Sujet : IN et UN voyelles nasales, phonétique et poétique
Bonjour à tous,
je suis nouvelle venue ; je propose un sujet qui intéresse ceux d'entre nous sensibles aux ressources phonétiques de notre langue, notamment dans l'usage spécifique qui concerne l'écriture de la poésie. L'exemple particulier concerne les deux voyelles nasales IN et UN.
En effet ces IN et UN permettent d'assez jolies modulations phonétiques dans la poésie d'expression française. Elles sont discrètement pour le nord de la France et très sensiblement pour le sud différentes l'une de l'autre. La langue classique d'ailleurs (sans attendre Malherbe ni Boileau) a proscrit la rime de ces deux nasales considérées comme vraiment distinctes. Par exemple il n'est droit de rimer ni chemin et commun, ni feint et défunt, ni vain et parfum etc.
Paul Verlaine en rimant :
"Pâle et rose comme un / Coquillage marin"
se serait assurément attiré les foudres de la vieille Académie !
Au passage : les critères d'une langue poétique classique les plus faciles à dégager sont bien sûr ceux de la rigueur formelle, de la recherche syntaxique, et surtout du plein emploi des ressources phoniques, phonétiques, de notre langue.
En matière de rigueur formelle, c'est un truisme d'ajouter que
- 1) la connaissance parfaite et la maîtrise des règles de la versification constituent le b.a.-ba de l'art poétique, mais que
- 2) l'essentiel ne s'enseigne pas.
(Par exemple Racine et Corneille font, chacun de son côté, de parfaits alexandrins sur le plan formel sans que la puissance de leurs styles respectifs en soit le moindrement altérée. Il est facile de les reconnaître et de les distinguer.)
Mais j'insiste aujourd'hui sur le seul plan sonore - tout en sachant que la force syntaxique participe au relief de l'expression.
Quels merveilleux bouquets font ces voyelles nasales :
"Il est teint de mon sang./ Plonge-le dans le mien,
"Et fais-lui perdre ainsi la teinture du tien." (Reconnaissez le Cid.)
On pourrait imaginer qu'en 2009, où les "règles" sont d'autant plus enfreintes qu'elles sont oubliées, la sensibilité phonétique de pointe a totalement disparu du domaine de la création poétique. Mais il n'en est rien.
Dans un échange épistolaire suivi avec Vladimir Volkoff (romancier, homme de théâtre) échange dont j'ai eu les copies sous les yeux, le poète Louis Latourre a évoqué cette sensibilité si particulière aux couleurs phoniques des voyelles nasales, et à la puissance expressive de leur composition :
(...) Je vois en effet, je perçois des couleurs dans les sons des voyelles ou plus exactement des vibrations colorées, et j'essaie de composer selon les rapports de ces couleurs mouvantes.
Je n'ai rien inventé d'ailleurs : bien des poètes et bien des musiciens ont fondé plus ou moins consciemment leur travail sur la synopsie. Je ne pense pas à Baudelaire ni à Rimbaud qui en ont parlé extérieurement, de façon descriptive, sans que la matière de leur oeuvre même rimée soit véritablement affectée du propos qu'ils tenaient. Mais chez les modernes français je pense d'abord à Messiaen, qui durant toute sa vie a évoqué et prouvé ce phénomène comme sous-tendant ses compositions musicales - tout en déplorant que cette déviation sensorielle affecte si peu de gens.
Le son IN tout particulièrement m'a viscéralement porté à la poésie. Dans l'émerveillement des mes 17 ans dû au Placet futile de Mallarmé, la nasale n'a pas moins compté que le reste :
Princesse ! à jalouser le destin d'une Hébé
Qui point sur cette tasse au baiser de vos lèvres (...)Et je me rappelle encore la surprise d'Antoine Vitez (qui avait pris plaisir à la lecture d'Adonis au point de m'en offrit une, publique, par les acteurs du "Français") lorsque je lui fis observer le fondement de la pièce entière sur cette nasale qui m'est si chère, ou sur ce que j'entends comme ses variantes AIN, AIM, IM, (O)IN, EIN, (I)EN, (E)EN, (Y)EN, EN des composés du grec penta, de menthol, benzène (mots à ne pas chercher dans la pièce !) jusques et y compris (hérésie pure) YN, YM, UN et UM... Mais que ce soit dans le TAIN du miroir, le TEINT du visage ou le THYM de Provence, je perçois toujours ces vibrations comme d'un beau bleu-vert cendre, à dominante cendrée mais variable : le son UN en diffère pas l'attraction de l'U qu'il contient et sous-entend, vers un bleu-vert un peu plus accusé (l'YN un peu moins)... La nasale IN en revanche, ou plutôt le son moyen entre IN et A qui n'existe pas à ma connaissance dans notre langue (même dans certaines prononciations régionales où dénasalisé, il paraît frôler le son E - E accent grave), me semble approcher l'expiration légèrement timbrée, le souffle, - l'anemos, dont la fleur d'Adonis se souvient.
