Et le personnage en question ne prétend pas parler la langue de la Sorbonne. Puisqu'on en cause, je viens donc d'apprendre, moi, en plus de l'enthymème, que tous les sorbonnards se seraient entendus entre confrères et compères pour ajouter un h aspiré, hier encore porté disparu, à tous les mots de la langue française commençant par une voyelle. De là à ce que que les mêmes s'entendent cette fois comme larrons en foire pour ne plus prononcer désormais que les zaricots, il n’y a pas loin.
Chers VH et P'tit prof, puis-je me permettre de vous demander comment vous chantez il_était_un petit navire ? En ce qui me concerne, tel que je l'ai toujours entendu, le t est bien sur la même note que le un et non sur celle du <tait> de était. Même chose juste avant pour le l de il, prononcé sur la note de du <é> de était.
Dans une liaison, la consonne qui en fait l’objet n’est pas prononcée avec le mot qu’elle termine, mais avec la première syllabe du mot qui suit : la liaison est aux antipodes de la prononciation prétendue, en grande partie disparue, de toutes les consonnes finales, ou de toutes les consonnes en général, car je ne suis pas sûr que ce point soit clair :
Prenons l’exemple du temps, écrit sous cette graphie une fois au Xe siècle, puis sous les graphies tiemps, tens, tans, tems, relancé sous la graphie temps par ce latiniste de Rabelais, en 1532, suivi par Ronsard. Comment prononçait-on temps au Xe siècle, bien évidemment personne ne le sait et ce serait déjà très bien de retrouver comment Rabelais le prononçait. Comme Ronsard, peut-être, et peut-être comme nous, si on peut le déduire des vers de Ronsard cités par le Godefroy (le lien que j'ai mis sur tens) :
La rose à la parfin devient un gratecu
Et tout avecq le temps par le temps est vaincu.
Seules les première et dernière lettres, t et s, sont communes à toutes les graphies. Il pourrait sembler qu'on ait donc prononcé le s final, mais comme on ne sait pas quand il aurait été amuï, comment en être sûr ? Et comment savoir si on a prononcé ou pas les autres consonnes ?
Prenons l’exemple de être. D’après cette page d'histoire de l'orthographe (fin du B, III), qui est un document précieux et assez synthétique, il aura fallu attendre Voltaire pour orthographier estois en étais. Comme ce <oi> se prononçait depuis longtemps <ai>, on suppose que le s avant le t était lui aussi tombé dans la prononciation depuis longtemps. Mais nous restons apparemment dans l'ignorance absolue concernant la prononciation du s final. Alors ce consensus pour affirmer qu'antérieurement aux liaisons toutes les consonnes finales étaient prononcées, d'où vous vient-il ? De la Sorbonne ? Mais la Sorbonne, si fière d'arborer sa devise anglaise aux temps où il n'eût pas fallu - elle a appris depuis à en être moins fière, puisque l'information, comme bien d'autres, semble introuvable sur la toile -, décrète ce qu'elle veut, la conséquence en est que ça ne vaut rien. Un exemple (c'est moi qui souligne) ?
La primauté de l'oral, c'est de ne plus faire que quelques liaisons. Comme le signale v.h. les liaisons datent du temps où l'on faisait sonner les consonnes finales dans la prononciation. Ces finales amuïes les liaisons ne se font plus, c'est tout.
Prenons le cas, magistral, de il : devant une consonne ou en fin de phrase, nous prononçons toujours le l final, quoique l'amuïssement fût tenté par des zélés, non d'une façon naturelle à la langue (le IV de la page mise en lien plus haut) :
Au XVIIème siècle, on réintroduit des consonnes finales, mais de manière assez anarchique ; il y aura un bon usage, différent de l'usage populaire, et avec des contradictions. [...] On recommandait aussi de dire i faut pour il faut (Milleran, grammairien, fin XVIIème).
En revanche devant une voyelle, comme nous l'avons vu sur l'air du petit navire, au titre de la liaison la prononciation de l passe comme première lettre de la première syllabe du mot suivant. Les deux phénomènes, la prononciation de la consonne finale et la liaison, cohabitent parfaitement.
J'en viens maintenant à cette page du site chantez-vous français, encore plus précieuse mais qui va dans le détail et qui demanderait plusieurs jours pour être dépouillée. Le site lui-même dans sa préface se voulait au départ une simple page et se voit être devenu au fil des ans un vrai traité. Si l'on est pressé on gagne à consulter directement le tableau 6 - Consonnes finales – Résumé synoptique et diachronique, tout en bas du document.
