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forum abclf » Écriture et langue française » Thomas Mann ( la montagne magique)

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Messages [ 8 ]

Sujet : Thomas Mann ( la montagne magique)

Page 440 ;
- Vous maintenez que l’esprit signifie la frivolité. Mais il n’y peut rien, s’il est dualiste, à l’origine. Le dualisme, l’antithèse, c’est le principe moteur, passionné, dialectique et spirituel. Voir le monde séparé en deux principes antagonistes, c’est de l’esprit. Tout monisme est ennuyeux. Solet Aristoteles quaerere pugnam1. – Aristote ? Aristote a transféré la vérité des idées générales aux individus. C’est du panthéisme. – Faux ! Prêter aux individus un caractère substantiel, arracher l’essence des choses au général pour la placer dans le phénomène particulier, comme l’ont fait les aristotéliciens Thomas d’Aquin et Bonaventure, c’est affranchir le monde de toute union avec l’idée suprême, c’est le rendre extérieur à Dieu et transcendant. C’est du Moyen Âge classique, monsieur. – Du Moyen Âge classique, quelle délicieuse association de mots ! – Vous m’excuserez d’attribuer à la notion de classicisme la place qui lui revient, c’est-à-dire l’apogée de toute idée. L’Antiquité n’a pas toujours été classique. Je constate que vous avez en horreur l’absolu et la libre circulation des catégories. Vous ne voulez d’ailleurs pas d’esprit absolu. Vous voulez que l’esprit soit le progrès démocratique. – Nous sommes, je l’espère, unis par la conviction que l’esprit, si absolu soit-il, ne pourra jamais se faire l’avocat de la réaction. – Il est pourtant toujours l’avocat de la liberté ! – Comment cela, pourtant ? La liberté est la loi de la philanthropie, et non du nihilisme ou de la malveillance. – Choses que vous redoutez, de toute évidence. »

J'ai dû mal à comprendre ce passage << Faux ! Prêter aux individus un caractère substantiel, arracher l’essence des choses au général pour la placer dans le phénomène particulier, comme l’ont fait les aristotéliciens Thomas d’Aquin et Bonaventure, c’est affranchir le monde de toute union avec l’idée suprême, c’est le rendre extérieur à Dieu et transcendant. >>
Merci.

« La perversion de la cité commence par la fraude des mots. » PLATON

2 Dernière modification par Lévine (20-11-2021 19:35:19)

Re : Thomas Mann ( la montagne magique)

Faux ! Prêter aux individus un caractère substantiel, arracher l’essence des choses au général pour la placer dans le phénomène particulier, comme l’ont fait les aristotéliciens Thomas d’Aquin et Bonaventure, c’est affranchir le monde de toute union avec l’idée suprême, c’est le rendre extérieur à Dieu et transcendant.

Pour Platon, par exemple, l'essence des choses, l' "être" transcende l'individu qui ne peut que le concevoir par l'esprit, aidé par la dialectique : l'individu ne voit que des apparences dans le monde, il ne peut contempler directement l'être.
Le personnage prête ici à Aristote (très schématiquement) l'idée que l'être est partagé en substances qui forment des catégories, par exemple ici, les êtres humains. Son interlocuteur n'est pas d'accord car pour lui, cette fragmentation aboutit à rendre les individus autonomes, les séparer de l'être unificateur ou créateur (pour Dieu) : c'est là une attitude dualiste, humaniste et émancipatrice qui ne plaît pas au "moniste" qui voit là au contraire un danger pour l'Homme.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

3 Dernière modification par rabah75 (20-11-2021 23:28:35)

Re : Thomas Mann ( la montagne magique)

Merci.

« La perversion de la cité commence par la fraude des mots. » PLATON

4 Dernière modification par Chover (21-11-2021 09:31:39)

Re : Thomas Mann ( la montagne magique)

rabah75 a écrit:

J'ai dû mal à comprendre ce passage << Faux ! Prêter aux individus un caractère substantiel, arracher l’essence des choses au général pour la placer dans le phénomène particulier, comme l’ont fait les aristotéliciens Thomas d’Aquin et Bonaventure, c’est affranchir le monde de toute union avec l’idée suprême, c’est le rendre extérieur à Dieu et transcendant. >>
Merci.

