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forum abclf » Réflexions linguistiques » Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

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Messages [ 51 à 92 sur 92 ]

Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Abel Boyer a écrit:
Descartes a écrit:
Ronan a écrit:

Mais je ne vois pas comment faire sans coordonner les deux COD.
Tu lui as coupé la parole ? – *Je l'ai coupée l'herbe du jardin. Il faut se résoudre à : Je l'ai coupée, ainsi que l'herbe. Je lui ai coupé la parole et l'herbe.

Apparemment dans ce cas il s'agit bien de COI et pas COD.
En effet, couper la parole à qui?
couper l'herbe à qui?
Ai-je raison?

Oui. Il faut toutefois observer que "lui", analysé généralement en COI, est un peu spécial puisqu'il s'emploie ici sans préposition, ce qui est contraire à la définition de "indirect". Il est construit en fait comme un complément direct, un COD. On pourrait dire qu'il est sémantiquement indirect (on a bien dans l'esprit "à qui") mais grammaticalement direct.
Bien sûr, il est réellement indirect dans d'autres constructions comme :
À lui, j'ai vendu les livres et à elle, les cahiers.

La terminologie se montre en effet quelque peu impropre ici... Grosso modo, Le français se débrouille toujours pour n'avoir au plus qu'un seul Complément (de verbe, mais pas de phrase... : dans "il marcha sa route 3 années avant de collaborer au groupe", "3 années" est complément de phrase, non de verbe) non introduit par des propositions.

En fait, le modèle dominant est celui d'un sujet, qui agit, et d'un objet, qui pâtit. Mais en réalité, il existe des situations où plus de 2 objets sont concernés, et pour lesquelles déterminer qui agit et pâtit n'est pas si simple.

C'est pourquoi, dans une précédente analyse, j'avais introduit les termes de évolution et de convolution pour caractériser les verbes d'action.

Dans la phrase "il lui a coupé la parole", on est dans une convolution à 2 termes, entre celui qui coupe la parole et celui dont la parole est coupée. Celui qui subit l'action, c'est bien celui dont la parole est coupée. D'ailleurs, "couper la parole" est plutôt une locution verbale ici. La parole est un complément figuratif de cette convolution dont les deux participants réels sont il et lui.

Maintenant, la syntaxe n'est pas à l'image du monde réel. Chaque verbe implique certaines tournures, où les divers compléments sont introduits d'une façon qui y est propre. En chacune de ces tournures, il ne peut n'y avoir qu'un seul complément qui implique l'accord du participe passé.

52 Dernière modification par k@t (14-10-2018 16:47:41)

Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

couper l'herbe à qui?

Bizarre d’analyser du jardin comme COS, il me semble que c’est un complément du nom herbe.
D'ailleurs, auquel cas,

*Je l'ai coupée l'herbe du jardin

est parfaitement correct (à la virgule après coupée près) et ne "mérite" donc pas l'astérisque.

florentissime a écrit:

Dans la phrase "il lui a coupé la parole", on est dans une convolution à 2 termes

Vous dites à 2 termes, et non à 3, vous excluez donc parole ; est-ce parce qu’il s’agit d’une locution ou vous feriez la même analyse – et excluriez donc main - dans par exemple On coupe la main aux voleurs ?

Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Parce que je le prends comme une locution. Si pour le voleur, sa main est bien coupée de son bras, au sens propre, dans l'autre cas, la parole n'est coupée que dans un sens figuré.
On pourrait très bien écrire "Pierre interrompit Paul", plutôt que "Pierre coupa la parole à Paul", ce qui montre que le caractère indirect du complément d'objet "Paul" est une demande de la locution "couper la parole", tandis que concrètement, il s'agit d'un rapport entre Pierre et Paul.

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Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

florentissime a écrit:

Parce que je le prends comme une locution.

Vous n’accepteriez donc pas la pronominalisation de parole de la même façon qu’on le fait avec main ?

On a coupé la parole à l’intervenant > On la lui a coupée.
On a coupé la main au voleur > On la lui a coupée
.

On pourrait très bien écrire "Pierre interrompit Paul", plutôt que "Pierre coupa la parole à Paul", ce qui montre que le caractère indirect du complément d'objet "Paul" est une demande de la locution "couper la parole", tandis que concrètement, il s'agit d'un rapport entre Pierre et Paul.

L’argument me semble faible puisqu’on peut aussi bien dire On a coupé la tête à Louis XVI que On a décolleté / étêté / décapité / guillotiné / raccourci Louis XVI.
De fait, ces derniers termes contiennent l’idée de Couper la tête à X tout comme Interrompre X contient l’idée de Couper la parole à X.

55 Dernière modification par k@t (15-10-2018 03:14:16)

Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Je n’avais pas lu le post précédent dans son entier et je vois quelque chose qui me trouble.

Abel Boyer a écrit:

Oui. Il faut toutefois observer que "lui", analysé généralement en COI, est un peu spécial puisqu'il s'emploie ici sans préposition

De quel lui est-il question ?
De celui de Tu lui as coupé la parole ?
Si c’est bien de cela qu’il s’agit, la préposition est présente, puisqu'on dit Couper la parole à quelqu’un.
Ou bien est-il question d'autre chose ? (Je vois que c'est un extrait d'une "vieille" discussion et j'avoue que j'ai la flemme de tout lire - peut-être donc est-il question d'un autre lui. Quoi qu'il en soit, tel quel et hors plus de contexte cet extrait est déroutant.)

56 Dernière modification par florentissime (15-10-2018 00:41:56)

Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Ce n'est en effet pas différent, puisque, là encore, l'objet de la découpe, ce fut bien Louis XVI, et non pas sa tête, laquelle finit l'action toute entière. Il s'agit d'un rapport entre « on » et « Louis XVI ».

Prenons une véritable convolution à 3 termes, pour bien sentir la différence :

On donna un cadeau à ma mère.
Au passif :
-> Un cadeau fut donné à ma mère.
Ok. Ça a du sens.

Pierre coupa la parole à Paul
-> * la parole fut coupée à Paul
Pas de sens.

On coupa la tête à Louis XVI
-> * la tête fut coupée à Louis XVI
Pas de sens non plus.

En fait, si les marques personnelles du verbe sont régies par le sujet,
les marques prépositionnelles des compléments (essentiels) sont régies par le verbe.

Par conséquent, ces marques prépositionnelles sont particulières.

