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forum abclf » Histoire de la langue française » Legere (latin) lire (français)

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Messages [ 22 ]

1 Dernière modification par Lévine (03-04-2021 17:52:53)

Sujet : Legere (latin) lire (français)

J'ai publié cette étude sur le site Babel.

L’objectif de départ devait être une courte notice sur l’étymologie du verbe lire, puis il s‘est élargi : j’ai voulu, tout en m’en tenant aux divers sens du mot,  mener une petite initiation à la littérature des siècles d’or du Moyen Âge (XIIème-XIIIème siècles). C’est pourquoi certaines citations sont plus longues qu'il ne faudrait...    

Les textes cités sont tirés des éditions Honoré Champion (Paris).


Notre verbe lire vient du latin legere qui, comme le grec λέγειν, dérive de la racine indo-européenne *leg, dont le sens est « rassembler », « recueillir »(1). Tel est bien le sens premier de ces verbes ; en latin(2), legere nuces signifie « cueillir des noix », legere ossa, « recueillir des ossements ».
Un sens dérivé est celui de « parcourir » : quand on parcourt un chemin ou une contrée, on choisit un itinéraire à l’exclusion de tous les autres. On trouve ainsi legere vestigia, « suivre des traces » ; legere pontum, « parcourir la mer », legere litora, « côtoyer le rivage ».
De « recueillir » à « choisir », il n’y a qu’un pas, franchi dans les expressions legere judices, « choisir des juges », legere senatos, « choisir des légats ». Ce sens survit dans notre verbe « élire », tiré de eligere, un verbe composé de même sens.    

Comment passe-t-on de « choisir » à « lire » ? Ernout-Meillet(3) notent que l’évolution sémantique « n’est pas claire ». Pourtant lire, n’est-ce pas « parcourir », « suivre » les interminables lignes d’écriture des volumina pour cueillir en chemin les lettres et les syllabes qui dévoilent les mots et les phrases non séparés dans l’écriture ? Une expression comme legere oculis, « parcourir des yeux », est significative de ce travail d’exploration visuel et intellectuel qu’on peut deviner parfois bien difficile, qu’on lise pour soi ou pour les autres. D’après Ernout-Meillet, legere aurait pris le sens de « recueillir les noms d’une liste », donc « énumérer » ce qui aurait conduit au sens de « lire ». Malheureusement, le seul exemple invoqué est l’expression legere senatum employée dans un passage de Tite-Live qui semble mal avoir été compris : les censeurs dont il est question ne font nullement « l’appel des sénateurs », ce qui ne correspond du reste pas à leur rôle, mais choisissent les noms à porter sur l’album sénatorial en écartant les membres indignes après des temps de troubles politiques(4) ; l’expression est du reste plusieurs fois employée en ce sens par Cicéron. Il me semble donc que cet emploi du verbe ne peut nullement servir d’intermédiaire entre les sens de « recueillir » et de « lire ».    

L’emploi de legere au sens de « lire » est abondamment attesté chez Cicéron et chez Quintilien, mais il est certainement antérieur. Chez l’orateur, il s’applique exclusivement à la lecture silencieuse, qu’il vaudrait mieux appeler « pour soi », car une syllabation orale pouvait aider à la compréhension du texte. Les philosophes, les historiens ou les « scientifiques » comme Pline l’Ancien avaient en effet couramment recours à des écrits antérieurs pour l’élaboration de leurs propres œuvres ; mais ces intellectuels étaient évidemment très peu nombreux ; dans la presque totalité des cas, les œuvres littéraires n’étaient accessibles aux Romains que par le moyen des séances de lecture publique. Quant aux discours politiques ou judiciaires, ils étaient prononcés sans le moindre support écrit ; leur auteur ne les retranscrivait, après remaniement, qu’en vue de l’édition.    