Il s’agit d’une discussion entre NAPHTA et SETTEMBRINI, pédagogues qui représentent deux Weltanschauungen, visions du monde, dont aucune ne convient à Thomas MANN.
J'essaie de rendre le passage plus lisible, en indiquant les noms des intervenants et en créant des alinéas :

(NAPHTA)
– Vous maintenez que l’esprit signifie la frivolité. Mais il n’y peut rien, s’il est dualiste, à l’origine. Le dualisme, l’antithèse, c’est le principe moteur, passionné, dialectique et spirituel. Voir le monde séparé en deux principes antagonistes, c’est de l’esprit. Tout monisme est ennuyeux. Solet Aristoteles quaerere pugnam.

(SETTEMBRINI)
– Aristote ? Aristote a transféré la vérité des idées générales aux individus. C’est du panthéisme.

(NAPHTA)
– Faux ! Prêter aux individus un caractère substantiel, arracher l’essence des choses au général pour la placer dans le phénomène particulier, comme l’ont fait les aristotéliciens Thomas d’Aquin et Bonaventure, c’est affranchir le monde de toute union avec l’idée suprême, c’est le rendre extérieur à Dieu et transcendant. C’est du Moyen Âge classique, monsieur.

(SETTEMBRINI)
– Du Moyen Âge classique, quelle délicieuse association de mots !

(NAPHTA)
– Vous m’excuserez d’attribuer à la notion de classicisme la place qui lui revient, c’est-à-dire l’apogée de toute idée. L’Antiquité n’a pas toujours été classique. Je constate que vous avez en horreur l’absolu et la libre circulation des catégories. Vous ne voulez d’ailleurs pas d’esprit absolu. Vous voulez que l’esprit soit le progrès démocratique.

(SETTEMBRINI)
– Nous sommes, je l’espère, unis par la conviction que l’esprit, si absolu soit-il, ne pourra jamais se faire l’avocat de la réaction.

(NAPHTA) 
– Il est pourtant toujours l’avocat de la liberté !

(SETTEMBRINI)
– Comment cela, pourtant ? La liberté est la loi de la philanthropie, et non du nihilisme ou de la malveillance.

(NAPHTA)
– Choses que vous redoutez, de toute évidence.

SETTEMBRINI revendique une grande autonomie de l’individu, qui doit se réaliser matériellement, sans se préoccuper de Dieu ou de quelque transcendance que ce soit. En SETTEMBRINI, Thomas MANN critique son frère écrivain Heinrich MANN, beaucoup moins soucieux que lui du juste équilibre et de la place des forces de l’esprit.
NAPHTA s’oppose à l’individualisme, il milite pour un certain collectivisme. Il est adepte d’une religion panthéiste. Dans la réplique que vous citez, rabah75, c’est de cela qu’il s’agit. Avec des considérations philosophiques qui me dépassent mais que Lévine nous a aidés à décrypter. Le personnage n’était pas présent dans une première mouture du roman, en 1912. Thomas MANN l’a introduit dans son livre après la Première Guerre mondiale, peu de temps avant la publication en 1924 : il prenait alors conscience que la République de Weimar pouvait conduire au pire.

« Ni individualisme matérialiste froid, ni collectivisme totalitaire panthéiste » pourrait résumer, de manière un peu simpliste, la pensée de l’auteur dans ce passage.

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement… (Nicolas BOILEAU). Si possible !

5 Dernière modification par rabah75 (30-11-2021 17:35:24)

Re : Thomas Mann ( la montagne magique)

Chover, Lévine
<<  À vrai dire, le concept de la liberté devait moins tenir des Lumières que du romantisme, car il avait en commun avec ce dernier l’indéfectible corrélation entre une pulsion d’extension à l’humanité et la focalisation sur un moi dont l’horizon était restreint par la passion. Une soif de liberté individualiste avait donné lieu à un culte du sentiment national qui, romantique et passéiste, était belliqueux, et que le libéralisme philanthropique qualifiait d’obscur tout en prônant lui aussi l’individualisme, encore qu’un peu autrement. Romantique et médiéval, l’individualisme l’était, puisque convaincu de l’importance infinie et cosmique de l’individu dont découlaient la théorie de l’immortalité de l’âme, la doctrine géocentrique et l’astrologie. D’un autre côté, l’individualisme était l’affaire de l’humanisme libéralisant qui avait un penchant pour l’anarchie et voulait en tout cas éviter à ce cher individu d’être sacrifié à la collectivité. Tel était l’individualisme, les deux choses à la fois, et un mot à double entente >>
page 811
Vos commentaires mes amis !!

