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Le forum d'ABC de la langue française

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forum abclf » Histoire de la langue française » ahuri de Chaillot

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Messages [ 1 à 50 sur 55 ]

Sujet : ahuri de Chaillot

Quelqu'un aurait-il une idée sur ce terme, généralement perçu comme signifiant péjorativement "campagnard" ou "plouc" ? Chaillot était un village proche de Paris (aujourd'hui dans le 16e arrondissement). Le substantif ahuri ne semble pas attesté antérieurement. On a employé ahuri de Chaillot au 19e siècle encore. Est-ce que son apparition serait liée à quelque fait historique, anecdotique, littéraire ?

LEANDRE, seul. Je suis un véritable ahuri de Chaillot,
Quand [je] jette les yeux sur ce singe en maillot. (La Chaussée, Le Rapatriage, 1762, Supplément aux œuvres, 42.) [Cette pièce est plus ancienne, mais je n'en connais pas d'impression antérieure.]

Une de ces poissardes parcourut plus attentivement la momie ; frappée de l’inattention de ses compagnes, elle s’écria avec vivacité : Aihe-Huri de Chayo ! Voyez donc, ce n’est point la tante à monsieur, c’est son grand-père, hé… (Dulaurens, Imirce, 1993 [1765], 171.)

TACONET (Toussaint-Gaspard) […] Les Ahuris de Chaillot, ou Gros-Jean-bel esprit, en un acte, 1766 [pièce non imprimée]. (La France littéraire, 1769, I, 411.)

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Re : ahuri de Chaillot

Il n'y a pas que le syntagme « ahuri de Chaillot » : les dictionnaires d'argot relèvent aussi :
a/ il revient de Chaillot (=ahuri)
b/ à Chaillot ! ; envoyer à Chaillot (=au diable, éconduire)

a/ est probablement lié à l'ahuri de Chaillot ; pour b/ je ne sais pas.

Question1 : est-ce toujours « ahuri de Chaillot » le plus anciennement attesté ? Si ce n'est pas le cas, ne faudrait-il pas s'intéresser d'abord à « Chaillot » seul ?

Question2 : un lien avec l'institution Sainte-Périne (pour les aliénés ? hospice de vieillards ? -dates à vérifier-) (cf.
http://books.google.fr/books?id=5IoGAAA … mp;f=false
http://books.google.fr/books?id=n1trAAA … p;f=false)

Une possible attestation antérieure à 1755 (pour la forme au pluriel « les ahuris de Chaillot » : une œuvre de Taconnet porterait ce titre)

Re : ahuri de Chaillot

gb a écrit:

à Chaillot ! ; envoyer à Chaillot (=au diable, éconduire)

Il me semble que cette locution n'est pas plus ancienne que le second empire.

ne faudrait-il pas s'intéresser d'abord à « Chaillot » seul ?

Il faut voir, en effet. Un grand nombre de villages environnant Paris avaient sous l'ancien régime une connotation paysanne plus ou moins péjorative : Villejuif, Pantin, Saint-Ouen, Vaugirard, Nanterre, Montmartre, Suresnes, Aubervilliers, Bagnolet... Les ahuris ne semblent être que de Chaillot, et pas d'ailleurs. 

Question2 : un lien avec l'institution Sainte-Périne (pour les aliénés ? hospice de vieillards ? -dates à vérifier-) (cf.
http://books.google.fr/books?id=n1trAAA … p;f=false)

D'après cette source, l'institution a été fondée een 1801 seulement.

a écrit:

Une possible attestation antérieure à 1755 (pour la forme au pluriel « les ahuris de Chaillot » : une œuvre de Taconnet porterait ce titre

C'est la pièce de 1766 que j'ai citée plus haut : T. est mort en 1774 et non en 1755.

Enquête à poursuivre !

4 Dernière modification par Pierre Enckell (19-02-2010 19:27:52)

Re : ahuri de Chaillot

"Nous ignorons pourquoi l'on a donné aux habitans de ce Village [Chaillot], le sobriquet d'Ahuris." (Dict. historique de la ville de Paris, 1779, t. II, p. 160.)

Evidemment, si on l'ignorait en 1779, il peut être difficile de le savoir en 2010.

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Re : ahuri de Chaillot

Sainte-Perrine n'est pas un hospice d'aliénés ou d'originaux et les autres locutions semblent bien postérieures. Tout faux donc pour moi.

Moins connus, les ahuris de Vironchaux et d'Estrées, cités l'un et l'autre dans Le Roux de Lincy, qui écrit, pour le cas qui nous intéresse :
Chaillot : Aheury de Chaliéau, / Tout estourdy sortant du bateau.