Durant le Moyen Âge, les progrès techniques qui font passer du papyrus au parchemin, plus cher mais plus durable, et surtout du volumen au codex(5) vont permettre un développement de la littérature, donc de la lecture, qui va toucher peu à peu les couches laïques de la société (cours, bourgeoisie à partir du XIIIème siècle). Cet élargissement culturel va du reste de pair avec le développement d’une littérature originale en « français ». La lecture ne concerne donc plus les seuls gens d’église ou les intellectuels férus de latinité ; malgré tout, comme on le sait, durant toute la période médiévale, les litterati ne sont encore qu’une faible minorité, surtout dans la période qui va des invasions germaniques à la renaissance carolingienne.    

Certes, comme dans l’Antiquité, cette littérature est surtout connue par l’oral (texte lus, récités ou interprétés devant un public), mais les occurrences trouvées dans les textes montrent aussi qu’il faut faire une part importante à la lecture silencieuse, rendue plus aisée par la séparation des mots et une meilleure disposition du texte sur le feuillet, d’autant que les œuvres, poétiques ou non, sont presque toutes versifiées jusqu’au XIIIème siècle. On ne va plus déchiffrer syllabe par syllabe mais saisir d’un seul coup d’œil des mots entiers ou des syntagmes, comme dans la lecture moderne. On va aussi pouvoir plus aisément revenir en arrière et se repérer dans un texte grâce aux lettrines et à la pagination (souvent postérieure dans les manuscrits les plus anciens)(7).    


Au début était le livre, pourrait-on dire, et tout y retourne : dès les romans antiques(8), mais même dans le roman breton et les récits, dans les bestiaires et les lapidaires, l’auteur mentionne une source souvent très ancienne qu’il « traduit » ou dont il s’inspire. Même si c’est pour l’auteur une manière de conférer de l’authenticité à son récit et que cette source peut être fictive, il n’en demeure pas moins que le clerc lit beaucoup depuis la constitution des bibliothèques monastiques ou de celles des cours renommées.    

Les allusions à la lecture « pour soi » sont donc nombreuses dans les œuvres médiévales ; elles concernent soit des personnages, soit le narrateur lui-même, comme dans ce passage du Comput de Philippe de Thaon (début du XIIème). L’auteur, évoquant la légende de Castor et Pollux à propos de la constellation des Gémeaux, ne manque pas de nommer la source dont il s’est inspiré :    

E ço truvum lisant (et cela, nous le trouvons en lisant)    
en Ovide le grant ;    
ço fud entendement (entendement = façon de se représenter les choses)    
de la paiene gent.    
              v. 1291-4    

Mais si la lecture « pour soi » se rapporte avant tout à l’auteur, en général un clerc(9) capable de lire couramment le latin classique, elle concerne aussi de plus en plus les « borgois », dont beaucoup savent lire et écrire le français à mesure que l’on avance dans le XIIIème siècle. Dans la partie du Roman de la rose écrite par Jean de Meung, presque à la fin du siècle, on trouve des conseils au mari cocu qui marquent l’influence de la farce et du fabliau :    

Et se nus li envoie lestre, (= et si quelqu’un lui (= à sa femme) envoie une lettre)    
il ne se doit pas entremestre    
du lire ne du reverchier (de la lire, ni de la tourner en tous sens)    
ne de leur secrez encerchier (ni d’essayer de s’enquérir de leurs secrets).    
                               v. 9673- 6    

On le voit, l’infortuné mari est censé ne pas savoir seulement déchiffrer, mais aussi « lire entre les lignes » !    

Mais revenons à l’auteur. Dans cet extrait de Floire et Blanchefor, récit datant du milieu du XIIème, il est intéressant de voir comment s’effectue le passage d’une source écrite à l’œuvre par l’intermédiaire d’une transmission orale. L’auteur (anonyme) est en effet censé transcrire l’histoire qu’il a entendue de la bouche d’une dame qui le tenait elle-même d’un clerc qui en avait lu l’histoire. Même si cette situation est probablement inventée, elle nous montre néanmoins comment s’opère la genèse de l’œuvre médiévale, qui se présente avant tout comme le relais d’une parole ancestrale, et bientôt comme une « conjointure » dont l’auteur mettra en valeur, parfois un peu orgueilleusement, l’originalité et le caractère abouti(10).    

