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forum abclf » Parler pour ne rien dire » Quelques poèmes remarquables...

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Messages [ 34 ]

Sujet : Quelques poèmes remarquables...

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OPHÉLIE / Arthur Rimbaud


Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles...
- On entend dans les bois lointains des hallalis.

Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir.
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir.

Le vent baise ses seins et déploie en corolle
Ses grands voiles bercés mollement par les eaux ;
Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,
Sur son grand front rêveur s'inclinent les roseaux.

Les nénuphars froissés soupirent autour d'elle ;
Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid, d'où s'échappe un petit frisson d'aile :
- Un chant mystérieux tombe des astres d'or.


II

Ô pâle Ophélia ! belle comme la neige !
Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté !
- C'est que les vents tombant des grands monts de Norwège
T'avaient parlé tout bas de l'âpre liberté ;

C'est qu'un souffle, tordant ta grande chevelure,
A ton esprit rêveur portait d'étranges bruits ;
Que ton coeur écoutait le chant de la Nature
Dans les plaintes de l'arbre et les soupirs des nuits ;

C'est que la voix des mers folles, immense râle,
Brisait ton sein d'enfant, trop humain et trop doux ;
C'est qu'un matin d'avril, un beau cavalier pâle,
Un pauvre fou, s'assit muet à tes genoux !

Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre Folle !
Tu te fondais à lui comme une neige au feu :
Tes grandes visions étranglaient ta parole
- Et l'Infini terrible effara ton oeil bleu !


III

- Et le Poète dit qu'aux rayons des étoiles
Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis ;
Et qu'il a vu sur l'eau, couchée en ses longs voiles,
La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.


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Alexandre Cabanel

« Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles, la blanche Ophélia flotte comme un grand lis »

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Re : Quelques poèmes remarquables...

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LE CYGNE  /  Sully Prudhomme


Sans bruit, sous le miroir des lacs profonds et calmes,
Le cygne chasse l'onde avec ses larges palmes,
Et glisse. Le duvet de ses flancs est pareil
A des neiges d'avril qui croulent au soleil ;
Mais, ferme et d'un blanc mat, vibrant sous le zéphire,
Sa grande aile l'entraîne ainsi qu'un blanc navire.
Il dresse son beau col au-dessus des roseaux,
Le plonge, le promène allongé sur les eaux,
Le courbe gracieux comme un profil d'acanthe,
Et cache son bec noir dans sa gorge éclatante.

Tantôt le long des pins, séjour d'ombre et de paix,
Il serpente, et, laissant les herbages épais
Traîner derrière lui comme une chevelure,
Il va d'une tardive et languissante allure.
La grotte où le poète écoute ce qu'il sent,
Et la source qui pleure un éternel absent,
Lui plaisent ; il y rôde ; une feuille de saule
En silence tombée effleure son épaule.
Tantôt il pousse au large, et, loin du bois obscur,
Superbe, gouvernant du côté de l'azur,
Il choisit, pour fêter sa blancheur qu'il admire,
La place éblouissante où le soleil se mire.

Puis, quand les bords de l'eau ne se distinguent plus,
A l'heure où toute forme est un spectre confus,
Où l'horizon brunit rayé d'un long trait rouge,
Alors que pas un jonc, pas un glaïeul ne bouge,
Que les rainettes font dans l'air serein leur bruit,
Et que la luciole au clair de lune luit,
L'oiseau, dans le lac sombre où sous lui se reflète
La splendeur d'une nuit lactée et violette,
Comme un vase d'argent parmi des diamants,
Dort, la tête sous l'aile, entre deux firmaments.


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« Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles, la blanche Ophélia flotte comme un grand lis »

Re : Quelques poèmes remarquables...

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LES CONQUÉRANTS  /  Hérédia


Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal,
Fatigués de porter leurs misères hautaines,
De Palos de Moguer, routiers et capitaines
Partaient, ivres d'un rêve héroïque et brutal.

Ils allaient conquérir le fabuleux métal
Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines,
Et les vents alizés inclinaient leurs antennes
Aux bords mystérieux du monde occidental.

Chaque soir, espérant des lendemains épiques,
L'azur phosphorescent de la mer des Tropiques
Enchantait leur sommeil d'un mirage doré;

Où, penchés à l'avant de blanches caravelles,
Ils regardaient monter en un ciel ignoré
Du fond de l'Océan des étoiles nouvelles.


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(Premier débarquement de Christophe Colomb en Amérique, Dióscoro Puebla, 1862)

"Amo tanto a España porque la conozco" (Gregorio Marañón)

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Re : Quelques poèmes remarquables...

Merci beaucoup d'avoir choisi ce grand poète franco-cubain que j'adore.  smile

Et, heureuse coïncidence, j'avais l'intention de continuer par l'une de mes œuvres préférées de ce même auteur :


LE CHEVRIER


Ô berger, ne suis pas dans cet âpre ravin
Les bonds capricieux de ce bouc indocile ;
Aux pentes du Ménale, ou l'été nous exile,
La nuit monte trop vite et ton espoir est vain.

Restons ici, veux-tu ? J'ai des figues, du vin.
Nous attendrons le jour en ce sauvage asile.
Mais parle bas. Les Dieux sont partout, ô Mnasyle !
Hécate nous regarde avec son oeil divin.

Ce trou d'ombre là-bas est l'antre où se retire
Le Démon familier des hauts lieux, le Satyre ;
Peut-être il sortira, si nous ne l'effrayons.

Entends-tu le pipeau qui chante sur ses lèvres ?
C'est lui ! Sa double corne accroche les rayons,
Et, vois, au clair de lune il fait danser mes chèvres !


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Le Lorrain

« Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles, la blanche Ophélia flotte comme un grand lis »

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Re : Quelques poèmes remarquables...

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LA CONSCIENCE  /  Victor Hugo


Lorsque avec ses enfants vêtus de peaux de bêtes,
Echevelé, livide au milieu des tempêtes,
Caïn se fut enfui de devant Jéhovah,
Comme le soir tombait, l'homme sombre arriva
Au bas d'une montagne en une grande plaine ;
Sa femme fatiguée et ses fils hors d'haleine
Lui dirent : « Couchons-nous sur la terre, et dormons. »
Caïn, ne dormant pas, songeait au pied des monts.
Ayant levé la tête, au fond des cieux funèbres,
Il vit un oeil, tout grand ouvert dans les ténèbres,
Et qui le regardait dans l'ombre fixement.

