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forum abclf » Réflexions linguistiques » Mots de couleur

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Messages [ 1 à 50 sur 217 ]

1 Dernière modification par Ylou (27-06-2019 14:46:00)

Sujet : Mots de couleur

Cette histoire autour des mots de couleurs me turlupine depuis bien longtemps....
Je rencontre ici ou là l'expression "dérivation impropre", on parle d'invariabilité...
Tout cela ne me satisfait pas.
Voici comment je vois les choses et j'aimerais avoir des avis plus éclairés que le mien à ce sujet.

Tout d'abord les adjectifs :
Il existe des adjectifs de couleur sans problèmes : blanc, noir, jaune, rouge....
Ils se comportent comme tous les adjectifs. Accord si nécessaire en genre et en nombre avec le substantif dont ils dépendent, et puis emploi comme substantif comme il arrive à pas mal d'adjectifs.
Le blanc, le noir, le jaune... blanc cassé, noir ardoise, jaune d'or...
(Ces substantifs vivent leur vie propre et peuvent avoir des acceptions qui s'éloignent beaucoup de la couleur.)


Il existe des adjectifs de couleur qui étaient d'abord des substantifs : la rose, la mauve, par exemple.
Mais ils sont devenus des adjectifs à part entière et se comportent comme tels : des cheveux roses - des habits mauves et le substantif correspondant continuant à exister.

Les noms :
Mais, pour désigner des nuances de couleur, on a recours à des noms. Des noms comme "marron" "ivoire" "ardoise" "ciel"... des noms qu'on pose à côté du nom de couleur une tapisserie gris ardoise - des yeux bleu ciel  - une  chemise jaune d'or....
Et dans certains cas, directement à côté de l'objet à décrire : une robe marron - une peinture ardoise ou taupe - des chaussures beurre frais - des gants ivoire....
Puisque ce sont des noms, quoi d'étonnant à ce qu'ils ne s'accordent pas ? Pourquoi donc parler d'invariabilité puisque c'est seulement leur fonction qui leur interdit le pluriel et leur nature qui leur interdit le changement de genre ?
Ainsi juxtaposés, sans article, ils prennent une valeur de qualité comme par exemple dans un tout autre contexte : elle parlait d'une voix très petite fille.

Pour leur fonction : Je pense que ces mots, posés sans article après un substantif sont des compléments de nom. Ai-je raison ?
On voit bien qu'on est passé de "des gants à la couleur de beurre fais" à "des gants couleur beurre frais", puis "des gants beurre frais" et donc de "une couverture d'une couleur de marron" à "une couverture couleur marron", puis "une couverture marron".
"beurre frais" et "marron" sont des compléments de nom du complément de nom "couleur",  lui-même complément du nom du substantif qui le précède.
On a une formation gigogne qui a abouti à une double ellipse.
Donc : compte tenu de ces ellipses, peut-on dire que "beurre frais" et "marron" sont des compléments des noms respectifs "gants" et "couverture" ?

Merci.

Avec nos pensées nous créons le monde. Bouddha

2 Dernière modification par k@t (27-06-2019 19:51:21)

Re : Mots de couleur

Ylou a écrit:

Puisque ce sont des noms, quoi d'étonnant à ce qu'ils ne s'accordent pas ? Pourquoi donc parler d'invariabilité puisque c'est seulement leur fonction qui leur interdit le pluriel et leur nature qui leur interdit le changement de genre ?

En ce qui concerne les noms de couleur (hormis les 5 ou 6 exceptions : rose, mauve, pourpre...), c'est bien le cas, mais ça n'a rien d'obligatoire. Voir par exemple l'article de la BDL sur les substantifs épithètes.

Mais ils sont devenus des adjectifs à part entière

Mais, pour désigner des nuances de couleur, on a recours à des noms. Des noms comme "marron" "ivoire" "ardoise" "ciel"

Qu'est-ce qui vous fait ranger les premiers dans la catégorie adjectif et non les seconds ?

3

Re : Mots de couleur

Merci Ek@t.
(Impossible d'avoir la page correspondant à votre lien.)
Mais déjà, vous m'apprenez deux choses très intéressantes.
et notamment que oui, je raisonne à l'envers. Je n'accorde pas et donc je suppose que ce sont toujours des substantifs....

Avec nos pensées nous créons le monde. Bouddha

4

Re : Mots de couleur

Ylou a écrit:

Merci Ek@t.

Je vous en prie Ylou. smile

(Impossible d'avoir la page correspondant à votre lien.)

Ah oui mince, j'ai oublié de vérifier avant de poster, rhoooo ! Normalement, c'est réparé.

5 Dernière modification par Ylou (28-06-2019 06:27:08)

Re : Mots de couleur

Ah quand même une remarque : le mot "marron". Vous diriez "une robe marronne" ?
TLF : Couleur de marron, en apposition, couleur marron.
Merci Ek@t. Je vais voir votre lien.

Dans l'article de la BDL, je relève ceci :
Certains noms de couleurs servant d'épithètes à d'autres noms semblent bien répondre à ce cas :
Le nom en apport de complémentation, lui, ne s’accorde pas avec le nom qu’il caractérise. Dans son cas, le rôle qu’il joue dans la phrase n’est pas perçu comme tout à fait comparable à celui d’un adjectif : son emploi demeure d’abord et avant tout senti comme le résultat d’une réduction syntaxique. Ainsi, il n’y a pas d’accord grammatical entre le nom en apport de complémentation et le nom qu’il caractérise. C’est plutôt le sens qui indique si le nom en apport de complémentation évoque l’idée d’une réalité unique ou multiple. Cela dit, le nom en apport de complémentation est le plus souvent singulier.
BDL
On ne peut même pas dire que la fréquence de leur emploi soit déterminant puisque "marron" et "ciel" par exemple sont très courants, et pourtant s'accordent difficilement, alors que "pourpre" prendra aisément le pluriel.

Il me semble aussi difficile d'accorder des noms comme : "cuisse de nymphe" par exemple. Si j'écris "des rosiers cuisses de nymphe/s", je n'ai pas l'impression de faire l'accord avec "rosiers" mais seulement d'étendre la comparaison à plusieurs cuisses d'une (dans ce cas-là deux cuisses big_smile) ou plusieurs nymphes. Même chose pour "des pulls fraises écrasées".
Alors, ce qui est vrai avec des GN ne l'est-il pas au fond pour des noms isolés ? Et ne peut-on pas -je reviens à ma première question- les considérer comme des noms en apposition ? Ceux qui sont traités comme des adjectifs ayant achevé leur passage d'une classe grammaticale à une autre (nom > adjectif) ? certains résistant pour des raisons X.
En ce qui concerne le mot "marron", par exemple, on lui refuse le statut d'adjectif qui existe avec un autre sens (véreux), évitant ainsi des confusions.

Avec nos pensées nous créons le monde. Bouddha

Re : Mots de couleur

Ylou a écrit:

Ah quand même une remarque : le mot "marron". Vous diriez "une robe marronne" ?

Probablement non :
http://www.languefrancaise.net/forum/vi … 366#p91366

Pour ma part, j'accorde volontiers "marron" et même "orange" au pluriel. Ils ont dans ma tête un véritable statut d'adjectif de couleur, et je n'imagine sous leur nom que la couleur, pas le fruit dont elle dérive.

7 Dernière modification par Ylou (28-06-2019 09:13:51)

Re : Mots de couleur

Oui. Je pense que de façon générale, ces deux mots sont ressentis comme des adjectifs. On ne pense plus au fruit.
Cependant, au moment de l'écrire... pour orange, pas de problème, il est adopté comme adjectif  (orangé désigne une couleur atténuée comme carminé, safrané, saumoné... ) mais pour marron... comment accorder en nombre et pas en genre ?
C'est la même chose pour "saumon" par exemple. Je n'ai jamais entendu "saumonne". Et je rectifie ce que j'avais écrit dans mon message précédent : le cas de "marron" ne tient donc pas aux autres acceptions de ce mot.
Il n'est pas d'usage d'accorder "chamois" - "abricot" - "carmin"  - "safran" - "céladon" - "vermillon" ... on sursauterait à entendre : j'ai acheté une voiture abricote/vermillonne/carmine...  et peut-être même ne comprendrait-on pas. "Safrane" passerait mieux.
C'est donc qu'on sent ces mots comme des noms. Qu'ils n'ont pas (encore ?) franchi la limite qui les sépare des adjectifs.  ce qui semble plus facile pour les noms qui se terminent par "e" : "Ocre", "orange" notamment, l'ont franchie
Remarque : "j'ai les yeux noisettes" : il me semble que le pluriel est possible, les yeux étant comparés à des noisettes.