L'orthographe archaïsante (XVIIe ?) peut laisser penser que la locution est ancienne. Mais sa source ?

Re : ahuri de Chaillot

gb a écrit:

Chaillot : Aheury de Chaliéau, / Tout estourdy sortant du bateau.

L'orthographe archaïsante (XVIIe ?) peut laisser penser que la locution est ancienne. Mais sa source ?

Merci ! La source reste introuvable, hélas.
J'ai aussi trouvé des Ahuris d'Espagne en 1779...

Re : ahuri de Chaillot

C'est qui l'ahuri de chaillot (pour rester poli...) qui m'a censuré ?...

DEFENSE DE CRACHER PAR TERRE ET DE PARLER BRETON. (Le Ministère de l'Éducation Nationale)

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Re : ahuri de Chaillot

Aheury de Chaliéau, / Tout estourdy sortant du bateau.?

La source reste introuvable, mais on peut cependant remonter le ru un peu plus haut.

Première moitié du XVIIe, plus exactement en 1637, paraît une comédie de mœurs, écrite par un auteur resté inconnu, tant il se voulait Discret ( L.C), pièce jouée par un acteur célèbre du théâtre du Marais, Alizon, qui donne son nom à l’œuvre.
On y voit une vieille galante, Alizon Fleury, tourner en bourrique plusieurs amoureux, dont un certain Monsieur Karolu, bourgeois nanti de Paris qu’elle prétend épouser.

Un beau jour, le couple, accompagné d’un ami et des filles de la veuve blette, décide d’une équipée champêtre, par voie fluviale. On ira à Chaillot en suivant le fil de l’eau, en bateau.  Pas question de prendre le bateau à un sol et de côtoyer tout un chacun, un bateau privé, sinon rien.
Se présente un batelier, un de Chaillot, le type même du benêt dont la joyeuse compagnie ne perdra pas une occasion de se moquer, jusqu’à le faire sortir du bateau, sous prétexte de lui offrir quelques gondoles à boire, pour lui fausser ensuite compagnie sans l’avoir payé !

Et voilà donc le batelier , comme dans le dicton «aheury de Chalièot, tout estourdi sortant du bateau » .

Alors, illustration du proverbe, montrant qu’en 1635 ( la pièce aurait été jouée avant que d’être publiée) il était déjà bien connu, ou origine possible du dicton à chercher dans cette pièce populaire ?

Par ailleurs, l'auteur s'amuse effectivement à glisser plusieurs dictons et proverbes  tout au long du texte.

Acte trois, scène IV, le batelier, sorti du bateau, attend stupéfait sa clientèle qui ne reviendra pas:

« Je serais bien payé de ma peine aujourd'huy;
Jamais je ne mettrais ma fiance en autruy.
Tousjours argent contant avant que je demare
Le monde maintenant me semble bien avare :
Pour avoir beu deux coups, mangeant des reliquas,
Un louis de trente sols payera mon repas.
C'est vendre un peu trop cher une telle denrée.
La campagne n'est plus du soleil éclairée :
Il s'en va toute nuict. Ha ! je suis attrapé !
Ils ont heureusement de mes mains échappé.

Que l'on void de méchians dans le temps où nous
                           [sommes !
Il faut que mon batteau je ramène aux Bons-Hommes.
Peut-estre, en m'en allant, trouveray-je quelqu'un.
A Paris ! à Paris ! allons, un sol chacun.»

" Wer fremde Sprachen nicht kennt, weiß auch nichts von seiner eigenen."   J.W.v.Goethe

9 Dernière modification par Pierre Enckell (21-02-2010 12:30:56)

Re : ahuri de Chaillot

Belle hypothèse ! Effectivement, le déplacement de Chaillot à Paris et vice-versa se faisait souvent en bateau. Il est bien possible qu'Alizon fasse référence au dicton , mais Estourdi de [sic] bateau est une expression antérieure qui se trouve dans le dict. fr.-angl. de Cotgrave en 1611.
Maintenant, le batelier est-il un personnage important dans la comédie ? J'en doute un peu. Si je laisse courir mon imagination, la forme complète en distique me fait plutôt penser à un campagnard naïf venant de son village et débarquant en plein Paris...

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Re : ahuri de Chaillot

En tout cas, bel essai, Régina !

(Alizon se trouve ici).

11 Dernière modification par regina (22-02-2010 01:25:30)

Re : ahuri de Chaillot

Il est bien possible qu'Alizon fasse référence au dicton , mais Estourdi de [sic] bateau est une expression antérieure qui se trouve dans le dict. fr.-angl. de Cotgrave en 1611.

