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forum abclf » Réflexions linguistiques » Mots de couleur

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Messages [ 151 à 200 sur 217 ]

151

Re : Mots de couleur

Abel Boyer a écrit:

Quand j'étais jeune, j'allais chercher du pain bis chez le boulanger pour accompagner les huîtres, certains dimanches d'hiver. Je crois qu'aujourd'hui, je demanderais du pain de seigle.

Dans le département du Nord, j'ai entendu l'adjectif « bis » pour qualifier des personnes à la peau mate.

Caesarem legato alacrem, ille portavit assumpti Brutus.

Re : Mots de couleur

Je crois aussi qu'on employait chez moi "avoir la peau bise".

153 Dernière modification par Lévine (01-08-2020 12:00:46)

Re : Mots de couleur

Eh bien c'est l'un des usages du mot qui a survécu au temps.

Mais j'y songe, Abel : comme tu es né en 1667, ton témoignage ne peut guère être pris en compte...

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

154 Dernière modification par glop (01-08-2020 12:35:39)

Re : Mots de couleur

Le cnrtl mentionne une expression que j'hésite à inscrire ici. elle est censée correspondre à "bistre au manganèse".

https://www.cnrtl.fr/definition/maure

Nomina si nescis, perit cognitio rerum. Edward Coke

155 Dernière modification par glop (10-08-2020 12:09:34)

Re : Mots de couleur

J’ai bien envie d’ajouter l’adjectif fuligineux au chapitre.
Il peut évoquer soit la couleur de la suie (ciel fuligineux) soit sa matière (fuligo septica).
Pour le "fuligo gris latin" la matière et la couleur peut-être ?
http://mycorance.free.fr/valchamp/champ … idit%C3%A9

Nomina si nescis, perit cognitio rerum. Edward Coke

Re : Mots de couleur

Oui, d'ailleurs mentionné dans mon message 139.

157

Re : Mots de couleur

Abel Boyer a écrit:

Oui, d'ailleurs mentionné dans mon message 139.

Cependant le "gris latin" demeure pour moi assez mystérieux.

Nomina si nescis, perit cognitio rerum. Edward Coke

158

Re : Mots de couleur

Ce n'est pas "gris latin", mais "fuligo gris", à la ligne : "(en) latin : spumaria alba"

Comme je le disais plus haut, alba = "blanc mat".

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

159

Re : Mots de couleur

Lévine a écrit:

Ce n'est pas "gris latin", mais "fuligo gris", à la ligne : "(en) latin : spumaria alba"

Comme je le disais plus haut, alba = "blanc mat".

Où avais-je la tête !

Nomina si nescis, perit cognitio rerum. Edward Coke

Re : Mots de couleur

Lévine a écrit:

- Dans les langues germaniques, *gher-H a donné green [...] en anglais, grün [...]  en allemand.

Et le français s'est aussi enrichi par cette voie-là. Outre le green et le wintergreen, il y a deux mots bien habillés à la française et qui dissimulent habilement leur origine. Le premier est le très connu boulingrin. L'autre a doublement sa place ici, puisqu'il s'agit d'une couleur, stil-de-grain.

Matière colorante d'un jaune tirant sur le vert, préparée à partir des baies du nerprun des teinturiers. Le stil-de-grain est une couleur d'un beau jaune (...), on l'emploie le plus communément pour peindre les décors de théâtre, les parquets, etc. (Manuel du fabricant de couleurs, t. 2, 1884, p. 12).
Probablement emprunté, avec altération, au néerlandais schijtgroen, littéralement « vert comme les excréments », composé de schijt « excréments » et de groen « vert ».

On voit que l'idée du caca d'oie n'est pas bien loin. Et ce groen nous rappelle bien sûr le Groenland, le pays vert. Vert, ce pays blanc ? Il paraît que c'est une des premières publicités mensongères au monde :

En 982, Erik le Rouge, riche propriétaire terrien banni de Norvège puis d'Islande pour meurtres, part à la recherche de cette terre ; il explore la côte est puis la côte ouest. Selon les sagas, il nomma cette terre Pays vert « car les gens auraient fort envie d'y aller si ce pays portait un beau nom ».

https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_Groenland
https://www.les-crises.fr/le-mythe-du-groenland-vert/

161 Dernière modification par Ylou (12-09-2020 17:30:01)

Re : Mots de couleur

Voici la couleur stil-de grain avec une intensité différente

https://nsa40.casimages.com/img/2020/09/12/mini_200912051752238898.jpg

https://nsa40.casimages.com/img/2020/09/12/mini_200912051924772990.jpg

Ce mot stil-de-grain nous rappelle que "jaune" vient lui-même du latin galbinus « vert pâle.

Avec nos pensées nous créons le monde. Bouddha

162

Re : Mots de couleur

Merci à tous les deux d'enrichir ce sujet !

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

163

Re : Mots de couleur

Il est intéressant de savoir que notre "blanc", quant à lui, se rapproche du jaune par ses origines germaniques : blank « blanc » qu'on rattache  à l'ancien nordique "blakkr" : "pâle", blanc tirant sur le jaune. ("Blanc" aurait été employé par les soldats germains pour qualifier les chevaux.) (d'après le TLFi)
Si on ajoute que "bleu" et "blêmir" ont une même origine ( à rapprocher de l'ancien haut allemand blāo, blāwēr, de l'ancien saxon blāo, de l'ancien nordique blār )on a un peu l'impression que toutes les couleurs se fondent les unes dans les autres...


