Piotr a évoqué le registre, en relation avec l'impair, ce qui nous conduit direct à la sociolinguistique. Colline parlait d'ailleurs de formes familières, de personne que l'on ne connaît pas et également de langage [...] châtié. Tout cela suppose une norme sociolinguistique, déterminée, à partir de quoi les usages constatés peuvent s'interpréter en terme d'écart. Mais à quoi reconnaît-on la convention socialement établie ? Est-ce un sociolecte de classe ? De circonstance ? Est-ce un parler qui, allant de soi, doit être prescrit ? Et pourquoi le prescrit-on, sur tel ou tel point, à ceux pour qui la norme est/sera inusitée ? Au vu de sa fréquence d'emploi au sein de la population, on peut contester la centralité absolue du sociolecte normatif. On peut en tout cas en faire abstraction pour ne retenir que la variation des formes possibles. Ce faisant, on opte pour une démarche descriptive.
Exemple
qu'est-ce ?
quésaco ? késako ? etc
qu'est-ce que c'est ?
qu'est-ce que c'est que ça ?
c'est quoi ?
c'est quoi ça ?
c'est quoi t'est-ce ?
quoi t'est-ce ?
etc
Se pose alors la question de l'opportunité d'une telle liste en FLE. Il est clair qu'un débutant risque d'y perdre son latin. Mais qu'en est-il d'un FLE confirmé, capable de tenir une conversation courante en français ? Est-ce que <quésaco> est vraiment un mot superflu ? Est-il trop "vulgaire" ? Peut-on dire que <quésaco> n'est pas du "bon" français ? Ou que ce n'est pas du français du tout ? L'approche prescriptive peut se comprendre au niveau élémentaire mais, au-delà, la démarche descriptive n'est pas un renoncement démagogique. Sans doute, l'enseignement gagnerait à d'abord prescrire (dites ceci, ne dites pas cela) pour mieux décrire ensuite (ceci et cela se disent, tout dépend des circonstances). Si la prescription d'une norme précède la description de la réalité, le descriptif prime en définitive sur le prescriptif. La pédagogie devrait articuler les deux visions et éviter de les opposer.
Prenons un autre exemple, une phrase affirmative courante :
Pierre va à Paris.
Disons qu'elle est de type ABC, où :
A = Pierre
B = va
C = à Paris.
Posons pour finir que :
a = il ? Pierre
c = y ? à Paris
q = est-ce que.
quelques tours interrogatifs
ABaC — Pierre va-t-il à Paris ? ? surnorme neutre
qABC — est-ce que Pierre va à Paris ? ? norme neutre (nn) composée
ABC — Pierre va à Paris ? ? nn simple
aBCA — il va à Paris, Pierre ? ? nns + syntaxe énonciative (se)
AaBC — Pierre, il va à Paris ? ? nns + se
acBAC — il y va, Pierre, à Paris ? ? nns + se
acBCA — il y va, à Paris, Pierre ? ? nns + se
AacBC — Pierre, il y va, à Paris ? ? nns + se
ACacB — Pierre, à Paris, il y va ? ? nns + se
CAacB — à Paris, Pierre, il y va ? ? nns + se
CacBA — à Paris, il y va , Pierre ? ? nns + se
Notons que les tours interrogatifs ACB, BAC, BCA, CAB et CBA sont impossibles.
Idem pour qACB, qBAC, qBCA, qCAB et qCBA.
C'est-à-dire que la syntaxe "objective" (hors focalisation) du style neutre se caractériserait, pour notre exemple, par la succession A, B et C, dans cet ordre, sans que A et B puissent être disjoints.
Reprenons la phrase affirmative :
Pierre va à Paris ? style neutre.
Et changeons de registre :
le Pédro trace à Paname ? style affectif.
On a alors :
A = le Pédro
B = trace
C = à Paname.
Autres conventions :
a = il ? le Pédro
c¹ = y ? à Paname
c² = là-bas ? à Paname
q = est-ce que.
premiers tours interrogatifs
ABaC — le Pédro trace-t-il à Paname ? ? détournement affectif de la surnorme neutre
qABC — est-ce que le Pédro trace à Paname ? ? norme affective (na) composée
ABC — le Pédro trace à Paname ? ? na simple
aBCA — il trace à Paname, le Pédro ? ? nas + syntaxe énonciative (se)
AaBC — le Pédro, il trace à Paname ? ? nas + se
autres tours interrogatifs possibles
aBc²AC — il trace là-bas, le Pédro, à Paname ? ? nas + se
aBc²CA — il trace là-bas, à Paname, le Pédro ? ? nas + se
AaBc²C — le Pédro, il trace là-bas, à Paname ? ? nas + se
ACaBc² — le Pédro, à Paname, il trace là-bas ? ? nas + se
CAaBc² — à Paname, le Pédro, il trace là-bas ? ? nas + se
CaBc²A — à Paname, il trace là-bas, le Pédro ? ? nas + se
attention : c² = là-bas se rapporte à C = à Paname qu'il annonce ou reprend (cataphore ou anaphore) et à rien d'autre
tours interrogatifs recevables ?
ac¹BAC — il y trace, le Pédro, à Paname ? ? nas + se
ac¹BCA — il y trace, à Paname, le Pédro ? ? nas + se
Aac¹BC — le Pédro, il y trace, à Paname ? ? nas + se
ACac¹B — le Pédro, à Paname, il y trace ? ? nas + se
CAac¹B — à Paris, le Pédro, il y trace ? ? nas + se
Cac¹BA — à Paname, il y trace, le Pédro ? ? nas + se
Quels que soient les tours du registre/style affectif qu'on se propose de retenir dans l'exemple qui nous occupe, la syntaxe "objective" (hors effets énonciatifs/subjectifs) semble être d'abord A, puis B et ensuite C, avec A et B enchaînés — comme pour le registre/style neutre.
Aussi le registre/style familier n'est pas forcément ce qui rend compte de la mobilité (pour reprendre les mots de Colline) de la syntaxe interrogative — en tout cas dans les exemples analysés plus haut. Les mêmes procédés de dislocation, focalisation etc se retrouvent dans le langage neutre et dans l'expression affective. J'ai plutôt l'impression que ce sont des paramètres énonciatifs qui façonnent la diversité syntaxique présente tant dans le français "correct" que dans le français "familier".
NB : bien sûr la modulation intonative joue un rôle crucial dans tous les cas, mais il est plus aisé de combiner des agencements de mots sur un écran que d'y faire figurer les intonations qui les accompagnent...