Le distique implique plus que le simple naïf villageois, ébahi en découvrant Paris. L'expression " estourdi du bateau" s'employait lorsque quelqu'un sortait d'une mauvaise affaire qui lui avait quelque peu troublé l'esprit, selon la définition de Furetière : http://books.google.fr/books?id=rCQ-AAA … mp;f=false

Ainsi, " aheury de Chalièot, tout estourdy sortant du bateau" évoque non seulement un campagnard ingénu, mais aussi quelqu'un sans défense, facile à berner, à mener en bateau big_smile

Et la présence du batelier dans cette pièce n'a d'autre objet que d'illustrer avec humour ce dicton, tout en critiquant et ridiculisant ceux-là même qui se moquent du brave homme. Dès le moment où il découvre, stupéfait qu'il a été refait par ces bourgeois de Paris, il disparaît de la scène, n'y jouant nul autre rôle.

La pièce étant comme celles de Molière quelques années plus tard, une critique humoristique des moeurs et mentalités de la bourgeoisie, il fallait qu'elle renvoie à des bons mots, situations et allusions qui touchent immédiatement le public de l'époque, d'où cette idée que le dicton en question était connu de tous (du moins à Paris), dans les années 1630;

Amusant, car Chaillot n'était qu'à deux pas de Paris et pourtant la Seine suffisait à séparer le monde  parisen, citadin et vernissé, de celui des ruraux simples et crédules.  Dans la pièce, ces cyniques bourgeois décident de rentrer à pied jusqu'au Marais, laissant sur place le malheureux qui n'en peut mais.

À signaler dans la même veine , qu'imitant le cri de ces bateliers en quête de chalands : " À Chaillot, à Chaillot", les Parisiens  envoyaient ainsi les importuns promener . À Chaillot, à Chaillot , dégagez! big_smile

" Wer fremde Sprachen nicht kennt, weiß auch nichts von seiner eigenen."   J.W.v.Goethe

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Re : ahuri de Chaillot

Si je peux apporter une bien modeste pierre à cet édifice...
"Aheury de Chaliéau,
Tout estourdy sortant du bateau"
pourrait en effet être du 17ème siècle.
Je trouve chez Oudin (Curiositez Françoises, 1640), sous le mot Bateau :
"Tout estourdy du bateau, i. tout estonné, vulg."

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Re : ahuri de Chaillot

Les paroissiens de Chaillot (Chaillot ne fut jamais une municipalité) répugnaient à devenir Parisiens. Lorsque leur paroisse fut Scindée en 1785, par le mur des Fermiers généraux, elle devint en grande partie un faubourg de la capitale. Pour couper court à toute protestation, le gouvernement de l’époque avait fait ériger la première ébauche du mur pendant la nuit et l’on raconte que les  "paroissiens" de Chaillot furent à leur réveil complétement ahuris d’être devenus Parisiens en dormant.

Nomina si nescis, perit cognitio rerum. Edward Coke

Re : ahuri de Chaillot

Mais l'expression "ahuri de Chaillot" est antérieure à 1785.

15

Re : ahuri de Chaillot

Jacques Hillairet (Connaissance du vieux Paris, éd. Princesse) situe entre 1659 et 1722 le rattachement de la "région de Chaillot" à Paris.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

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Re : ahuri de Chaillot

Abel Boyer a écrit:

Mais l'expression "ahuri de Chaillot" est antérieure à 1785.

C'est en effet tout l'intérêt de la brillante première contribution sur ce sujet (P. Enckell, 19-02-2010) que de montrer cette antériorité.

La question qui peut éventuellementse poser est :
"Ahuri de Chaillot" est-elle le résultat de l'ahurissement des habitants de cette paroisse, quand elle fut, en 1659, transformée en faubourg de Paris, sous le nom de Faubourg de la Conférence ?

Cf cet extrait de Hurtaut (Dictionnaire historique de la Ville de Paris et de ses environs, 1779) :
"Nous ignorons pourquoi l'on a donné aux habitants de ce village le sobriquet d'Ahuris".

17 Dernière modification par glop (19-04-2020 13:10:28)

Re : ahuri de Chaillot

92deLassus a écrit:
Abel Boyer a écrit:

Mais l'expression "ahuri de Chaillot" est antérieure à 1785.

C'est en effet tout l'intérêt de la brillante première contribution sur ce sujet (P. Enckell, 19-02-2010) que de montrer cette antériorité.

La question qui peut éventuellementse poser est :
"Ahuri de Chaillot" est-elle le résultat de l'ahurissement des habitants de cette paroisse, quand elle fut, en 1659, transformée en faubourg de Paris, sous le nom de Faubourg de la Conférence ?