« Je suis trop près », dit-il avec un tremblement.
Il réveilla ses fils dormant, sa femme lasse,
Et se remit à fuir sinistre dans l'espace.
Il marcha trente jours, il marcha trente nuits.
Il allait, muet, pâle et frémissant aux bruits,
Furtif, sans regarder derrière lui, sans trêve,
Sans repos, sans sommeil; il atteignit la grève
Des mers dans le pays qui fut depuis Assur.
« Arrêtons-nous, dit-il, car cet asile est sûr.
Restons-y. Nous avons du monde atteint les bornes. »
Et, comme il s'asseyait, il vit dans les cieux mornes
L'oeil à la même place au fond de l'horizon.

Alors il tressaillit en proie au noir frisson.
« Cachez-moi ! » cria-t-il; et, le doigt sur la bouche,
Tous ses fils regardaient trembler l'aïeul farouche.
Caïn dit à Jabel, père de ceux qui vont
Sous des tentes de poil dans le désert profond :
« Etends de ce côté la toile de la tente. »
Et l'on développa la muraille flottante ;
Et, quand on l'eut fixée avec des poids de plomb :
« Vous ne voyez plus rien ? » dit Tsilla, l'enfant blond,
La fille de ses Fils, douce comme l'aurore ;
Et Caïn répondit : « je vois cet oeil encore ! »

Jubal, père de ceux qui passent dans les bourgs
Soufflant dans des clairons et frappant des tambours,
Cria : « je saurai bien construire une barrière. »
Il fit un mur de bronze et mit Caïn derrière.
Et Caïn dit « Cet oeil me regarde toujours! »
Hénoch dit : « Il faut faire une enceinte de tours
Si terrible, que rien ne puisse approcher d'elle.
Bâtissons une ville avec sa citadelle,
Bâtissons une ville, et nous la fermerons. »

Alors Tubalcaïn, père des forgerons,
Construisit une ville énorme et surhumaine.
Pendant qu'il travaillait, ses frères, dans la plaine,
Chassaient les fils d'Enos et les enfants de Seth ;
Et l'on crevait les yeux à quiconque passait ;
Et, le soir, on lançait des flèches aux étoiles.
Le granit remplaça la tente aux murs de toiles,
On lia chaque bloc avec des noeuds de fer,
Et la ville semblait une ville d'enfer.

L'ombre des tours faisait la nuit dans les campagnes ;
Ils donnèrent aux murs l'épaisseur des montagnes ;
Sur la porte on grava : « Défense à Dieu d'entrer. »
Quand ils eurent fini de clore et de murer,
On mit l'aïeul au centre en une tour de pierre ;
Et lui restait lugubre et hagard. « Ô mon père !
L'oeil a-t-il disparu ? » dit en tremblant Tsilla.
Et Caïn répondit : " Non, il est toujours là. »

Alors il dit: « je veux habiter sous la terre
Comme dans son sépulcre un homme solitaire ;
Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien. »
On fit donc une fosse, et Caïn dit « C'est bien ! »
Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l'ombre
Et qu'on eut sur son front fermé le souterrain,
L'oeil était dans la tombe et regardait Caïn.


La Légende des Siècles



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François-Nicolas Chifflart

« Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles, la blanche Ophélia flotte comme un grand lis »

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Re : Quelques poèmes remarquables...

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AUX AMIS INCONNUS  /  Sully Prudhomme


Ces vers, je les dédie aux amis inconnus,
A vous, les étrangers en qui je sens des proches,
Rivaux de ceux que j’aime et qui m’aiment le plus,
Frères envers qui seuls mon coeur est sans reproches
Et dont les coeurs au mien sont librement venus.

Comme on voit les ramiers sevrés de leurs volières
Rapporter sans faillir, par les cieux infinis,
Un cher message aux mains qui leur sont familières,
Nos poèmes parfois nous reviennent bénis,
Chauds d’un accueil lointain d’âmes hospitalières.

Et quel triomphe alors ! Quelle félicité
Orgueilleuse, mais tendre et pure, nous inonde,
Quand répond à nos voix leur écho suscité,
Par delà le vulgaire, en l’invisible monde
Où les fiers et les doux se sont fait leur cité !

Et nous la méritons, cette ivresse suprême,
Car si l’humanité tolère encor nos chants,
C’est que notre élégie est son propre poème,
Et que seuls nous savons, sur des rythmes touchants,
En lui parlant de nous lui parler d’elle-même.

Parfois un vers, complice intime, vient rouvrir
Quelque plaie où le feu désire qu’on l’attise ;
Parfois un mot, le nom de ce qui fait souffrir,
Tombe comme une larme à la place précise
Où le coeur méconnu l’attendait pour guérir.

Peut-être un de mes vers est-il venu vous rendre
Dans un éclair brûlant vos chagrins tout entiers,
Ou, par le seul vrai mot qui se faisait attendre,
Vous ai-je dit le nom de ce que vous sentiez,
Sans vous nommer les yeux où j’avais dû l’apprendre.

Vous qui n’aurez cherché dans mon propre tourment
Que la sainte beauté de la douleur humaine,
Qui, pour la profondeur de mes soupirs m’aimant,
Sans avoir à descendre où j’ai conçu ma peine,
Les aurez entendus dans le ciel seulement ;

Vous qui m’aurez donné le pardon sans le blâme,
N’ayant connu mes torts que par mon repentir,
Mes terrestres amours que par leur pure flamme,
Pour qui je me fais juste et noble sans mentir,
Dans un rêve où la vie est plus conforme à l’âme !

Chers passants, ne prenez de moi-même qu’un peu,
Le peu qui vous a plu parce qu’il vous ressemble ;
Mais de nous rencontrer ne formons point le voeu :
Le vrai de l’amitié, c’est de sentir ensemble ;
Le reste en est fragile, épargnons-nous l’adieu.


Les vaines tendresses.