Avec nos pensées nous créons le monde. Bouddha

8 Dernière modification par glop (28-06-2019 10:44:11)

Re : Mots de couleur

Je suis d’un avis un peu diffèrent. Je ne perçois pas ces mots employés comme adjectifs comme des adjectifs à part entière. Ils procèdent plutot de formules elliptiques. Des chaussures marron (de la couleur du marron), des mobylettes orange (de la couleur de l’orange) etc.
Mauve et pourpre font cependant exception pour une raison qui m’échappe.

Prenons le problème de l’accord sous un autre angle et essayons de passer du féminin au masculin; on s’aperçoit bien vite de la futilité inhérente à un costume pivoin, à un vase émeraud etc.

Nomina si nescis, perit cognitio rerum. Edward Coke

Re : Mots de couleur

Ylou a écrit:

Oui. Je pense que de façon générale, ces deux mots sont ressentis comme des adjectifs. On ne pense plus au fruit.
Cependant, au moment de l'écrire... pour orange, pas de problème, il est adopté comme adjectif  (orangé désigne une couleur atténuée comme carminé, safrané, saumoné... ) mais pour marron... comment accorder en nombre et pas en genre ?

Je crois qu'on s'habitue très bien au fait que certains adjectifs ne s'accordent pas en genre, ou du moins sont épicènes, comme "marron" qui reste identique au masculin et au féminin. Si historiquement il est certain que l'origine de cette invariabilité tient au fait que "marron" désignait d'abord le fruit, ensuite, le mot acquiert dans l'esprit des locuteurs, du moins certains, une sorte d'indépendance vis-à-vis du fruit. Du reste, quand j'étais gamin, j'étais probablement persuadé que les couleurs marron et orange préexistaient et que c'étaient elles qui avaient donné leur nom aux fruits !
Comme on a quelques mots au féminin en -on, comme souillon plutôt que souillonne, l'oreille n'est pas si incommodée que ça.
"Saumon", pour moi, reste au contraire d'abord le poisson et la couleur ne vient qu'après. Je ne suis pas tenté d'accorder "saumon".

10 Dernière modification par k@t (28-06-2019 18:51:22)

Re : Mots de couleur

Ylou a écrit:

Vous diriez "une robe marronne" ?

Ben nan puisqu’ils sont invariables en nombre, mais aussi en genre (enfin pour l’heure, en tout cas).


TLF : Couleur de marron, en apposition, couleur marron.

En ce qui concerne le mot "marron", par exemple, on lui refuse le statut d'adjectif

Pour ce qui est de la catégorisation, je serais très méfiante, TLFi donne marron comme substantif employé adjectivement, Larousse en ligne comme adjectif.


alors que "pourpre" prendra aisément le pluriel.

Oui, puisque pourpre fait partie des exceptions – qui en fait ne sont que quatre (rose, mauve, pourpre, écarlate).

D’ailleurs, je me demande bien ce qui fait que certains de ces substantifs rejoignent la catégorie adjectif et pas les autres.
À ce titre, la remarque du Littré sur pourpre est intéressante.

10 Adjectivement. Qui est de la couleur de la pourpre. La couleur pourpre. Un manteau pourpre. Il devint pourpre de colère.Denys le tyran voulut que chacun s'habillât d'une longue robe pourpre, FENELON, Aristippe.
Vaugelas, Chapelain, Ménage, Th. Corneille ne voulaient pas que pourpre fût pris adjectivement; l'usage a décidé contre eux; pourpre est adjectif dès le XIIIe siècle.
https://www.littre.org/definition/pourpre

Si on s'en tient aux dictionnaires de l'Académie et au Littré, on voit que rose, pourpre et écarlate ont rejoint la classe des adjectifs au premier ou au dernier tiers du XIXe, et mauve seulement en 1932.

Il me semble qu'il règne un grand arbitraire dans cette classification et qu'il se trouve bien des divergences selon les sources. On l’a vu plus haut pour marron : divergence entre le TLFi et Larousse, mais on constate également des divergences à l’intérieur d’un même ouvrage, puisque le TLFi classe saumon non pas comme substantif employé adjectivement, mais comme adjectif ; cependant cette catégorie n’apparait pas dans la vedette, mais simplement dans l’entrée. Quant à orange, le TLFi lui donne le statut d’adjectif et ceci dès la vedette. Y aurait-y pas comme qui dirait un brin d’incohérence de la part du TLFi ?
Il faudrait évidemment élargir  le corpus, mais a priori, Larousse semble nettement plus cohérent, puisque le traitement de ces trois termes (marron, saumon, orange) est équivalent : ils sont tous donnés comme adjectifs et disposent d’une entrée particulière.


BDL a écrit:

son emploi [au nom en apport de complémentation] demeure d’abord et avant tout senti comme le résultat d’une réduction syntaxique

La réduction syntaxique ne me parait pas un critère déterminant pour exclure un rapport de qualification : dans tous les cas, il y a bien sous-entendu de la couleur de X.

TLFi a écrit:

A. − Qui présente une teinte d'un rouge très pâle (comme la rose commune)
https://www.cnrtl.fr/definition/rose

Un X rose, c'est un X qui est de la couleur de la rose commune, n'est-ce pas ?

Comment expliquez-vous que rose, mauve, pourpre, écarlate soient qualifiants et les autres complémentants ?
Sémantiquement, j’ai du mal à concevoir les X (adjectifs) de couleur comme qualifiants et les X (substantifs employés adjectivement) de couleur comme complémentants ; ils me paraissent tous tout à fait qualifiants.


les considérer comme des noms en apposition ?

Si on leur refuse la qualité d'adjectifs, oui, mais ça n'a pas d'incidence sur leur fonction, ici épithète.

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Re : Mots de couleur

Oui d'accord pour épithète.
BDL :
Le terme adjectif, par son étymologie latine, signifie « qui s’ajoute ». Il s’ajoute à un autre mot auquel il apporte une précision de sens.
C'est bien le cas de ces mots.

Il est donc inapte à être employé seul. BDL
Ces mots peuvent être employés seuls sans se rapporter à un autre nom. . Mais alors, ils perdent le sens précis qu'ils ont lorsqu'ils désignent une couleur :  la lie peut être de vin, d'huile et on ne focalise pas sur la couleur quand on parle de la lie d'un vin. "Aile de pigeon" est une couleur, notion qu'on peut oublier totalement lorsque qu'on évoque l'aile d'un pigeon (il en est de beiges), et cuisse de nymphe n'est pas la même chose que la cuisse d'une nymphe...


La grammaire classe comme qualificatifs tous les adjectifs qui indiquent une qualité ou propriété essentielle ou accidentelle de l’objet désigné par le nom (ou le pronom) sur lequel ils portent. On réserve l’appellation d’adjectif à la seule catégorie de mots variables en genre et en nombre  ; on oppose ainsi cette classe à l’ensemble des déterminants du nom. BDL


Il s'agit donc d'une convention.

Avec nos pensées nous créons le monde. Bouddha

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Re : Mots de couleur

BDL a écrit:

On réserve l’appellation d’adjectif à la seule catégorie de mots variables en genre et en nombre  ; on oppose ainsi cette classe à l’ensemble des déterminants du nom.