Cf cet extrait de Hurtaut (Dictionnaire historique de la Ville de Paris et de ses environs, 1779) :
"Nous ignorons pourquoi l'on a donné aux habitants de ce village le sobriquet d'Ahuris".

Il est possible que je me sois trompé de date car j'ai reconstitué la petite histoire (message 13) à partir du souvenir d'une lecture très ancienne dont je n'ai pratiquement aucun espoir de retrouver la source.

Nomina si nescis, perit cognitio rerum. Edward Coke

Re : ahuri de Chaillot

Lévine a écrit:

Jacques Hillairet (Connaissance du vieux Paris, éd. Princesse) situe entre 1659 et 1722 le rattachement de la "région de Chaillot" à Paris.

92de Lassus a écrit:

"Ahuri de Chaillot" est-elle le résultat de l'ahurissement des habitants de cette paroisse, quand elle fut, en 1659, transformée en faubourg de Paris, sous le nom de Faubourg de la Conférence ?

Ce rattachement reste assez obscur  pour ce qui est du sort administratif de Chaillot. Voir ce qu'en dit l'abbé Lebeuf :
https://books.google.fr/books?id=X7ECAA … mp;f=false

On n'a pas parlé de la Folle de Chaillot ici, mais on ne sait pas exactement si Giraudoux s'est rappelé les Ahuris de Chaillot pour créer son personnage.

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Re : ahuri de Chaillot

Voir la page 155, et surtout la note en bas de cette page de l'ouvrage d'Hurtaut cité plus haut :
https://books.google.fr/books?id=mDIwAA … 155f=false

20 Dernière modification par glop (19-04-2020 16:07:30)

Re : ahuri de Chaillot

À moins qu'il se soit inspiré d'Agnès de Chaillot.
https://books.google.fr/books?id=X7ECAA … mp;f=false

Je dis ça au flanc car je ne connais pas la pièce.

Nomina si nescis, perit cognitio rerum. Edward Coke

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Re : ahuri de Chaillot

Je viens de parcourir cette parodie en un acte. Agnès (de Chaillot) y est tout sauf une ahurie ! Elle y roule même tout son monde...

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Re : ahuri de Chaillot

J'ai trouvé une autre histoire de Chaillot, datant du début des années 1830. L'auteur y parle du Faubourg de la Conférence de 1659, mais pas du tout du Mur des fermiers généraux de 1784... ni des ahuris !
https://books.google.fr/books?id=GRYUAA … ;dqf=false

23 Dernière modification par glop (20-04-2020 17:19:34)

Re : ahuri de Chaillot

https://www.france-pittoresque.com/spip.php?article3286

Chaillot, qui fut un des plus anciens villages des environs de Paris, devint du jour au lendemain, par édit royal rendu en 1659, faubourg de la ville, et reçut en même temps le nom de faubourg de la Conférence, Les habitants de Chaillot se réveillèrent ainsi Parisiens, sans trop savoir pourquoi, et furent plutôt étonnés du brusque changement de nom de leur localité ; ils en lurent même ahuris et les Parisiens lancèrent à ce moment l’expression qui est restée.
De bons auteurs, tout en conservant cette explication, placent le fait en 1786, moment où Chaillot fut compris dans Paris par la construction du mur d’octroi. Mais la locution semble plus vieille, et d’ailleurs en 1786 on appelait encore Chaillot : le faubourg de la Conférence.


Ils ont dû avoir en main le même livre que moi.

Nomina si nescis, perit cognitio rerum. Edward Coke

24 Dernière modification par vh (20-04-2020 23:47:51)

Re : ahuri de Chaillot

Au collège, dans la région parisienne, on disait "à Charenton" pour "chez les fous". Même les profs disaient "t'es bon pour Charenton".

Charenton (94) : commune limitrophe de Paris
Pour répondre à l'insulte, on disait  que le fameux hôpital psychiatrique était en fait à Saint-Maurice, la commune voisine, ce qui est exact.

https://fr.wikipedia.org/wiki/H%C3%B4pital_Esquirol (Asile de Charenton, à Saint-Maurice)

L'image avec VH est celle de la signature de Victor Hugo sur l' un de ses dessins.

25

Re : ahuri de Chaillot

C'est vrai. C'est sans doute parce que Charenton était deux fois plus peuplée (22000 habitants à l'époque, contre un peu plus de 10000 à Saint-Maurice). De même, le champ de courses d'Enghien est situé sur la commune de Soisy-sous-Montmorency. D'autres exemples existent en France.

Caesarem legato alacrem, ille portavit assumpti Brutus.

