Première trouvaille donc pour ce fil-ci : un texte de 1810 contenant l'expression, et que je n'ai "travaillé" que parce qu'il est le plus anciennement numérisé par mes nouveaux copains. Je l'ai d'ailleurs amputé assez allègrement...
1810, 3 août : Journal de Paris
[Impossible de déterminer la date de ce texte. Il est rédigé en vieux français, j'ai juste modifié les s qui ressemblaient à des f]
"J’ai eu ma petite part de cette pluie-là, mais je m’y attendois ; j’en ai même eu un pressentiment assez singulier. Le mardi 31 juillet, le matin, je passois à la halle ; une poissarde me voit & dit : Tiens , voilà le Solitaire de Chaillot ; il a le cerveau timbré. — Pardi, sûrement, reprend un portefaix à moitié ivre , il est fou, c’est un ahuri de Chaillot ; ils sont tous comme ça. —- Et moi je filois tout doucement, en disant tout bas : Voilà pourtant ce que c’est que le défaut d’instruction et d’éducation ; c’et leur ignorance qui fait leur grossièreté. Si ce gros vilain ivrogne de portefaix eût fait de bonnes études au collège Mazarin, il ne me diroit pas d’aussi plates injures.
Tout de même, dit une petite femme qui parloit à la voisine.
Ces mots, tout de même qui avoient interrompu ma réflexion, comme s'ils en eussent été la réponse, me parurent une sorte de voix prophétique qui n’annonçait quelque chose. En arrivant dans mon hermitage , je trouvai le feuilleton de M. G., & effectivement c’étoit tout de même.
Je me mis pourtant à rire de bon cœur, en voyant que mon rude censeur avoit donné dans le piège. Il n’attaquoit que ce que je voulois qu'on attaquât. Le reste est dit & sauvé. Il n'y a plus à y revenir. Mais comme il m'a donc rudoyé, ce diable d’homme, pour l'opéra-comique. Les gens d'esprit sont quelquefois bien bêtes. Je ne m’attendois pas cependant que ce seroit un de ceux-là que je dérouterais par cette fausse attaque. Allons ; continuons de même. Je touche au but. !
Il y a dans cette diatribe , au moins inutile ! de M. G. , quelques observations qui paraissent
avoir une apparence de raison ; je vais y répondre. J’avais dit : le rapport du jury est digne des hommes distingués dont il est l’ouvrage. M. G. reprend : Oui, digne de ces hommes-là , mais , distingués ! Comment le sont-ils ?
(…)
M. G. conseilla du Saint hermite de Chaillot de s’humilier devant le Seigneur. Et pourquoi veut-il donc tant que je m'humilie ? Quai-je donc fait ? Ai-je été hypocrite , menteur, insolent , ivrogne , grossièrement libertin ? Ai-je fait du mal volontairement à qui que ce soit au monde ? Ai-je dit à ceux qui venaient dans mon hermitage demander d’avoir part à mes prières : Paie ou va-t-en ? Ai-je exigé de l’un un calice d’or ou d’argent, pour ma chapelle ; de l’autre une croix , de celui-ci des burettes ? &c Non, je suis resté pauvre hermite comme il me le dit. Eh bien, soit. Mon Hermitage n’est pas doré, mais j’y vis tranquille, heureux et fans reproches.
Le fou de Chaillot, l’ahuri de Chaillot, ce bonhomme qui a des absences totales de raison & de jugement a bien voulu pour cette fois supporter toutes ces grossières injures , parce qu’un hermite ne doit pas se montrer trop difficile à vivre ; mais il faut que cela finisse. Que dans cette discussion, si elle se prolonge, il ne se dise pas entre nous, autre chose que ce qui peut se dire entre deux hommes de bonne compagnie qui disputent dans un salon, avec chaleur, avec animosité même, mais sans avoir à se jeter les chandeliers par la tête, & il me semble que c’est laisser un assez large champ à la dispute, mais qu’elle reste à ce point, ou je déclare très positivement que je mettrai des pierres dans mon capuchon. Je sais bien que cela n’est pas permis, mais quand on enfreint les lois de l’attaque, il n’y en a plus pour la défense."