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« Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles, la blanche Ophélia flotte comme un grand lis »

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Re : Quelques poèmes remarquables...

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LE DESESPOIR  /  Alphonse de Lamartine


Lorsque du Créateur la parole féconde,
Dans une heure fatale, eut enfanté le monde
Des germes du chaos,
De son oeuvre imparfaite il détourna sa face,
Et d'un pied dédaigneux le lançant dans l'espace,
Rentra dans son repos.

Va, dit-il, je te livre à ta propre misère ;
Trop indigne à mes yeux d'amour ou de colère,
Tu n'es rien devant moi.
Roule au gré du hasard dans les déserts du vide ;
Qu'à jamais loin de moi le destin soit ton guide,
Et le Malheur ton roi.

Il dit. Comme un vautour qui plonge sur sa proie,
Le Malheur, à ces mots, pousse, en signe de joie,
Un long gémissement ;
Et pressant l'univers dans sa serre cruelle,
Embrasse pour jamais de sa rage éternelle
L'éternel aliment.

Le mal dès lors régna dans son immense empire ;
Dès lors tout ce qui pense et tout ce qui respire
Commença de souffrir ;
Et la terre, et le ciel, et l'âme, et la matière,
Tout gémit : et la voix de la nature entière
Ne fut qu'un long soupir.

Levez donc vos regards vers les célestes plaines,
Cherchez Dieu dans son oeuvre, invoquez dans vos peines
Ce grand consolateur,
Malheureux ! sa bonté de son oeuvre est absente,
Vous cherchez votre appui ? l'univers vous présente
Votre persécuteur.

De quel nom te nommer, ô fatale puissance ?
Qu'on t'appelle destin, nature, providence,
Inconcevable loi !
Qu'on tremble sous ta main, ou bien qu'on la blasphème,
Soumis ou révolté, qu'on te craigne ou qu'on t'aime,
Toujours, c'est toujours toi !

Hélas ! ainsi que vous j'invoquai l'espérance ;
Mon esprit abusé but avec complaisance
Son philtre empoisonneur ;
C'est elle qui, poussant nos pas dans les abîmes,
De festons et de fleurs couronne les victimes
Qu'elle livre au Malheur.

Si du moins au hasard il décimait les hommes,
Ou si sa main tombait sur tous tant que nous sommes
Avec d'égales lois ?
Mais les siècles ont vu les âmes magnanimes,
La beauté, le génie, ou les vertus sublimes,
Victimes de son choix.

Tel, quand des dieux de sang voulaient en sacrifices
Des troupeaux innocents les sanglantes prémices,
Dans leurs temples cruels,
De cent taureaux choisis on formait l'hécatombe,
Et l'agneau sans souillure, ou la blanche colombe
Engraissaient leurs autels.

Créateur, Tout-Puissant, principe de tout être !
Toi pour qui le possible existe avant de naître :
Roi de l'immensité,
Tu pouvais cependant, au gré de ton envie,
Puiser pour tes enfants le bonheur et la vie
Dans ton éternité ?

Sans t'épuiser jamais, sur toute la nature
Tu pouvais à longs flots répandre sans mesure
Un bonheur absolu.
L'espace, le pouvoir, le temps, rien ne te coûte.
Ah! ma raison frémit ; tu le pouvais sans doute,
Tu ne l'as pas voulu.

Quel crime avons-nous fait pour mériter de naître ?
L'insensible néant t'a-t-il demandé l'être,
Ou l'a-t-il accepté ?
Sommes-nous, ô hasard, l'oeuvre de tes caprices ?
Ou plutôt, Dieu cruel, fallait-il nos supplices
Pour ta félicité ?

Montez donc vers le ciel, montez, encens qu'il aime,
Soupirs, gémissements, larmes, sanglots, blasphème,
Plaisirs, concerts divins !
Cris du sang, voix des morts, plaintes inextinguibles,
Montez, allez frapper les voûtes insensibles
Du palais des destins !

Terre, élève ta voix; cieux, répondez ; abîmes,
Noirs séjours où la mort entasse ses victimes,
Ne formez qu'un soupir.
Qu'une plainte éternelle accuse la nature,
Et que la douleur donne à toute créature
Une voix pour gémir.

Du jour où la nature, au néant arrachée,
S'échappa de tes mains comme une oeuvre ébauchée,
Qu'as-tu vu cependant ?
Aux désordres du mal la matière asservie,
Toute chair gémissant, hélas! et toute vie
Jalouse du néant.

Des éléments rivaux les luttes intestines ;
Le Temps, qui flétrit tout, assis sur les ruines
Qu'entassèrent ses mains,
Attendant sur le seuil tes oeuvres éphémères ;
Et la mort étouffant, dès le sein de leurs mères,
Les germes des humains !

La vertu succombant sous l'audace impunie,
L'imposture en honneur, la vérité bannie ;
L'errante liberté
Aux dieux vivants du monde offerte en sacrifice ;
Et la force, partout, fondant de l'injustice
Le règne illimité.

La valeur sans les dieux décidant des batailles !
Un Caton libre encor déchirant ses entrailles
Sur la foi de Platon !
Un Brutus qui, mourant pour la vertu qu'il aime,
Doute au dernier moment de cette vertu même,
Et dit : Tu n'es qu'un nom !...

La fortune toujours du parti des grands crimes !
Les forfaits couronnés devenus légitimes !
La gloire au prix du sang !
Les enfants héritant l'iniquité des pères !
Et le siècle qui meurt racontant ses misères
Au siècle renaissant !

Eh quoi ! tant de tourments, de forfaits, de supplices,
N'ont-ils pas fait fumer d'assez de sacrifices
Tes lugubres autels ?
Ce soleil, vieux témoin des malheurs de la terre,
Ne fera-t-il pas naître un seul jour qui n'éclaire
L'angoisse des mortels ?

Héritiers des douleurs, victimes de la vie,
Non, non, n'espérez pas que sa rage assouvie
Endorme le Malheur !
Jusqu'à ce que la Mort, ouvrant son aile immense,
Engloutisse à jamais dans l'éternel silence
L'éternelle douleur !


Méditations poétiques



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« Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles, la blanche Ophélia flotte comme un grand lis »

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Re : Quelques poèmes remarquables...