Re : ahuri de Chaillot

Si j'ai bien compris, la Maison Royale de Charenton avait été fondée sur la Paroisse de Charenton-Saint-Maurice.
https://books.google.fr/books?id=zt9NAA … mp;f=false
https://books.google.fr/books?id=VqRkAA … mp;f=false

27

Re : ahuri de Chaillot

Revenons à Chaillot, si vous le voulez bien...

J'ai dépouillé les 25 années disponibles chez Gallica du Bulletin de la Société Historique d'Auteuil et de Passy.
Voici un premier extrait.


EXTRAIT du Bulletin  de la Société Historique d’Auteuil et de Passy (2° et 3° trim. 1894, p. 183)

« Voici ce qu’on lit au Journal des Curieux, 1882, n° 2 :
‘On appelle souvent ahuri de Chaillot un homme qui perd la tête, qui ne sait plus où il en est, et surtout un homme qui s'étonne de tout, qui admire niaisement les choses les plus vulgaires. Cette expression est entrée dans le langage parisien au siècle dernier, grâce à une comédie de l'acteur Taconet, intitulée: Les aheuris de Chaillot. Les habitants de Chaillot passaient à cette époque pour des types accomplis de niaiserie et d'ignorance. Ils partageaient cette réputation avec les habitants de Gonesse…’

La pièce de Taconet dont il est question, a été réellement jouée en 1766, au boulevard du Temple, sur le théâtre de Nicolet, dit alors des Grands Danseurs du Roi, mais n'a malheureusement pas été imprimée; de là, impossibilité pour nous d'en faire une analyse qui nous eût peut-être éclairé sur l'origine de ces termes moqueurs : Ahuris de Chaillot. Son vrai titre était: Les ahuris de Chaillot, ou Gros-Jean, bel esprit, vaudeville en un acte…

… Une autre origine a aussi été donnée à cette dénomination d'ahuris. Chaillot, on le sait, depuis 1659, était faubourg de Paris et en avait les prérogatives; or, voici qu'en 1786, on se décide à l'enclaver dans les nouveaux murs de Paris; ses habitants furent longtemps frappés de la surprise que cette nouvelle situation onéreuse leur avait causée, et c'était de là, disait-on, qu'ils avaient pris et gardé le sobriquet d'ahuris. Mais on voit, par la date de la pièce de Taconet, que cette peu flatteuse épithète leur était appliquée depuis longtemps; donc, jusqu'à nouvelle découverte, nous devons ajouter foi à la notice du Journal des Curieux. Vrais boucs émissaires, que les habitants du village de Chaillot! …»

28

Re : ahuri de Chaillot

Comme une réponse à glop, # 23...

L’ahurissement des Chaillotins N’EST PAS LIE à la transformation de leur village en faubourg en 1659 car ils avaient voulu cette transformation !

DEUXIEME EXTRAIT du même Bulletin (2° trim. 1903, p. 257)

« Vieilles misères fiscales de Chaillot et d’Auteuil

En l'année 1657, les habitants de Chaillot présentèrent au Conseil d'Etat du Roi une requête où ils remontraient avec véhémence que, par suite des impôts de guerre, la plupart d'entre eux se trouvaient tellement surchargés qu'ils avaient vendu ou engagé leurs héritages, ou s'étaient retirés dans la ville de Paris; qu'un arriéré considérable d'impôts directs et personnels, tailles, taillons, quartier d'hiver et autres, se perpétuait et s'accroissait depuis 1647 ; qu'ils étaient réduits à un désespoir qui leur ferait tout abandonner; que cependant ils proposaient une mesure qui les déchargerait tout en étant plus profitable au roi, savoir: ériger le village et paroisse de Chaillot en un fauxbourg de Paris sous le nom de Fauxbourg de la Conférence; supprimer toutes les tailles et droits similaires…
…Le sieur Fauveau, fermier des entrées, en réponse à cette requête, déclarait qu'il lui était indifférent que le village de Chaillot fût érigé en fauxbourg…
…En juillet 1659, le Roi [Louis XIV], faisant droit en principe aux doléances des habitants, érigea Chaillot en fauxbourg de Paris, dit de la Conférence, supprima pour l'avenir toutes tailles ordinaires et extraordinaires…
…Voilà donc Chaillot sauvé de la ruine imminente, grâce surtout à ses vignobles, qui représentaient une production annuelle de 2.600 hectolitres. »

29

Re : ahuri de Chaillot

Autour des années 1865, « Ahuri de Chaillot » fait son entrée dans les dictionnaires d’argot.