A remarquer aussi que "vert" vient du lat. viridis "vert" et "frais, vigoureux" et "jeune" et que à l'autre bout de la vie,  "grijs" (néerlandais), "greis" (allemand) ont le sens de "très âgé", "sénile"

Avec nos pensées nous créons le monde. Bouddha

164

Re : Mots de couleur

Oui, vous avez tout à fait raison : j'avais déjà remarqué ce "mélange" à propos du bloi médiéval, de la racine *ghel, qui donne aussi bien "jaune" que "vert" en slave...

Le temps me manque en ce moment, mais j'approfondirai tout cela, et je compte bien sur votre aide à tous dans cette tâche.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

165

Re : Mots de couleur

Oh la mienne (d'aide) ne peut être que fort modeste, hélas Lévine. Je ne suis pas du tout au niveau dans le domaine de l'étymologie.

Avec nos pensées nous créons le monde. Bouddha

Re : Mots de couleur

glop a écrit:

Le vert a probablement joué plusieurs rôles symboliques à travers le temps et il n’est pas facile de s’y retrouver. J’ai tendance à croire que le vert jadis dit "prasin" fut celui qu’utilisaient volontiers les celtes sur leurs armoiries

Ce mot de "prasin" cité par 'glop' est rappelé dans le dernier numéro (n°277) de la revue DLF dans la rubrique "mots en péril" :

PRASIN : adj. vert clair
« [La voile n'était] qu'un carré de soie prasine, qui bientôt se gonfla comme le sein d'une jeune mère. » (Paul-Jean Toulet, 1867-1920.)

Selon Wikipedia :

En grec ancien πρασώδης (prasodis, de πρασών, prason, « poireau », ou πρασιον, prasion, « vert-de-gris ») est utilisé pour décrire entre autres une variété d'émeraude, ce qui n'a pas échappé à Rabelais qui invente un pourceau qui avait « les oreilles vertes comme une émeraude prasine ».
Prasin et vert émeraude constituent donc des alternatives distinguées à vert poireau.

J'aime assez cette dernière remarque !

167

Re : Mots de couleur

Moi, j'aime beaucoup zinzolin, utilisé par Colette dans le livret de l'une des plus belles œuvres de Ravel : L'Enfant et les sortilèges.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

168

Re : Mots de couleur

On trouve le mot smaragdin sous la plume de Valéry (au sujet des poèmes de Pierre Louÿs) :  Ce qui fait leur splendeur smaragdine, leur perfection et leur attirance de gemmes, c'est qu'ils sont (...) polis et brillants et pourtant sans fond .

Smaragdin : d'un vert émeraude

Avec nos pensées nous créons le monde. Bouddha

169 Dernière modification par Lévine (24-09-2020 12:36:01)

Re : Mots de couleur

PAON(N)AZ/PAON(N)ACE

Il relève sa robe à queue toute lourde des yeux qui n'ont pu se détacher d'elle. (Jules Renard)                                                            


https://zupimages.net/up/20/39/jdoz.png


Ce mot a en fait de nombreuses variantes : peonaz (peonace au fém. chez CdT), poonaz, ponnaz… Au masculin, on écrit en théorie -z au cas sujet masculin, -s au cas régime, mais l’adjectif ne se trouve guère qu’au féminin, la suite fera comprendre pourquoi.

Le mot est un dérivé demi-savant du latin pavonaceus, utilisé par Pline l’Ancien une première fois pour caractériser un mode spécial d’agencement des tuiles, avec le sens de « semblable à la queue d’un paon »(1), une seconde fois pour qualifier la couleur d’une variété d’émeraude(2).   

Il est peu utilisé dans les textes médiévaux et semble avoir eu un statut particulier : d’une part, on ne le trouve qu’exceptionnellement associé avec les couleurs dont nous avons parlé précédemment, d’autre part, il qualifie presque toujours l’escarlate(3) et, au moins à deux reprises d’après les exemples pris par Godefroy, la queue du cheval(4). Nous illustrerons ces emplois en nous contentant de deux exemples particulièrement significatifs.

Le seul passage où Chrétien de Troyes utilise le mot est dans le Chevalier au Lion, aux v. 230-1 de l’édition Champion :

(La fille de l’hôte qui héberge le chevalier Calogrenant lui fait l’honneur des lieux)

et m’afubla d’un cort mantel
vair d’escarlate peonace.
   

La syntaxe fait qu’il n’est guère aisé de se représenter ce mantel (manteau d’apparat). C. Pierreville traduit (éd. Champion) :

Et me revêtit d’un court manteau moiré, taillé dans une riche étoffe bleue de paon.

De son côté, M. Rousse propose (éd. GF) :

Ensuite, elle me mit sur les épaules un court manteau, bleu-paon, en soie fourrée de petit-gris
.

Mais, comme on le voit, la difficulté porte essentiellement sur la façon dont il faut interpréter le mot vair ; quant à la couleur désignée par l’adjectif et la manière de la traduire, j'y reviendrai.