Il s'ensuit que ces distinctions générales "complément d'objet direct", "complément d'objet indirect", "complément d'objet second", n'ont pas de signification générale pour la langue dans son ensemble, celle-ci variant selon le verbe. De plus l'usage d'une préposition peut dépendre de la classe grammaticale du complément (par exemple : j'ai choisi le départ / j'ai choisi de partir -> ici : « le départ » serait-il COD, tandis que « partir » serait-il COI ?  « le départ » et « partir » seraient-ils en rapport différent avec moi ?)

57 Dernière modification par k@t (15-10-2018 06:17:57)

Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

florentissime a écrit:

Ce n'est en effet pas différent, puisque, là encore, l'objet de la découpe, ce fut bien Louis XVI, et non pas sa tête, laquelle finit l'action toute entière.

Si pour le voleur, sa main est bien coupée de son bras, au sens propre, dans l'autre cas, la parole n'est coupée que dans un sens figuré

Ah ! pour le voleur, la main est coupée de son bras, mais pour Louis XVI la tête n’est pas coupée de son corps ?
Et quid de par exemple Je lui coupe sa viande (lui = mon enfant), où l’objet coupé n’est plus une partie du bénéficiaire ?

Prenons une véritable convolution à 3 termes, pour bien sentir la différence

Je ne connais pas cette notion de convolution, je connais en revanche celle de valence. Dans Couper quelque chose à quelqu’un, le verbe est de valence trois, avec :
Un agent qui accomplit le procès = celui qui coupe.
Un patient qui subit le procès =  ce qui est coupé.
Un bénéficiaire qui est affecté / visé par le procès = celui à / pour qui le x est coupé.

Selon moi, la valence est de trois et la pronominalisation du bénéficiaire comme celle du patient possible, aussi bien quand il s’agit de couper la parole qu’un objet concret.

Si on prend Casser sa pipe syntagme libre, je vois deux actants, et la pronominalisation de pipe possible,
Mon grand-père a cassé sa pipe (= a brisé sa bouffarde).
> Il l'a cassée.

a contrario pour la locution figée / figurée, je vois un actant seulement (nulle pipe n’est présente dans le procès mourir) et une pronominalisation de pipe impossible (hors énoncé comique ou autre « déviance » stylistique).
Mon grand-père a cassé sa pipe (= est mort).
> *Il l'a cassée.


Pour ce qui est de la passivation, elle ne me parait en l’occurrence pas impossible, même si sans doute peu usitée. Un exemple :
Cette main a été coupée à un de ces vils libertins
source

Un autre :
Et même aux voix qui ont été admises à se faire entendre, trop souvent la parole a été coupée sans raison convaincante
source

Et Quand la tête lui fut coupée me parait tout à fait acceptable.


Cela étant, même pour des COD qui ne font a priori pas débat, la passivation n’est pas toujours si évidente que ça :

J’ai écouté la radio tout le week-end.
??? La radio a été écoutée par moi tout le week-end.


(par exemple : j'ai choisi le départ / j'ai choisi de partir -> ici : « le départ » serait-il COD, tandis que « partir » serait-il COI ?  « le départ » et « partir » seraient-ils en rapport différent avec moi ?)

Ici, de n’est pas une préposition, mais un marqueur d’infinitif.

Et de partir est COD (on choisit quelque chose et non pas de quelque chose), ainsi que le montre la pronominalisation en le :
J’ai choisi de partir > Je l’ai choisi.

En revanche, dans J’ai besoin de partir, de est une préposition et introduit en effet un COI, ainsi que le montre la pronominalisation en en :
J’ai besoin de partir > J’en ai besoin.

Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Je suis d'accord avec florentissime sur un point :
DANS
"on lui a coupé la parole" (mettons que le référent de "lui" est "à ma mère") (ou dans "on lui a coupé la tête" à Louis XVI)
On n'a pas le même "lui" que dans:
"on lui a donné un cadeau" (à ma mère).

Et pour parler de valence : "donner" est un verbe trivalent, c'est clair puisque ce verbe exige l'existence d'un agent, d'un "patient" et d'un destinataire.
En revanche, "couper" n'est, pour moi, que bivalent, puisqu'il n'exige l'existence que d'un agent et d'un patient.

Alors, quel est ce pronom "datif" ? Pour moi, il n'a pas vraiment de fonction COI dans ce cas précis. Je ne sais pas comment il est décrit dans les grammaires françaises traditionnelles (ou moins traditionnelles) mais pour moi, ça correspond parfaitement au datif de possession qu'on retrouve beaucoup plus fréquemment en espagnol qu'en français d'ailleurs.
Dans "on lui a coupé la tête", un équivalent pourrait être "on a coupé sa tête".
Pour moi, c'est le même "lui" que dans "je lui ai brossé les cheveux".
Le problème avec ces datifs c'est qu'ils peuvent avoir plusieurs interprétations, et peuvent coupler l'expression de la possession avec l'expression du destinataire ou bénéficiaire de l'action.
Et je pense que c'est ce qui pose problème ici. Effectivement, on pourrait, pourquoi pas, trouver un exemple comme "Cette main a été coupée à un de ces vils libertins". Mais là, pour moi, on aurait plus un "On lui a coupé cette/une main" plutôt que "on lui a coupé la main" (le datif de possession s'emploie uniquement avec un article défini, ni un indéfini ni un adjectif démonstratif, ni, bien évidemment un adjectif possessif).

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Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

oliglesias a écrit:

Je suis d'accord avec florentissime sur un point :
DANS
"on lui a coupé la parole" (mettons que le référent de "lui" est "à ma mère") (ou dans "on lui a coupé la tête" à Louis XVI)
On n'a pas le même "lui" que dans:
"on lui a donné un cadeau" (à ma mère).

Oui, dans le premier cas le bénéficiaire est destinataire, et dans le second, il est expérient.

En revanche, "couper" n'est, pour moi, que bivalent, puisqu'il n'exige l'existence que d'un agent et d'un patient

Oui, mais je crois que vous n’attribuez pas le rôle de patient à la même entité (dans le cas où intervient un tiers). Si je lis bien florentissime, pour lui, le patient c’est la personne à qui la parole / le membre est coupé(e) ; pour vous je crois qu’il s’agit de ce qui est coupé (pour moi aussi).

Et oui bien sûr que couper est bivalent dans par exemple J’ai coupé les oignons du ragoût. A contrario, dans Couper la parole ou dans Couper les vivres, il me semble difficile de ne pas voir un verbe trivalent.

