Pour la gouverne de Lévine, je répète un passage déjà évoqué.
Les onomatopées par imitation d’un bruit humain
L’association entre un couple de phonèmes et un schème à partir de bruits externes a généré une centaine d’unités inconscientes qui ont ensuite été employées pour former des mots. Le codon <cr> est né à partir de l’onomatopée crac, source d’un important corpus de mots pour lesquels il est question de casse ou de mort. Mais il existe aussi des onomatopées formées à partir de bruits d’origine humaine
C’est le cas de l’onomatopée glagla traduisant la sensation de froid vif qui s'accompagne d'un grelottement, d'un tremblement de la mâchoire inférieure. Il s'agit d'un mime du bruit émis lors d’une réaction physique qui relève du tact thermique. De cette onomatopée l’homme a retenu le codon <gl> qui indique d’abord le froid : il fait un temps glacial, un vent glacé souffle. Puis il a servi à désigner les caractéristiques de la source du froid la plus courante : la glace qui d’une part fait glisser comme le verglas et qui d’autre part fond. Ainsi les deux sens principaux que désigne <gl> évoquent soit l’action de glisser, soit celle de fondre. Le français a collé cette ‘’étiquette’’ dans le nom des substances glissantes, gluantes : glaire, règles, gland, sanglant, glaviot, glucose... Pour fondre, toutes les acceptions de ce mot sont concernées depuis celle de la fusion : glu, agglutiner, agglomérer, épingle, sangle jusqu’à l’acte de fondre sur : aigle, sanglier, glaive en passant par sangloter : fondre en larmes. Se glisser dans la foule, c’est s’y fondre et disparaître à la vue. La confusion visuelle, la perte de la vue est inscrite par <gl>dans aveugle. Quant aux règles disciplinaires, le sujet doit s’y fondre.
On ne saurait avancer une nouvelle théorie de la genèse des mots sans convoquer les savants étymologistes qui se sont penchés sur ce glissement lingual et linguistique. L’étymologie de glisser peut-elle nous y aider ? Ce verbe est entré dans la langue française par les Francs qui firent plusieurs incursions dans l’Empire romain. Au VI ème siècle les descendants de Clovis établirent leur suprématie sur les autres peuples germaniques, puis sur la Gaule romanisée qui finit par adopter leur nom et devenir la France. C’est à partir du francique glidan que s'est formé le verbe gliier en ancien français, mutant en glicier en 1190 sans doute sous l'influence de glacier, puis glisser apparu en 1165 dérivant du latin glaciare et du bas latin glace.
À la multiplicité des signifiants, qui se sont succédés dans le temps pour le sens de glisser, est opposée la constante du groupe de phonèmes /gl/. Si le signe linguistique saussurien se définit par sa mutabilité dans le temps comme en témoignent les descendants évolutifs de glisser, il semble que cette séquence <gl> est restée stable dans sa forme et pour au moins l'un de ses sens, attaché à la notion de glissement. La langue allemande possède le mot Gliter pour désigner le patin et l’adjectif glatte pour signifier lisse dont on peut rapprocher le mot français glabre, une peau sans poils ou sans barbe où les doigts peuvent glisser. De plus en plus de linguistes admettent l’existence de sons motivés, reliés à un même sens, utilisés dans la poésie et la publicité. Par exemple la qualité visqueuse et on accorde au groupe phonémique /gl/existe-t-elle parce qu’on l’a généralisée à partir de certains mots (gluant, glaire, règles, glucose...) ou parce qu’elle reflète une correspondance universelle entre certains sons et certains concepts ? Quelques linguistes comme Paul Guiraud rangent glagla dans les onomatopées articulatoires, car la langue effectue un glissement dans le canal buccal. Pour articuler /gl/ le locuteur passe d’une occlusive dure /g/ à une liquide /l/.
Si les mots dérivent des onomatopées qui sont des imitations des bruits du monde, la réalisation de ces mimes sonores par les organes de la phonation en particulier la langue exige parfois des mouvements semblables à la source imitée. Ainsi le codon <cl> issu de l’onomatopée clac évoque soit la fermeture, soit le retentissement; or son articulation s’effectue par une fermeture initiale de la glotte avec la consonne c suivie d’un claquement de la langue. Pour articuler le codon <gl> issu de ‘’glagla’’ dont l’un des sens évoque le glissement, la langue glisse dans le canal buccal. L’articulation, le trait phonétique est-il premier ou simplement secondaire à la réalisation du mime sonore ? L’un des sens de la consonne ‘’n’’, qui initie le mot nez, renvoie à la négation
Le codon <gl> de l’onomatopée glouglou traduisant le bruit d’un liquide qui s’écoule ne dément pas le sens de glisser comme l’indique l’expression « s’en glisser une derrière la cravate ou le bouton de col» et fondre, c’est liquéfier, faire disparaître comme une glace ou un glaçon dans la bouche, d’où engloutir et glouton.