L’aisnee d’une amor parloit    
a sa seror, que molt amoit,    
qui fut ja entre .II. enfans, (ja = autrefois)    
bien avoit passé .II. cens ans,    
mais uns boins clers li avoit dit, (lui avait conté [cette histoire]    
qui l’avoit leü en escrit.    
                          v. 49-54.    

La lecture, nous l’avons dit, ne concerne pas que l’intellectuel en tête à tête avec ses livres ; quasiment tous ceux qui n’écrivent pas ne connaissent une œuvre que pour l’avoir entendu lire ou raconter, comme les deux sœurs du texte précédent(12). La lecture oralisée est en effet le seul moyen de toucher un public suffisamment large, notamment dans les cours, à partir du XIIème. Même si l’on sait lire, les manuscrits ne sont pas en nombre suffisant et on trouve toujours plus agréable d’écouter à plusieurs un bon lecteur que de lire soi-même dans la solitude.
Quel meilleur exemple d’une séance de lecture que l’image prise « sur le vif » d’un seigneur et de son épouse, tout au plaisir d’écouter leur fille lire un roman au sein d’un verger ?

Et mes sire Yvains lors s’en antre    
el vergier, après li sa rote ; (= son escorte)    
voit apoié desor son cote (= sur son coude)    
un riche home qui se gisoit (= un personnage de haut rang)    
sor un drap de soie et lisoit    
une pucele devant lui    
en un romans, ne sai de cui ; (= de qui)    
et por le romans escoter    
s’i estoie venue acoter    
une dame ; et s’estoit sa mère,    
et li sires estoit ses père.   

CdT, le Chevalier au Lion, v. 5354-64.    

Admirons aussi l’humour de Chrétien : ce livre, dont le narrateur ignore l’auteur, c’est évidemment celui que nous avons entre les mains !    

Mais dans la société médiévale, la lecture orale est aussi utilitaire : un document, souvent une lettre, transmis par un messager est toujours lu à voix haute. Outre le fait que le destinataire n’est pas nécessairement capable de déchiffrer des écrits dont la langue est parfois complexe, et que cette tâche est de toute manière au-dessous de sa condition, tout comme celle d’écrire d'ailleurs, il faut évidemment que le lecteur connaisse le contenu du message de manière aussi directe que possible. C’est donc un personnel dédié qui est chargé de la lecture, comme dans la Vie d’Alexis (vers 1040), où l’on rencontre la première occurrence du verbe :    

Li chanceliers, cui li mestiers en eret, (= dont c’était la fonction)    
Cil list la chartre ; li altre l’escolterent (list = lut).    
                                                v. 376-7.    

De la lecture oralisée d’un texte à la récitation,  il y a peu, comme le montre un sens du verbe lire que l’on rencontre fréquemment dans l’évocation des scènes religieuses. Dans ce passage du Roman de Thèbes (XIIème) qui décrit un moment des obsèques d’Atys, le compagnon d’Ismène, les leçons (passages des Écritures récités) s’opposent aux répons, parties chantées.    

Li oseques grant piece dure, (= les obsèques durent un long moment)    
par ordre le font o grant cure, (= avec grand soin)    
chantent respons, leçons font lire,    
puis le metent el cimetiere. (le= Atys)    
                              v. 1153-6.    

Au XVIIIème siècle, le mot survivra dans les fameuses leçons des ténèbres des temps de Pâques.

On évoquera enfin le sens du verbe le plus éloigné, qui semble s’être développé parallèlement à l’essor de l’enseignement universitaire, à la charnière des XIIème et XIIIème siècles : lire, c’est donner des leçons, donc tout simplement enseigner. On parle ainsi de « clerc lisant » pour qualifier un clerc qui enseigne. Référons-nous encore à la seconde partie du Roman de la Rose :    

car Platon lisoit en l’école (= enseignait)    
que donee nous fut parole    
por faire nos volairs entendre. (nos volontés, et plus généralement, nos pensées).    
                                v. 7069-71.    

