Revenons à cette question de la concision d'une langue par rapport à l'autre, sous leur forme écrite, car elle constitue un aspect intéressant de la stylistique, à mon humble avis. Étendons la discussion au-delà des langues française et anglaise -- mais commençons par elle.
Certains rallongements sont le fait de mauvaises traductions, genre "mot à mot", comme le dit skirlet. Ces traductions lourdes et souvent fautives sont, dans le domaine des modes d'emploi, souvent faites par un logiciel de traduction et ne passent pas entre les mains d'un traducteur ou d'un réviseur de bonne qualité. D'autres rallongements, d'une langue à l'autre, sont le fait de ce que Vinay et Darbelnet, dans leur ouvrage que nous aurions tous dû lire, soit _Stylistique comparée du français et de l'anglais_, de ce que ces deux auteurs appellent les "servitudes" de telle ou telle langue. En français, la nécessité d'employer les articles définis, indéfinis et partitifs est beaucoup plus grande qu'en anglais -- cela fait partie des règles grammaticales du français, d'où le terme "servitude" adopté par Vinay et Darbelnet (je préfère "règles"). La nécessité de faire des accords (de participes passés, d'adjectifs) constituent encore des règles qui allongent parfois la version française par rapport à la version anglaise -- et on constate ce phénomène même, parfois, lorsque l'on a affaire à la traduction anglaise d'un texte rédigé initialement en français.
Mais on constate aussi le phénomène inverse -- j'ai vu un exemple où le texte ANGLAIS semblait environ 80 % plus long que le texte FRANÇAIS (je crois qu'il s'agissait d'une loi canadienne sur les ressources pétrolières côtières, dit "off-shore" en bon français).
Ne nous limitons pas aux deux langues officielles du Canada : les faits que l'espagnol (et l'italien aussi, je crois ?) puisse faire l'économie du pronom personnel sujet et faire la négation en employant un seul mot contribuent à un effet de concision par rapport à un texte rédigé en français. Mais d'autres règles grammaticales et orthographiques dans ces deux langues péninsulaires peuvent avoir l'effet inverse.
À skirlet, l'amoureux du russe que je suis (amoureux plutôt éconduit, à en juger par ma très faible "maîtrise" de la langue de Pouchkine), soumet l'hypothèse que la nécessité, en russe, d'employer "chto" après des contructions comme "Ya doumaju," constitue une servitude grammaticale analogue à la nécessité, en français, d'employer "que" après "Je pense" suivi d'un prédicat (pardon : en translitération, je suis nul). ("Chtobij" fait souvent l'objet d'un emploi obligatoire absent en ce qui concerne l'équivalent anglais.) Pour nous en tenir à "chto" et à "que", l'anglais ne comporte pas la même servitude : on peut dire "I think that she is beautiful" ou "I think she is beautiful" -- il y a ici contraste entre servitude et alternative (ce qui ne veut pas dire qu'on a une troisième option, en anglais -- la servitude est simplement moins serrée, moins contraignante).
Tout cela me préoccupe parce que, comme Orientale, je m'essaie parfois à la traduction (avec beaucoup moins de mérite qu'elle, ne serait-ce qu'en raison de la parenté plus étroite qui existe entre le français et l'anglais qu'entre ceux-ci et le vietnamien). J'ai constaté mille fois que les éditeurs de traductions littéraires françaises d'ouvrages en langue originale anglaise omettent allègrement de fournir à leurs clients la traduction de vastes quantités de l'original. Et cela, c'est infliger une grave injustice tant à l'auteur de l'original qu'au lectorat de la traduction -- et envers la noble vocation qui est celle des traductrices et traducteurs littéraires.