Si on retient le seul critère morphologique, en effet, pourtant beaucoup d’adjectifs emprunts de mots étrangers bien qu’invariables sont sans conteste catégorisés comme adjectifs.
Ça illustre bien à la fois la difficulté de trouver le ou les critères qui permettent de définir une catégorie et les limites des catégorisations absolument discrètes et étanches.
Cet article synthétique me parait intéressant. J’aime bien notamment ce passage qu’on trouve en conclusion :

On mesure donc à quel point donner une définition positive de l'adjectif est une entreprise difficile. C'est sans doute aussi une entreprise un peu vaine et, finalement : Plutôt que d'adjectif et de substantif, il serait sage de parler de comportement adjectival ou de comportement substantival, sachant que les unités nominales du lexique français sont souvent aptes (et volontiers disposées) à passer d'un rôle à l'autre. (Noailly, 1999: 13)

13 Dernière modification par vh (30-06-2019 07:06:48)

Re : Mots de couleur

Avec de rares exceptions (*), le genre ou nombre de l'adjectif de couleur dérivé de substantif n'est pas détectable à l'oreille.
a) L'invariablité est-elle naturelle ou imposée par les grammairiens ?
b) Cette invariablité est-elle passagère dans l'évolution de la langue ? (des jupes rose > des jupes roses)

(*) Des pigments corail (pas coraux)

L'image avec VH est celle de la signature de Victor Hugo sur l' un de ses dessins.

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Re : Mots de couleur

Oui Ek@t, cette conclusion me plaît bien aussi.
VH : vous avez raison. C'est en effet largement l'écrit qui nous amène à nous poser ces questions.

Avec nos pensées nous créons le monde. Bouddha

15 Dernière modification par vh (30-06-2019 07:19:06)

Re : Mots de couleur

Cette formation permet de créer des adjectif à la demande.

L'image avec VH est celle de la signature de Victor Hugo sur l' un de ses dessins.

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Re : Mots de couleur

Nouveau sur abclf, je trouve cet échange passionnant.
Je crois avoir un argument en faveur de la nature adjectivale, et donc de la fonction d'épithète, de « marron » dans « des yeux marron ».
Vous avez envisagé, Ylou, les hypothèses qu'il fût un substantif complément de nom ou en apposition. Or on dit facilement « Ses yeux ? Ils sont marron ! », où aucune de ces deux fonctions n'est envisageable, « marron » ne pouvant remplir là que celle d'attribut du sujet « Ils ». Bien entendu, cette fonction grammaticale n'est pas réservée à l'adjectif mais une fois la constatation faite par ailleurs que « marron » répond à la question « Comment ses yeux sont-ils ? » on n'a plus le choix ! Adjectif !
Que des mots originellement d'une autre nature deviennent adjectifs, y compris adjectifs invariables, n'est pas si rare dans notre langue : je pense à « des gens bien ».
Remarque. J'ai peut-être tort de considérer l'apposition comme une fonction authentique du nom. Je l'ai appris récemment mais n'ai pas été entièrement convaincu par ce que j'ai lu. Et je m'éloignerais du sujet de cet échange si j'insistais, d'autant que la question pourrait bien avoir déjà été traitée sur abclf.

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement… (Nicolas BOILEAU). Si possible !

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Re : Mots de couleur

Dans la désignation des couleurs, il faut distinguer l'origine (diachronie) de la fonction dans le système actuel (synchronie).

Qu'il y ait eu ellipse ou apposition (dans le sens de juxtaposition), cela revient au même : ces anciens noms ont une fonction d'adjectifs dans la langue puisqu'ils expriment une qualité du substantif.
Les mots rose, mauve, pourpre, écarlate, etc... ont acquis la variabilité du fait de leur ancienneté, pour certains, ou de l'usage. Il faut remarquer que, se terminant par -e, ils n'ont pas de marque du féminin distinctive, à la différence de marron, citron, grenat, vermillon, etc...

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

18 Dernière modification par chrisor (28-04-2020 11:16:01)

Re : Mots de couleur

Le traitement grammatical d’une couleur comme substantif ou qualificatif est arbitraire. Si ces couleurs sont employées pour donner une caractéristique secondaire d’un référent elles font toutes fonctions d’adjectifs qualificatifs, mais leur traitement grammairien évolue avec le temps et les usages.

Un substantif désigne le référent par une ou deux caractéristiques saillantes pour un peuple donné et la couleur y ajoute une seule propriété supplémentaire. On précise bien : jaune, vert,  bleu, rouge ... clair ou foncé, mais 3 caractéristiques sont parfois encore insuffisantes pour préciser la couleur exacte et l’on compare un vert pâle à un vert tilleul, un vert amande, un vert menthe ou un vert pomme...

Le nombre de qualificatifs pour désigner les nuances de couleur approche  les 100 : par exemple les noms de toutes les pierres précieuses peuvent être employés : jade, améthyste, émeraude, topaze, grenat, turquoise, perle  ou d’autres matériaux naturels : ivoire, ébène, pourpre, nacre  ...

La multitude de ces noms qui permettent de désigner une couleur est une preuve du caractère non arbitraire des mots. Quand on constate les 50 à 100 synonymes existant pour de nombreux substantifs, il est inconcevable que ce fameux arbitraire ne soit  parvenu qu’à inventer que 3 couleurs : blanc, noir et rouge pour les langues anciennes et  6 ou 7 pour les langues actuelles : jaune, brun, beige. Et c’est bien pire pour les odeurs ou les goûts.
Les noms de couleur non dérivés du nom complet d’un référent coloré ne sont pas pour autant arbitraires. Ainsi blanc et bleu sont marqués par le codon bl évoquant les notions d’éblouissement/aveuglement expliquant l’énantiosémie possible des ces couleurs. Le noir exprime une réflexion ir de lumière or nulle ou anéantie n.... Le rouge signale qu’il faut s’éloigner (ug) en anticipant (og) la violence (r).

Un mot ne désigne que 2 ou 3 caractéristiques du référent. La couleur en ajoute qu’une seule. Sa nuance une supplémentaire. Et lorsque qu’un mot a soit-disant 50 synonymes, aucun n’est parfait loin de là, car chacun désigne d’autres caractéristiques secondaires ou rares du référent.
Si une langue a sélectionné à une époque donnée tel nom pour désigner le référent c’est que ce mot désigne deux ou trois caractéristiques considérées comme pertinentes par le peuple qui emploie ce mot. Comme ces 2 ou 3 caractéristiques sont insuffisantes, il est souvent nécessaire d’en ajouter d’autres par des mots qui en désignent des qualités ou propriétés secondaires, et à ce titre peuvent être considérés comme s’ajoutant à ... donc comme adjectifs. Leur accord devrait à ce titre être systématique mais les conventions grammaticales évoluent lentement avec le temps.

Science sans conscience n’est que ruine de l’âme !

19

Re : Mots de couleur

Chrisor : attention aux dérives...

elle est pas belle, la vie ?

20 Dernière modification par Lévine (28-04-2020 13:56:25)

Re : Mots de couleur

Mis à part le rêve des segments submorphémiques, chrisor ne fait qu'exprimer des évidences. La manière de désigner les couleurs montre comment chaque culture analyse le spectre en zones qu'elle juge significatives.

Et non, il y a bien plus de "trois couleurs" reconnues des Anciens !!!!!  Sans trop forcer, j'ai déjà 15 adjectifs en latin sous l'Empire, dont 5 pour les nuances de jaune.

Vous avez le droit de répondre, chrisor, mais sans nous inonder de vos théories. Comme dit le camarade Piotr, pas de dérives.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

Re : Mots de couleur

Ah, les méfaits du sémantisme ! Vous créez une catégorie adjectif de couleur, selon le sens, ce qui vous empêche de voir qu'il s'agit de substantifs employés adjectivement, indépendamment de leur sens.

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

22

Re : Mots de couleur

Si c'est à moi que vous vous adressez, veuillez lire le message 17...

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

23 Dernière modification par chrisor (28-04-2020 23:46:23)

Re : Mots de couleur

Lévine a écrit:

Mis à part le rêve des segments submorphémiques, chrisor ne fait qu'exprimer des évidences. La manière de désigner les couleurs montre comment chaque culture analyse le spectre en zones qu'elle juge significatives.