A-t-il été repris dans V pour Vendetta en français ?

Nous sommes libres. Wir sind frei. We are free. Somos libres. Siamo liberi.

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Re : Quelques poèmes remarquables...

Bonjour Shokin.

Non, le poème n'a rien à voir avec le film, même si c'est bien une photo de la belle Natalie Portman.

« Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles, la blanche Ophélia flotte comme un grand lis »

10 Dernière modification par glop (13-12-2012 21:17:21)

Re : Quelques poèmes remarquables...

Chantre

Et l’unique cordeau des trompettes marines

Guillaume  Apollinaire

Nomina si nescis, perit cognitio rerum. Edward Coke

11 Dernière modification par Ysaur (13-12-2012 21:44:00)

Re : Quelques poèmes remarquables...

http://nimga.fr/m/TIysB.jpg


Ce poème monostique, composé d'un seul alexandrin, a bien toute sa place dans les poèmes "remarquables".

Merci Glop.  wink

« Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles, la blanche Ophélia flotte comme un grand lis »

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Re : Quelques poèmes remarquables...

La blanche Ophélie...
http://www.youtube.com/watch?v=RMpkuEV2MKI

" Wer fremde Sprachen nicht kennt, weiß auch nichts von seiner eigenen."   J.W.v.Goethe

13 Dernière modification par Majesté (13-12-2012 23:02:13)

Re : Quelques poèmes remarquables...

L'ÉMIGRANT DE LANDOR ROAD

A André Billy.


Le chapeau à la main il entra du pied droit
Chez un tailleur très chic et fournisseur du roi
Ce commerçant venait de couper quelques têtes
De mannequins vêtus comme il faut qu'on se vête
La foule en tous sens remuait en mêlant
Des ombres sans amour qui se traînaient par terre
Et des mains vers le ciel pleins de lacs de lumière
S'envolaient quelquefois comme des oiseaux blancs
Mon bateau partira demain pour l'Amérique
Et je ne reviendrai jamais
Avec l'argent gardé dans les prairies lyriques
Guider mon ombre aveugle en ces rues que j'aimais
Car revenir c'est bon pour un soldat des Indes
Les boursiers ont vendu tous mes crachats d'or fin
Mais habillé de neuf je veux dormir enfin
Sous des arbres pleins d'oiseaux muets et de singes
Les mannequins pour lui s'étant déshabillés
Battirent leurs habits puis les lui essayèrent
Le vêtement d'un lord mort sans avoir payé
Au rabais l'habilla comme un millionnaire Au dehors les années
Regardaient la vitrine
Les mannequins victimes
Et passaient enchaînées
Intercalées dans l'an c'étaient les journées neuves
Les vendredis sanglants et lents d'enterrements
De blancs et de tout noirs vaincus des cieux qui pleuvent
Quand la femme du diable a battu son amant
Puis dans un port d'automne aux feuilles indécises
Quand les mains de la foule y feuillolaient aussi
Sur le pont du vaisseau il posa sa valise
Et s'assit
Les vents de l'Océan en soufflant leurs menaces
Laissaient dans ses cheveux de longs baisers mouillés
Des émigrants tendaient vers le port leurs mains lasses
Et d'autres en pleurant s'étaient agenouillés
Il regarda longtemps les rives qui moururent
Seuls des bateaux d'enfants tremblaient à l'horizon
Un tout petit bouquet flottant à l'aventure
Couvrit l'Océan d'une immense floraison
Il aurait voulu ce bouquet comme la gloire Jouer dans d'autres mers parmi tous les dauphins
Et l'on tissait dans sa mémoire
Une tapisserie sans fin
Qui figurait son histoire
Mais pour noyer changées en poux
Ces tisseuses têtues qui sans cesse interrogent
Il se maria comme un doge
Aux cris d'une sirène moderne sans époux
Gonfle-toi vers la nuit O Mer Les yeux des squales
Jusqu'à l'aube ont guetté de loin avidement
Des cadavres de jours rongés par les étoiles
Parmi le bruit des flots et des derniers serments

Guillaume Apollinaire

"Omnes stulti omnia tentant." Saint Thomas d'Aquin

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Re : Quelques poèmes remarquables...

regina a écrit:

La blanche Ophélie...
http://www.youtube.com/watch?v=RMpkuEV2MKI


Je connais la magistrale interprétation de l'incomparable Milva, mais pas celle-ci.

Merci beaucoup de me la faire découvrir.  wink

« Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles, la blanche Ophélia flotte comme un grand lis »

15 Dernière modification par Ysaur (15-12-2012 22:15:18)

Re : Quelques poèmes remarquables...

http://nimga.fr/m/Cu8aP.jpg



SILENCE !...  /   Albert Samain


Le silence descend en nous,
Tes yeux mi-voilés sont plus doux ;
Laisse mon coeur sur tes genoux.

Sous ta chevelure épandue
De ta robe un peu descendue
Sort une blanche épaule nue.

La parole a des notes d'or ;
Le silence est plus doux encor,
Quand les coeurs sont pleins jusqu'au bord.

Il est des soirs d'amour subtil,
Des soirs où l'âme, semble-t-il,
Ne tient qu'à peine par un fil...

Il est des heures d'agonie
Où l'on rêve la mort bénie
Au long d'une étreinte infinie.

La lampe douce se consume ;
L'âme des roses nous parfume.
Le Temps bat sa petite enclume.

Oh ! s'en aller sans nul retour,
Oh ! s'en aller avant le jour,
Les mains toutes pleines d'amour !

Oh ! s'en aller sans violence,
S'évanouir sans qu'on y pense
D'une suprême défaillance...

Silence !... Silence !... Silence !...


Au jardin de l'infante


http://nimga.fr/m/V0m6V.jpg
Jean Delville / L'École du silence

« Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles, la blanche Ophélia flotte comme un grand lis »

16 Dernière modification par Argyre (18-12-2012 00:59:57)

Re : Quelques poèmes remarquables...

Ah, ouais ! Sully Prudhomme... voilà de la poésie comme on n'en écrit plus... C'est beau comme du Michel Où est le bec ? tiens !