Dans le Roman d’Alexandre, on trouve une description assez pittoresque de Bucéphale, le cheval que seul le héros, encore enfant, est parvenu à dresser (v. 430-433 de l’éd. Champion) :

Les costés a bauçans et fauve le crepon, (bauçans = « tachetés » ; crepon = « croupe »)
La queue paonnace, faite par divison, (5)
Et la teste de buef et les ieus de lion,
Et le cors de cheval, por ç’a Bucifal non. (non = « nom »)

L. Harf-Lancner traduit ainsi le v. 431 (Livre de Poche, Lettres gothiques) :

La queue violette comme celle d’un paon, par les soins de Nature,

N’en déplaise à la traductrice de ce roman, je ne suis pas absolument persuadé que paonnace désigne bien ici une couleur. Certes, Bucéphale n’est pas un cheval ordinaire : il présente une réunion de parties d’animaux différents, à la manière des créatures légendaires que l’on trouve décrites dans les bestiaires de l’époque(6), mais il faut cependant noter que les deux premières couleurs, bauçans et fauve, n’ont rien d’inhabituel ; il peut alors sembler étonnant que seule la queue, d’une nuance de bleu sur laquelle nous reviendrons, détonne au point de rendre la farouche monture presque ridicule. Je serais prêt à hasarder l’hypothèse que le rapprochement se justifie plutôt par le port ou la conformation de la queue, que l’auteur imaginerait suffisamment longue et fournie pour faire penser à celle du paon(7).

Mais en admettant qu’il ne s’agisse que de couleur, avec paonace, une difficulté se pose : quelle est la nuance exacte exprimée par ce mot ? Les traducteurs ne semblent guère s’accorder…
Et c’est inévitable. J’ai dit précédemment qu’il était vain de se lancer dans des recherches trop précises en la matière, l’appréciation des couleurs et leur désignation pouvant varier suivant les époques et les auteurs. Je me contenterai donc de quelques remarques succinctes.

- L. Harf Lancner, qui propose « violette » semble suivre Godefroy, pour qui le mot désigne :

une haute nuance de bleu violet rappelant la couleur du plumage du paon.

Même si l’on peut trouver que la queue d’un paon n’est pas violette, c’est bien cette couleur que l’on retrouve dans le mot italien correspondant, toujours utilisé :

paonazzo (meno com. pavonazzo, ant. pagonazzo) agg. e s. m. [der. di paone, pavone, perché è uno dei colori della sua coda]. – 1. agg. Di un colore viola piuttosto scuro: la mozzetta p. dei canonici; le calze p. dei vescovi; avere le mani p., il viso p., per il freddo; il naso p. di un ubriacone; un sozzo bubbone d’un livido paonazzo (Manzoni)(8).

- Comme on l’a vu, d’autres traducteurs préfèrent le mot moderne « bleu de paon », qui semble a priori plus juste si l’on considère que ce mot est le substitut moderne de paonace qui n’a guère dépassé le stade du moyen français. Mais là encore, une difficulté apparaît car si le tlf (version en ligne) donne bien le sens de « bleu-vert » à bleu de paon :

Bleu (de) paon, couleur de queue de paon. D'un bleu vert (qui rappelle celui du plumage du paon)(9),

Greimas écrit de son côté, d’une manière un peu déconcertante :

D’une couleur bleu paon qui est une nuance de bleu violet(10).

On n’est donc guère assuré non plus du sens que les modernes donnent à « bleu de paon » !


D’un côté, semble-t-il, le violet ou le bleu violet, sans doute en référence au plumage du corps du paon, presque uniformément indigo, de l’autre, peut-être le bleu-vert présent sur la queue du paon. Impossible de trancher.

Une aporie de plus.

Mais pas pour  Giono :

Et souvent, quand ils étaient côte à côte lancés ventre à terre dans la houle des plateaux déserts, l’oiseau sautait sur les épaules de Mon Cadet et ouvrait brusquement derrière la belle tête dorée sa grande roue de plumes vertes. (J. Giono, Deux cavaliers de l’orage, éd. Gallimard) (11).


Notes :
(1)  Pline, Histoire naturelle, XXXVI, 44 (signalé par Gaffiot, dont je modernise la référence).
(2) id., XXXVII, 18 (ignoré par Gaffiot).
(3) Je rappelle que les mots escarlate et porpre peuvent désigner des étoffes non nécessairement teintes dans des nuances de rouge.
(4) Se reporter à la version en ligne du Dictionnaire d’ancien français de F. Godefroy, qui cite on ne sait trop pourquoi des variantes du même passage du Chevalier au Lion.
(5) L’expression par divison (ou devison) est malaisée à comprendre ici : L. Harf-Lancner interprète trop, me semble-t-il.
(6) Selon les critères médiévaux, et quel que soit le sens qu’on doive finalement donner à paonace, l’animal décrit symbolise la fierté (paon) la force (bœuf) et la puissance royale (lion).
(7) Plutarque, au chap. 61 de sa Vie d’Alexandre (éd. Guillaume Budé, coll. Les Belles Lettres) ne dit rien de tout cela : il signale simplement que Bucéphale appartenait à la race thessalienne ; or cette dernière se caractérisait par une tête et une encolure puissantes, c’est une des raisons qui expliquerait le nom donné au cheval (« tête de bœuf »). Ni Arrien, ni Pseudo-Callisthène, dont s’inspire l’auteur médiéval, n’évoquent une telle hybridation. Sur le mythe de Bucéphale, v. Émilie Glanowski, Bucéphale, compagnon d’exception d’Alexandre : la construction d’un mythe, dans le numéro 7 de la revue Circé (automne 2015).
J’ajoute que mon hypothèse rendrait mieux compte de divison, dont un des sens signifie « manière », « sorte ».
(8) Vocabolario Treccani (éd. en ligne). On notera les sens figurés de l’adjectif.
(9) C’est aussi la couleur qui domine dans les nuanciers commerciaux ou officiels modernes.
(10) A. J.  Greimas, Dictionnaire de l’ancien français, éd Larousse.
(11) La queue du paon étant loin d’être unicolore, il n’est pas interdit de penser que l’adjectif paonace pût suggérer que l’étoffe, en plus d'être teinte en violet ou en bleu-vert,  était « moirée » ou « diaprée ». On retrouve cette idée dans  le sens d’ « étoffe à fleur diaprée [de violet] » que prenait l’adjectif substantivé d’après Godefroy (op. cit.). Tel est bien du reste le sens donné à vair (lat. varius) par C. Pierreville dans le passage du Chevalier au Lion que nous avons cité).