Pour Couper le x (partie de X) à X, j’aurais tendance à y voir également un trivalent. Si je reprends votre exemple des cheveux (en remplaçant brosser par couper, juste pour continuer de raisonner avec le même verbe), et si l’action n’est faite non plus sur un autre, mais sur soi, on a un verbe pronominal où le pronom réfléchi représente bien le bénéficiaire du procès et est – il me semble - classiquement analysé comme un COI.

Je me suis coupé les cheveux.
Agent = je.
Patient = les cheveux.
Bénéficiaire = me / moi.

Pourquoi les choses seraient-elles différentes quand l’action n’est pas réfléchie ?
Je lui ai coupé les cheveux.
Agent = je.
Patient = les cheveux.
Bénéficiaire = lui.

Venons-en au cas où le x coupé n'est pas une partie du X, prenons par exemple Je lui ai coupé une tranche de cake (à ma fille), et comparons cet énoncé avec Je lui ai acheté une tranche de cake (à ma fille).
Feriez-vous de acheter un verbe uniquement bivalent et de à ma fille autre chose qu’un COI, du fait que l’on peut dire J’ai acheté une tranche de cake (tout court) ?

Il existe sans doute des verbes essentiellement mono-bi ou trivalents, mais il existe aussi des verbes dont la valence change selon les constructions.
Manger, monovalent ? (Il mange beaucoup trop) ou bivalent ? (Il mange sa soupe.)

Cela dit, une compréhension étroite de la notion de valence fera sans doute de couper un verbe bivalent (voir par exemple Touratier) - avec cette bizarrerie d’un circonstant pronominalisable (hormis les circonstants de lieu, je ne crois pas que ce soit faisable) -, et une conception plus souple (voir par exemple Le Querler ou Tendeng) en fera un verbe trivalent.

Dans "on lui a coupé la tête", un équivalent pourrait être "on a coupé sa tête".

Sémantiquement oui, mais syntaxiquement, non. L’équivalent de On a coupé sa tête est On a coupé la tête de Louis XVI.

J’ai hérité [la maison de mon père] (hérité quelque chose).
> J’ai hérité sa maison.
J’ai hérité [la maison] [de mon père] (hérité quelque chose de quelqu’un).
> J'ai hérité la maison de lui / Je l’ai héritée de lui. (Bon ces formulations ne sont sans doute pas très usitées, mais c'est une autre histoire.)

On a coupé [la tête de Louis XVI]. (à Louis XVI dans un registre populaire)
> On a coupé sa tête.
On a coupé [la tête] [à Louis XVI].
> On lui a coupé la tête / On la lui a coupée.

Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Nous sommes d'accord sur l'essentiel Ek@t.
La seule différence entre nous se situe à comment on interprète syntaxiquement ces datifs. Et encore, cette différence est très faible.
En fait, je suis un peu toute la terminologie "espagnole" à ce sujet, qui parle de "datifs non actanciels" (autrement dit ceux qui ne sont pas exigés par la valence du verbe) et dans ces "datifs non actanciels" on trouve les datifs de possession (je me brosse les cheveux, je lui coupe les cheveux, etc.) mais aussi des datifs d'intérêt (où le datif ne représente pas vraiment le simple "destinataire" mais celui qui bénéficie de l'action ou celui à qui l'action porte un préjudice : "elle m'a cousu un déguisement pour Halloween").
Vous me direz peut-être que la différence n'est pas flagrante, mais elle existe. Et parfois, cette distinction permet deux lectures différentes d'un même énoncé:

Je lui ai écrit une lettre. (à ma grand-mère)

> lecture du COI comme "destinataire": c'est la grand-mère qui est la destinataire de la lettre, qui va la recevoir.
> lecture du COI comme "datif d'intérêt": la grand-mère est la bénéficiaire de l'action, c'est-à-dire que j'ai écrit une lettre pour elle (parce qu'elle a le bras cassé et qu'elle ne peut pas écrire, par exemple, ou parce qu'elle ne sait pas bien utiliser des expressions formelles pour un courrier officiel, etc.)

Evidemment, hors contexte, impossible de choisir la bonne lecture même si la lecture la plus fréquente est sans doute celle du "destinataire".

Pour en revenir à une autre de vos remarques : oui, il existe des verbes essentiellement bivalents, mais qui peuvent être trivalents selon certaines acceptions.
Ainsi, "acheter" dans votre exemple est trivalent puisqu'une de ses acceptions fait explicitement référence au "bénéficiaire".
Et après vérification, "couper" aussi possède des acceptions qui incluent l'existence d'un "destinataire", donc je retire ce que j'ai écrit plus tôt sur le caractère bivalent de "couper".

Mais il existe des verbes bivalents et qui n'ont pas d'acception impliquant l'existence d'un COI. C'est le cas de "chercher".
Dans ce cas-là, comment interpréter "Il m'a cherché un logement" ?
C'est là qu'entre en jeu la notion de "datif d'intérêt". "JE" suis le bénéficiaire de l'action (pas son destinataire). (En latin on appelait ces datifs les datifs commodi-incommodi).

Pour "je me suis coupé les cheveux" comme pour "on lui a coupé la tête" je vois plusieurs interprétations possibles (et pas du tout excluantes):
- je suis le destinataire/bénéficiaire de l'action. (COI)
- j'ai coupé mes cheveux (datif de possession : je répète, le fait qu'on emploie l'article défini plutôt que le possessif nous montre que c'est un datif de possession car cette relation de possession se fait grammaticalement par le clitique et pas par un adjectif possessif)

"on lui a coupé la tête":
- il est le destinataire/celui qui "souffre" de cette action. (COI)
- on a coupé sa tête (datif de possession)

Bref, comme je disais, nous sommes d'accord sur à peu près tout, sauf sur cette idée de datif de possession semble-t-il. Mais c'est accessoire finalement. J'aurais dû être plus prudent dans mon message précédent et ne pas écrire qu'on n'avait pas le même "lui" dans les deux phrases. J'aurais dû écrire que ce "lui" peut être interprété de la même manière dans les deux phrases mais que "lui" dans "on lui a coupé la tête" peut avoir une autre interprétation (celle de possession) que je maintiens pour ma part. Mais peut-être que j'ai tort de vouloir appliquer quelque chose qui fonctionne en espagnol au français alors que, effectivement, les deux langues ne fonctionnent pas exactement de la même manière (les datifs de possession étant bien plus fréquents en espagnol, ainsi que les datifs d'intérêt ou les datifs éthiques)

61 Dernière modification par Lévine (15-10-2018 19:02:42)

Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Oui, il s'agit du fameux "datif éthique" des Latins et des Grecs, souvent explétif.

