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forum abclf » Écriture et langue française » Proust : le sens d'une phrase extraite de La Recherche

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Messages [ 11 ]

Sujet : Proust : le sens d'une phrase extraite de La Recherche

Voici un passage de A la recherche du temps perdu (A l'ombre des jeunes filles en feurs)
que je trouve particulièrement difficile à comprendre (parmi les milliers de passages de La Recherche qui m'apparaissent comme ardus à comprendre).

Selon vous quelle peut être la signification de la phrase ci-dessous que j'ai mise en gras ?

Le besoin que j’avais de ma grand’mère était grandi par ma crainte de lui
avoir causé une désillusion. Elle devait être découragée, sentir que si je ne supportais pas
cette fatigue c’était à désespérer qu’aucun voyage pût me faire du bien. Je me décidai à rentrer
l’attendre ; le directeur vint lui-même pousser un bouton : et un personnage encore inconnu de moi,
qu’on appelait « lift » (et qui à ce point le plus haut de l’hôtel où serait le lanternon d’une église
normande, était installé comme un photographe derrière son vitrage ou comme un organiste dans
sa chambre), se mit à descendre vers moi avec l’agilité d’un écureuil domestique, industrieux et
captif. Puis en glissant de nouveau le long d’un pilier il m’entraîna à sa suite vers le dôme de la
nef commerciale. À chaque étage, des deux côtés de petits escaliers de communication, se
dépliaient en éventail de sombres galeries, dans lesquelles, portant un traversin, passait une
femme de chambre. J’appliquais à son visage rendu indécis par le crépuscule le masque de mes
rêves les plus passionnés, mais lisais dans son regard tourné vers moi l’horreur de mon néant.

Cependant pour dissiper, au cours de l’interminable ascension, l’angoisse mortelle que
j’éprouvais à traverser en silence le mystère de ce clair-obscur sans poésie, éclairé d’une seule
rangée verticale de verrières que faisait l’unique water-closet de chaque étage, j’adressai la parole
au jeune organiste, artisan de mon voyage et compagnon de ma captivité, lequel continuait à
tirer les registres de son instrument et à pousser les tuyaux. Je m’excusai de tenir autant de place,
de lui donner tellement de peine, et lui demandai si je ne le gênais pas dans l’exercice d’un art à
l’endroit duquel, pour flatter le virtuose, je fis plus que manifester de la curiosité, je confessai
ma prédilection. Mais il ne me répondit pas, soit étonnement de mes paroles, attention à son
travail, souci de l’étiquette, dureté de son ouïe, respect du lieu, crainte du danger, paresse
d’intelligence ou consigne du directeur.

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Re : Proust : le sens d'une phrase extraite de La Recherche

J’appliquais à son visage rendu indécis par le crépuscule le masque de mes
rêves les plus passionnés, mais lisais dans son regard tourné vers moi l’horreur de mon néant.

On voit plus haut que ce personnage du lift jusqu'alors inconnu de lui, stimule son imaginaire et  il le fait photographe en haut d'une église normande, organiste, écureuil glissant le long d'un pilier....
Ces rêves que Proust qualifie de "les plus passionnés", sont favorisés par le clair-obscur qui gomme le vrai visage du lift.
Cependant, Proust ne rencontre en échange qu'un regard vide d'intérêt : il n'existe pas pour son vis à vis.




http://www.normandie-heritage.com/IMG/jpg/Cathedrale_Notre_Dame_Coutances_020.jpg
lanternon d'une église normande


http://www.auvergne-centrefrance.com/decouvertes/patrimoi/roman/cathedrale/cathedrale-5.jpg
Orgues

Avec nos pensées nous créons le monde. Bouddha

Re : Proust : le sens d'une phrase extraite de La Recherche

Merci pour votre explication.

Donc cette phrase se rapporte au "lift".
Moi je pensais, à tort, que cette phrase se rapportait à la "femme de chambre" (l'expression "femme de chambre" précède immédiatement la phrase).

Le mot "lift" pourrait-il être remplacé par "garçon d'ascenseur" ?