Et non, il y a bien plus de "trois couleurs" reconnues des Anciens !!!!!  Sans trop forcer, j'ai déjà 15 adjectifs en latin sous l'Empire, dont 5 pour les nuances de jaune.

Ce ne sont que des nuances et pas des noms spécifiques attribués à une couleur; Il n’existait pas de mot de couleur pour jaune mais que des comparatifs avec des référents de couleur jaune. Galbinus désignait un vert pâle. Le jaune ne semble pas dériver d’un référent, si. ? Par contre il est initié par la consonne j qui renvoie à la notion d’éclat comme celle des bijoux, du jaspe, de la jade, ou plus banalement de la joie, de la jeunesse, du jour, de Jupiter dans le ciel nocturne.. Mais pour vous ces référents ne sont bien sûr jamais éclatants et c’est le hasard qui explique la présence de ce j pour les initier ! Et vous croyez que je vais vous croire !

Science sans conscience n’est que ruine de l’âme !

24 Dernière modification par Lévine (29-04-2020 14:17:45)

Re : Mots de couleur

Retour à l'envoyeur :

Et vous croyez que je vais vous croire ?

Sinon, les adjectifs de couleur sont souvent dérivés d'un nom dont le référent présente la couleur - ou la  nuance de couleur à nommer, ou connote la couleur.

Jaune ne fait pas exception : par le latin galbinus, il descend d'une racine indo-européenne *ghel ("brillant") qui est aussi celle de l'or ! cf. gelb et geld en all., желтый, "jaune" et золото, "or" (jolty/zolota en r.)

vert (viridis) est sans doute à rapprocher de vires "force (vitale)" d'où "verdeur", cf virgo, "fille en croissance", "jeune fille" (mais pas vir, qui a une autre origine). cf. ang. green en rapport avec grow ; le russe dérive "vert" de "jaune" avec зеленый (zil'ony).

caeruleus, "bleu" (céruléen, savant) dérive de caelum, "ciel", etc...

En revanche, "rouge", qui descend de rubeus "roux", lié à ruber, "rouge" a comme ancêtre la racine *rew-dh, qui désignait peut-être la seule couleur (?) ; cf. red, rot, bien sûr, et erythros en grec ancien (cf. Érythrée, éreuthophobie). Le russe, avec красный (krasny) innove : ce mot est apparenté à красивый (krasivy), "beau", "joli" : le rouge est en effet la couleur fétiche de la Russie et elle est très présente dans la décoration. La Place Rouge, dans Moscou, Красная площадь (krasnaya ploch(t)chat'), est originellement "la belle place", ce que beaucoup ignorent.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

25 Dernière modification par Lévine (02-05-2020 21:41:07)

Re : Mots de couleur

https://zupimages.net/up/20/18/7lxm.png

                      BLEU


Je suis hanté. L’Azur ! l’Azur ! l’Azur ! l’Azur ! l’Azur ! (Mallarmé)



Le français n’a repris l’adjectif latin caeruleus (bleu ciel) que dans le dérivé savant céruléen ; cet adjectif ne devait plus être beaucoup utilisé dans la Romania, puisqu’à l’instar du français, aucune langue romane ne le continue directement.

Pour désigner la couleur située entre le vert et le violet dans le spectre lumineux, nous avons l’adjectif bleu, qui est d’origine germanique (all. blau, ang. blue). En ancien français, La forme du mot varie, comme c’est souvent le cas avec certains mots étrangers au latin, que les locuteurs entendaient et reproduisaient mal ; on trouve ainsi, suivant les manuscrits les formes bloi, blo, blai, blou, blef ou blave.

On trouve les premières occurrences du mot dans la Chanson de Roland (CdR), datant du tout début du XIIème siècle.

On le trouve dès le vers 12 :

Sur un perrun de marbre bloi se culched (1)

On traduit le mot de diverses façons ("bleu", "gris"...), car il faut savoir qu’en ancien français, et peut-être aussi dans les langues germaniques anciennes, l’adjectif ne désignait pas une couleur bien déterminée, comme à notre époque ; l’étymon i.-e *bhlē-u̯o-s (2) semble en effet exprimer plus la brillance qu’une couleur précise.
Le dictionnaire de Godefroy(3) propose pour ce mot les sens de "bleu", "blond", "jaune", "blanc", et même "noir" ! Autant dire qu’on ne peut savoir que si le contexte permet de trancher. Dans les blasons, par exemple, c'est le sens de "blond" qui s’impose, eu égard aux codes culturels médiévaux :

Sa bloie crigne recercele
En ondoiant aval le vis ;

(J. Renart, Guillaume de Dole, v. 695-6)

« Sa blonde chevelure descend
en boucles autour de son visage »

Dans les langues romanes modernes, c’est évidemment le sens de « bleu » qui a fini par s’imposer.

L’italien, avec blu, demeuré invariable faute de pouvoir s’intégrer au système de variation de l’adjectif, le catalan et le romanche avec blau ont continué l’étymon germanique.

L’espagnol et le portugais désignent notre couleur par le mot azul (même graphie, mais prononciation différente), emprunté aux langues sémitiques. Le français aussi connaît le nom azur, qu’on trouve aussi plus tardivement sous la forme azon ou ason (XIIIème siècle). En ancien français, ce mot désigne surtout la couleur de l’émail bleu en héraldique, qui est celle du lapis lazuli.

Tut lui tranchat le vermeill et l’azur (CdR, v. 1557). 

Le roumain enfin, avec albastru, issu de al(a)baster, « albâtre », a de quoi surprendre tant on associe ce minéral à la blancheur, mais il existe des variétés bleues…

Faisons une petite incursion dans quelques langues européennes non romanes :

- glas, « bleu-vert », utilisé en breton, en gallois et en irlandais, est parent d’un mot gaulois qui a donné glastum en latin, nom donné à la guède (isatis tinctoria), variété de pastel utilisée de tout temps pour teinter les étoffes.

- Le russe a deux adjectifs : голубой [galouboï], qui correspond traditionnellement au bleu du spectre, et синий [sin’i], qui correspond à l’indigo(4).
En dépit des apparences, синий ne se rattache pas au grec ancien κυανοῦς, « bleu sombre », (cf. « cyan »), comme je le pensais à tort, mais à σκία (ombre) (5) ; Le lituanien mėlynas, qui présente une origine identique à celle de μέλας , "noir", peut lui être comparé pour ce qui est du sens originel(6) : il semblerait en effet que l’adjectif синий ait au départ désigné une nuance de bleu très sombre, voire le noir.
Quant à голубой, il dérive du nom голубь [goloub’] « pigeon », en raison du « chatoiement des plumes de son cou » (5). Il serait tentant de rapprocher ce dernier mot du latin columbus, mais c’est apparemment une nouvelle ressemblance trompeuse.

- Le finnois, avec sininen et l’estonien, avec sinine, ont emprunté au russe.

- Le grec moderne a deux adjectifs quasiment synonymes. L’un, γαλάζιος [ghalazios], dérive du grec ancien κάλαïς, « turquoise », l’autre,  γαλανός [ghalanos], dérive de γαλήνος « calme », en raison de la couleur associée à cet état de la mer (6).

- L’albanais, avec blu, a sans doute emprunté le mot à l’italien (à vérifier).

(A compléter) 

L’adjectif de couleur peut être substantivé dans toutes ces langues. En russe et en grec moderne, le nom de la couleur prend la forme du neutre de l’adjectif correspondant.