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

170

Re : Mots de couleur

Quel travail ! Votre texte riche et passionnant apprend sans doute à beaucoup de lecteurs, dont je fais partie, l'existence d'un ancien adjectif concernant la couleur des plumes du paon. Et comme vous, j'imagine mal que la queue du cheval d'Alexandre ait pu présenter cette couleur !
Votre choix de la citation de Jules RENARD évoquant « la queue toute lourde des yeux... » me plaît particulièrement, entre autres du fait d'une densité sémantique annonçant la vôtre (Je ne trouve bizarrement la phrase que sous la forme « Il relève sa robe à queue toute lourde... », sans article).
Remarques de détail. Corinne PIERREVILLE n'aurait-elle pas dû écrire « une riche étoffe bleu de paon », plutôt que « bleue de paon » ? À l'inverse, je ne trouve que « fourrée » (avec un e) pour la traduction de Michel ROUSSE (Je découvre évidemment ces traducteurs !) Vos deux renvois « (9) » sont-ils intentionnels ? Avant le second manque le a de « déconcertante ».

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement… (Nicolas BOILEAU). Si possible !

Re : Mots de couleur

Comme un simple mot, peu connu, peut attirer de remarques fort intéressantes.

172

Re : Mots de couleur

Chover a écrit:

Votre choix de la citation de Jules RENARD évoquant « la queue toute lourde des yeux... » me plaît particulièrement, entre autres du fait d'une densité sémantique annonçant la vôtre (Je ne trouve bizarrement la phrase que sous la forme « Il relève sa robe à queue toute lourde... », sans article).

Voilà ce que c'est de croire tout savoir par cœur !
Et non, ce n'est pas bizarre, c'est bien mieux ainsi.

Chover a écrit:

Remarques de détail. Corinne PIERREVILLE n'aurait-elle pas dû écrire « une riche étoffe bleu de paon », plutôt que « bleue de paon » ?

Sans doute, mais il n'y a pas de faute de copie de ma part.

Chover a écrit:

À l'inverse, je ne trouve que « fourrée » (avec un e) pour la traduction de Michel ROUSSE (Je découvre évidemment ces traducteurs !)

Une faute que j'ai corrigée.

Chover a écrit:

Vos deux renvois « (9) » sont-ils intentionnels ?
Avant le second manque le a de « déconcertante ».

Le tout est corrigé.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

173

Re : Mots de couleur

Merci à vous deux !

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

174

Re : Mots de couleur

Lévine a écrit:
Chover a écrit:

(Je ne trouve bizarrement la phrase que sous la forme « Il relève sa robe à queue toute lourde... », sans article).

Voilà ce que c'est de croire tout savoir par cœur !
Et non, ce n'est pas bizarre, c'est bien mieux ainsi.

Je viens de comprendre ! C'est la robe qui est « toute lourde des yeux qui n'ont pu se détacher d'elle. »

Les textes sur les mots de couleur que vous nous proposez ici ne sont probablement pas destinés qu'à abclf ?

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement… (Nicolas BOILEAU). Si possible !

175

Re : Mots de couleur

Oui, "robe à queue" forme un nom composé.

L'image est rudement bien trouvée...

Dans leur état actuel mes textes ne sont destinés qu'à ABC, mais vous savez, ce sont que des "essais de plume" !
Ce qui m'intéresserait, c'est de faire un travail plus littéraire que philologique, mais il faudrait s'y tenir et je suis trop dilettante.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

176

Re : Mots de couleur

Lévine a écrit:

Dans leur état actuel mes textes ne sont destinés qu'à ABC, mais vous savez, ce sont que des "essais de plume" !
Ce qui m'intéresserait, c'est de faire un travail plus littéraire que philologique, mais il faudrait s'y tenir et je suis trop dilettante.

C'est avec la conviction que ces textes étaient destinés à un autre lectorat que je me suis permis les remarques de détail. Je m'en serais dispensé si j'avais su.

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement… (Nicolas BOILEAU). Si possible !

177

Re : Mots de couleur

Vous avez bien fait : j'ai besoin d'un correcteur-réviseur (espèce d'ailleurs en voie de disparition !).

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

178

Re : Mots de couleur

À l'entrée PAON, je lis dans le Robert DHLF :

En français, le mot, écrit poün, puis paon (1265), a évincé l'ancienne forme paue, peue (1180-1190), au pluriel pauwes (fin XIIIe s.), formée sur le nominatif pavo (alors que paon remonte à l'accusatif pavonem).

J'imagine [pawonɛm] pour cet accusatif latin.
Mais tous les autres étymons que cite le DHLF me laissent sceptique quant à leur prononciation. A-t-on idée de la manière dont on disait paon(n)az et paon(n)ace ?

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement… (Nicolas BOILEAU). Si possible !

179

Re : Mots de couleur

Je vous répondrai plus complètement ultérieurement. Pour l'instant, je me contente de vous citer l'explication du mot que j'ai faite sur Babel :

b) Placé entre deux voyelles, dont la seconde est vélaire ([o], [u ]), ou dont la première est [ū], le [w] s’amuït dès le bas-latin, plus tôt encore dans certains mots.
Exemple : pavōne(m) > paon.