« La perversion de la cité commence par la fraude des mots. » PLATON

Re : Thomas Mann ( la montagne magique)

Bonsoir Rabah15.

Je pense que vous recherchez un résumé plus qu'un commentaire :

Pour le locuteur, l'idée de liberté est surtout issue du Romantisme.
Cette liberté s'exerce dans deux directions, mais qui sont complémentaires : d'un côté un humaniste libéral, social et émancipateur, de l'autre un individualisme strict, capable de déboucher sur un nationalisme guerrier, et  proposant à l'Homme confronté aux passions un idéal au-delà de la vie, qu'il soit religieux ou païen. Un individualisme "à double entente" donc, à la fois social et centré sur le moi.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

7 Dernière modification par rabah75 (30-11-2021 23:41:08)

Re : Thomas Mann ( la montagne magique)

Lévine a écrit:

Bonsoir Rabah15.

Je pense que vous recherchez un résumé plus qu'un commentaire :

Pour le locuteur, l'idée de liberté est surtout issue du Romantisme.
Cette liberté s'exerce dans deux directions, mais qui sont complémentaires : d'un côté un humaniste libéral, social et émancipateur, de l'autre un individualisme strict, capable de déboucher sur un nationalisme guerrier, et  proposant à l'Homme confronté aux passions un idéal au-delà de la vie, qu'il soit religieux ou païen. Un individualisme "à double entente" donc, à la fois social et centré sur le moi.

Il y a quelques jours, je suis venu à bout de ce magnifique roman qui n'est pas de tout repos, mon défaut si j'ose dire,  c'est que j'aime pas louper ne serait-ce que le petit détail,c'est pourquoi, parfois je solicite votre aide pour confirmer ou rejeter des idées.
Merci à vous tous.

« La perversion de la cité commence par la fraude des mots. » PLATON

8 Dernière modification par Chover (01-12-2021 11:16:28)

Re : Thomas Mann ( la montagne magique)

À vrai dire, le concept de la liberté devait moins tenir des Lumières que du romantisme, car il avait en commun avec ce dernier l’indéfectible corrélation entre une pulsion d’extension à l’humanité et la focalisation sur un moi dont l’horizon était restreint par la passion.

Le mouvement de l’Aufklärung (les Lumières en Allemagne, XVIIIe siècle) a mis au centre de ses préoccupations le concept de liberté (plutôt individuelle). Mais c’est le Romantisme (fin XVIIIe, XIXe) qui, historiquement, a valorisé ce concept et a montré, ce faisant, un peu paradoxalement, involontairement pour ainsi dire ou à contrecœur, que la liberté individuelle n’était possible qu’associée à la liberté collective.

Une soif de liberté individualiste avait donné lieu à un culte du sentiment national qui, romantique et passéiste, était belliqueux, et que le libéralisme philanthropique qualifiait d’obscur tout en prônant lui aussi l’individualisme, encore qu’un peu autrement.

De la place importante accordée à la liberté individuelle, légitime, on est passé à la montée de l’individualisme, critiquable, parce que conduisant au nationalisme (que prône NAPHTA).

Romantique et médiéval, l’individualisme l’était, puisque convaincu de l’importance infinie et cosmique de l’individu dont découlaient la théorie de l’immortalité de l’âme, la doctrine géocentrique et l’astrologie.

Le protestant Thomas MANN aime pointer les contradictions, y compris les siennes. Probablement convaincu de l’immortalité de l’âme, il la raille ici et la met sur le même plan que le géocentrisme (immobilité de la Terre dans l’univers, doctrine reprise par l’église catholique jusqu’au Moyen-Âge) et l’astrologie !

D’un autre côté, l’individualisme était l’affaire de l’humanisme libéralisant qui avait un penchant pour l’anarchie et voulait en tout cas éviter à ce cher individu d’être sacrifié à la collectivité. Tel était l’individualisme, les deux choses à la fois, et un mot à double entente.

Ambiguïté de l’individualisme.

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement… (Nicolas BOILEAU). Si possible !

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