Tant de subjectivité doit heurter le phonéticien ! La spectrographie ne me donne pas vraiment tort pourtant, lorsqu'elle fait de ce bleu-vert cendre l'exact milieu du spectre d'émission solaire, comme je fais du son AIN le juste milieu des voyelles françaises et peut-être humaines (naïf que je suis...), et la traduction sonore de cette couleur aimée.
Moi qui ne m'occupe de poésie que destinée au théâtre - un théâtre qui reste à inventer -, il m'arrive pourtant, par délassement, de consacrer des sonnets à ce genre d'étude de couleurs. Celle-ci ou celui-ci concernent mon propos :
Rien donc à redouter... Aucun sujet de crainte...
Il n'en est point, de plainte, en moi qui n'attends rien.
J'ai certes faim et soif d'une plus douce étreinte,
Mais la douceur d'aimer change ce mal en bien.De tous ses traits l'Amour peut aiguiser sa pointe
En prenant tout son temps ; pour moi j'ai tout le mien...
N'ayez en vous, mon Arbre, aucun sujet de crainte :
Il n'en est point de plainte, en moi qui n'attends rien.Un simple aveu pourtant, s'il faut parler sans feinte :
C'est à vos bois dorés que ma lumière emprunte ;
C'est de leurs traits légers que la clarté me vient...Il n'est moyen aucun d'en vivre hors d'atteinte.
Mais les chagrins sont doux ; mais douce est la contrainte.
Et pour longtemps, voyez, mon coeur vous appartient.Les règles du sonnet interdisent les rimes répétées par redites de mots ( vers 1-2 et 7-8 ) : je réponds par une conservation des mêmes rimes de 1 à 14.
Feinte ne rime pas avec emprunte (vers 9-10) : je réponds que ce couple de fausses rimes reprend en l'inversant l'attaque du premier tercet : UN sIMple (...), tandis que moyEN aucUN du dernier tercet leur fait écho.
Si je n'aime guère la rime pauvre, qu'il faut être Racine pour pouvoir se permettre à l'occasion, je ne déteste pas cette fausse rime pourvu qu'elle soit rare (dans le poème) et toujours rachetée par certaine richesse (parFums - Feints, quelqueS-uns - raiSins), et toujours fortement préparée :Les Nymphes... Pas un vent de quoi ces insensées
(....) parfums (... ) feints...Bien sûr ce genre d'étude ne repose pas sur un seul timbre mais sur la composition de nombreux autres, dont le son IN et ses variantes ne font ici que les plus évidents jeux de nuances et d'ombres. L'effet recherché et produit, variable, intéresse la psychologie de la perception.
Enfin ! j'avoue cette gamme de nasales être en résonance permanente avec mes cordes les plus sensibles. Je ne suis bien sûr pas de taille à faire le procès de la phonétique, qui réduit des voyelles si diverses à seulement deux prononciations distinctes. Mais l'oreille doit pourtant me tinter, lorsque l'étymologie me soutient l'I pouvoir naître de l'U, l'IM de l'UM et le timbre du tumpanon. A quel saint alors - IN ou UN - vouer mes pauvres tympans ?
Car tout ne tient, enfin, qu'au larynx de chacun...
Voilà ce que je suis heureuse de pouvoir partager avec vous. Cela tendrait aussi à montrer qu'il est possible de tirer de formes connues des choses nouvelles, en tout cas autre chose qu'une stérile répétition des formes du passé.
(Pour ceux qui seraient intéressés par la réflexion sur ce sujet, je propose encore les deux liens suivants :
http://www.critique-livre.fr/theatre/ad … -latourre/
http://theatreartproject.com/
les brefs extraits vidéo sont lisibles en Mozilla Firefox ou en Netscape)