(1) Note : sauf exceptions, les citations de textes médiévaux sont empruntées aux éditions Champion (Paris). Nous ne traduisons que si c’est absolument nécessaire.
(2) Liste des racines indo-européennes de J. Pokorny (en ligne).
(3) Dictionnaire de l'ancienne langue française... (édition en ligne sur le site LEXILOGOS)
(4) D’après le grand dictionnaire de l’Académie des sciences de l’URSS, mais les deux adjectifs sont souvent synonymes dans la langue courante.
(5) M. R. Fasmer, Dictionnaire étymologique de la langue russe, éd. d’État (d’URSS) (Je ne possède qu’un abrégé scolaire).
(6) Notices étymologiques des dictionnaires wikipédia.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

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Re : Mots de couleur

Lévine a écrit:

Faisons une petite incursion dans quelques langues européennes non romanes :

- Le breton glas, « bleu-vert », est parent d’un mot gaulois qui a donné glastum en latin, nom donné à la guède (isatis tinctoria), variété de pastel utilisée de tout temps pour teinter les étoffes.

À noter que le mot est le même en irlandais et en gallois. Glas est donc un mot panceltique.

Caesarem legato alacrem, ille portavit assumpti Brutus.

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Re : Mots de couleur

Très bien, je vais l'ajouter.
En breton, on écrit plutôt glaz, non ?

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

28 Dernière modification par glop (02-05-2020 23:20:55)

Re : Mots de couleur

Le vert a probablement joué plusieurs rôles symboliques à travers le temps et il n’est pas facile de s’y retrouver. J’ai tendance à croire que le vert jadis dit "prasin" fut celui qu’utilisaient volontiers les celtes sur leurs armoiries mais je crois aussi que le  bleu pers était d’avantage recherché en bijouterie. Autrement dit, je ne suis pas convaincu par ce que dit Alco au sujet du pastel. Le poireau n’est-il pas l’emblème du pays de Galles ?
Le terme sinople fut ensuite utilisé par les hérauts d’armes pour nommer la couleur verte après qu’il eut nommé une couleur rouge. Je n’ai jamais trouvé d’explication à ce mystère. Passons.
Le terme pers (des yeux pers, des draps pers) est peut-être une abréviation de "persan" pourtant le vert oriental est bien différent puisqu’il est beaucoup plus criard. C’est probablement ce dernier qui a engendré de la superstition car il était très couramment porté par les troupes arabes au temps des croisades.
Tout cela nous éloigne fort du mot "vert" issu du latin viridis mais la perception des couleurs varie d'une personne à l'autre et peut-être aussi selon l'humeur du moment. Pour décrire un paysage verdoyant, Octave Mirbeau écrivait: [Une vie multipliée germait dans les emblaves que les seigles naissants et les jeunes blés couraient de gais frissons smaragdins.]

Nomina si nescis, perit cognitio rerum. Edward Coke

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Re : Mots de couleur

Lévine a écrit:

Très bien, je vais l'ajouter.
En breton, on écrit plutôt glaz, non ?

Oui, c'est une convention apparue au XXè siècle, sachant que les consonnes finales des mots sont sourdes ou sonores, selon qu'elles sont isolées en fin de phrase ou liées à un autre mot commençant par une voyelle. Les livres un peu anciens comportent des consonnes finales sourdes.

Caesarem legato alacrem, ille portavit assumpti Brutus.

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Re : Mots de couleur

glop a écrit:

Le vert a probablement joué plusieurs rôles symboliques à travers le temps et il n’est pas facile de s’y retrouver. J’ai tendance à croire que le vert jadis nommé prasine fut celui qu’utilisaient volontiers les celtes sur leurs armoiries mais je crois aussi que le  bleu pers était d’avantage recherché en bijouterie. Autrement dit, je ne suis pas convaincu par ce que dit Alco au sujet du pastel. Le poireau n’est-il pas l’emblème du pays de Galles ?

C'est Lévine, en réalité, qui parle de pastel. Mais effectivement glastum traduit guède ou pastel, et Pline attribue ce terme aux Gaulois. Il faut préciser qu'en breton au moins, glas (ou glaz) est employé pour parler du vert qu'on trouve dans la nature, mais aussi du bleu et de certains gris. Vous parlez du poireau, et justement certaines variétés sont bleutées (bleu de Solaize, par exemple). En irlandais, glas désigne le vert mais aussi certains gris.
Parallèlement, il existe des mots spécifiques pour bleu et gris en irlandais (gorm et liath) et en breton un mot pour désigner le vert non naturel (gwer, anciennement guezr, emprunté au latin vitrum) et le gris (louet).

Caesarem legato alacrem, ille portavit assumpti Brutus.

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Re : Mots de couleur

Merci pour ces précisions. Connaissez-vous l'étymologie de gorn ?

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

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Re : Mots de couleur

C'est gorm avec un M. Non, je n'en connais pas l'étymologie. Il ne semble pas avoir de correspondance dans les langues brittoniques et en celtique continental.
Le champ sémantique semble assez large, tout comme pour glas. Ce dictionnaire l'étend au vert de la végétation et de la mer. Les populations à peau noire sont aussi qualifiées de gorm. Le mot peut aussi avoir le sens de noble, illustre.

Caesarem legato alacrem, ille portavit assumpti Brutus.

33 Dernière modification par Lévine (03-05-2020 14:50:52)

Re : Mots de couleur

Merci de toutes ces précisions. Je m'en inspirerai pour ma prochaine étape : le vert, même si j'ai les langues romanes comme objectif prioritaire. Mais des "ouvertures" sur d'autres langues européennes me semblent intéressantes.

L'étymologie de gorm ne m'a pas l'air évidente, voyez ici :

https://en.wiktionary.org/wiki/gorm

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

34 Dernière modification par chrisor (03-05-2020 16:34:49)

Re : Mots de couleur

Lévine a écrit:

Retour à l'envoyeur :



En revanche, "rouge", qui descend de rubeus "roux", lié à ruber, "rouge" a comme ancêtre la racine *rew-dh, qui désignait peut-être la seule couleur (?) ; cf. red, rot, bien sûr, et erythros en grec ancien (cf. Érythrée, éreuthophobie). Le russe, avec красный (krasny) innove : ce mot est apparenté à красивый (krasivy), "beau", "joli" : le rouge est en effet la couleur fétiche de la Russie et elle est très présente dans la décoration. La Place Rouge, dans Moscou, Красная площадь (krasnaya ploch(t)chat'), est originellement "la belle place", ce que beaucoup ignorent.

Dans la langue de l'inconscient la couleur rouge est évoquée par le codon <ub> qu'on trouve dans rubeus (rubicond, rubescent) par emprunt à la couleur du rubis. Il est surprenant que la Bétadine que tout le monde connaît est présentée en flacon rouge pour sa forme ''scrub''. L'inconscient, vous dis-je !

Quant au vert bleu il est dit aussi  glauque, d'un vert blanchâtre ou bleuâtre comme l'eau de mer. Il est un emprunt au latin glaucus  « glauque, verdâtre »; cf. a. fr.-prov. glauc (1ertiers xiies. ds Gdf. Compl.), également emprunté.

Le codon <gl> en français évoque la fusion, voire la confusion (glaucome, aveugle). Le codon <bl>  l'éblouissement/aveuglement, inaptitude d'où le coté péjoratif du blanc bec ou de bleu (t'es un bleu mon gars).Aveugle c'est bien blind en anglais et en allemand. Le bleu du ciel est éblouissant comme la blondeur des blés. Mais les histoires de blondes sont fondées sur la notion d'aveuglement, inaptitude portée par ce codon énantiosémique.  Les blaba des savants paraissent éblouissants comme le bling bling, mais ils sont surtout aveuglants !
Le signifiant azur marque l'absence de limites physiques.

Pour la gamme des couleurs : https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_noms_de_couleur

Science sans conscience n’est que ruine de l’âme !

35

Re : Mots de couleur

"Le codon <gl> en français évoque la fusion, voire la confusion."

La suite du paragraphe l'illustre à merveille.

Ce n'est pas l'inconscient qui brasse tout cela, c'est vous et vous seul.