On peut très bien dire ainsi : "On lui a coupé sa tête" : dans cette phrase, lui est évidemment explétif, puisqu'il double sa, qui marque la possession.

On peut aussi citer les redondances à fin expressive qu'on peut entendre dans le "Midi" de la France :

Cette tarte, je vais me la manger tout seul !


Vous avez peut-être évoqué cela, je vous avoue que je n'ai pas lu tout ce qui précède.

Ce que je veux dire, c'est que l'analyse ne va jamais de soi. Je m'en méfie.
____________

Je change de sujet, mais ma question correspond pleinement néanmoins au titre de ce fil. C'est de l'ancien français, certes, mais peut-être les champions de grammaire pourront-ils néanmoins me répondre (je n'ai jamais eu de réponse sur "l'autre" site que je fréquente, certains ici comprendront) :

Dans la Chanson de Roland, on lit :

Ne s' poet guarder que mals ne l'i ateignet

Mot à mot (incorrect en FM !) : "Il ne peut se garder que le malheur ne l'atteigne en cette circonstance"

Il semblerait que l'on ait ici deux COD : d'une part "se", d'autre part, la complétive...
Ou peut-être ne faut-il pas aller si loin dans la théorisation : la complétive pourrait être librement rattachée au verbe pronominal sans qu'il faille pousser l'analyse plus loin ?
Au siècle suivant, je pense qu'on aurait eu : Ne se poet guarder de ce, que mals...

Qu'en pensez-vous ?

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

62 Dernière modification par Ylou (15-10-2018 19:03:51)

Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Cette notion de datif de possession m'intéresse beaucoup.
Les datifs de possession semblent assez courants en français.
Pour les parties du corps :
Je me suis/on lui a lavé les mains - je me suis/on m'a arrangé les cheveux - elles me font mal aux pieds - elle s'est/on lui a fait les ongles -  on lui a fermé la porte au nez ...
Mais aussi :
on lui a lavé la voiture - ils lui ont déménagé la maison - on lui a volé le chien - on lui a changé les pneus - on lui a remplacé les volets ...

Avec nos pensées nous créons le monde. Bouddha

63

Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

oliglesias a écrit:

Nous sommes d'accord sur l'essentiel Ek@t.

Oui. smile

Et encore, cette différence est très faible. [...] Vous me direz peut-être que la différence n'est pas flagrante, mais elle existe.

Oui, oui, je vous suis tout à fait sur ces différences d'interprétation, mais tout dépend de ce que l’on fait.

Fait-on une analyse sémantique ? Oui, les rôles ne sont pas équivalents, on est bien d’accord.

Fait-on une analyse syntaxique ? Bien que les rôles soient différents, dans les deux cas les compléments sont des compléments de verbe (et sont - si on fait une analyse classique - vraisemblablement dans tous les cas des COI ; mais je ne suis pas spécialement calée en analyse traditionnelle. Comment analyse-t-on en grammaire traditionnelle le lui de Il lui cherche un appartement ? COI ? Complément circonstanciel d'intérêt ?), contrairement à à la cuisine dans Je coupe une tranche de cake à la cuisine qui est sans aucun doute possible un complément de phrase (circonstant).

"datifs non actanciels" (autrement dit ceux qui ne sont pas exigés par la valence du verbe)

Oui, c'est exact. Disons donc en effet que ces compléments ne font pas partie de la valence du verbe, du moins en langue, mais peut-être peut-on envisager qu'ils en fassent partie en discours.
Et finalement, pour vous, ces compléments bien que dans l'absolu non requis sont-ils néanmoins régis par le verbe ? Puisque c’est un peu la question de départ : y a-t-il deux ou trois actants – bien que le ni-agent, ni-patient ne soit pas obligatoire, j'ai du mal à en faire un circonstant : il joue vraiment un rôle dans le procès, il en est partie intégrante - dans les structures où le à quelqu’un n’est pas un destinataire ?

64

Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

oliglesias a écrit:

"lui" dans "on lui a coupé la tête" peut avoir une autre interprétation (celle de possession) que je maintiens pour ma part

C’est bien possible, en tout cas pour certains cas. Il y a sur ce point une analyse intéressante ici (notamment pp. 97 à 100).


Levine a écrit:

Qu'en pensez-vous ?

!!! Attention !!! Gros risque de réponse complètement à côté de la plaque ! big_smile

J'aurais bien aimé plancher sur ta colle, mais euh, ahem, comment dire, ja compris pô ta phrase, même transposée. Et puis surtout je ne connais pas la construction de ce Se garder en AF.
On se garde quelque chose ou de quelque chose ?
On garde soi ou à soi ?
Donc, voilà si On se garde soi quelque chose, ben oui, ça fait deux COD, si c’est une autre combinaison, on a soit deux COI, soit un COD et un COI.

Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Je vais essayer de donner une réponse à côté de la plaque moi aussi, en balançant tout ce qui m'est passé par la tête ! smile

En lisant ta phrase Lévine, je me suis demandé si ce "se" n'était pas un "se" impersonnel (comme il existe en espagnol aujourd'hui encore). Je me suis dit que peut-être qu'en ancien français il existait aussi, mais là, j'avoue que je n'ai pas regardé.

En revanche, j'ai regardé la définition de "garder" dans le Littré, parce que les définitions y sont très détaillées avec beaucoup d'exemples, conscient que la langue de ton exemple est très très antérieure à celle du dictionnaire de Littré. Mais après tout, peut-être qu'il s'agissait d'un sens maintenu au cours des siècles.

Bref, chez Littré, j'ai trouvé ça :

Littré a écrit:

1Prendre garde, avoir soin qu'une chose soit évitée.
[...]
Garder avec que et ne consécutif.
Gardez qu'une voyelle à courir trop hâtée Ne soit d'une voyelle en son chemin heurtée, Boileau, Art p. I.
Gardez qu'avant le coup votre dessein n'éclate, Racine, Andr. III, 1.
Gardez que ce départ ne leur soit révélé, Racine, Iphig. IV, 10.
Gardez qu'on ne vous voie, Voltaire, Oreste, IV, 5.