IIIe : pavōne > *paọne (absorption dans la voyelle vélaire).

(VIIe : *paọne > *paọn
XIIe : *paọn > *paọ̃n > *pɑ̃n
XVIe : *pɑ̃n > pɑ̃ (écrit paon par souci de distinguer les homophones) (disparition de la voyelle finale, nasalisation, chute de la consonne nasale en fin de mot).

On constate sans peine qu’entre voyelles, l’évolution du [w] suit, pour l’essentiel, la partie terminale de l’évolution du [b ].

Autres exemples : avŭnculu(m) > oncle(4) ; pavōre(m) > AF paor ou peor > peur(5) ; *ūvĭtta > (l)uette(6), etc…

Voici celle de taon pour la prononciation du groupe "-aon" :

b) Placé devant une vélaire, ou après une vélaire et devant un a atone, ou entre deux vélaires le [b ] s’amuït.
Exemple : *tabōne(m) > taon.

Fin du Ier : *tabōne > *taβọne (spirantisation).

IIIe : *taβọne > *tawọne > *taọne

(VIIe : *taọne > *taọn
XIIe : *taọn > *taọ̃n > * tɑ̃n (ou *tõn)
XVIe : *tɑ̃n (ou *tõn) > tɑ̃ (ou tõ).

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

180

Re : Mots de couleur

Merci beaucoup.
On n'a donc jamais dit [paọ̃], comme on l'entend parfois, plus ou moins plaisamment, aujourd'hui. Bon, *paọ̃n n'en était pas si éloigné.
C'est le passage, au IIIe siècle, de *pavōne à *paọne que je n'imaginais guère.
Au XVIe, *pɑ̃n, est d'autant plus vraisemblable que [ɑ̃n] s'entend aujourd'hui encore dans la bouche de certains Méridionaux... et se trouve en breton ! Le Nantais que vous êtes sait qu'on doit dire ['diwɑ̃n] et non ['diwan] quand on parle d'une école Diwan (« germer, sortir de terre », je viens de l'apprendre, mais cela nous éloigne du sujet !).
Pour paon(n)az, j'imagine maintenant tout simplement [pɑ̃naz].

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement… (Nicolas BOILEAU). Si possible !

Re : Mots de couleur

Puisque ce stupide paon, qui ne pense qu'à se pavaner avec sa queue, nous plonge dans l'embarras, contournons l'obstacle et traduisons par paonné, paonacé ou mieux pavonacé qui traînent dans certains dictionnaires comme le Grand Bescherelle.
Il existe aussi une couverture de toit que l'on nomme pavonacée. Le mot vient de Pline et il y a de savantes études pour savoir en quoi exactement elle consistait (probablement une couverture de pierres en écailles).
https://www.persee.fr/doc/ran_0557-7705 … _15_1_1199
https://www.persee.fr/doc/ran_0557-7705 … _15_1_1200

182

Re : Mots de couleur

http://www.azur-paves.com/images/technique/6.jpg

Pavage en queue de paon.

Un court instant, j'ai imaginé une étymologie commune pour pavé et paon smile

Nomina si nescis, perit cognitio rerum. Edward Coke

183 Dernière modification par Lévine (25-09-2020 15:39:23)

Re : Mots de couleur

Chover a écrit:

On n'a donc jamais dit [paọ̃], comme on l'entend parfois, plus ou moins plaisamment, aujourd'hui. Bon, *paọ̃n n'en était pas si éloigné.

Attention : la langue décrite dans les études philologiques courantes est la langue littéraire, forgée peu à peu par les clercs à partir des éléments communs aux divers dialectes afin de disposer d'un semblant de koinè. C'est cette langue que l'on peut appeler "francien", à condition de ne pas entendre le mot dans le sens qui lui avait donné son inventeur : Gaston Paris.
Mais à côté, un foule de formes dialectales subsistent du fait des usages des scribes qui ne peuvent ou n'entendent pas abandonner si facilement leurs particularismes locaux. Pour ce qui est de Chrétien, on a par exemple des manuscrits champenois, d'autres picards. Pour prendre l'exemple du mot du jour, on trouve peonace dans les mss. champenois (je suis obligé de simplifier, mais sans fausser gravement), mais paonnache dans les mss. picards... La langue médiévale n'existe pas : il faut parler des langues médiévales, qui ont varié suivant les provinces et les époques (et même, pratiquement, suivant les générations, jusqu'au moyen français).

Pour paon, je ne sais pas, il faudra que je cherche des occurrences, mais pour peonace et paonnache, ces mots ont bien trois syllabes, comme l'atteste la métrique, si toutefois celle-ci ne s'écarte pas trop des usages de la prose.

vair/d'es/car/la/te/pe/o/nac(e) = 8 syllabes.

Chover a écrit:

C'est le passage, au IIIe siècle, de *pavōne à *paọne que je n'imaginais guère.
Au XVIe, *pɑ̃n, est d'autant plus vraisemblable que [ɑ̃n] s'entend aujourd'hui encore dans la bouche de certains Méridionaux... et se trouve en breton ! Le Nantais que vous êtes sait qu'on doit dire ['diwɑ̃n] et non ['diwan] quand on parle d'une école Diwan (« germer, sortir de terre », je viens de l'apprendre, mais cela nous éloigne du sujet !).

On n'a guère parlé breton à Nantes, ni à Rennes. Ce propos n'est pas polémique, c'est la réalité. Le parler nantais appartient au domaine bas-poitevin, qui est celui de la Vendée, avec des nuances évidemment. D'autre part, je ne suis que demi-nantais smile.