Merci pour la liste des couleurs. Comme celle-ci est internationale, je vais aussi consulter sa version russe.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

36 Dernière modification par chrisor (04-05-2020 16:20:56)

Re : Mots de couleur

La couleur ‘’rouge’’ issue du latin rubeus, « roux, rougeâtre », qui a supplanté ruber, -bra, -brum « rouge » dans les langues romanes sans toujours prendre, comme en français, le sens de ce dernier, est souvent initiée par la consonne /r/: rouge, red (anglais), rot (allemand), rood (néerlandais), rosso (italien), rojo (espagnol), roșu (roumain). Les nuances tirant vers le brun n’y ont pas échappé : roux, rouquin, roussâtre, rouille, rubigineux, carotte (Poil de carrote de Jules Renard). Le latin avait déjà un corpus notable à partir de ‘’rub’’ : ruber, rubidus, rubeolus, rubellus’’ et russus. Si le mot carotte semble issu du latin carota, il est difficile de ne pas imaginer une influence germanique avec rot.
La russule a en général un chapeau de couleur vive; le mot est emprunté au latin Scientifique russula, fém. subst. du b. lat. russulus « rougeâtre », dimin. du lat. class. russus « rouge, roux ».
On peut se demander si ce ‘’russus’’ latin n’a pas influencé les occidentaux pour  les noms : Garde  rouge, Armée Rouge, Place Rouge ???

Quant à carotter  on y trouve bien le codon <ot>  d’ôter.

Science sans conscience n’est que ruine de l’âme !

Re : Mots de couleur

chrisor a écrit:

On peut se demander si ce ‘’russus’’ latin n’a pas influencé les occidentaux pour  les noms : Garde  rouge, Armée Rouge, Place Rouge ???

Le nom de la place ne vient ni de la couleur des briques rouges environnantes ni du lien entre cette couleur et le communisme. Une traduction plus exacte de son nom russe serait la « Belle Place » : en russe ancien krasny (красный/-ая) signifie à la fois rouge et beau et doit ici être compris dans ce dernier sens, aujourd'hui archaïque (beau devient krassivy (красивый/-ая) en russe moderne). L'adjectif fut d'abord appliqué à la basilique de Basile-le-Bienheureux, la place elle-même étant alors appelée Pojar (en russe de l'incendie) jusqu'au XVIIe siècle, en référence au fait que sa création résulte de l'incendie qui ravage Moscou en 1493, Ivan III décidant alors pour prévenir tout nouvel incendie de faire détruire les nombreuses constructions de bois situées sur ce qui allait devenir la place Rouge. Plusieurs anciennes villes russes, comme Souzdal, Ielets, et Pereslavl-Zalesski, ont aussi leur « place Rouge ».

https://fr.wikipedia.org/wiki/Place_Rouge

38 Dernière modification par chrisor (05-05-2020 14:52:02)

Re : Mots de couleur

Abel Boyer

Justement votre explication n’explique par le rouge qualifiant Garde, Armée, Place  ! Je fais la comparaison entre les signifiants ‘’russus’’ et ‘’russe’’.

Science sans conscience n’est que ruine de l’âme !

Re : Mots de couleur

chrisor a écrit:

Abel Boyer

Justement votre explication n’explique par le rouge qualifiant Garde, Armée, Place  ! Je fais la comparaison entre les signifiants ‘’russus’’ et ‘’russe’’.

Ah ?

en russe ancien krasny (красный/-ая) signifie à la fois rouge et beau et doit ici être compris dans ce dernier sens

40 Dernière modification par Lévine (05-05-2020 15:06:08)

Re : Mots de couleur

@chrisor
C'est ce que j'avais dit, non ? Mais la répétition étant une des vertus de la pédagogie...
En revanche, le rouge symbole du communisme n'est pas spécifiquement russe.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

Re : Mots de couleur

France 1877 :

Les révoltés du Moyen-Âge
L’ont arboré sur maints beffrois.
Emblème éclatant du courage,
Toujours il fit pâlir les rois.

        Refrain
        Le voilà !, Le voilà ! Regardez !
        Il flotte et fièrement il bouge,
        Ses longs plis au combat préparés,
        Osez, osez le défier !
        Notre superbe drapeau rouge !
        Rouge du sang de l’ouvrier ! (bis)

... sans oublier le drapeau du chef de gare !

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

42 Dernière modification par Lévine (10-05-2020 17:51:49)

Re : Mots de couleur

https://zupimages.net/up/20/18/7lxm.png

                                      VERT


U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides
Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

                                              A. Rimbaud, Voyelles.


L’accord entre les langues romanes est ici parfait : vert en français (verd ou vert en AF, verde ou verte (le plus souvent) au féminin), verd en catalan et en romanche, verde partout ailleurs (avec des prononciations évidemment différentes).

Ces mots dérivent du latin vĭrĭdem, « vert », « verdoyant » appliqué à la végétation, et « vigoureux, ou encore « vert » qualifiant surtout des personnes, mais aussi du vin, du fromage… Cet adjectif est un déverbal de virere : « être vert » ou « être florissant, vigoureux ».
On constate donc que les principaux sens du mot français sont déjà présents en latin.

Le forme du mot également, si l’on songe :
- à la syncope de la post-tonique, opérée dès l’époque républicaine : vĭrĭde(m) > vĭrde(m) (attesté dans l’appendix Probi),
- à la fusion des timbres du ĭ et du ē, un peu plus tardive, pour donner le timbre ẹ (qui ne s’ouvrira qu’à partir de la fin du XVème siècle) : virde(m) > *vẹrde > verd ou vert, sur lequel a été formé très tôt (CdR) le féminin verte, non phonétique puisque viridis, adjectif de la seconde classe, n’a pas de féminin distinct du masculin.

C’est dire que la Romania connaît déjà quasiment le mot sous sa forme moderne à la fin de l’Empire.

On le rencontre pour la première fois dans la CdR, où il qualifie toujours l’herbe :

Sur l’erbe verte li quens Rollant se pasmet (v. 2273, éd. Champion).

«  Sur l’herbe verte, le comte Roland se pâme »

Vert possède un beau doublet, viride, qui est peut-être un néologisme de Rimbaud.

En héraldique, on désigne l’émail vert par le terme de sinople, (sinopre au XIIème), dérivé de sinopis, « terre de Sinope ». Curieusement, le mot primitif fut d’abord appliqué à l’émail rouge, conformément à la couleur rougeâtre de la sinopis. Le mot a ensuite désigné le vert « par un changement de sens inexpliqué » (1)

Le latin connaissait aussi le mot prasinus, calque du grec  πράσινος « d’un vert tendre comme le poireau », de πράσον, « poireau » (non i.-e.), qui est le mot par lequel Suétone désigne la faction des Verts  dans les courses de char au Cirque. Il a donné en AF prasine, "vert clair", adjectif féminin sur lequel on n’a formé un masculin qu’au XVIIIème siècle, par dérivation dite régressive (cf. violet à partir de violette).

Quant à glaucus, calque de γλαυκός, « brillant », « étincelant », puis « glauque », « gris vert » (olive, pierres, yeux, cf. γλαυκῶπις, épithète homérique d’Athéna), il a donné glauc/glau(c)que au XIIIème siècle, « vert de mer ». Le sens péjoratif qu’il a pris est moderne. L’origine du mot grec est obscure. 

En grec ancien, mentionnons encore l’adjectif χλωρός (cf. chlore, chlorophylle, etc...), « d’un vert tendre comme les jeunes pousses », « tendre », « frais », tiré de  χλοῦς (couleur d’un vert de jeune pousse) qui lui-même se rattache à χλόη «verdure nouvelle ».


L’origine indo-européenne de certains mots rencontrés en grec et en latin va nous permettre une fructueuse incursion dans presque toutes les langues européennes non romanes :

a) χλωρός, que nous venons d’évoquer remonte à *ghel « briller » dont sont dérivés des mots désignant tantôt le jaune, tantôt le vert suivant le suffixe primaire adjoint à la racine. C’est ainsi qu’en russe (mais l’analyse vaut aussi pour les autres langues slaves (2)), *ghel-(ə3)-to donne жëлтый (jolty) « jaune » alors que *ghel-ə3-no donne зелëный (zil’iony) (3), « vert ». Nous retrouverons donc cette racine quand nous traiterons du jaune.   