Qu’on ne s’imagine pas ici qu’il s’agisse de la lecture d’un cours rédigé ; une leçon, au XIIIème siècle consiste d’abord en une lecture d’un passage des Écritures ou des Pères de l’Église au programme du jour, puis en un commentaire grammatical, enfin en une exploration du sens symbolique ou allégorique du texte. Il s’agit donc d’un cycle qui, partant du livre (ou du Livre), y retourne après avoir fécondé les esprits par la parole chargée de l’expliciter, mais aussi de le transformer en parole vivante, à l’instar de celle de Jésus ou des apôtres. Exercice difficile, d’autant que les étudiants ne disposent pas tous du texte, et que les notes ne sont pas envisageables : comme dans l’Antiquité, c’était la mémoire qui était cultivée. Après une restitution sans faute de ce que le professeur avait dit (le fameux par cœur, tant moqué par Rabelais), les étudiants étaient prêts pour la disputatio, à partir d’un sujet de casuistique invitant à argumenter pro et contra… Et le tout en bon latin !    


On peut donc dire finalement que si la lecture silencieuse est beaucoup moins fréquente que la lecture oralisée dans l’Antiquité et dans la période « classique » du Moyen Age, ce n’est pas parce que la technique de « décodage », comme on dit dans la pédagogie moderne, n’est pas assez sûre, c’est parce que la lecture, comme les autres activités culturelles, est une pratique fondamentalement sociale, qu’on retrouve dans tous les sens du verbe lire que l’on a dégagés. Mais dès la seconde moitié du XIIIème siècle, on voit apparaître de volumineux cycles en prose, comme celui du Lancelot-Graal (à ne pas confondre avec l’œuvre de Chrétien de Troyes), qui ne se conçoivent que lus individuellement(13). Progrès dans l’instruction des couches dominantes ? Évolution des goûts due aux mutations politiques et sociales ? Apparition d’un individualisme désabusé (la période sombre ne s’ouvrira vraiment qu’au siècle suivant) ? Il est difficile d'aborder ici cette question.


Notes :    

(1) Tableau des racines indo-européennes de J. Pokorny, en ligne sur le site Lexilogos.    

(2) Les exemples ainsi que le classement des sens sont empruntés au dictionnaire Gaffiot (Hachette).

(3) A. Ernout et A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine (Klincksieck).    

(4) Censores fideli concordia senatum legerunt […]. Princeps lectus est ipse censor M. Aemilius Lepidus pontifex maximus […] tres eiecti de senatu. « Les censeurs, dans leur souci de rester fidèles à la concorde, dressèrent la liste des sénateurs […] trois furent exclus du Sénat ». (Tite-Live, Ab urbe condita, XL, 51, 1, (les Belles lettres).    

(5) Le codex, apparu dès le 4ème siècle, est formé d’un ensemble de feuillets reliés : c’est donc déjà le livre moderne. Mais il va sans dire que seuls les privilégiés peuvent en acquérir avant l’apparition de l’imprimerie, d’autant que certains sont de véritables œuvres d’art.    

(6) On ne confondra pas la date d’attestation d’un mot et sa date effective d’entrée dans le lexique, nécessairement très antérieure et de toute manière impossible à fixer : on ne passe pas du jour au lendemain de legere à lire…    

(7) Autant de choses qu’il était difficile de faire avec des rouleaux de plus de 20 mètres écrits en scriptio continua et en boustrophédon afin d’éviter d’avoir à « rembobiner » le rouleau à chaque changement de ligne.    

(8) On appelle ainsi les romans d’Enéas, de Thèbes, d’Alexandre et de Troie, écrits au milieu du XIIème siècle et tous adaptés de textes anciens (l’Énéide pour le premier).

(9) Au Moyen Âge, un clerc a nécessairement une culture religieuse, mais il n’entre pas pour autant dans les ordres et n’est nullement astreint à un service religieux quelconque. C’est tout simplement un intellectuel.    