Chover a écrit:

Pour paon(n)az, j'imagine maintenant tout simplement [pɑ̃naz].

Oui, mais tenez aussi compte des graphies poonas, ponnas signalées par Godefroy.

Rien n'est simple en ancien français.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

184

Re : Mots de couleur

Oui, Abel, j'avais déjà cité Pline, c'est même sur lui que je m'appuie pour risquer  l'interprétation à donner à paonnas dans le Roman d'Alexandre.

Merci à glop : le pavé parisien ?

Et pourquoi la queue de Bucéphale (d'après l'auteur) n'aurait-elle pas eu cette disposition élégante au lieu d'être colorée en violet ?

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

Re : Mots de couleur

Une queue tressée pourrait faire penser vaguement à une queue de paon.
http://www.le-site-cheval.com/toilettag … _queue.php

186

Re : Mots de couleur

Lévine a écrit:

Mais à côté, un foule de formes dialectales subsistent du fait des usages des scribes qui ne peuvent ou n'entendent pas abandonner si facilement leurs particularismes locaux.

Comme vous avez raison de le rappeler !

Lévine a écrit:

On n'a guère parlé breton à Nantes, ni à Rennes. Ce propos n'est pas polémique, c'est la réalité. Le parler nantais appartient au domaine bas-poitevin, qui est celui de la Vendée, avec des nuances évidemment. D'autre part, je ne suis que demi-nantais smile.

Il me semble bien même qu'on n'a jamais parlé breton à Rennes ! Ni à Nantes ! J'ai simplement imaginé que l'habitant de cette ville que vous êtes connaissait forcément l'existence des écoles Diwan.
Je croyais que le parler nantais était plus proche de l'angevin et du gallo que du poitevin.

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement… (Nicolas BOILEAU). Si possible !

187

Re : Mots de couleur

Merci pour ces pages très intéressantes

https://nsa40.casimages.com/img/2020/09/25/mini_20092505223056604.jpg
Un Bucéphale en noir et blanc par George Simon Winter qui semble bien donner raison à Lévine : la queue du cheval pourrait être comparée ici à la forme de la queue du paon.

Lévine a écrit : Ce qui m'intéresserait, c'est de faire un travail plus littéraire que philologique.
Un projet très enthousiasmant Lévine!

Avec nos pensées nous créons le monde. Bouddha

188 Dernière modification par Lévine (25-09-2020 19:49:39)

Re : Mots de couleur

Merci ! Projet qui restera sans doute à l'état... de projet.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

189

Re : Mots de couleur

Voici nos deux vers dans la fameuse copie de Guiot, gros scriptorium de la première moitié du XIIIème qui faisait de la quantité, mais aussi de la qualité : ne dirait-on pas que l'écriture est toute fraîche ? Par contre, quelques lettrines, mais pas d'enluminures : le volume eût été trop coûteux et trop long à réaliser.

https://zupimages.net/up/20/39/hpne.png

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

190 Dernière modification par glop (25-09-2020 19:25:01)

Re : Mots de couleur

Petit aparté:

Puisque nous sommes dans l’univers des oiseaux, je me souviens soudain du mot "perdrigon". Une prune colorée.

Perdrigon :
https://www.cnrtl.fr/definition/perdrigon
(v. perdreau), la couleur de ces prunes rappelant celle de la gorge des perdrix rouges

Nomina si nescis, perit cognitio rerum. Edward Coke

191

Re : Mots de couleur

Chover a écrit:

Je croyais que le parler nantais était plus proche de l'angevin et du gallo que du poitevin.

À ma connaissance, c'est dans le sud de la Loire-Atlantique qu'on parlait poitevin (pays de Retz).

Caesarem legato alacrem, ille portavit assumpti Brutus.

192

Re : Mots de couleur

La limite gallo/poitevin est la Loire ; Nantes est à la limite. Beaucoup de termes sont les mêmes qu'en Vendée, comme le très connu "bourrier", par exemple.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

193

Re : Mots de couleur

Lévine a écrit:

Voici nos deux vers dans la fameuse copie de Guiot, gros scriptorium de la première moitié du XIIIème qui faisait de la quantité, mais aussi de la qualité : ne dirait-on pas que l'écriture est toute fraîche ? Par contre, quelques lettrines, mais pas d'enluminures : le volume eût été trop coûteux et trop long à réaliser.
https://zupimages.net/up/20/39/hpne.png

(Et m’afubla d’un cort mantel / vair d’escarlate peonace)

L'état de conservation du document, effectivement, est étonnant.
On y remarque le r de cort, différent de ceux de vair et de descarlate, et le traitement particulier de « et » et du v de vair : cet espace entre le premier caractère du vers et le suivant se trouve-t-il dans toute l'œuvre ?
Les n, passés au-dessus de la voyelle précédente, de dun et de mantel m'étonnent moins. Et j'imagine deux raisons pour lesquelles peonace est traité différemment : la non nasalisation de son o et le souci d'éviter une séquence de trois voyelles.

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement… (Nicolas BOILEAU). Si possible !

194 Dernière modification par Alco (26-09-2020 09:25:49)

Re : Mots de couleur

Lévine a écrit:

La limite gallo/poitevin est la Loire ; Nantes est à la limite. Beaucoup de termes sont les mêmes qu'en Vendée, comme le très connu "bourrier", par exemple.

