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forum abclf » Écriture et langue française » Hermann Hesse et le péché originel !

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Messages [ 7 ]

Sujet : Hermann Hesse et le péché originel !

Bonsoir,
Je sollicite votre aide pour dissiper quelque brouillard..
Je voudrais savoir la relation entre Mozart, Brahms, Beethoven, Harry et la péché originel ?
<<  Dans ma jeunesse, remarquai-je tristement, on considérait ces deux musiciens comme les plus grands contraires du monde...>>
Est-ce que harry le Loup des steppes est condamné par la fatalité ou est-il responsable de ses actes ?
Voici le texte :
Et j’entendis, du fond de la salle vide à l’intérieur du théâtre, retentir une musique, celle qui dans Don Juan accompagne l’apparition de l’hôte de pierre. À travers la maison fantomatique, le glas résonnait, glacial, sinistre, venant de l’au-delà, des immortels. « Mozart ! » pensai-je, en conjurant par là les images suprêmes et bien-aimées de ma vie Un rire retentit derrière moi, clair et glacial, venant des régions inaccessibles à l’homme, survolant la souffrance vécue, engendré par l’humour divin. Je me retournai, gelé et ensorcelé par ce rire, et je vis venir Mozart. Il passa en riant, se dirigea négligemment vers une loge, ouvrit la porte et entra. Je le suivis avidement, lui, le dieu de ma jeunesse, l’idéal perpétuel de ma vie et de mon admiration. La musique résonnait toujours. Mozart s’était accoudé à l’appui de la loge, le théâtre restait invisible, l’espace incommensurable était empli de ténèbres. « Vous voyez bien, dit Mozart, ça marche même sans saxophone. Soit dit sans vouloir attenter à ce chic instrument. — Où sommes-nous ? demandai-je. — Nous sommes au dernier acte de Don Giovanni, Leporello se traîne déjà à genoux. Une scène excellente, et la musique n’est pas mal non plus, pas mal, pas mal. Il y a encore en elle un tas de petites choses humaines, mais on sent déjà l’au-delà, le rire, hein ? — C’est la dernière musique véritable qui ait été composée, dis-je, solennel comme un maître d’école. Certes, il y a encore eu Schubert, il y a eu Hugo Wolf, et je ne veux pas oublier le pauvre cher Chopin. Vous froncez les sourcils, maître. Oh ! oui, Beethoven est là, et il est admirable, lui aussi. Mais tout cela, bien que magnifique, est déjà en quelque sorte fragmenté, porte les germes de la dissolution ; depuis Don Juan, aucun être humain n’a créé une œuvre d’un jet aussi parfait et achevé. — Ne vous donnez pas tant de peine, dit Mozart avec un accent de raillerie terrible. Vous êtes probablement musicien vous-même ? Moi, j’ai quitté le métier, j’ai pris ma retraite. Si je m’en occupe encore de temps en temps, c’est pour m’amuser. » Il leva les mains comme pour diriger un orchestre ; la lune ou quelque astre pâle se leva je ne sais où ; par-delà l’appui de la loge j’aperçus d’incommensurables profondeurs où passaient les nuages et les brouillards ; des monts et des mers se dessinaient, une plaine mondiale, pareille à un désert, s’étendait au-dessous de nous. Dans cette plaine un vieux monsieur d’aspect vénérable, avec une barbe longue, conduisait mélancoliquement une procession formidable de quelques dizaines de milliers d’hommes vêtus de noir. Devant ce spectacle morne et désespérant, Mozart dit : « Voyez c’est Brahms. Il aspire à la délivrance mais il attendra encore un bon moment. » J’appris que les milliers de figures noires étaient les joueurs de notes et de voix, qui, selon le jugement divin, étaient superflues dans les partitions du musicien. « Trop instrumenté, gaspillé trop de matériaux », expliqua Mozart. Après Brahms, nous vîmes approcher, à la tête d’une armée aussi gigantesque, Richard Wagner. Nous sentions les lourds milliers d’hommes le traîner et le freiner ; nous le vîmes avancer lui-même, harassé, d’un pas de martyr « Dans ma jeunesse, remarquai-je tristement, on considérait ces deux musiciens comme les plus grands contraires du monde. » Mozart se mit à rire. « Oui, c’est toujours ainsi. Vus d’un peu loin, ces contraires se ressemblent habituellement. D’ailleurs, l’instrumentation épaisse n’était pas un péché individuel de Wagner ou de Brahms, c’était une erreur de leur époque. — Comment ? Et c’est elle qu’ils doivent si lourdement expier ? m’écriai-je sur un ton d’accusation. — Naturellement. C’est la voie des instances. Quand ils auront expié le tireur de leur temps, on verra bien s’il leur reste suffisamment de valeur personnelle pour pouvoir compter avec elle. — Mais puisque ce n’est pas leur faute ! — C’est entendu. Ce n’est pas non plus leur faute si Adam a croqué la pomme, et pourtant ils doivent l’expier. — Mais c’est épouvantable ! — Certainement, la vie est toujours épouvantable. Nous n’y pouvons rien et pourtant nous en sommes responsables. On est né, et, par cela même, on est coupable. Drôle de catéchisme qu’on vous a appris, si vous ignorez cela ! »

« La perversion de la cité commence par la fraude des mots. » PLATON

Re : Hermann Hesse et le péché originel !