Syntaxiquement, ça correspond à ton exemple, mis à part qu'on a un "se" qui se balade... Mais encore une fois, je me dis que ça pourrait être un "se" impersonnel et donc en gros on aurait :

Ne s' poet guarder que mals ne l'i ateignet

"On ne peut prendre garde que le malheur ne l'atteigne en cette circonstance"

Mouais... pas satisfait, à cause de ce pronom "l'"... si ça avait été une impersonnelle, on aurait dû avoir autre chose qu'un clitique de troisième personne.

Bref, syntaxiquement, je me disais que ça pouvait être possible mais en fait je n'en suis pas sûr, mais c'est peut-être une piste. D'ailleurs, j'en profite pour te demander Lévine, il existait ce "se impersonnel" en Ancien Français ?


Sinon, il y a plus simple (mais probablement tiré par les cheveux aussi) : ce "se" pourrait être également un datif d'intérêt : un datif non exigé par la valence du verbe qui apparait pour désigner ou pour insister sur la personne qui est affectée directement par l'action.

Voilà Lévine, débrouille-toi avec tout ça ! Ce matin, j'avais juste envie d'écrire tout ce qui me passait par la tête sans vraiment réfléchir à la cohérence de la chose et surtout, sans me mouiller...

66 Dernière modification par Lévine (16-10-2018 18:45:15)

Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Merci beaucoup de vos réponses.

Non oliglesias, le "on" est exclu. Le "se" ne peut pas prendre cette valeur en AF, comme en italien le si (qui peut du reste avoir un sujet, cf. si vedono le case). L'indéfini om existe à date ancienne et d'autre part, le contexte montre clairement que poet a comme sujet une personne citée avant (Marsilie, le roi sarrasin).
Quant aux tournures modernes du type "il se peut que...", elles s'expriment ainsi : Poet ce estre que... "Cela peut être, que..."

Ek@t, le problème est que la construction des verbes n'est pas toujours fixée en ancien français, surtout au XIème siècle.
Le dictionnaire de Godefroy, qui fait référence malgré ses imperfections, signale pour le verbe garder une construction directe ou intransitive ("neutre") :

http://micmap.org/dicfro/search/diction … roy/garder

A bien y réfléchir, il se peut que se soit l'unique COD, et que la "complétive" soit à l'origine une proposition finale, mais dont le statut est affaibli au point de constituer une sorte de développement de l'idée d'empêchement exprimée par le verbe. Je précise, ce qui n'arrange rien, que la conjonction que, peu employée dans des locutions à cette époque, peut se charger de quasiment toutes les valeurs circonstancielles, comme le ut latin...

C'est bien ce manque (apparent) de rigueur grammaticale qui me plaît dans cette langue à l'état de jouvence.
Mais c'est un exemple isolé (à ma connaissance), qui reste un peu énigmatique.

Damedeu vos doint a toz merci !

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

67 Dernière modification par k@t (16-10-2018 23:37:38)

Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Lévine a écrit:

Merci beaucoup de vos réponses.

De rien ! smile

Ek@t, le problème est que la construction des verbes n'est pas toujours fixée en ancien français, surtout au XIème siècle.

D'accord.

A bien y réfléchir, il se peut que se soit l'unique COD,

Et ne pourrait-on envisager que ce Se garder que soit un pronominal subjectif ? Auquel cas le pronom n’aurait pas de fonction.
Pour ce qui est de la fonction de la complétive, je te donne le "truc" qui fonctionne en français contemporain, à voir si ça marche avec l'AF (je ne sais comment fonctionnait la pronominalisation à l'époque).
Si la pronominalisation se fait en en, la complétive est COI, si elle se fait en le, la complétive est COD.
Il se rappelle que blablabla = Il se le rappelle > COD.
Il se souvient que blablabla = Il s'en souvient > COI.


oliglesias a écrit:

mis à part qu'on a un "se" qui se balade.

Ce serait la faute aux poètes qui auraient pris quelques libertés avec ce petit pronom et l’auraient à l’occasion fait passer à la trappe.


https://i.goopics.net/keewJ.jpg

source


bibi a écrit:

Comment analyse-t-on en grammaire traditionnelle le lui de Il lui cherche un appartement ? COI ? Complément circonstanciel d'intérêt ?

C’est une vraie curiosité, s’il y a un prof de français (ou quiconque champion d’analyse grammaticale traditionnelle) qui saurait me répondre, j’en serai bien contente.

Autre question, toujours en analyse grammaticale traditionnelle, comment analyse-t-on le complément introduit par pour dans par exemple :

Elle travaille pour ses enfants / pour l’ennemi / etc.
Il plaide pour le demandeur / pour la défense du droit des animaux / etc.

68

Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Bonjour,

Ek@t a écrit:

quiconque champion d’analyse grammaticale traditionnelle

Euh ... non, mais...

j’en serai bien contente

... on peut essayer smile

D'après mon Bon Usage (1969, mais n'en tirez pas des conclusions hâtives sur mon âge big_smile),

Elle travaille pour ses enfants / pour l’ennemi / etc. : complément circonstanciel de destination

Il plaide pour le demandeur / pour la défense du droit des animaux / etc. : complément circonstanciel d'attribution ("indiquant à qui s'adresse l'action ou qui elle concerne" - mais cette définition semble correspondre aussi bien au cc de destination... )

Ce serait peut-être la même chose (l'une ou l'autre big_smile) dans Il lui cherche un appartement?

69

Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Ek@t a écrit:
Lévine a écrit:

A bien y réfléchir, il se peut que se soit l'unique COD,

Et ne pourrait-on envisager que ce Se garder que soit un pronominal subjectif ? Auquel cas le pronom n’aurait pas de fonction.

Pourquoi pas ?

Ek@t a écrit:

Pour ce qui est de la fonction de la complétive, je te donne le "truc" qui fonctionne en français contemporain, à voir si ça marche avec l'AF (je ne sais comment fonctionnait la pronominalisation à l'époque).
Si la pronominalisation se fait en en, la complétive est COI, si elle se fait en le, la complétive est COD.
Il se rappelle que blablabla = Il se le rappelle > COD.
Il se souvient que blablabla = Il s'en souvient > COI.

Il faut la suite de la démonstration, sans quoi je vais me sentir humilié (doceo pueros grammaticam ! Tiens, ça aussi c'est dans le sujet).
Adonc, en FM, on pronominaliserait : Il ne peut s'en garder ? Donc que... serait COI, ingénieux, mais peu probable.