En dialectologie, ce n'est pas tant le lexique qui permet de situer les limites d'un parler que certaines particularités morphologiques. Un mot peut être emprunté (bourrier est connu jusque dans le Finistère, en Anjou, en Touraine).
Ainsi, « la limite entre les démonstratifs poitevins en qu- (quau, thiau, quou, thiou, queu, thieu, qué, thié) et les démonstratifs français en c- (ce) sépare le Pays de Retz de la région nantaise, le nord-est de la Vendée du pays de Clisson... »
« la limite entre le pronom neutre sujet « o » ou  « ou » (o mouille) et le « il » français (il pleut) sépare le pays de Retz de la région nantaise... »
(Histoire et géographie des parlers poitevins et saintongeais - Eric Nowak - p. 143 & 144)

Caesarem legato alacrem, ille portavit assumpti Brutus.

195

Re : Mots de couleur

Alco a écrit:

« la limite entre les démonstratifs poitevins en qu- (quau, thiau, quou, thiou, queu, thieu, qué, thié) et les démonstratifs français en c- (ce) sépare le Pays de Retz de la région nantaise, le nord-est de la Vendée du pays de Clisson... »

Donc Clisson, qui se trouve à une trentaine de kilomètres au sud de Nantes, relèverait ou aurait relevé davantage du gallo ou de l'angevin, que du poitevin...
Sans rapport avec cela : dans mon message précédent, je n'ai sans doute pas tenu compte suffisamment, pour « Et » et « vair », de ce que vous aviez expliqué précédemment, Lévine, à propos des lettrines.

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement… (Nicolas BOILEAU). Si possible !

196 Dernière modification par Lévine (26-09-2020 20:44:52)

Re : Mots de couleur

Merci de ces précisions vraiment scientifiques, Alco. Je ne suis pas dialectologue et du côté de ma famille maternelle, on était nantais, mais de la ville, si vous voyez ce que je veux dire. Autrement dit, on parlait un français plutôt standard lol
_______________

Chover, il ne faut pas fonder grand chose sur l'usage des signes, qui sont plus des abréviations que des signes diacritiques : l'exemple suivant, tiré du même mss. et de la même œuvre, l'illustre bien avec le mot non qui apparaît deux fois sous des écritures différentes:

https://zupimages.net/up/20/39/buu7.png

[...]
Et ne por oec je nel di mie
seulemant por son grant renon,
mes por ce que Lunete ot non.
  La dameiselle ot non Lunete
et fut une avenanz brunete,
molt sage et veziee et cointe.
A monseigneur Gauvain s'acointe,
qui molt la prise et qui molt l'ainme.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

Re : Mots de couleur

Est-ce que le copiste n'évite pas les abréviations à la rime quand il s'aperçoit qu'il a la place ?

198

Re : Mots de couleur

Lévine a écrit:

le mot non qui apparaît dans deux vers consécutifs

... sous deux formes différentes ! Merci.

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement… (Nicolas BOILEAU). Si possible !

199 Dernière modification par Lévine (26-09-2020 20:17:12)

Re : Mots de couleur

Oui Abel, c'est une possibilité, quoiqu'il y ait la place sur la page. 

C'est vraiment un beau manuscrit, qui rend l'établissement du texte de Chrétien apparemment très fiable, mais il faut se méfier tout de même. Non parce qu'il comporte quelques fautes, mais parce qu'il ne reproduit pas des passages que d'autres manuscrits contiennent, et qui ne sont vraisemblablement pas des gloses. Là, on est en plein dans le travail ardu des savants. Il y a aussi le pb des variantes lexicales...  C'est passionnant, mais ça me dépasse évidemment.

Notez aussi son et mon graphiés différemment, tous deux dans le corps du vers.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

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Re : Mots de couleur

INDE(S) - YNDE(S)

Ce mot dérive du latin indicus, « originaire d’Inde » (par l’intermédiaire de l’ancien provençal indi ou endi), en raison de la provenance d’un colorant pour étoffes bien connu : l’indigo, fruit de l’indigotier. Ce dernier mot, attesté seulement au XVIème, provient, par le portugais, du latin indicum, calque de l’adjectif substantivé grec ἰνδικόν(1) « (colorant) indigo ». Les origines des mots inde et indigo ne sont donc pas strictement identiques(2).
En ancien français, inde, ou ynde (le y est purement graphique) a surtout un emploi adjectival. Apparemment, on n’éprouve pas au début le besoin de désigner le colorant ou l’étoffe qu’il sert à teindre, à l’inverse de porpre, d’escarlate, et même de paonnace. A partir de Chrétien de Troyes, inde est abondamment utilisé, mais il tombera en désuétude au XVIème siècle. Il ne survit actuellement que dans des désignations commerciales ou par archaïsme. C’est bien sûr indigo qui le remplace, bien que ce dernier mot ait sans doute eu un emploi adjectival postérieur à son apparition dans le vocabulaire français. 

Aux XIIème et XIIIème siècles, comme pour les adjectifs de couleur de grande fréquence, inde peut qualifier toutes sortes d’éléments, dont la liste qui suit n’est évidemment pas limitative(3) :

Les roches, les pierres précieuses, le carrelage, comme dans le Roman d’Énéas (v. 422-3) :

(Description des parements du mur d’enceinte de Carthage)

Li carrel sont de marbre bis,
de blanc et d’inde et de vermoil.

2° a) Les étoffes, comme dans le Conte du Graal, de Chrétien de Troyes (v. 1596-1600) :

(Gornemant de Goort offre de riches cadeaux à Perceval, qu’il vient de faire chevalier)

si li fist porter an presant
chemise et braies de cheinsil
(chainsil = toile fine, souvent de lin)
et chauces taintes an bresil (4)
et cote d’un drap de soie ynde,
qui fu tissuz et fez an Ynde.

b) Les accessoires, comme dans le Roman de la Rose (v. 20932-4) :

(Pygmalion ne cesse de vouloir parer la statue dont il est tombé amoureux)

Autre foiz li reprent corage
(autre foiz = une autre fois ; corage = envie)
d’oster tout et de metre guindes (guindes = sortes de rubans)
jaunes, vermeilles, verz et indes.