Je suis gêné par ma méconnaissance de l'œuvre pour vous répondre, car c'est en fonction d'elle qu'il faut évidemment le faire.
Mozart est un Classique, Brahms et Wagner des Romantiques (pour faire vite) qu'on a en effet opposés par leur conception même de la musique, leur style, les genres qu'ils ont cultivés ; mais ici, il me semble que Mozart les renvoie dos à dos, et l'opposition même entre Classiques et Romantiques s'estompe par le fait que le temps passe, qu'il faut relativiser tout cela et faire perdre à chacun son sérieux à l'instar de Mozart qui adopte un rire briseur de barrières. L'évocation du saxophone, symbole de la nouvelle musique américaine, le jazz, dont vous aviez d'ailleurs parlé, montre que pour le "guide", il faut vivre avec son temps, adopter une position instinctive, sensuelle et ne plus se confiner dans l'intellectualisme, qui semblait être le mode de perception de Harry, alors que la musique, quelle qu'elle soit, nécessite l'écoute, donc la sensibilité, puisque c'est un art non verbal. La marche du temps et le passage - comme fantômes - de victimes expiatoires d'une faute dont ils ne sont pas directement responsables (en l'occurrence la fameuse lourdeur germanique, traditionnellement - et injustement - reprochée à Brahms) sont clairement rapprochés du thème biblique du péché originel, auquel Harry n'échappe pas.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

Re : Hermann Hesse et le péché originel !

Lévine je ne vous remercie jamais assez pour vos commentaires qui m'ont été d'un grand secours sachant que vous navez pas lu le livre chose qui vous aurait envoyé sur internet et usé de vôtre temps.. J'adresse les mêmes prières à CHOVER. J'espère que j'ai bien écrit le pseudo.

« La perversion de la cité commence par la fraude des mots. » PLATON

4 Dernière modification par Lévine (07-07-2020 11:37:58)

Re : Hermann Hesse et le péché originel !

On ne perd jamais son temps à lire ! Mais j'ai d'autres priorités de lecture pour le moment ; d'autre part, je ne lis pas sur "Internet", je commande les livres dont j'ai besoin à mon libraire, tout simplement (qui me les obtient aussi vite qu'une centrale de télé-achat bien connue).

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

Re : Hermann Hesse et le péché originel !

Lévine a écrit:

On ne perd jamais son temps à lire ! Mais j'ai d'autres priorités de lecture pour le moment ; d'autre part, je ne lis pas sur "Internet", je commande les livres dont j'ai besoin à mon libraire, tout simplement (qui me les obtient aussi vite qu'un centrale de télé-achat bien connue).

Perso j'en achète à tour de bras dans les bibliothèques ou chez les bouquinistes et je télécharge quand j'en trouve pas.
Alger c'est pas Paris, on manque cruellement de livres.

« La perversion de la cité commence par la fraude des mots. » PLATON

6 Dernière modification par Chover (07-07-2020 11:16:44)

Re : Hermann Hesse et le péché originel !

Le point d'exclamation que comporte votre titre s'imposait en effet.
Je ne crois pas que Hermann HESSE souhaite traiter du péché originel dans le passage que vous citez. Pour deux raisons. Le mot allemand Erbsünde (en fait, péché hérité) n'y figure pas et la phrase « Ce n’est pas non plus leur faute si Adam a croqué la pomme » n'est prononcée par MOZART qu'à la fin de la discussion : il compare alors simplement das dicke Instrumentieren (mot à mot : la grosse instrumentation, c'est-à-dire le poids, la prépondérance peut-être abusive des instruments sur la voix), dans les œuvres vocales de BRAHMS et les opéras de WAGNER, au péché originel.