Ek@t a écrit:
oliglesias a écrit:

mis à part qu'on a un "se" qui se balade.

Ce serait la faute aux poètes qui auraient pris quelques libertés avec ce petit pronom et l’auraient à l’occasion fait passer à la trappe.


https://i.goopics.net/keewJ.jpg

source

En fait, je vois une construction "moderne" tout à fait similaire à l'extrême fin de la citation :

Gardez-vous que...

Le problème risque de se reposer.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

70 Dernière modification par Ylou (17-10-2018 17:02:47)

Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Alors pour ce qui me concerne, Ek@t, championne en quoi que ce soit, c'est aussi "euh.... non."
Ce qui ne m'empêche pas de mettre mon grain de sel. smile

Il travaille pour ses enfants, pour l'ennemi..
Il plaide pour la défense des droits des animaux...

Les compléments en gras ont tout l'air d'être des compléments d'attribution, en effet, mais je ne les dirais pas circonstanciels. Ils ne désignent pas une circonstance.

Comme tous COi, ils ne sont d'ailleurs pas toujours déplaçables : Pour ses enfants il travaille. : Non.  mais : pour ses enfants, il travaille nuit et jour. Oui.
J'ai apporté un livre à ton frère > à ton frère j'ai apporté un livre : non mais : à ton frère, j'ai apporté un livre, et à ta sœur une BD : oui.

Ils sont dit "actants" je crois (mais là, on sort de la grammaire traditionnelle qui parlerait plutôt de compléments seconds, une terminologie que je n'aime pas*)

A la différence des compléments circonstanciels :
A cause de lui, j'ai tout raté. Dans deux jours je pars...

*en effet, soit on reste simple et on continue de parler de COD et COi, voire de complément d'attribution, d'agent (les mots sont clairs et disent bien ce qu'ils veulent dire, mais il faudrait alors un nom spécifique pour désigner chacun des COi, notamment ceux qui sont introduits par "de"), soit on pousse l'analyse et on adopte une terminologie cohérente (ex : circonstant/actant).
Tout dépend à qui on s'adresse : à des enfants en apprentissage ou à des étudiants en langue.

Avec nos pensées nous créons le monde. Bouddha

71 Dernière modification par Lévine (17-10-2018 18:34:42)

Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Mais la grammaire analytique traditionnelle a un gros défaut : elle navigue (louvoie ?) entre l'approche structurelle (COD/COI suivant l'existence ou non d'une préposition) et l'approche "logique", sémantique : cf. le complément 'd'attribution", etc...

Je ne suis pas grammairien, et je faisais le moins possible de "grammaire" avec mes élèves de collège parce qu'elle ne servait ni la lecture, ni l'écriture, et à peine l'orthographe.

Pour moi, dans la phrase Il travaille pour ses enfants, le groupe prépositionnel est inséparable du verbe, c'est un complément essentiel qui fait presque partie de sa construction : appelons-le comme on veut : complément de destination, complément de but, peu importe. En tout cas, il n'exprime aucune circonstance, je suis pleinement d'accord avec Ylou.

Différente serait la phrase : Pour ses enfants, il travaille dur ; en fait, le prédicat deviendrait le travail acharné et la circonstance le bien-être souhaité des enfants du sujet.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

72 Dernière modification par Ylou (17-10-2018 20:02:00)

Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

D'accord avec vous sur les louvoiements de la grammaire traditionnelle.
J'étudiais régulièrement la langue avec mes élèves, avec pour démarche de les faire réfléchir sur son fonctionnement, et sur des textes. Mais "d'exercices" et de "règles", point ou quasi.
Un petit travail d'enquête évidemment encadré. Passionnant pour tout le monde : le prof et les élèves.
Je suis bien persuadée que, en comprenant la façon dont la langue fonctionne, on la domine mieux et à terme, on lit mieux et on écrit mieux.
L'orthographe s'éclaire bien souvent aussi, puisqu'elle passe pour l'essentiel par le sens.

Intéressant ceci :
Lévine :
Différente serait la phrase : Pour ses enfants, il travaille dur ; en fait, le prédicat deviendrait le travail acharné et la circonstance le bien-être souhaité des enfants du sujet.

Avec nos pensées nous créons le monde. Bouddha

73

Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Ce qu'il faut, c'est développer la grammaire mentale que possèdent tous les individus capables de parler leur langue, et cette grammaire est infiniment plus riche et plus développée que celle qu'on construira par la théorie.
Je ne dis pas que ce soit facile, ni que j'arrivasse à mettre cela en œuvre quand j'étais en collège... Non, ce sont simplement des convictions.
Vous dites que la grammaire permet de voir comment fonctionne la langue : certes, mais n'est-ce pas la plupaert du temps sur des phrases simples, "canoniques", auxquelles on n'est que très rarement confronté dans la réalité - j'allais dire dans la vie - du discours ?

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

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Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Lévine a écrit:

Il faut la suite de la démonstration,

Qué suite ?

Donc que... serait COI, ingénieux, mais peu probable

Pourquoi non ?

En fait, je vois une construction "moderne" tout à fait similaire à l'extrême fin de la citation :

Oui au début aussi : gardez-vous qu’on ne vous surprenne, en fait c'est la construction canonique, celle sans le pronom ne l'étant pas.

_________

Merci Nolwenn, Ylou et Lévine pour vos réponses. smile

Je ne suis pas surprise que la grammaire traditionnelle traite ces compléments de circonstanciels, puisque selon cette dernière, ces verbes sont intransitifs.

A contrario, le dictionnaire usito, qui intègre les données de la nouvelle grammaire, en fait des verbes transitifs (indirects) et donc inclut ces compléments dans la valence de ces verbes pour ces constructions. Ce qui va à l'encontre de l'approche traditionnelle, mais rejoint les analyses d’Ylou et de Lévine et la mienne !

Pour les cas du type Il lui cherche un appartement, certains linguistes (par exemple Leclère) intègrent ce complément à la valence du verbe :

On pourrait néanmoins argumenter, comme l’a suggéré Leclère (1978), que la structure argumentale du verbe a été étendue ici (cf. Leclère, 1978, qui appelle ce type de datif ‘étendu’) et que l’argument datif ferait bel et bien partie de cette structure argumentale

mais d’autres non :

https://i.goopics.net/RG5v7.jpg

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Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Ek@t, la suite de la démonstration, je l'ai donnée moi-même. Si tu l'arrêtes là, ce sont des choses que je sais !!! lol

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

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Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

OK. smile
Mais faute de connaitre l'AF, moi je ne pouvais pas aller plus loin, même si intuitivement j'aurais eu tendance à pronominaliser en en et d'ailleurs, pourquoi une complétive COI ne te plait pas ici ?