Plus généralement, et en gros résumé, faut-il comprendre le passage, dans son entier, comme ceci (ne tenez pas trop compte de la manière maladroite dont je m'exprime) :
Le narrateur et le directeur de l'hôtel sont au rez-de-chaussée de l'hôtel.
Le directeur de l'hôtel, derrière le comptoir d'accueil, appuie sur un bouton pour appeler le lift qui se trouve au dernier étage de l'hôtel.
Celui descend à pied, agilement et rapidement, par l'un des deux "escaliers de communication" jusqu'au rez-de-chaussée.
(Les deux "escaliers de communication" permettent d'accéder à pied aux étages ou de descendre à pied les étages).
Au rez-de-chaussée, entre les deux "escaliers de communication" se trouve un ascenseur (la cage de l'ascenseur est constituée d'une porte et pour les trois autres côtés de grilles en métal qui permettent de voir à l'extérieur de ladite cage).
Le lift amène le narrateur à l'ascenseur.
Le lift n'a pas besoin d'appuyer sur le bouton d'ascenseur du rez-de-chaussée pour faire descendre la cage de l'ascenseur puisque celle-ci se trouve déjà au rez-de-chaussée (il appuie sur ce bouton simplement pour ouvrir la porte de la cage de l'ascenseur).
Le narrateur et le lift entrent dans la cage de l'ascenseur.
Le lift appuie sur le bouton relatif à l'étage où loge le narrateur (et sa grand'mère).
La porte de la cage de l'ascenseur se ferme.
L'ascension commence.
Lors de l'ascension, de la cage de l'ascenseur, par les grilles en métal de ladite cage, le narrateur aperçoit une femme de chambre positionnée sur les marches d'un des deux "escaliers de communication" ou dans un couloir d'un des étages ; le narrateur voit aussi, à chaque étage, la verrière d'un water-closet.
Lors de cette ascension le narrateur applique au visage du lift rendu indécis par le crépuscule le masque de ses rêves les plus passionnés, mais lit dans le regard dudit lift tourné vers lui l’horreur de son néant.

Re : Proust : le sens d'une phrase extraite de La Recherche

Celui descend à pied, agilement et rapidement, par l'un des deux "escaliers de communication" jusqu'au rez-de-chaussée.

Il descend la cage au niveau du rez-de-chaussée, tout bêtement.

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

Re : Proust : le sens d'une phrase extraite de La Recherche

P'tit prof a écrit:

Il descend la cage au niveau du rez-de-chaussée, tout bêtement.

Donc faut-il comprendre le passage ainsi ?

La cage de l'ascenseur se trouve au dernier étage (à ce point le plus haut de l’hôtel où serait le lanternon d’une église
normande
) ; et dans la cage de l'ascenseur il y a le lift (tel un photographe derrière son vitrage, un organiste dans sa chambre... ou un écureuil domestique, industrieux et captif dans sa cage)

Le directeur de l'hôtel et le narrateur sont au rez-de-chaussée de l'hôtel.

Le directeur de l'hôtel appuie sur le bouton d'ascenseur du rez-de-chaussée (le directeur vint lui-même pousser un bouton).
La cage de l'ascenseur, dans laquelle il y a le lift, descend jusqu'au rez-de-chaussée (Le lift se mit à descendre vers moi avec l’agilité d’un écureuil domestique, industrieux et captif.).

Le narrateur entre dans la cage de l'ascenseur.

Le lift appuie sur un bouton, présent dans la cage, pour monter au dernier étage (Puis en glissant de nouveau le long d’un pilier il m’entraîna à sa suite vers le dôme de la nef commerciale.).

Questions complémentaires :

- Le lift peut-il entraîner à sa suite le narrateur vers le dernier étage alors que lui et le narrateur se trouve dans la même cage d'ascenseur (le lift, artisan de mon voyage et compagnon de ma captivité) ?
- en glissant (...) le long d'un pilier : faut-il comprendre que l'ascenseur est très proche d'un pilier qui va du rez-de-chaussée jusqu'au dernier étage ?