(10) Je songe au prologue d’Érec et Énide, de Chrétien de Troyes. Pour un auteur médiéval, l’inscription dans une tradition remontant d’une part à la Bible, d’autre part à l’Antiquité « païenne » est une obligation quasiment déontologique : l’auteur ne se distingue pas par la nouveauté du sujet traité, mais par sa mise en œuvre.    

(11) Les Humanistes dont Rabelais et Montaigne, puis Molière au siècle suivant, se sont beaucoup moqués de ces procédés pédagogiques, mais ils n’en connaissaient que le reflet abâtardi du XVème siècle.    

(12) Une autrice comme Marie de France tire, de son propre aveu, presque tous ses lais de sources orales.    

(13) Le volumineux Roman de la Rose (près de 22000 vers !), avec ses nombreux excursus moraux, sociaux, philosophiques, n’est assurément pas fait non plus pour la lecture orale.

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Re : Legere (latin) lire (français)

Comment passe-t-on de « choisir » à « lire » ? Ernout-Meillet(3) notent que l’évolution sémantique « n’est pas claire ». Pourtant lire, n’est-ce pas « parcourir », « suivre » les interminables lignes d’écriture des volumina pour cueillir en chemin les lettres et les syllabes qui dévoilent les mots et les phrases non séparés dans l’écriture ? Une expression comme legere oculis, « parcourir des yeux », est significative de ce travail d’exploration visuel et intellectuel qu’on peut deviner parfois bien difficile, qu’on lise pour soi ou pour les autres. D’après Ernout-Meillet, legere aurait pris le sens de « recueillir les noms d’une liste », donc « énumérer » ce qui aurait conduit au sens de « lire ». Malheureusement, le seul exemple invoqué est l’expression legere senatum employée dans un passage de Tite-Live qui semble mal avoir été compris : les censeurs dont il est question ne font nullement « l’appel des sénateurs », ce qui ne correspond du reste pas à leur rôle, mais choisissent les noms à porter sur l’album sénatorial en écartant les membres indignes après des temps de troubles politiques(4) ; l’expression est du reste plusieurs fois employée en ce sens par Cicéron. Il me semble donc que cet emploi du verbe ne peut nullement servir d’intermédiaire entre les sens de « recueillir » et de « lire ».      Une pensée peu profonde - un recueil est une collection à lire.

Re : Legere (latin) lire (français)

Peut-être - et même sans doute - la réflexion ne casse-t-elle pas des briques, mais je ne vois nulle part le sens d' "énumérer", "faire l'appel" pour le verbe legere.

Cela dit, tous les glissements de sens que l'on peut imaginer sont recevables, mais il n'en demeure pas moins que le seul témoignage invoqué par EM est à rejeter.

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Re : Legere (latin) lire (français)

legere - lire ou choisir

L'étymologie du mot intelligent inter legere - on dit choisir entre.

L'étymologie du mot intelligence n'est pourtant pas compliquée. On part du verbe latin legere qui signifie d'abord « cueillir », puis, parce qu'on ne cueille que ce qui en vaut la peine, legere prend le sens de « choisir ». La jaune et la rouge https://www.lajauneetlarouge.com

J'en avais deux fausses - inter legere - lire entre les lignes et vraiment farfelue - in telos - la capacité de lire loin - tout comme un/e joueur/se d'échecs sait où il/elle va déplacer les pièces pendant les dix minutes qui suivent.

Re : Legere (latin) lire (français)

intellegens existe déjà en latin.

En effet, intellegere n'a qu'une étymologie possible. Son sens premier est "discerner".

______________

Pourquoi déjà jugiez-vous faible le raisonnement du membre de Babel dont j'ai reproduit l'article (avec sa permission, je précise) ?

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Re : Legere (latin) lire (français)

Lévine, je n'oserais pas remettre en question ce que vous postez.  Je suis sensible à la haute qualité de vos contributions érudites sur le forum et ne voulant pas qu'elles tombent dans les oubliettes, j'ai fait un petit effort de poster ce qui m'est venu à l'esprit.  Dès maintenant, je vais me taire.  Je me sens largement dépassé par cela.