77 Dernière modification par Ylou (18-10-2018 05:58:00)

Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Lévine a écrit:

Vous dites que la grammaire permet de voir comment fonctionne la langue : certes, mais n'est-ce pas la plupart du temps sur des phrases simples, "canoniques", auxquelles on n'est que très rarement confronté dans la réalité - j'allais dire dans la vie - du discours ?

Justement il s'agit de travailler sur des textes de tous genres et non sur des phrases, et surtout pas canoniques. Et de toujours prendre en compte le vécu linguistique de l'élève.
D'ailleurs, je ne suis pas sûre que je parlerais de "grammaire"*. Peut-être, mais le mot est connoté.
L'objectif n'est surtout pas de transfuser un savoir du prof à l'élève, mais d'accompagner l'apprenant dans la découverte de la langue. C'est ainsi d'ailleurs qu'on abordait en classe l'analyse littéraire, l'orthographe ...

Art de parler et d'écrire correctement`` (Ac. 1932); ensemble de règles conventionnelles (variables suivant les époques) qui déterminent un emploi correct (ou bon usage) de la langue parlée et de la langue écrite[...]
Étude objective et systématique des éléments (phonèmes, morphèmes, mots) et des procédés (de formation, de construction, d'expression) qui constituent et caractérisent le système d'une langue naturelle; en particulier, étude de la morphologie et de la syntaxe d'une langue [...]
TLF

Avec nos pensées nous créons le monde. Bouddha

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Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Ek@t a écrit:

OK. smile
Mais faute de connaitre l'AF, moi je ne pouvais pas aller plus loin, même si intuitivement j'aurais eu tendance à pronominaliser en en et d'ailleurs, pourquoi une complétive COI ne te plait pas ici ?

Eh bien parce que la construction est directe.
Et ce n'est apparemment pas un fait qui ne concerne que l'AF.

Dans Gardez-vous qu'on ne vous surprenne, comment analyses-tu "vous" et "qu'on vous surprenne" ?
La pronominalisation donnerait certes Gardez-vous en, mais cela implique-t-il que la complétive soit COI ?

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

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Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Si on pose la question on aura donc : Je dois me garder quoi? réponse : qu'on ne vous surprenne.
J'aurais plutôt posé : je dois me garder de quoi?
Mais mon AF est bien loin...

Avec nos pensées nous créons le monde. Bouddha

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Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Oui, mais ce n'est plus un problème d'ancien français, la dernière phrase que j'ai écrite est une phrase classique, tirée d'un ouvrage cité par Ek@t (message 67).

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Lévine a écrit:

Dans Gardez-vous qu'on ne vous surprenne, comment analyses-tu "vous" et "qu'on vous surprenne" ?
La pronominalisation donnerait certes Gardez-vous en, mais cela implique-t-il que la complétive soit COI ?

En et y sont de pronoms neutres, à la croisée du syntaxique (ce sont des anaphoriques) et du sémantique (on serine aux élèves que leur antécédent doit être un inanimé). Ce qui leur permet de reprendre  des termes autres que les substantifs, par exemple les complétives.

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

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Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Lévine a écrit:

Oui, mais ce n'est plus un problème d'ancien français, la dernière phrase que j'ai écrite est une phrase classique, tirée d'un ouvrage cité par Ek@t (message 67).

Excusez mon étourderie.
Alors, plus de doute, la complétive est COi.

Avec nos pensées nous créons le monde. Bouddha

83

Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Un COI à construction directe ? On dirait une aporie socratique (soit dit amicalement) ! lol

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Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Lévine a écrit:

Un COI à construction directe ? On dirait une aporie socratique (soit dit amicalement) ! lol

Avec les complétives les constructions peuvent être directes même si elles introduisent un COI (cf. mon exemple supra se rappeler / se souvenir) ; souvent (ou parfois ?), on peut restituer la préposition (précédée ou non de ce).
Avec un exemple syntaxiquement proche de « ton » cas et sémantiquement synonyme :
Prendre garde que ou Prendre garde à ce que (du moins en français contemporain).

[La pronominalisation donnerait certes Gardez-vous en, mais cela implique-t-il que la complétive soit COI ?

Ben oui. Si la pronominalisation se fait en en (ou en y), c’est que la complétive est COI (je répète que cela fonctionne pour le français contemporain, pour ce qui est de l’AF comme je ne connais ni le système de construction des verbes, ni le système de pronominalisation, je ne peux conclure).
Le cas échéant, pour savoir si la complétive est directe ou indirecte, on peut aussi se référer à la construction du verbe suivi non plus d’une complétive, mais d’un SN.

85

Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

D'accord, merci encore.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Ek@t a écrit:
florentissime a écrit:

Ce n'est en effet pas différent, puisque, là encore, l'objet de la découpe, ce fut bien Louis XVI, et non pas sa tête, laquelle finit l'action toute entière.

Si pour le voleur, sa main est bien coupée de son bras, au sens propre, dans l'autre cas, la parole n'est coupée que dans un sens figuré

Ah ! pour le voleur, la main est coupée de son bras, mais pour Louis XVI la tête n’est pas coupée de son corps ?
Et quid de par exemple Je lui coupe sa viande (lui = mon enfant), où l’objet coupé n’est plus une partie du bénéficiaire ?

Cela dit, je reportais une différence entre « couper la main » et « couper la parole ».
De fait, dans la définition du cnrtl, la première est au paragraphe I.A (détacher une partie de son tout); la seconde au paragraphe B.3 (interrompre un flux).

florentissime a écrit:

Prenons une véritable convolution à 3 termes, pour bien sentir la différence

Ek@t a écrit:

Je ne connais pas cette notion de convolution, je connais en revanche celle de valence.