Question supplémentaire :

j’adressai la parole au jeune organiste, artisan de mon voyage et compagnon de ma captivité, lequel continuait à tirer les registres de son instrument et à pousser les tuyaux. Je m’excusai de tenir autant de place, de lui donner tellement de peine, et lui demandai si je ne le gênais pas dans l’exercice d’un art à l’endroit duquel, pour flatter le virtuose, je fis plus que manifester de la curiosité, je confessai ma prédilection.

Selon moi, la seule action accomplie par le lift est, au rez-de-chaussée, d'appuyer sur un bouton de la cage pour monter au dernier étage ; durant toute l'ascension le lift est inactif, il ne fait rien.
Alors que faut-il comprendre par : le lift, artisan de mon voyage et compagnon de ma captivité, continuait à tirer les registres de son instrument et à pousser les tuyaux. ?

Re : Proust : le sens d'une phrase extraite de La Recherche

Le directeur de l'hôtel appuie sur le bouton d'ascenseur du rez-de-chaussée

Non le directeur sonne le lift. Obéissant à ce signal le lift descend.

durant toute l'ascension le lift est inactif, il ne fait rien.

Il ne s'agit pas (pas encore) d'un ascenseur électrique mais d'un des premiers modèles :

Dans les tout premiers ascenseurs, un levier devait être actionné ou maintenu appuyé dans le sens "monter" ou "descendre" pour accéder à l'étage désiré. Ce système fut rapidement remplacé par des touches indépendantes pour chaque étage.

Le lift n'est pas inactif, il manœuvre le levier :

lequel continuait à tirer (= levier actionné) les registres de son instrument et à pousser les tuyaux (= maintenu appuyé).

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

7 Dernière modification par vh (29-11-2016 00:58:05)

Re : Proust : le sens d'une phrase extraite de La Recherche

angl. lift : 1851 monte-charge,  ascenseur < to  lift (lever, elever)
(etymonline.com)

angl liftman : homme d'ascenseur
angl liftboy : garçon d'ascenseur

Dans le texte,  l'anglicisme lift (la personne) est  très certainement une apocoque de liftman ou  liftboy.
En anglais, il  serait  trop  ambigu  d'appeler la personne a lift. A ma connaissance, on  ne trouve pas ce sens dans les dictionnaires anglais.

De façon semblable, le franglais hospitalier staff, apocope de staff meeting (réunion de personnel) , est  incompréhensible dans ce contexte par les anglophones.

L'image avec VH est celle de la signature de Victor Hugo sur l' un de ses dessins.

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Re : Proust : le sens d'une phrase extraite de La Recherche

J'ai trouvé cette page :

http://lefoudeproust.fr/2016/04/prenez-lascenseur/


http://lefoudeproust.fr/wp-content/uploads/2016/04/2-Un-ascenseur-300x201.jpg

Avec nos pensées nous créons le monde. Bouddha

Re : Proust : le sens d'une phrase extraite de La Recherche

Bravo et merci, Ylou, pour ce lien !
Cependant, la photo du liftier actionnant son levier illustrerait encore mieux le passage.

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

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Re : Proust : le sens d'une phrase extraite de La Recherche

Tout ça n’vaut pas l’paternoster.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Paternoster

Nomina si nescis, perit cognitio rerum. Edward Coke

11 Dernière modification par vh (29-11-2016 15:11:52)

Re : Proust : le sens d'une phrase extraite de La Recherche

Merci  Ptit' Prof.

liftier ...
Étymol. et Hist. 1918 (Proust, J. filles en fleurs, p. 767), à côté des formes lift (Proust, J. filles en fleurs, p. 665) et liftman (Proust., J. filles en fleurs, p. 714). Dér. de lift* (suff. -ier*) comme adaptation de l'angl. lift-boy « garçon d'ascenseur » (1904 ds NED Suppl.).

Source : http://www.cnrtl.fr/definition/liftier

L'image avec VH est celle de la signature de Victor Hugo sur l' un de ses dessins.

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