L'hallucination, la candeur, la fureur, la mémoire, ce Protée lunatique, les veilles histoires, la table et l'encrier, les paysages inconnus, la nuit tourmentée, les souvenirs inopinés, les prophéties de la passion, les conflagrations d'idées, de sentiments, d'objets, la nudité aveugle, les entreprises systématiques à des fins devenant de première utilité, le dérèglement de la logique jusqu'à l'absurde, l'usage de l'absurde jusqu'à l'indomptable raison, c'est cela, et non l'assemblage plus ou moins savant plus ou moins heureux des consonnes, des syllabes, des mots qui contribuent à l'harmonie d'un poème. Il faut parler une pensée musicale qui n'ait que faire des tambours, des violons, des rythmes et des rimes du terrible concert pour oreilles d'ânes.

Paul Eluard.

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Re : Quelques poèmes remarquables...

À  l'approche de Noël...


http://nimga.fr/m/9gWJj.jpg


LE MONT DES OLIVIERS  /  Alfred de Vigny


Alors il était nuit, et Jésus marchait seul,
Vêtu de blanc ainsi qu'un mort de son linceul;
Les disciples dormaient au pied de la colline,
Parmi les oliviers, qu'un vent sinistre incline;
Jésus marche à grands pas en frissonnant comme eux;
Triste jusqu'à la mort, l'œil sombre et ténébreux,
Le front baissé, croisant les deux bras sur sa robe
Comme un voleur de nuit cachant ce qu'il dérobe,
Connaissant les rochers mieux qu'un sentier uni,
Il s'arrête en un lieu nommé Gethsémani.
Il se courbe à genoux, le front contre la terre;
Puis regarde le ciel en appelant : « Mon Père ! »
- Mais le ciel reste noir, et Dieu ne répond pas.
Il se lève étonné, marche encore à grands pas,
Froissant les oliviers qui tremblent. Froide et lente
Découle de sa tête une sueur sanglante.
Il recule, il descend, il crie avec effroi :
« Ne pourriez-vous prier et veiller avec moi ? »
Mais un sommeil de mort accable les apôtres.
Pierre à la voix du maître est sourd comme les autres.
Le Fils de l'Homme alors remonte lentement;
Comme un pasteur d'Égypte, il cherche au firmament
Si l'Ange ne luit pas au fond de quelque étoile.
Mais un nuage en deuil s'étend comme le voile
D'une veuve, et ses plis entourent le désert.
Jésus, se rappelant ce qu'il avait souffert
Depuis trente-trois ans, devint homme, et la crainte
Serra son cœur mortel d'une invincible étreinte.
Il eut froid. Vainement il appela trois fois :
« Mon Père ! » Le vent seul répondit à sa voix.
Il tomba sur le sable assis, et, dans sa peine,
Eut sur le monde et l'homme une pensée humaine.
- Et la terre trembla, sentant la pesanteur
Du Sauveur qui tombait aux pieds du Créateur.

II

Jésus disait : « Ô Père, encor laisse-moi vivre !
Avant le dernier mot ne ferme pas mon livre !
Ne sens-tu pas le monde et tout le genre humain
Qui souffre avec ma chair et frémit dans ta main ?
C'est que la Terre a peur de rester seule et veuve,
Quand meurt celui qui dit une parole neuve,
Et que tu n'as laissé dans son sein desséché
Tomber qu'un mot du ciel par ma bouche épanché.
Mais ce mot est si pur, et sa douceur est telle,
Qu'il a comme enivré la famille mortelle
D'une goutte de vie et de divinité,
Lorsqu'en ouvrant les bras, j'ai dit : « Fraternité ».

« Père, oh ! si j'ai rempli mon douloureux message
Si j'ai caché le Dieu sous la face du sage,
Du sacrifice humain si j'ai changé le prix,
Pour l'offrande des corps recevant les esprits,
Substituant partout aux choses le symbole,
La parole au combat, comme au trésor l'obole,
Aux flots rouges du sang les flots vermeils du vin,
Aux membres de la chair le pain blanc sans levain;
Si j'ai coupé les temps en deux parts, l'une esclave
Et l'autre libre; - au nom du passé que je lave,
Par le sang de mon corps qui souffre et va finir,
Versons-en la moitié pour laver l'avenir !
Père Libérateur ! jette aujourd'hui, d'avance,
La moitié de ce sang d'amour et d'innocence
Sur la tête de ceux qui viendront en disant :
« Il est permis pour tous de tuer l'innocent. »
Nous savons qu'il naîtra, dans le lointain des âges,
Des dominateurs durs escortés de faux sages
Qui troubleront l'esprit de chaque nation
En donnant un faux sens à ma rédemption.
- Hélas ! je parle encor, que déjà ma parole
Est tournée en poison dans chaque parabole;
Éloigne ce calice impur et plus amer
Que le fiel, ou l'absinthe, ou les eaux de la mer.
Les verges qui viendront, la couronne d'épine,
Les clous des mains, la lance au fond de ma poitrine,
Enfin toute la croix qui se dresse et m'attend,
N'ont rien, mon Père, oh ! rien qui m'épouvante autant !
Quand les Dieux veulent bien s'abattre sur les mondes,
Ils n'y doivent laisser que des traces profondes;
Et, si j'ai mis le pied sur ce globe incomplet,
Dont le gémissement sans repos m'appelait,
C'était pour y laisser deux Anges à ma place
De qui la race humaine aurait baisé la trace,
La Certitude heureuse et l'Espoir confiant,
Qui, dans le paradis, marchent en souriant.
Mais je vais la quitter, cette indigente terre,
N'ayant que soulevé ce manteau de misère
Qui l'entoure à grands plis, drap lugubre et fatal,
Que d'un bout tient le Doute et de l'autre le Mal.