Re : Legere (latin) lire (français)

Voici ce qui s'est passé : j'ai cru, du fait de l'extrême radicalité de votre intervention, que vous n'aviez par compris que l'article était de moi, et je voulais m'amuser un peu de cette méprise (tout en ayant rendu la première ligne plus spécifique afin que vous vous en rendiez éventuellement compte vous-même).
Cela dit, encore une fois, non seulement les critiques ne me gênent pas, mais je les revendique, à condition qu'on oppose des arguments pertinents, ce qui ne me semblait pas le cas, mais peu importe maintenant.

Sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur.

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Re : Legere (latin) lire (français)

Donc, un malentendu mais une bonne entente. smile

9 Dernière modification par Chover (04-04-2021 09:34:49)

Re : Legere (latin) lire (français)

Un grand merci à vous, Lévine. Votre texte m'a intéressé du début à la fin.

Lévine a écrit:

Notre verbe lire vient du latin legere qui, comme le grec λέγειν, dérive de la racine indo-européenne *leg, dont le sens est « rassembler », « recueillir ».

Legere et λέγειν m'évoquent les verbes allemands legen, coucher, mettre (à plat), et liegen, être couché, être allongé, apparentés à l'anglais to lie, être couché. Or il me semblait me rappeler leur ancêtre indo-européen *leg-, allonger, être allongé. Je viens d'en trouver confirmation. On aurait donc deux racines indo-européennes homophones de sens différents.

Lire se dit en allemand lesen, il lit er liest. Mais ce verbe a un autre sens ou, plutôt, d'autres sens : glaner, rassembler, ramasser, vendanger, trier... Sans constituer une preuve, cela ne corrobore-t-il pas l'idée que la lecture aurait consisté jadis en une collecte de mots ?

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement… (Nicolas BOILEAU). Si possible !

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Re : Legere (latin) lire (français)

Merci beaucoup.

La racine de lie, legen, ложиться/лечь est *legh et non *leg (cf. grec anc. λέχος, "couche").

Cela dit, il existe au moins une racine homophone de celle qui nous occupe, c'est *leg > angl. leak, "fuir".

Oui, il y a un lien entre "rassembler" et "lire" ; ce que j'ai contesté, c'est le passage par le sens d' "énumérer" avancé par EM et non démontré par la citation de Tite-Live.
____________

En russe, comme vous le savez, "lire" se dit читать et "compter" считать : la dérivation est différente et intéressante à creuser.

Toujours en parlant de calcul, en allemand, si je ne m'abuse, "raconter" se dit erzählen et "compter" zählen. A creuser aussi ! wink

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Re : Legere (latin) lire (français)

On sait qu'en français compter et conter sont des doublets.

Re : Legere (latin) lire (français)

Deux variantes orthographiques d'un même mot, dont le sens se dédouble en effet.

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

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Re : Legere (latin) lire (français)

Je trouve intéressant qu'il faut compter les angles afin de lire les chiffres.

https://allgamein.files.wordpress.com/2012/02/why-are-numbers-drawn-the-way-they-are.jpg

14 Dernière modification par Lévine (05-04-2021 13:34:48)

Re : Legere (latin) lire (français)

Il faut dessiner curieusement les chiffres...

Les anciens slaves utilisaient des lettres comme chiffres, à l'instar des Grecs.

Admirez ce chef-d'œuvre ! Les auteurs (Cyrille et Méthode ?) étaient des linguistes avant la lettre !

https://zupimages.net/up/21/13/sxun.png

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Re : Legere (latin) lire (français)

pfinn60 a écrit:

Je trouve intéressant qu'il faut compter les angles afin de lire les chiffres.

Mais il s'agit d'une reconstitution très a posteriori et assez tirée par les cheveux, sans rapport avec la forme réelle historique des chiffres, à part éventuellement les trois premiers.

16 Dernière modification par Chover (05-04-2021 09:54:49)

Re : Legere (latin) lire (français)

Lévine a écrit:

La racine de lie, legen, ложиться/лечь est *legh et non *leg (cf. grec anc. λέχος, "couche").