En lituanien, « vert » se dit žalias, en letton zaļš ; on observe en lituanien une dérivation identique pour « herbe », qui se dit žolė.

Le breton glas « bleu vert » (cf. message précédent) est peut-être issu de cette racine. L'irlandais a conservé le mot geal avec ce même sens de brillant (ou blanc) (4).

Le hongrois zöld est peut-être un emprunt.

b) viridis quant à lui dérive de la racine *gher dont le sens initial semble avoir été « pointer », « faire saillie ». Dans certains groupes de langues, le sens a évolué vers celui de « croître », se « développer » (5). Le sens propre du mot ne concerne donc pas la couleur et le sens figuré la croissance ou la jeunesse, comme le laissent supposer les articles de dictionnaire, c'est en fait l’inverse. Les noms herba et virgo, en dépit de leur peu de ressemblance, dérivent de cette racine ; en latin, les virgines ne sont pas les jeunes filles en fleurs de Proust, mais des jeunes filles en herbe !

- Dans les langues germaniques, *gher-H a donné green, mais aussi grass et grow en anglais, grünet Grasse en allemand.

- Le gallois gwyrdd serait un emprunt au latin. Le breton utilise le mot gwer pour la couleur verte à l'exclusion des verts végétaux, mais c'est un emprunt au bas-latin (4).

- Le basque berdea me semble quant à lui bien proche de l’espagnol, d’autant que le v de verde se prononce β. Mais il faut toujours se méfier !   

- En finnois, vert se dit vihreä ; en dépit de la ressemblance, le mot dérive d’un ancêtre proprement fennique, de même que l’estonien roheline (5).

c) Le grec moderne a conservé l’adjectif χλωρός dans la langue savante (de moins en moins utilisée) ; en démotique, vert se dit πράσινος, repris tel quel du grec ancien.

d) Le cas de l’albanais est original : verdhe existe bien, mais il signifie… jaune ! « vert » se dit gjelbër, issu de *ghel (5)   

A considérer les étymons indo-européens, on constate que l’expression de la couleur n’est non seulement jamais première, comme nous l'avons dit, mais que cette dernière est souvent fluctuante ou correspond à des nuances malaisément déterminables. Aux époques anciennes, c’est l’objet coloré plus que la couleur en elle-même que l’on éprouve le besoin de nommer.

En ancien français, la couleur, mieux déterminée (sauf pour bloi, comme nous l’avons vu) revêt souvent un sens symbolique. Dans la Chanson de Roland, pourquoi nous dire à dix-sept reprises que l’herbe est verte ? On ne le savait pas déjà ? Quelques autres qualificatifs nos aident à le comprendre. Au vers 2492, l’herbe qui sert de pâture est qualifiée de fresche, au vers 1334, un chef Sarrazin et son cheval s’abattent sur l’herbe drue : entre l’herbe et la couleur verte, il n’y donc pas de ces associations pléonastiques que l’on rencontre ailleurs, même si l’expression relève clairement du langage formulaire. L‘herbe est fresche ou drue quand elle sert de pâture ou qu’elle figure le sol où s'abattent les blessés ou les morts ; ce sont alors des notations « réalistes ». L'herbe verte, en revanche, est une notation idéaliste : elle est l’élément principal – avec le ciel – d’un décor dont nous retrouverons les couleurs et l’éclat dans les miniatures et les vitraux qui connaîtront leur apogée au siècle qui suit l’époque de rédaction du texte (tout début du XIIème) : il y a là l’image d’un monde idéal, presque merveilleux, qui forme l’antichambre radieux du pareïs promis - et même immédiatement donné, si l'on songe à la mort de Roland - aux héros de l’armée de Charlemagne tout comme aux auditeurs de gestes aux cœurs encore bien rudes.
   

(1) Notice étymologique du tlf (en ligne). On peut comparer avec « écarlate », sur lequel nous reviendrons ultérieurement.

(2) Les langues slaves étant étroitement apparentées, nous ne croyons pas utile de les détailler. A titre d’exemple, "vert" se dit zielony en polonais, zelený en tchèque, зелен en bulgare...

(3) Le passage de [ʒ] à [z] est un phénomène purement slave qui ne nous intéresse évidemment pas ici. 

(4) Informations communiquées par Alco.

(5) Notices étymologiques des langues concernées dans wikipedia.



La collaboration des celtisants sera la bienvenue.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

43 Dernière modification par Lévine (18-05-2020 10:17:12)

Re : Mots de couleur

https://zupimages.net/up/20/20/unf6.png

                                              JAUNE

Escu raont a sa manière
a conmendé que l’en lui quiere,
il en ont quis qui fu toz jaunes.

                     Roman de Renart


Le mot jaune vient du latin galbinus, « vert pâle, « jaune vert », lui même tiré d’un très rare galbus. Ces deux adjectifs dérivent de la racine i.–e. *ghel, « briller » dont nous avons déjà parlé à propos du vert. Comme le *gh- initial ne donne pas g- en latin, on suppose un intermédiaire gaulois.

Les adjectifs se rapportant à cette partie du spectre (qu’il faut parfois beaucoup élargir) sont nombreux en latin :

- flavus qualifie l’or, le safran, le soufre (1) (racine *ghel par l’intermédiaire des parlers de Sabine et de Préneste (2)).

- helvus, « jaunâtre », présente quant à lui une dérivation proprement latine : *ghel-wo-s.

- fulvus qualifie l’or, le sable, la cire (même origine « campagnarde »(2))

- luteus désigne un jaune tirant sur le rouge : celui du feu, de l’aurore… ; le mot dérive de lūtum, qui désigne la gaude ou réséda, utilisée en teinturerie. Il ne doit pas être confondu avec lŭtum, « boue », « limon ».

- croceus, comme on peut s’en douter, qualifie la couleur du safran, crocus ou crocum (gr. κρόκος (3)). 

- luridus, enfin, est plutôt péjoratif : « jaune pâle », « blême », « livide », « plombé » en parlant surtout du teint ; le mot a donné « lourd » en français, mais celui-ci ne prend le sens de « pesant » qu’au XVIème siècle. En AF, il signifie « niais », « stupide ». Le rapport avec le sens du mot latin n’est pas aisé à établir (4) en dépit du sens de « lourd » dans le langage familier actuel. Le mot a un rapport avec lividus, déverbal de liveo, « être bleuâtre, livide » ; cf. l'irlandais li et le gallois lliw, « couleur » (5).

En grec ancien, on dispose des mots suivants :

- ξανθός «jaune », « jaunâtre, « fauve »

- ὠχρός « jaune pâle », sur lequel a été créée une série de composés : ὠχρόλευκος, « d’un blanc jaunâtre», ὠχρομέλας « d’un noir jaunâtre », et même ὠχρόξανθος « jaune pâle »…


galbinus a donc donné en AF jalne, jaune, giaune, galne, gan(n)e, gaune (6).

Une fois n’est pas coutume, c’est dans la CdR que nous trouvons les premières occurrences :

blanche la cue e la crignete jalne (v. 1655)

el cors li met tute l’enseigne jalne (v. 3427) (7)

Chez Chrétien :

Iluec vit an le jor lacier
maint hiaume, de fer et d’acier ;
tant vert, tant giaune, tant vermoil,
reluire contre le soloil
. (Érec et Énide, 2093- 2096)

On dit souvent que le jaune est une couleur inquiétante ou infamante au Moyen Age : c’est vrai si l’on considère la couleur du manteau de Judas dans beaucoup de tableaux, celle de la rouelle, plus tard de l’étoile imposées aux Juifs, mais tout dépend de l’époque, car on oublie trop souvent que le Moyen Age s’étend sur une période de mille années. Jusqu’au milieu du XIIIème siècle – en gros – ce n’est guère le cas, comme en témoignent les exemples que j’ai pris : évocation du cheval de l’archevêque Turpin dans le premier,  enseigne avec laquelle le duc Naimes pourfend un chef Sarrasin dans le second, tournois auquel va prendre part Érec dans le dernier, où il faut par ailleurs remarquer le « beau tableau » constitué par l’éclat des métaux et la variété des couleurs.