« Mal et Doute ! En un mot je puis les mettre en poudre.
Vous les aviez prévus, laissez-moi vous absoudre
De les avoir permis. - C'est l'accusation
Qui pèse de partout sur la création ! -
Sur son tombeau désert faisons monter Lazare.
Du grand secret des morts qu'il ne soit plus avare,
Et de ce qu'il a vu donnons-lui souvenir;
Qu'il parle. - Ce qui dure et ce qui doit finir,
Ce qu'a mis le Seigneur au cœur de la Nature,
Ce qu'elle prend et donne à toute créature,
Quels sont avec le ciel ses muets entretiens,
Son amour ineffable et ses chastes liens;
Comment tout s'y détruit et tout s'y renouvelle,
Pourquoi ce qui s'y cache et ce qui s'y révèle;
Si les astres des cieux tour à tour éprouvés
Sont comme celui-ci coupables et sauvés;
Si la terre est pour eux ou s'ils sont pour la terre;
Ce qu'a de vrai la fable et de clair le mystère,
D'ignorant le savoir et de faux la raison;
Pourquoi l'âme est liée en sa faible prison,
Et pourquoi nul sentier entre deux larges voies,
Entre l'ennui du calme et des paisibles joies
Et la rage sans fin des vagues passions,
Entre la léthargie et les convulsions;
Et pourquoi pend la Mort comme une sombre épée,
Attristant la Nature à tout moment frappée;
Si le juste et le bien, si l'injuste et le mal
Sont de vils accidents en un cercle fatal,
Ou si de l'univers ils sont les deux grands pôles,
Soutenant terre et cieux sur leurs vastes épaules;
Et pourquoi les Esprits du mal sont triomphants
Des maux immérités, de la mort des enfants;
Et si les Nations sont des femmes guidées
Par les étoiles d'or des divines idées,
Ou de folles enfants sans lampes dans la nuit,
Se heurtant et pleurant, et que rien ne conduit;
Et si, lorsque des temps l'horloge périssable
Aura jusqu'au dernier versé ses grains de sable,
Un regard de vos yeux, un cri de votre voix,
Un soupir de mon cœur, un signe de ma croix,
Pourra faire ouvrir l'ongle aux Peines éternelles,
Lâcher leur proie humaine et reployer leurs ailes.
- Tout sera révélé dès que l'homme saura
De quels lieux il arrive et dans quels il ira. »

III

Ainsi le divin Fils parlait au divin Père.
Il se prosterne encore, il attend, il espère,
Mais il renonce et dit : « Que votre volonté
Soit faite et non la mienne, et pour l'éternité ! »
Une terreur profonde, une angoisse infinie
Redoublent sa torture et sa lente agonie.
Il regarde longtemps, longtemps cherche sans voir.
Comme un marbre de deuil tout le ciel était noir;
La Terre, sans clartés, sans astre et sans aurore,
Et sans clartés de l'âme ainsi qu'elle est encore,
Frémissait. - Dans le bois il entendit des pas,
Et puis il vit rôder la torche de Judas.

Le silence

S'il est vrai qu'au Jardin sacré des Écritures,
Le Fils de l'Homme ait dit ce qu'on voit rapporté;
Muet, aveugle et sourd au cri des créatures,
Si le Ciel nous laissa comme un monde avorté,
Le juste opposera le dédain à l'absence,
Et ne répondra plus que par un froid silence
Au silence éternel de la Divinité.


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« Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles, la blanche Ophélia flotte comme un grand lis »

18 Dernière modification par Ysaur (29-12-2012 17:47:22)

Re : Quelques poèmes remarquables...

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LA SOLITUDE  /  Marc-Antoine Girard de Saint-Amant


O que j'ayme la solitude !
Que ces lieux sacrez à la nuit,
Esloignez du monde et du bruit,
Plaisent à mon inquietude !
Mon Dieu ! que mes yeux sont contens
De voir ces bois, qui se trouverent
A la nativité du temps,
Et que tous les siècles reverent,
Estre encore aussi beaux et vers,
Qu'aux premiers jours de l'univers !

Un gay zephire les caresse
D'un mouvement doux et flatteur.
Rien que leur extresme hauteur
Ne fait remarquer leur vieillesse.
Jadis Pan et ses demi-dieux
Y vinrent chercher du refuge,
Quand Jupiter ouvrit les cieux
Pour nous envoyer le deluge,
Et, se sauvans sur leurs rameaux,
A peine virent-ils les eaux.

Que sur cette espine fleurie
Dont le printemps est amoureux,
Philomele, au chant langoureux,
Entretient bien ma resverie!
Que je prens de plaisir à voir
Ces monts pendans en precipices,
Qui, pour les coups du desespoir,
Sont aux malheureux si propices,
Quand la cruauté de leur sort,
Les force a rechercher la mort !

Que je trouve doux le ravage
De ces fiers torrens vagabonds,
Qui se precipitent par bonds
Dans ce valon vert et sauvage !
Puis, glissant sour les arbrisseaux,
Ainsi que des serpens sur l'herbe,
Se changent en plaisans ruisseaux,
Où quelque Naïade superbe
Regne comme en son lict natal,
Dessus un throsne de christal !

Que j'ayme ce marets paisible !
Il est tout bordé d'aliziers,
D'aulnes, de saules et d'oziers,
À qui le fer n'est point nuisible.
Les nymphes, y cherchans le frais,
S'y viennent fournir de quenouilles,
De pipeaux, de joncs et de glais ;
Où l'on voit sauter les grenouilles,
Qui de frayeur s'y vont cacher
Si tost qu'on veut s'en approcher.

Là, cent mille oyseaux aquatiques
Vivent, sand craindre, en leur repos,
Le giboyeur fin et dispos,
Avec ses mortelles pratiques.
L'un tout joyeux d'un si beau jour,
S'amuse à becqueter sa plume ;
L'autre allentit le feu d'amour
Qui dans l'eau mesme se consume,
Et prennent tous innocemment
Leur plaisir en cet élement.

Jamais l'esté ny la froidure
N'ont veu passer dessus cette eau
Nulle charrette ny batteau,
Depuis que l'un et l'autre dure ;
Jamais voyageur alteré
N'y fit servir sa main de tasse ;
Jamais chevreuil desesperé
N'y finit sa vie à la chasse ;
Et jamais le traistre hameçon
N'en fit sortir aucun poisson.

Que j'ayme à voir la décadence
De ces vieux chasteaux ruinez,
Contre qui les ans mutinez
Ont deployé leur insolence !
Les sorciers y font leur savat ;
Les demons follets y retirent,
Qui d'un malicieux ébat
Trompent nos sens et nous martirent ;
Là se nichent en mille troux
Les couleuvres et les hyboux.