Les animaux fantastiques, du type de ceux des bestiaires (Énéas, v. 4049 sqq.) :

(Description du palefroi de Didon)

Unques ne fu tant gente beste :
come noif ot blanche la teste, (noif = neige)
lo top ot noir, et les oroilles (top = le toupet)
ot anbedos totes vermoilles, (anbedos = toutes les deux)
lo col ot bai et fu bien gros,
les crins indes et vers par flos ;

tote ot vaire l’espalle destre (vaire = bigarrée)
et bien noire fu la senestre.

Les fleurs ou les décorations florales (Roman de la Rose, v. 887- 892) :

(Description de la « robe » du dieu Amour)

Nule flor en esté ne nest

qui n’i fust, nes flor de jenest, (nes = pas même)
ne violete ne parvenche, (ne = ni)
ne nule flor noire ne blanche
ne flor jaune, ynde, ne perse
[.]

Le spectre lumineux (id. v. 1541-6) :

(Description de la fontaine aux pierres de cristal du verger merveilleux)   

Quant li solaus, qui tot aguiete,
(aguiete = guette)
ses rais en la fontaine giete
et la clarté aval descent,

lors perent colors plus de cent (perent = apparaissent)
ou cristal, qui par le soleil  (ou cristal = dans le cristal)
devient inde, jaune et vermeil.
Si est cil cristaus merveilleus,

une tel force a que li leus, (leus = lieu)
arbres et flors, et quant qu’aorne (= tout ce que peut orner)
le vergier, i pert tot a orne. (= y apparaît bien en ordre)

Des éléments décoratifs divers, comme dans le Roman de Thèbes, (v. 4231- 4) :

(Description d’une mappemonde décorant la tente du roi Polynice)

Car les deux qui sont deforaines (les deux (zones) ; deforaines = situées à l’extérieur, aux extrêmes)
sont de neif et de glace plaines, (neif = neige)
et orent inde la colour,
car alques tornent a freidour. (alques = en quelque sorte)


Quelle couleur désignait le mot inde ? Les exemples 2b et 5 semblent nous orienter vers le domaine du bleu ; il est bien sûr tentant d’étendre le spectre couvert à l’indigo actuel et même, à en croire certains lexicographes, au violet.

Mais, comme bien souvent, il ne faut pas tant considérer la couleur en elle-même que l’effet produit par l’ensemble dont elle fait partie ; à ce titre, toute autre couleur offrant un même contraste pourrait remplacer inde dans les textes concernés.

C’est ainsi que l’association de couleurs variées exprime la beauté des parements (ex. 1), la profusion des rubans (ex. 2b), la richesse végétale produite par le printemps, saison des amours (ex. 4). Quant à l’accumulation vraiment excessive des couleurs du palefroi (ex. 3), elle laisse peut-être percer une pointe d’humour ou, tout au moins, une de ces « démythifications » dont Chrétien de Troyes aura le secret quelques années plus tard. Dans l’exemple 5 enfin, l’auteur, partant d’un phénomène physique bien connu, suggère un univers magique du fait que ce sont des « pierres de cristal » qui diffractent les rayons et servent de « miroir » aux éléments du verger.

Mais quand la couleur en question est la seule citée, elle revêt évidemment un sens plus prégnant. La provenance lointaine de l’indigo, soulignée par l’auteur (ex. 2a), signale une étoffe précieuse, bien en rapport avec les circonstances dans lesquelles s’effectue le présent. Enfin, dans l’exemple 6, le bleu, couleur « froide », symbolise la glace, comme sur les cartes géographique modernes.   


Comme je l’ai déjà dit, dans nos premiers « romans », les auteurs n’entendent pas établir de vérité référentielle, comme ce sera le cas dans les œuvres historiques ou satiriques du siècle suivant ; du reste, ni la tradition « antique », ni la tradition « bretonne » n’y invitaient ; cependant, l’engouement pour le roman, genre nouvellement apparu dans la littérature médiévale, s’inscrit dans l’évolution sociale de l’époque. Dans la seconde moitié du XIIème siècle, la classe dominante, dont le sort s’est quelque peu amélioré, rêve d’amour, de divertissement et de richesse. Le foisonnement des couleurs, dont certaines évoquent le luxe, sont une des formes visibles de ce rêve. 


(1) Attesté chez Dioscoride, au Ier siècle ap. J.-C.
(2) On peut consulter l’origine du mot indigo et de ses variantes dans le tlf en ligne.
(3) Le texte des citations provient des éditions Champion (Paris) sauf mention contraire. Elles sont parfois assez longues, mais outre qu’elles m’apparaissent nécessaires pour apprécier l’emploi des mots en contexte, elles sont aussi l’occasion pour ceux qui voudraient s’initier à l’ancien français d’accéder à une lecture fluide.
(4) Le bresil est un colorant rouge tiré au Moyen Age d’un arbre originaire de l’Inde. A la Renaissance, cet arbre - ou une essence proche - fut trouvé en abondance au Brésil, au point qu’on donna son nom au pays. L’histoire du « bois de Pernambouc », dont on fai(sai)t les archets des instruments du quatuor, est en tous points comparable à celui du palissandre.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

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