À tout seigneur tout honneur, on trouve cette expression dans la première édition de Delvau (Dictionnaire de la langue verte, 1866).
Puis suivront plusieurs références que je vous épargne, sauf celle de Larchey (Dictionnaire historique d’argot, 1878), qui, sur la base d’une étude d’un collaborateur du Figaro, M. Ulbach, relie cette appellation d’ahuri à la construction du Mur des fermiers généraux en 1786. Nous avons vu plus haut qu’il n’en est rien…

Mais, intéressant, avant Delvau, en 1865, paraît dans l’Omnibus un feuilleton de Louis Noir : « Les ahuris de Chaillot).

Louis Noir, décidément très inspiré par Chaillot, en fera en 1868 le sujet d’un chapitre de son ouvrage Le pavé de Paris, dont j’extrais le paragraphe suivant pour les lecteurs pressés :
« S’y dressent, sauvages au milieu de la civilisation, des familles bipèdes rebelles à tout progrès,  vivant dans des huttes comme des Iroquois ».

Lire l’ensemble, très édifiant, du Chapitre XIX,« Madame Lanouille », pages 119 et suivantes :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k … texteImage

A la même époque, l’interjection « A Chaillot ! » sert à se débarrasser des gêneurs… Mais ceci est une autre histoire ! Une autre fois peut-être…

30

Re : ahuri de Chaillot

Complément au texte précédent.
Voici une des couvertures de l'Omnibus :
https://images-na.ssl-images-amazon.com/images/I/51pYrymy4EL._SX298_BO1,204,203,200_.jpg

31 Dernière modification par Roland de L. (04-05-2020 10:58:43)

Re : ahuri de Chaillot

A noter : par suite d'une intervention aussi aimable qu'efficace de l'administrateur de ce merveilleux forum,
L'Invité 92deLassus devient le Membre Roland de L.

Tout va donc très bien !

PS : C'était moi, l'ahuri !

32

Re : ahuri de Chaillot

Nous avons d'éminents personnages sur ce forum, plus ou moins masqués, écrivain, lexicographe, et maintenant musicien...

Caesarem legato alacrem, ille portavit assumpti Brutus.

33 Dernière modification par Roland de L. (05-05-2020 13:13:54)

Re : ahuri de Chaillot

Simplement et humblement choriste amateur, mais au double sens de "non professionnel" et "qui aime" !

Voir les sens 1 et 2, et, j'espère, surtout pas 3
https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9A1388

34

Re : ahuri de Chaillot

C'est charentonesque !
https://www.cnrtl.fr/definition/charentonesque

L'image avec VH est celle de la signature de Victor Hugo sur l' un de ses dessins.

35

Re : ahuri de Chaillot

Dans notre région Dauphiné Savoie l'expression "à chaille" est ressentie comme très familière mais assez courante. Elle signifie "très loin".
Je me demandais quelle est son origine et si finalement il y a un rapport avec / à Chaillot ! ; envoyer à Chaillot (=au diable, éconduire) signalé par gb.
Si oui, il s'agit peut-être d'une origine étymologique voisine.
Près de Voiron existent des gorges appelées "gorges de Chailles"

Et à "caillou" dans le TLF je lis :
La forme normanno-picarde caillou a supplanté la forme francienne chaillou, ainsi que le moyen français chail, directement issu de *caljo, et ses dérivés c(h)aillo(t) et c(h)aillel (régional.)

à chaille signifiait peut être qui est parti loin surles cailloux des routes


Chailloué : Le nom de la localité signifie « lieu pierreux », ce qu'illustre la présence d'une carrière de grès près du bourg. De même que Chaillot, ce toponyme est dérivé de chail ou chaillou, qui signifiait « pierre » en ancien français (mais en français moderne c'est la forme picarde « caillou » qui a finalement prévalu). Wikipédia

Se pourrait-il que "Chaillot" ait, dans les expressions à Chaillot, puis ahuri de Chaillot le  sens de chaille dans "à Chaille ?"

Avec nos pensées nous créons le monde. Bouddha

36

Re : ahuri de Chaillot

Ylou a écrit:

Et à "caillou" dans le TLF je lis :
La forme normanno-picarde caillou a supplanté la forme francienne chaillou, ainsi que le moyen français chail, directement issu de *caljo, et ses dérivés c(h)aillo(t) et c(h)aillel (régional.)

Je ne crois pas à la forme normanno-picarde : l'atlas linguistique de la France montre un prédominance de la forme en k sur la majorité de la France d'oïl.

Caesarem legato alacrem, ille portavit assumpti Brutus.

37

Re : ahuri de Chaillot

Comme vous le savez, je n'ai aucune compétence en la matière.