L'orfraye, avec ses cris funebres,
Mortels augures des destins,
Fait rire et dancer les lutins
Dans ces lieux remplis de tenebres.
Sous un chevron de bois maudit
Y branle le squelette horrible
D'un pauvre amant qui se pendit
Pour une bergère insensible,
Qui d'un seul regard de pitié
Ne daigna voir son amitié.

Aussi le Ciel, juge équitable,
Qui maintient les loix en vigueur,
Prononça contre sa rigueur
Une sentence epouvantable :
Autour de ces vieux ossemens
Son ombre, aux peines condamnée,
Lamente en longs gemissemens
Sa malheureuse destinée,
Ayant, pour croistre son effroy,
Tousjours son crime devant soy.

Là se trouvent sur quelques marbres
Des devises du temps passé ;
Icy l'âge a presque effacé
Des chiffres taillex sur les arbres ;
Le plancher du lieu le plus haut
Est tombé jusques dans la cave,
Que la limace et le crapaud
Souillent de venin et de bave ;
Le lierre y croist au foyer,
A l'ombrage d'un grand noyer.

Là dessous s'estend une voûte
Si sombre en un certain endroit,
Que, quand Phebus y descendroit,
Je pense qu'il n'y verrroit goutte ;
Le Sommeil aux pesans sourcis,
Enchanté d'un morne silence,
Y dort, bien loing de tous soucis,
Dans les bras de la Nonchalence,
Laschement couché sur le dos
Dessus des gerbes de pavots.

Au creux de cette grotte fresche,
Où l'Amour se pourroit geler,
Echo ne cesse de brusler
Pour son amant froid et revesche,
Je m'y coule sans faire bruit,
Et par la celeste harmonie
D'un doux lut, aux charmes instruit,
Je flatte sa triste manie
Faisant repeter mes accords
A la voix qui luy sert de corps.

Tantost, sortant de ces ruines,
Je monte au haut de ce rocher,
Dont le sommet semble chercher
En quel lieu se font les bruïnes ;
Puis je descends tout à loisir,
Sous une falaise escarpée,
D'où je regarde avec plaisir
L'onde qui l'a presque sappée
Jusqu'au siege de Palemon,
Fait d'esponges et de limon.

Que c'est une chose agreable
D'estre sur le bord de la mer,
Quand elle vient à se calmer
Après quelque orage effroyable !
Et que les chevelus Tritons,
Hauts, sur les vagues secouées,
Frapent les airs d'estranges tons
Avec leurs trompes enrouées,
Dont l'eclat rend respectueux
Les vents les plus impetueux.

Tantost l'onde brouillant l'arène,
Murmure et fremit de courroux
Se roullant dessus les cailloux
Qu'elle apporte et qu'elle r'entraine.
Tantost, elle estale en ses bords,
Que l'ire de Neptune outrage,
Des gens noyex, des monstres morts,
Des vaisseaux brisez du naufrage,
Des diamans, de l'ambre gris,
Et mille autres choses de prix.

Tantost, la plus claire du monde,
Elle semble un miroir flottant,
Et nous represente à l'instant
Encore d'autres cieux sous l'onde.
Le soleil s'y fait si bien voir,
Y contemplant son beau visage,
Qu'on est quelque temps à savoir
Si c'est luy-mesme, ou son image,
Et d'abord il semble à nos yeux
Qu'il s'est laissé tomber des cieux.

Bernières, pour qui je me vante
De ne rien faire que de beau,
Reçoy ce fantasque tableau
Fait d'une peinture vivante,
Je ne cherche che les deserts,
Où, resvant tout seul, je m'amuse
A des discours assez diserts
De mon genie avec la muse ;
Mais mon plus aymable entretien
C'est le ressouvenir du tien.

Tu vois dans cette poesie
Pleine de licence et d'ardeur
Les beaux rayons de la splendeur
Qui m'esclaire la fantaisie :
Tantost chagrin, tantost joyeux
Selon que la fureur m'enflame,
Et que l'objet s'offre à mes yeux,
Les propos me naissent en l'ame,
Sans contraindre la liberté
Du demon qui m'a transporté.

O que j'ayme la solitude !
C'est l'element des bons esprits,
C'est par elle que j'ay compris
L'art d'Apollon sans nulle estude.
Je l'ayme pour l'amour de toy,
Connaissant que ton humeur l'ayme
Mais quand je pense bien à moy,
Je la hay pour la raison mesme
Car elle pourroit me ravir
L'heur de te voir et te servir.



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« Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles, la blanche Ophélia flotte comme un grand lis »

19

Re : Quelques poèmes remarquables...

Est-ce aussi pour poster nos poèmes ?

Like a stone
I seem calm
But I'll be rolling
When you touch me.

Like a stone
I seem boring
But I'll be funny
When you shoot me.

Like a stone
I seem visible
But I'll be non-existent
When you simply walk on me.



Une section sexisme et sexualité pour les futurs et ex sexagénaires qui s'exaspèrent ou s'extasient à l'extrême face au sex-appeal excitant et exhortant à l'exultation exhumée et exhibée dans toute son extension et son expansion ? Exceptionnellement extravagant ce serait ! Cette extraction serait l'exemple d'une extradition exquise mais inexplicable, inextricable et inexplorable car inexaminable, en résumé : extrêmemement extraordinaire. Exit l'exil ! exerçons l'exergue exiguë exaltatoire. Nous nous exonérerons d'exemples exsangues. Ce serait inexorable !

J'existe.

(Tout comme la chanson L'Excessive, bourrée de x, par la compagne de votre ex-président. lol )



Éloge du durable

Admire ces personnes mûres
Chez qui le bonheur dure,
Ces personnes sûres
Bénies de bonnes augures.

Ces maisons si pérennes,
Ces familles souveraines,
Ces nations si anciennes
Et ces vies suzeraines.

Qui gardent leurs vraies valeurs
Toujours avec chaleur,
Avec le même labeur
Vers le même bonheur.