Pour vérifier cette invariance conceptuelle, il faut rechercher d'autres mots du lexique français dans lesquels il s’est glissé en conservant ce sens. La glace est un matériau glissant et le verglas le confirme pour nos automobiles. Le caractère gluant et glissant englue plusieurs classes de mots: la viscosité sanguine: règles, sanglant, ensanglanté – la viscosité des humeurs sécrétées par de nombreuses glandes : glaire (cervicale) ou glaires (trachéales), glaviot (sécrétion salivaire dans la laquelle baigne la langue qui a donné en médecine le préfixe d’origine latine gloss- pour la désigner (glossite, glosso-pharyngien). D’autres substances gluantes sont marquées de ce sceau ''gl” : glucides, glycérine (lubrifiant), gluau, seigle, glaise et même gland.
On peut conclure que la notion de glissement motive un certain nombre de mots comportant cette séquence <gl>, mais si l'on élargit la recherche à d'autres mots cette notion ne s'y trouve pas : épingle, ongle, angle, aigle, sigle, sangle, bigleux. L’aigle est loin d'être bigleux puisque avoir des yeux d'aigle c'est avoir des yeux vifs et perçants avec une vision à 360°.
Pourtant tous ces autres mots désignent des référents qui ont une caractéristique commune pouvant se résumer au concept de fondre dans toutes les acceptions de ce mot, tels fusion, confusion, voire fondre sur. Le glaive fond sur l’adversaire comme l’aigle sur sa proie ou le sanglier sur son agresseur. Le bigleux a une vision confuse, le glaucomateux a des troubles de la vision qu’il peut perdre comme l’aveugle qui se déplace avec confusion dans l’espace. L’adjectif glauque au sens figuré définit un référent qui manque de précision, qui parait confus et peut être source d’imbroglio. Le fondu enchaîné se réalise par fusion des images. La sangle ou l’épingle tirent leur ''gl'' du jeu d'assemblage qu’elles permettent pour agglomérer des tissus ou des objets ce qui est réalisé de manière plus adhésive par la glu, une fusion qui forme des agglomérats, des conglomérats, une globalité.
L’ongle est un phanère qui fond, une propriété qu’on utilise en médecine pour le percer et évacuer un hématome sous-unguéal. L’angle se caractérise pas deux lignes dont l'intersection fusionne en un point. L’agglutination des globules rouges réalise leur fusion. Perfuser un culot globulaire s’appelle une transfusion. Le skieur qui glisse et fonce sur la neige se nomme un fondeur. Le sigle est une manière de réduire une suite de mots en les fondant dans leurs initiales qui les englobe. Nous pouvons fondre en sanglots et nous devons nous fondre à la règle qui, il y a 70 ans, fondait sur les doigts de l’élève puni. La glycine a la vertu de se fondre avec son support. La jungle réalise une sorte de fusion des végétaux qui s'agglomèrent. Le gluon fusionne les quarks entre eux.
Le plus remarquable, c'est bien que toutes les acceptions du mot fusion peuvent être portées par ce codon <gl>. Lors d’accidents sanglants la langue française parle bien d’effusion de sang, que l'on peut corriger par une transfusion. Même le mot gloire désignant l’auréole lumineuse du Christ et des Saints évoque la notion de diffusion d’une réflexion de lumière alors que la gloire (renommée) traduit un rayonnement, une propagation ou une diffusion du nom. La glace (miroir) par sa réflexion lumineuse réalise une fusion de l'image avec son modèle. Ainsi il apparaît que le sens inconscient principal du codon <gl> correspond à la fusion avec un second sens moins répandu qui est glisser.
<gl> = fondre, fusion et glisser
Mais Lévine persistera dans son aveuglement, un peu glauque, englué qu’il est dans les règles phonétiques sur lesquelles il fond ses propos. Il se gausse lorsque j'affirme que "Le codon <gl> en français évoque la fusion, voire la confusion" mais son argumentation pour réfuter ces sens ne convaincra que lui et les disciples saussuriens.
Science sans conscience n’est que ruine de l’âme !