Le dictionnaire étymologique du Robert dit ceci : caillou : variante normanno-picarde de l'ancien français chaillou, du latin vulgaire caliavum, tiré d'un radical calio assez mal représenté dans les langues celtiques, plus vraisemblablement pré-indo-européen

Vous n'êtes pas d'accord avec cette explication ?

Avec nos pensées nous créons le monde. Bouddha

38

Re : ahuri de Chaillot

Comme je l'ai dit, je vois mal une forme normanno-picarde affecter l'ensemble quasi-complet de la zone d'oïl. Mais c'est une opinion toute personnelle.

Caesarem legato alacrem, ille portavit assumpti Brutus.

39

Re : ahuri de Chaillot

C'est malgré tout l'explication traditionnelle. Fouché (Phonétique historique p. 557) cite aussi cambrer, camelot (AF chamelot), canevas  (AF chanevas), caver (AF chever)...

Oui, l'origine est probablement préceltique, peut-être voisine de comme celle de Crau < *kar "pierre" (?).

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

Re : ahuri de Chaillot

92deLassus* a écrit:

Autour des années 1865, « Ahuri de Chaillot » fait son entrée dans les dictionnaires d’argot.

À tout seigneur tout honneur, on trouve cette expression dans la première édition de Delvau (Dictionnaire de la langue verte, 1866).
Puis suivront plusieurs références que je vous épargne, sauf celle de Larchey (Dictionnaire historique d’argot, 1878), qui, sur la base d’une étude d’un collaborateur du Figaro, M. Ulbach, relie cette appellation d’ahuri à la construction du Mur des fermiers généraux en 1786. Nous avons vu plus haut qu’il n’en est rien…
(...)

Je me propose de relancer ce fil, tout content d'avoir à peu près dressé mon nouveau pur-sang (Retronews-BNF), avec d'éventuelles trouvailles dans la presse du XIXème siècle.
À suivre donc...

* Je connais assez bien ce 92deLassus, que je fréquente souvent...

Re : ahuri de Chaillot

Juste une question annexe. Vous avez pris un abonnement sur Retronews ? Ils n'ont pas de formule gratuite comme sur Gallica livres ?

42 Dernière modification par Roland de L. (30-06-2021 00:49:15)

Re : ahuri de Chaillot

Abel Boyer a écrit:

Juste une question annexe. Vous avez pris un abonnement sur Retronews ? Ils n'ont pas de formule gratuite comme sur Gallica livres ?

Non : il faut payer !
Mais en ce moment il y a une promotion : 95 € / an au lieu de 150 €.
C'est un peu cher, mais le site est super (Lexus vs Toyota ? ), et l'équipe est très réactive : voir mon message 472 de cette page
Ils annoncent 1454 titres de presse numérisés, de 1631 à 1950.
Toute petite déception du jour : pour "ahuri de Chaillot", je n'ai rien trouvé qui soit antérieur à 1810 (voir message suivant).

PS Gallica n'est pas que Gallica Livres : on y trouve énormément de journaux et autres périodiques, et d'après mes premières recherches il y a des doublons avec Retronews.

43 Dernière modification par Roland de L. (29-06-2021 18:33:32)

Re : ahuri de Chaillot

Première trouvaille donc pour ce fil-ci : un texte de 1810 contenant l'expression, et que je n'ai "travaillé" que parce qu'il est le plus anciennement numérisé par mes nouveaux copains. Je l'ai d'ailleurs amputé assez allègrement...

1810, 3 août : Journal de Paris

[Impossible de déterminer la date de ce texte. Il est rédigé en vieux français, j'ai juste modifié les s qui ressemblaient à des f]

