Voilà, donc à chaque fois pour pouvoir décider de la fonction de ce qui suit le verbe, on est obligé de faire intervenir le sens, il est absolument impossible d’en faire l’économie.
J’ai vécu dix ans en Allemagne et J’ai passé dix ans en Allemagne sont structurellement strictement équivalents :
sujet + verbe + durée + lieu
Pour un étranger qui ne connaît pas ou mal le français*, il est impossible de différencier les deux phrases et d’analyser différemment la fonction du complément de durée qui suit les verbes vivre et passer.
Autre exemple, si je dis : Je mesure 185 centimètres sous la toise, 185 centimètres pourra aussi bien être COD que CM (qui sont dans les deux cas "compléments essentiels à rection directe", pour citer Lévine - d’ailleurs, pour ces deux phrases, il me semble qu’aucun des tests grammaticaux n’est concluant) ; compléments que l’on pourrait se contenter de catégoriser compléments de verbe, si on n’avait pas cette tracassante histoire d’accord du participe passé.
De toute façon, même ces tests soi-disant purement grammaticaux (déplacement, suppression, pronominalisation, passivation, etc.) font intervenir le sens et introduisent donc éventuellement la subjectivité et potentiellement les désaccords. Ainsi, par exemple, certains vont refuser la pronominalisation en le la les des compléments de mesure, là où d’autres vont l’admettre :
b) La pronominalisation : les CM, comme les COD, admettent la pronominalisation au moyen de le, la, les (cf. Willems 1981 pour un avis contraire). Abondant dans le sens de Wilmet (1997) Vassant (1994) ou Riegel et al. (1994), nous jugeons que des énoncés comme : Deux kilos+ il les pèse, ce poisson ; vingt euros, ce livre les coûte (bien) sont possibles en français.
source
(les mises en valeur sont de moi)
* (Et quand on voit les questions et débats récurrents à propos de l’accord du participe passé de vivre ou passer + durée quand le complément est antéposé, on voit que ce point n’est pas opaque pour le seul étranger mais bien aussi pour les francophones natifs.)