Nils a écrit:Je ne comprends pas de quelle sorte de punition qu'il s'agit dans la phrase suivante: "... Voltaire apprend que le Parlement a condamné au pilori et au feu ses Lettres subversives..." (Bordas, Paris: 1984)
Je sais ce que c'est qu'un pilori, mais à quoi servirait-il d'y mettre un livre? Est-ce que c'est un sens figuré? En quoi consistait alors ce châtiment? De la censure, de l'incinération des livres? De mettre Voltaire à la pilori et de faire brûler ses Lettres?
P'tit prof a écrit:Ce n'est pas un sens figuré : le livre était exposé sur le pilori, afin que tout le monde le voie, même ceux qui ne savaient pas lire. Puis, toujours en public, le bourreau le brûlait.
L'Émile de Rousseau connut le même sort... sur dénonciation de Voltaire !
Bonjour Nils. Malheureusement, l'explication de P'tit Prof est vraisemblablement controuvée. Je ne crois pas qu'il y ait eu à l'époque des Lumières d'exposition de livre au pilori, si tant est qu'il y en ait eu avant cette époque.
La phrase que vous avez lue est probablement une coquille pour "mettre au pilon". En fait, à cette époque, les condamnations du Parlement portant sur des livres indiquaient le plus souvent que les livres devaient être lacérés et brulés.
C'est le cas de l'arrêt du Parlement pour les Lettres philosophiques de Voltaire :
ARRÊT DE LA COUR DU PARLEMENT, QUI ORDONNE QU’UN LIVRE INTITULÉ « LETTRES PHILOSOPHIQUES » PAR MONSIEUR DE VOLTAIRE, À AMSTERDAM, CHEZ E. LUCAS, AU LIVRE D’OR, MDCC XXXIV, CONTENANT VINGT-CINQ LETTRES SUR DIFFERENTS SUJETS, SERA LACÉRÉ ET BRÛLÉ PAR L’EXECUTEUR DE LA HAUTE JUSTICE.
[...]
LA COUR a arrêté et ordonné que ledit livre sera lacéré et brûlé dans la cour du palais, au pied du grand escalier d’icelui, par l’exécuteur de la haute justice, comme scandaleux, contraire à la religion, aux bonnes mœurs et au respect dû aux puissances
[...]
Et ledit jour, 10 Juin 1734, onze heures du matin, à la levée de la cour, en exécution du susdit arrêt, le livre, y mentionné, a été lacéré et jeté au feu par l’exécuteur de la haute justice, en présence de nous, Marie-Dagobert Isabeau, l’un des trois premiers et principaux commis pour la grand’chambre, assisté de deux huissiers de ladite cour.
http://www.monsieurdevoltaire.com/pages … 05964.html
Pour ce qui est de l'Émile de Rousseau, il fut effectivement condamné au même sort, c'est-à-dire lacération et feu, par un arrêt de la Cour du Parlement de 1762 qu'on peut lire intégralement ici :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8601472q/f1.image
Quant à la prétendue dénonciation de l'Émile de Rousseau par Voltaire, elle ne concerne pas l'arrêt de la Cour du Parlement de Paris, mais, selon les soupçons de Rousseau, les suites données dans cette affaire par le Conseil de Genève. Il semble que Rousseau, avec sa maladie de la persécution, ait tout à fait exagéré les soupçons.
Il est donc bien établi que la persécution du parlement rendait Rousseau inviolable et sacré à Voltaire, qui écrivait quelque temps après, avec l'accent de la sincérité, à M. Lullin, secrétaire d'État de Genève: «Je ne suis point ami de M. Rousseau, je dis hautement ce que je pense sur le bien et sur le mal de ses ouvrages; mais, si j'avais fait le plus petit tort à sa personne, si j'avais servi à opprimer un homme de lettres, je me croirais trop coupable.» (5 juillet 1766) Encore une fois, il est impossible d'admettre la fable d'après laquelle Voltaire aurait été l'instigateur des sévérités du Conseil de Genève, et Voltaire calomnié a cette fois raison de s'écrier: «Rousseau est un grand fou et un bien méchant fou, d'avoir voulu faire accroire que j'avais assez de crédit pour le persécuter, et que j'avais abusé de ce prétendu crédit. Il s'est imaginé, ajoute-t-il, que je devais lui faire du mal, parce qu'il avait voulu m'en faire, et peut-être parce qu'il lui était revenu que je trouvais son Héloïse pitoyable, son Contrat social très insocial, et que je n'estimais que son Vicaire savoyard dans son Émile: il n'en faut pas davantage dans un auteur pour être attaqué d'un violent accès de rage.» (24 janvier 1766)
http://agora.qc.ca/documents/rousseau-- … marie_caro