"J’ai eu ma petite part de cette pluie-là, mais je m’y attendois ; j’en ai même eu un pressentiment assez singulier. Le mardi 31 juillet, le matin, je passois à la halle ; une poissarde me voit & dit : Tiens , voilà le Solitaire de Chaillot ; il a le cerveau timbré. — Pardi, sûrement, reprend un portefaix à moitié ivre , il est fou, c’est un ahuri de Chaillot ; ils sont tous comme ça. —- Et moi je filois tout doucement, en disant tout bas : Voilà pourtant ce que c’est que le défaut d’instruction et  d’éducation ; c’et leur ignorance qui fait leur grossièreté. Si ce gros vilain ivrogne de portefaix eût fait de bonnes études au collège Mazarin, il ne me diroit pas d’aussi plates injures.
Tout de même, dit une petite femme qui parloit à la voisine.
Ces mots, tout de même qui avoient interrompu ma réflexion, comme s'ils en eussent été la réponse, me parurent une sorte de voix prophétique qui n’annonçait quelque chose. En arrivant dans mon hermitage , je trouvai le feuilleton de M. G., & effectivement c’étoit tout de même.
Je me mis pourtant à rire de bon cœur, en voyant que mon rude censeur avoit donné dans le piège. Il n’attaquoit que ce que je voulois qu'on attaquât. Le reste est dit & sauvé. Il n'y a plus à y revenir. Mais comme il m'a donc rudoyé, ce diable d’homme, pour l'opéra-comique. Les gens d'esprit sont quelquefois bien bêtes. Je ne m’attendois pas cependant que ce seroit un de ceux-là que je dérouterais par cette fausse attaque. Allons ; continuons de même. Je touche au but. !
Il y a dans cette diatribe , au moins inutile ! de M. G. , quelques observations qui paraissent
avoir une apparence de raison ; je vais y répondre. J’avais dit : le rapport du jury est digne des hommes distingués dont il est l’ouvrage. M. G. reprend : Oui, digne de ces hommes-là , mais , distingués ! Comment le sont-ils ?
(…)
M. G. conseilla du Saint hermite de Chaillot de s’humilier devant le Seigneur. Et pourquoi veut-il donc tant que je m'humilie ? Quai-je donc fait ? Ai-je été hypocrite , menteur, insolent , ivrogne , grossièrement libertin ? Ai-je fait du mal volontairement à qui que ce soit au monde ? Ai-je dit à ceux qui venaient dans mon hermitage demander d’avoir part à mes prières : Paie ou va-t-en ? Ai-je exigé de l’un un calice d’or ou d’argent, pour ma chapelle ; de l’autre une croix , de celui-ci des burettes ? &c Non, je suis resté pauvre hermite comme il me le dit. Eh bien, soit. Mon Hermitage n’est pas doré, mais j’y vis tranquille, heureux et fans reproches.
Le fou de Chaillot, l’ahuri de Chaillot, ce bonhomme qui a des absences totales de raison & de jugement a bien voulu pour cette fois supporter toutes ces grossières injures , parce qu’un hermite ne doit pas se montrer trop difficile à vivre ; mais il faut que cela finisse. Que dans cette discussion, si elle se prolonge, il ne se dise pas entre nous, autre chose que ce qui peut se dire entre deux hommes de bonne compagnie qui disputent dans un salon, avec chaleur, avec animosité même, mais sans avoir à se jeter les chandeliers par la tête, & il me semble que c’est laisser un assez large champ à la dispute, mais qu’elle reste à ce point, ou je déclare très positivement que je mettrai des pierres dans mon capuchon. Je sais bien que cela n’est pas permis, mais quand on enfreint les lois de l’attaque, il n’y en a plus pour la défense."

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Re : ahuri de Chaillot

Le document ci-dessous laisse supposer qu'il y aurait un rapport étroit entre les expressions "ahuri de Chaillot" et "folle de Chaillot".
https://oparleur.fr/la-folle-de-chaillot/

Nomina si nescis, perit cognitio rerum. Edward Coke

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Re : ahuri de Chaillot

La date du texte, c'est 3 août 1810 ; il est écrit en français moderne. En 1810, le 31 juillet était bien un mardi (je m'en souviens encore).

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

Re : ahuri de Chaillot

On voit quand même que l'écriture de  "ermite ("hermite") était à l'ancienne mode.

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Re : ahuri de Chaillot

Ah oui, mais j'ai dit "moderne", je n'ai pas dit "contemporain" lol

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

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Re : ahuri de Chaillot

Tiens, sais-tu pourquoi on avait mis un h à ermite (indûment, vu que le mot grec ne comportait pas d' "aspiration") ?

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

49 Dernière modification par Roland de L. (01-07-2021 09:02:11)

Re : ahuri de Chaillot

Lévine a écrit:

Tiens, sais-tu pourquoi on avait mis un h à ermite (indûment, vu que le mot grec ne comportait pas d' "aspiration") ?

Je n'ai pas trouvé la raison de cette "faute d'orthographe", que Littré signale comme faute en 1874 :cette page


Mais l'Académie admettait, en 1835, cette écriture fautive :
https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A6E1402

Re : ahuri de Chaillot

Dans ses trois premières éditions du Dictionnaire, l'Académie n'admettait que "hermite". De la 4e (1762) à la 7e (1878), les deux orthographes étaient admises et à partir de la 8e édition (1935), seul "ermite" est admis. Curieusement, le bernard-l'ermite a été introduit seul dans la 8e édition mais la double orthographe avec "bernard-l'hermite" est proposée dans la 9e édition.
D'où vient ce "h" ? Je ne le sais pas. Pour faire joli ou bien par une influence de "Hermès" ?

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