J'avais introduit ce terme dans un ancien sujet où je tentais de classifier les énoncés.
Voyez à http://www.languefrancaise.net/forum/vi … p?id=13294
En gros, le terme caractérise un verbe avec une valence supérieure ou égale à 2.
J'avais distingué 4 genres de prédicat :
Prédicat d'existence -> Je suis; Il existe un problème.
Prédicat de situation -> J'étais kiné au jeux Olympiques à Tokyo en 2008 pour l'équipe de France (situation sociale, évènementielle, spatiale et temporelle du sujet)
Prédicat d'évolution -> Je mange, je cours, je fais mes devoirs (évolution autonome du sujet)
Prédicat de convolution :
-> convolution bipartite : Je mange une pomme.
-> convolution tripartite : Je donne une cadeau à ma mère.
-> convolution quadripartite : J'ai peint une toile de ce paysage à la gouache.

La convolution est caractérisée lorsque plusieurs thèmes sont liés par l'action portée par le verbe.

Cette classification recoupe globalement celle de valence, sauf quelques cas.

Ek@t a écrit:

Dans Couper quelque chose à quelqu’un, le verbe est de valence trois, avec :
Un agent qui accomplit le procès = celui qui coupe.
Un patient qui subit le procès =  ce qui est coupé.
Un bénéficiaire qui est affecté / visé par le procès = celui à / pour qui le x est coupé.

Selon moi, la valence est de trois et la pronominalisation du bénéficiaire comme celle du patient possible, aussi bien quand il s’agit de couper la parole qu’un objet concret.

La valence me semble plutôt être déterminée selon des critères morphologiques, par conséquent je trouverais quelque peu paradoxal de recourir à des arguments sémantiques pour la définir.

D'ailleurs, il me semblerait extrêmement délicat de définir « Louis XVI » comme étant le bénéficiaire de la découpe.

Comme il faut écrit par ailleurs, il s'agirait plutôt ici d'un « datif de possession ».
De fait, on peut écrire :
- Louis XVI eut la tête coupée.
- Les voleurs eurent la main coupée.
Mais pas :
- * Ma mère eut un cadeau donné.

Ek@t a écrit:

Si on prend Casser sa pipe syntagme libre, je vois deux actants, et la pronominalisation de pipe possible,
Mon grand-père a cassé sa pipe (= a brisé sa bouffarde).
> Il l'a cassée.

a contrario pour la locution figée / figurée, je vois un actant seulement (nulle pipe n’est présente dans le procès mourir) et une pronominalisation de pipe impossible (hors énoncé comique ou autre « déviance » stylistique).
Mon grand-père a cassé sa pipe (= est mort).
> *Il l'a cassée.

Pour ce qui est de « Pierre coupa la parole à Paul »,
-> * Pierre la coupa à Paul
Je trouve que la pronominalisation donne un effet comique.

Ek@t a écrit:
florentissime a écrit:

(par exemple : j'ai choisi le départ / j'ai choisi de partir -> ici : « le départ » serait-il COD, tandis que « partir » serait-il COI ?  « le départ » et « partir » seraient-ils en rapport différent avec moi ?)

Ici, de n’est pas une préposition, mais un marqueur d’infinitif.

Et de partir est COD (on choisit quelque chose et non pas de quelque chose), ainsi que le montre la pronominalisation en le :
J’ai choisi de partir > Je l’ai choisi.

En revanche, dans J’ai besoin de partir, de est une préposition et introduit en effet un COI, ainsi que le montre la pronominalisation en en :
J’ai besoin de partir > J’en ai besoin.

Il faudra m'expliquer comment ce qui est « positionavant » un terme n'est pas une préposition... Ne nous laissons pas berner par des mots. Disons simplement, qu'avec certains verbes, l'infinitif complément doit être introduit par une préposition, lequel ne joue d'ailleurs aucun rôle dans une éventuelle pronominalisation ultérieure.

Autrement dit : les marqueurs prépositionnels des compléments d'un verbe lui sont propres et peuvent dépendre de la classe syntaxique dudit complément.

Avec cette assertion, je caractérise aussi bien
J'ai choisi le départ (nom : direct)
J'ai choisi de partir (infinitif : avec préposition)
Je l'ai choisi (pronom : direct)
J'ai donné un cadeau à ma mère (nom : avec préposition)
Je lui ai donné un cadeau (pronom : direct)

Il reste que le caractère atone ou tonique d'un pronom reflètera la manière dont sera introduite un nom (atone - direct; tonique - indirect).

Quant à « j'ai besoin de ... », on peut très bien prendre le complément exprimant le besoin comme un complément du nom « besoin », ce qui rend logique l'utilisation du pronom « en ».

Pour en revenir à ce concept de « convolution », j'avais distingué 5 cas :
La convolution destructive : l'objet perd l'existence.
-> j'ai mangé une pomme : Pomme est un complément d'objet détruit.
La convolution constructive ou productive : l'objet gagne l'existence
-> j'ai construit une maison : maison est un complément d'objet produit,
La convolution conductive : L'objet, qui conserve l'existence, est simplement déplacé vers un autre terme de la convolution -> J'ai fait un cadeau à ma mère. « un cadeau » est complément d'objet conduit / « ma mère » est complément d'objet accru.
La convolution reproductive ou traductive : Un objet, qui gagne l'existence, est produit selon une existence qui se conserve -> J'ai peint un tableau de cette rue; « un tableau » est complément d'objet produit. « cette rue », complément d'objet reproduit.
La convolution déductive : Un objet, qui gagne l'existence, est déduit d'une second objet qui s'en trouve réduit
-> On a coupé la tête de Louis XVI : « la tête », objet déduit. « Louis XVI », objet réduit.

L'idée avec ces 5 cas est de catégoriser les diverses évolutions possibles du monde existant. Peut-être y en-a-t-il d'autres ?

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Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Merci pour les infos sur la convolution.

88

Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

florentissime wrote

Pour ce qui est de « Pierre coupa la parole à Paul »,
-> * Pierre la coupa à Paul
Je trouve que la pronominalisation donne un effet comique.

En effet.

Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Ça dépend du contexte.
Pierre coupa la parole à Paul qui l'avait lui-même coupée à Jules.

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Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Ils se coupèrent la parole l'un à l'autre.

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Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

Ils se la coupèrent l'un à l'autre. lol

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

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Re : Un verbe peut-il avoir deux compléments d'objet directs?

florentissime wrote

Pour ce qui est de « Pierre coupa la parole à Paul »,
-> * Pierre la coupa à Paul
Je trouve que la pronominalisation donne un effet comique.

Parce que cette phrase renvoie à l'expression familière : couper la chique à quelqu'un > la lui couper

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