L’ère des scribes
[…]
Dès la seconde moitié du XIIe siècle, cependant, on trouve des graphies isolées qui peuvent attester la chute de certaines consonnes finales : estrei pour estreit, chaiti pour chaitif, troi, foi pour trois, fois, menestre pour menestrel. Indépendantes du contexte, et complètement noyées par les graphies conservatrices, elles témoignent simplement d’une tendance générale à l’amuïssement, sur fond d’un « bon usage » qui réclame le maintien, au moins dans la graphie, de toutes les consonnes finales.[…]
Les consonnes finales à la pause
[…]
Les consonnes finales ont, au XIIIe siècle, en bonne partie cessé de se prononcer à la pause dans la conversation ordinaire de personnes qui disposent d’une culture suffisante pour composer, déclamer, chanter de telles pièces. Autrement dit, leur absence, en particulier de la diction poétique, n’est pas en elle-même choquante, ce qui ne signifie pas pour autant que leur présence le soit : il est possible que se soit installée à leur égard une forme d’indifférence, ou d’hésitation. […]
Un tour maintenant sur la page liaison en français de Wikipédia (je mets en bleu une partie) (une partie d'une phrase a visiblement été mangée) :
Origine
Jusqu'à une date qu'on peut situer vers le XIIe siècle, de nombreuses consonnes finales étymologiques se prononçaient dans tous les contextes (devant consonne, à la pause et devant voyelle), mais sous forme dévoisée : b final sonnait [p], d final sonnait [t], g final sonnait [k] etc. […]
Le passage du proto-français (qui, pour autant qu'on puisse en juger, n'écrit que des consonnes finales qui se prononcent dans tous les contextes) au français moderne (qui connaît de nombreuses consonnes de liaison) implique une période intermédiaire, qui prend place en gros entre le XIIIe siècle, au cours de laquelle les consonnes finales tombent devant consonne initiale mais se maintiennent dans les autres contextes, à savoir aussi bien à la pause (et donc lorsque le mot concerné est prononcé isolément) que devant voyelle initiale. On parle alors, non pas de liaison, mais de troncation.
Or voilà qu’il aura fallu attendre, si l’on en croit la page liaison du TLFi, 1592 pour qu’un grammairien, Delamothe, traite des liaisons. C’est seulement au XVIIe siècle que beaucoup d’autres grammairiens se saisiront du sujet. Les deux phénomènes, l’amuïssement des consonnes finales et la liaison se suivent à plus de quatre siècles, si encore il y a vraiment eu amuïssement, c’est-à dire si avant le XIIe siècle on prononçait et écrivait bien - ben oui, autrement comment savoir ? - toutes les consonnes finales. Ils ont inévitablement influé l’un sur l’autre, et donc dans les deux sens alors qu’on ne veut en voir qu’un, mais les quatre siècles d’écart achèvent d’interdire de voir le deuxième comme une simple conséquence mécanique du premier. CQFD. Batteux en 1763 vient confirmer (retour sur le site chantez-vous français) :
Le triomphe de la liaison (XVIIe et XVIIIe siècles) [tout à la fin de cette partie] :
[…]
Ces loix faites pour l’union des lettres dans les syllabes & des syllabes dans un mot, se sont portées sur les mots combinés & assortis entr’eux dans une même phrase. La consonne finale se marie volontiers avec la voyelle initiale du mot suivant, & de même la voyelle finale aime à se reposer & à s’appuyer sur la consonne initiale : d’où résulte une chaîne agréable de sons que rien n’arrête, ni ne trouble, ni ne rompt.
La langue françoise a en ce point quelque avantage sur la latine. Celle-ci ayant la plûpart de ses finales en consonnes, comme il est aisé de s’en assurer en parcourant les déclinaisons des noms, & les conjugaisons des verbes, trouve presque à chaque instant des consonnes qui se choquent entre les mots.
La nôtre au contraire faisant, comme la grecque, presque toutes ses terminaisons sur des voyelles, trouve, quand elle le veut, les moyens d’éviter cet inconvénient. Elle a ses e muets qui se trouvent à la fin d’un grand nombre de ses mots, & qui sortent, ou qui rentrent selon le besoin du mot qui suit : c’est-à-dire, qu’il s’unit à la consonne initiale pour être le lien des deux mots, ou qu’il se perd & se plonge dans la voyelle initiale pour éviter l’hiatus. Il y en a plusieurs exemples dans chacune de nos lignes. Et sa prononciation étant très-légère, il fait une liaison fine & subtile, dont l’agrément fait un des mérites de notre langue. Nous n’avons presque point de consonnes finales. La lettre n devient nazale ou demi voyelle devant une consonne ; & devant une voyelle elle reprend quelquefois son articulation palatiale. Les lettres l, x, z, c ne se prononcent point du tout quand l’initiale suivante est consonne : le b, le d, l’f, le k, l’m, le p, le q, ne se trouvent pas communément à la fin de nos mots : & quand ils s’y trouvent, le caractere & le génie aisé de la langue empêchent presque toujours qu’on ne les prononce, à moins qu’il n’y ait après une voyelle ; de sorte qui nous voyons assez rarement consonne contre consonne, & que la voyelle se trouve presque toujours où l’oreille la demande.
Quant à l’écart entre discours public et discours privé cher à certains il faisait déjà fulminer Vaugelas :
Quelle marge pour le discours soutenu ?
Aux XVIIe et XIIIe siècles, les grammairiens sont très attentifs au discours soutenu, le plus souvent pour légitimer ses écarts au discours ordinaire, souvent aussi pour en restreindre le champ. On se souvient du coup de sang de Vaugelas : « comme si les paroles prononcées en public demandoient une autre prononciation, que celle qu’elles ont en particulier, & dans le commerce du monde » s’insurge-t-il à propos de ceux qui font entendre, dans la lecture publique, l’r final des infinitifs précédé d’un e ouvert.
Fille légère ne peut bêcher.