Vous vous interrogez sur la relation entre MOZART, BRAHMS, BEETHOVEN, Harry et ce péché originel : la réponse ne figure pas, selon moi, dans le passage que vous nous proposez, dont ce n'est pas le sujet. Et vous semblez oublier WAGNER, pourtant sans doute le plus concerné par les considérations de MOZART et de Harry sur das dicke Instrumentieren. Les compositions vocales de MOZART n'ont évidemment pas cette caractéristique mais il ne jette pas la pierre à ses deux confrères, qui répondent aux exigences de leur temps et dont on peut penser qu'ils seront reconnus plus tard à leur juste valeur (« on verra bien s’il leur reste suffisamment de valeur personnelle »).

Je ne vois pas non plus dans ce passage d'élément me permettant de répondre à votre question de savoir si Harry est « condamné par la fatalité ou responsable de ses actes ». Mais je l'ai dit, je n'ai pas lu Le Loup des steppes.

Je regrette véritablement que vous ne disposiez pas d'une édition plus sérieuse.
La phrase Erst wenn sie die Schuld ihrer Zeit abgetragen haben, wird sich zeigen, ob noch so viel Persönliches übrig ist, daß sich darüber eine Abrechnung darüber lohnt est traduite ainsi : Quand ils auront expié le tireur de leur temps, on verra bien s’il leur reste suffisamment de valeur personnelle pour pouvoir compter avec elle. Or il faut sans doute comprendre quelque chose comme : Une fois qu'ils se seront acquittés de cette erreur (cette faute) de leur temps, on verra bien s'il reste suffisamment d'éléments personnels pour qu'il vaille la peine d'en rendre compte.
Par ailleurs, l'original comporte bon nombre d'alinéas qui en simplifient l'approche. Leur absence dans le passage que vous nous soumettez le rend assez indigeste... en un premier temps !

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement… (Nicolas BOILEAU). Si possible !

7 Dernière modification par rabah75 (08-07-2020 01:00:16)

Re : Hermann Hesse et le péché originel !

Cher CHOVER je crois détenir un bout de l'énigme...
Dans ce roman Harry mis en cause et fuit son époque.  Il vit toujours dans l'idéalisme et la nostalgie de ses idoles qu'il nomme les immortels. Il pense qu'ils avaient brillé parce qu'ils avaient vécu à des époques favorables et tres sensés...
Mozart lui explique qu'ils avaient brillé parce qu'ils avaient affronté leurs époques chose que lui refuse d'entreprendre, préférant vivre en réclusion.
cette leçon que lui prodigue Mozart pousse dans ce sens :

Quand vous écoutez la T.S.F., vous assistez à la lutte originelle entre l’idée et l’apparence, entre l’éternité et le temps, entre le divin et l’humain. De même, mon cher, que la T.S.F., pendant dix minutes, jette la plus belle musique du monde dans des locaux impossibles, dans des salons bourgeois, parmi des abonnés, qui bavardent, qui mangent, qui dorment, qui bâillent, de même qu’elle prive cette musique de sa beauté sensuelle, qu’elle l’abîme, la gâche, la pollue et pourtant n’arrive pas à assassiner son esprit – de même, exactement, la vie, la soi-disant réalité, disloque et brise les images radieuses de l’univers, fait suivre un morceau de Haendel par une conférence sur la technique de la comptabilité dans les entreprises industrielles moyennes, fait d’un orchestre magique une bouillie de sons dégoûtante, coince sa technique, son industrie, sa misère et sa vanité entre l’idée et le réel, entre la musique et l’oreille. Toute la vie est ainsi, mon petit, et nous devons la laisser telle, et, si nous ne sommes pas des ânes bâtés, nous devons en rire. Des gens de votre espèce n’ont pas le moindre droit de critiquer la vie ou la T.S.F. Apprenez plutôt à écouter ! Apprenez à prendre au sérieux ce qui en vaut la peine, et à rire du reste ! Ou bien en avez-vous mieux disposé vous-même, avec plus de noblesse, d’intelligence, de bon goût ? Oh ! non, monsieur Harry, vous ne l’avez pas fait. Vous avez fait de votre vie une maladie infecte, de votre talent un malheur. Et, en fin de compte, comme je le vois, vous n’avez rien su faire d’une jeune femme si jolie et si ravissante, rien que lui enfoncer un couteau dans le ventre et la faire crever. Trouvez-vous cela juste, par hasard ?  — Juste ? Oh ! non, m’écriai-je, désespéré. Mon Dieu, tout est si faux, si brutal, si infernalement bête ! Je suis une brute, Mozart, une brute méchante, stupide, vicieuse, malade ; vous avez mille fois raison de le dire. Mais, en ce qui concerne cette jeune femme elle l’a voulu elle-même, je n’ai fait que réaliser son désir.
.... Un jour, je saurais jouer la partie d’échecs. Un jour j’apprendrais à rire. Pablo m’attendait. Mozart m’attendait

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