être super réactives. Air-bag est déjà passé dans le langage courant par exemple, mais on parle bien de direction assistée. Courriel est un mot emblématique qui cache la forêt des emprunts qui ont réussi à être traduit en français avec succès.
- par où arrivent les anglicismes ? Ceux qui diffusent le plus largement les nouveaux mots sont les journalistes et autres présentateurs télé, de par leur audience. Ainsi, France Inter s'efforce, par l'intermédiaire de son médiateur, d'écouter les doléances (rapport aux anglicismes) des auditeurs et d'en tenir compte. Le journal Le Monde fait de même et est un modèle d'utilisation de la langue française. Par contre, pour avoir essayé d'en toucher un mot à Libération, je peux vous dire qu'ils n'en ont pas grand chose à faire. J'avais vu également sur Le Point le titre d'article "best-of de la playlist de la semaine". Je leur avais demandé pourquoi pas un "best-of de la playlist de la week"... (sans réponse bien sûr !)
Ces personnes proposent donc un modèle d'usage du français que les auditeurs reprennent naturellement. On a parlé des euro-bonds, puis certains l'ont traduit par euro-obligations. Je trouve cela plus compréhensible. Il s'agit donc de voir que ces personnes ont une mission de service public et de le leur rappeler gentiment. Le BO propose des équivalents, il s'agit pour eux d'apprendre à les utiliser ou à tout le moins d'écouter les propositions de leurs lecteurs / auditeurs et d'en tenir compte. Dans un premier temps, il faut se forcer pour ne pas utiliser l'anglicisme qui nous vient à l'esprit, c'est un effort contraignant ; ce n'est donc pas le travail des individus, mais de ceux dont le métier est d'utiliser le français à l'usage du plus grand nombre. Si une dizaine de journalistes largement écoutés utilisent ce mot, il sera vite repris car on ne fera plus le lien avec le mot anglais au bout d'un moment. C'est déjà ce qui se passe avec de nombreux mots mais cela nous paraît naturel car nous n'en avons pas conscience.
Voilà pour ma réponse plus longue que je ne l'aurais cru, j'espère qu'elle pourra alimenter la réflexion et le débat.
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