J'en trouve confirmation sur Wikipédia. Malheureusement, le dictionnaire (Wahrig) tout allemand, pourtant rarement pris en défaut, dont je dispose, note à la fin de son entrée liegen : zu idg. *leg-, en prov. de l'IE *leg- (idg. abrège indogermanisch).
On voit là à quel point l'amateur que je suis doit être prudent et modeste dans le maniement de telles notions !

Lévine a écrit:

Oui, il y a un lien entre "rassembler" et "lire" ; ce que j'ai contesté, c'est le passage par le sens d' "énumérer" avancé par EM et non démontré par la citation de Tite-Live.

D'accord.

Lévine a écrit:

En russe, comme vous le savez, "lire" se dit читать et "compter" считать : la dérivation est différente et intéressante à creuser.
Toujours en parlant de calcul, en allemand, si je ne m'abuse, "raconter" se dit erzählen et "compter" zählen. A creuser aussi ! wink

Oui. Bon, la ressemblance entre raconter, conter, d'une part, et compter, d'autre part, est évidemment fortuite. Et, pour l'allemand, on doit savoir que zählen ne signifie compter que dans le sens dénombrer, recenser, être au nombre de, réciter les nombres. Compter, dans son acception faire un calcul, faire une opération de calcul, se dit rechnen.

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement… (Nicolas BOILEAU). Si possible !

Re : Legere (latin) lire (français)

Chover a écrit:

la ressemblance entre raconter, conter, d'une part, et compter, d'autre part, est évidemment fortuite.

Euh... que nous contez-vous là ? wink  Elle n'est pas fortuite du tout. Ces mots ont la même origine.
https://cnrtl.fr/etymologie/conter

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Re : Legere (latin) lire (français)

Ah, pardon. Et merci. Que j'aie eu un doute à propos de ce que je venais d'écrire peu après avoir quitté l'ordi, ne change rien à mon erreur !

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement… (Nicolas BOILEAU). Si possible !

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Re : Legere (latin) lire (français)

Ah oui, conter dans le sens de "raconter" suit de très près conter dans le sens de "compter" : dès le XIIème.
Le verbe conserve les deux sens jusqu'à ce que l'orthographe les différencie (quelques occurrences au XIIIème, systématisation à partir du XVème).

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Re : Legere (latin) lire (français)

Chover a écrit:
Lévine a écrit:

La racine de lie, legen, ложиться/лечь est *legh et non *leg (cf. grec anc. λέχος, "couche").

J'en trouve confirmation sur Wikipédia. Malheureusement, le dictionnaire (Wahrig) tout allemand, pourtant rarement pris en défaut, dont je dispose, note à la fin de son entrée liegen : zu idg. *leg-, en prov. de l'IE *leg- (idg. abrège indogermanisch).
On voit là à quel point l'amateur que je suis doit être prudent et modeste dans le maniement de telles notions !

Voyez ceci :

https://archive.org/details/indogermani … ew=theater

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21 Dernière modification par Lévine (05-04-2021 20:39:42)

Re : Legere (latin) lire (français)

Je pense que le passage de "compter"  à "conter" s'effectue par l'intermédiaire du sens de "rendre compte de". J'ai trouvé un passage avec aconter (qui comporte les mêmes sens, la différence étant aspectuelle) dans l'Énéas (v. 828-30) qui semble l'illustrer :

(Didon reçoit magnifiquement Énéas et ses compagnons) :

Enuiz seroit a desraisnier  (= énumérer)
et d'aconter trestoz les mes  ("se mettre à dénombrer", "se mettre à raconter (décrire)" ?) 
qui sovent vindrent et espés  (espés = en grosse quantité).

Pourquoi pas "rendre compte de la totalité des mets..." ?

Il est souvent plus difficile de traduire l'AF que le latin...

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Re : Legere (latin) lire (français)

Merci. L'affaire est claire !

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement… (Nicolas BOILEAU). Si possible !

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