Si, en héraldique, le jaune ne figure pas parmi les émaux, c’est parce que l’or en tient lieu. Malgré tout, Renart le ros se fait bel et bien dénicher un écu tout jaune ; et là, ce n’est pas très bon signe…

L’adjectif galbinus n’a inspiré que le français et le roumain, avec galban.

L’espagnol présente amarillo et le portugais amarelo, dont l’étymologie ne semble pas évidente : amarus, dans le sens de "triste", comme dans la mélancolie, ou dérivation de l’arabe ambari, qui signifie « ambre » (8).

Le catalan, avec groc, a préféré l’étymon croceus.

L’italien a emprunté giallo au français, fait assez rare pour être noté.

Le romanche a peut-être tiré l’adjectif mellen du latin mel, « miel ».   

On voit donc qu’aucun mot latin ne s’était imposé pour exprimer le jaune dans la Romania, signe que ces mots étaient peu répandus ou limités à une époque ou à des lieux géographiques très restreints.


Dans les autres langues européennes, nous allons retrouver l’universelle racine *ghel.

En anglais, avec yellow, en allemand avec gelb (cf. gold et Geld, issus de la même racine).

En russe, avec жëлтый (jolty) (cf. article sur VERT).

En lituanien, avec žel̃tas, en letton, avec dzęlts.

Le mot finnois keltainen est un emprunt à l’allemand ou au suédois, de même que l’estonien kollane.

Nous avons déjà signalé le faux ami albanais verdhe.

Les langues celtiques suivront…

Le grec moderne κίτρινος offre matière à une petite incursion dans le domaine du citron.

Le mot citron vient du latin citrum ou citrus, « cédrat(ier) » ; l’allemand a repris cet étymon, avec Zitronen.

Les autres langues ont utilisé un mot tiré du persan, limun, qui a donné limon en ancien français, mais surtout lemon en anglais, limone en italien, limon en espagnol. Le russe a emprunté le mot лимон à l’italien. Mais comme la langue, très grammaticalisée, répugne à employer un nom apposé en fonction d’adjectif, on a donc recours à l’adjectif dérivé лимонный (limonny) : « de citron » ; dans la langue littéraire soutenue, on dit aussi лимонного цвета (limonnovo tsv’eta), « de la couleur du citron ».     


(1) Nous tirons ces référents des exemples fournis par Gaffiot, mais leur liste ne se limitait évidemment pas à ceux-ci.

(2) P. Monteil, Éléments de phonétique et de morphologie du latin, éd. Fernand Nathan.

(3) Comme pour beaucoup de noms de plantes, de minéraux et de métaux, l’étymologie n’en est pas connue. Les grammairiens anciens évoquent des termes « méditerranéens ». Le mot est commode pour parler des emprunts faits aux langues des « autochtones » auxquels les migrants indo-européens se sont trouvés mêlés, mais il ne désigne aucun groupe linguistique homogène identifiable. Le mot « méditerranéen » le plus célèbre est θάλασσα (θάλαττα en attique). Eh oui, les tribus helléniques ignoraient la mer !!!

(4) Voir à ce sujet E. Baumgartner (médiéviste hors pair, hélas trop tôt décédée, et à qui je rends ici hommage) et P. Ménard, Dictionnaire étymologique et historique de la langue française, éd. Livre de Poche.

(5) Dictionnaire étymologique d’Ernout-Meillet (en ligne). On remarquera une fois de plus la variété des référents. 

(6) Je donnerai l’évolution complète du mot dans la rubrique « phonétique historique ».

(7) En l'absence d'autres mentions, les citations sont tirées du texte des éditions Champion.

(8) Source : http://etimologias.dechile.net/?amarillo

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

Re : Mots de couleur

Ce n'est pas parce qu'un message reste sans réponse un moment qu'il est inintéressant, bien au contraire.
Merci pour ce bel exposé.

Je me demande s'il ne serait pas opportun de donner après les mots grecs leur translittération dans l'alphabet latin que certains de nos lecteurs maîtrisent mieux que le grec !

- luteus désigne un jaune tirant sur le rouge : celui du feu, de l’aurore… ; le mot dérive de lūtum, qui désigne la gaude ou réséda, utilisée en teinturerie.

Voir quelques informations supplémentaires sur la gaude ici :
http://projetbabel.org/forum/viewtopic.php?t=22365

L’italien a emprunté giallo au français, fait assez rare pour être noté.

Par l'intermédiaire du vieux français jalne mentionné dans le message.

- ὠχρός « jaune pâle », sur lequel a été créée une série de composés : [...]

Il serait judicieux de mentionner le français ocre  « Empr. au lat. ochra «sorte de terre jaune», empr. au gr. ω χ ρ α «id.», substantivation au fém. de l'adj. ω ̓ χ ρ ο ́ ς «d'un jaune pâle». »
https://www.cnrtl.fr/definition/ocre
À ὠχρόλευκος, ochroleukos, « d’un blanc jaunâtre» correspond le français rare ochroleuque  et le mot latin de la botanique ocroleuca
https://fr.wikipedia.org/wiki/Russula_ochroleuca
https://www.senteursduquercy.com/scabio … jaune.html

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Re : Mots de couleur

Merci beaucoup. J'avais encore beaucoup d'autres choses à dire, mais je m'efforce de me limiter pour que ce ne soit pas trop indigeste. "ocre" est carrément un oubli.

Par contre j'approuve tout à fait le principe de ton intervention : je souhaiterais vraiment que ce type de travail soit collaboratif.

J'attends du reste l'apport des celtisants.

J'espère à ce propos que les incursions dans les autres langues que le français ne sont pas trop hors-sujet chez ABC.

Ensuite, place au ROUGE.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

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Re : Mots de couleur

Vos messages 42 et 43 sont impressionnants, Lévine. J'ai seulement survolé le 43, que je lirai attentivement.
Un détail : dans le 42, vous écrivez au paragraphe b « *gher-H a donné green, mais aussi grass et grow en anglais, grünet Grasse en allemand ». Vous pensiez sans doute à «  grün et Gras en allemand ».

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement… (Nicolas BOILEAU). Si possible !

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Re : Mots de couleur

Lévine a écrit:

Le romanche a peut-être tiré l’adjectif mellen du latin mel, « miel »...

Les langues celtiques suivront…

Voilà, voilà...
Le breton dit melen comme le romanche apparemment, et les dictionnaires rapprochent aussi le mot de la racine de miel (mel en breton)
L'irlandais a le mot Buí.

Caesarem legato alacrem, ille portavit assumpti Brutus.

48 Dernière modification par Lévine (19-05-2020 18:45:19)

Re : Mots de couleur

Merci. Attention, pour le romanche, j'ai dit "peut-être" ; en fait, je n'en sais rien, je n'ai pas accès à des ouvrages étymologiques sur cette langue.
Ce rapprochement est insolite : y aurait-il eu autrefois des Bretons dans les Grisons ? smile

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

49 Dernière modification par Lévine (19-05-2020 18:59:02)

Re : Mots de couleur

Chover a écrit:

Un détail : dans le 42, vous écrivez au paragraphe b « *gher-H a donné green, mais aussi grass et grow en anglais, grünet Grasse en allemand ». Vous pensiez sans doute à «  grün et Gras en allemand ».

Je ne pensais à rien, je croyais qu'on disait *Grasse, c'est tout ! lol

Merci de votre message.
___________________

Contrairement à ce que j'avais d'abord souhaité, je crois que je ne vais pas ajouter tous ces compléments, parfois assez riches, à mon message (à part la correction *Grasse/Gras) ; ils  subsisteront donc.

_____________

De toute manière, je ne peux plus rien modifier...

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

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Re : Mots de couleur

Votre message 43, Lévine, m'a autant impressionné et instruit que le 42. Merci.

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement… (Nicolas BOILEAU). Si possible !

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