Éloge de l'éphémère

Un disque tourne en rond,
Un fichier tourne en boucle,
Sans fond ni âtre,
Sans ton ni être.

Légumes en conserve,
Coca en réserve,
Ce qui se préserve
Est mis sous réserve.

Vivent les spectacles
Même sans habitacle !
Je veux du théâtre !
Je veux mon hêtre !

Du savoir stocké,
Pour être transmis.
Du savoir promis,
Pour être bloqué.

Stock de mp3 ?
Stock de cd ?
Stock de know-how ?
C'est comme du stock !

Qui ne se vend pas,
Qui ne meut que peu,
Sinon les soucis
Envers la matière.

Pour que je ne dorme,
On m'impose dix formes.
Finies les normes !
Je veux mon orme !



Mais tu n'a pas le pouvoir.
Tu ne peux donc que t'asseoir.
Tu serviras d'exutoire,
Pour compenser leurs déboires.

Tu ne prendras pas de pain.
L'espoir sera incertain.
La prison sera ta fin.
Tes voeux n'y changeront rien.

Mais tu continues d'y croire.
Tu ne veux manquer la foire.
Tu refuses donc d'échoir,
En attendant le grand soir.

Tu redeviens donc serein.
Tu rechantes tes refrains.
Tu te reprends donc en main.
Tu remplis ton verre à vin.

Nous sommes libres. Wir sind frei. We are free. Somos libres. Siamo liberi.

20 Dernière modification par Ysaur (30-12-2012 16:30:28)

Re : Quelques poèmes remarquables...

shokin a écrit:

Est-ce aussi pour poster nos poèmes ?


S'il s'agit de poèmes personnels (composés par soi-même), ne serait-il pas judicieux d'ouvrir un topic spécifique ?

Quoi qu'il  en soit, tous sont les bienvenus ici.
Merdi à vous. smile

« Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles, la blanche Ophélia flotte comme un grand lis »

21

Re : Quelques poèmes remarquables...

Ysaur a écrit:

[...] Merdi à vous. smile

     À une lettre près, comment interpréter la réponse d'Ysaur à shokin ?

     Que l'année nouvelle soit agréable à tous !

diconoma est typographe, relecteur-correcteur, dictionnairiste

22

Re : Quelques poèmes remarquables...

diconoma a écrit:
Ysaur a écrit:

[...] Merdi à vous. smile

     À une lettre près, comment interpréter la réponse d'Ysaur à shokin ?

C'est un lapsus clavieri.

Caesarem legato alacrem, ille portavit assumpti Brutus.

23 Dernière modification par Ysaur (31-12-2012 13:23:37)

Re : Quelques poèmes remarquables...

Comme je suis confuse !

Je voulais, bien évidemment, écrire merci à vous.

Mais j'ai été, certainement, une fois de plus perturbée par mes deux adorables chats qui ne cessent de venir me donner des petits coups de pattes sur les mains lorsque je tape sur le clavier, parce qu'ils trouvent  la musique des touches fort divertissante.

Avec toutes mes excuses...  smile

« Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles, la blanche Ophélia flotte comme un grand lis »

24

Re : Quelques poèmes remarquables...

Alors c'est un delictum felinum.

Caesarem legato alacrem, ille portavit assumpti Brutus.

25

Re : Quelques poèmes remarquables...

;-))

« Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles, la blanche Ophélia flotte comme un grand lis »

26

Re : Quelques poèmes remarquables...

Bonjour, voici un poème que j'adore!


    Victor HUGO
Aimons toujours ! Aimons encore !...

Aimons toujours ! Aimons encore !
Quand l'amour s'en va, l'espoir fuit.
L'amour, c'est le cri de l'aurore,
L'amour c'est l'hymne de la nuit.

Ce que le flot dit aux rivages,
Ce que le vent dit aux vieux monts,
Ce que l'astre dit aux nuages,
C'est le mot ineffable : Aimons !

L'amour fait songer, vivre et croire.
Il a pour réchauffer le coeur,
Un rayon de plus que la gloire,
Et ce rayon c'est le bonheur !

Aime ! qu'on les loue ou les blâme,
Toujours les grand coeurs aimeront :
Joins cette jeunesse de l'âme
A la jeunesse de ton front !

Aime, afin de charmer tes heures !
Afin qu'on voie en tes beaux yeux
Des voluptés intérieures
Le sourire mystérieux !

Aimons-nous toujours davantage !
Unissons-nous mieux chaque jour.
Les arbres croissent en feuillage ;
Que notre âme croisse en amour !

Soyons le miroir et l'image !
Soyons la fleur et le parfum !
Les amants, qui, seuls sous l'ombrage,
Se sentent deux et ne sont qu'un !

Les poètes cherchent les belles.
La femme, ange aux chastes faveurs,
Aime à rafraîchir sous ses ailes
Ces grand fronts brûlants et réveurs.

Venez à nous, beautés touchantes !
Viens à moi, toi, mon bien, ma loi !
Ange ! viens à moi quand tu chantes,
Et, quand tu pleures, viens à moi !

Nous seuls comprenons vos extases.
Car notre esprit n'est point moqueur ;
Car les poètes sont les vases
Où les femmes versent leur coeurs.

Moi qui ne cherche dans ce monde
Que la seule réalité,
Moi qui laisse fuir comme l'onde
Tout ce qui n'est que vanité,

Je préfère aux biens dont s'enivre
L'orgueil du soldat ou du roi,
L'ombre que tu fais sur mon livre
Quand ton front se penche sur moi.

Toute ambition allumée
Dans notre esprit, brasier subtil,
Tombe en cendre ou vole en fumée,
Et l'on se dit : " Qu'en reste-t-il ? "

Tout plaisir, fleur à peine éclose
Dans notre avril sombre et terni,
S'effeuille et meurt, lis, myrte ou rose,
Et l'on se dit : " C'est donc fini ! "

L'amour seul reste. O noble femme
Si tu veux dans ce vil séjour,
Garder ta foi, garder ton âme,
Garder ton Dieu, garde l'amour !

Conserve en ton coeur, sans rien craindre,
Dusses-tu pleurer et souffrir,
La flamme qui ne peut s'éteindre
Et la fleur qui ne peut mourir !


Merci et bonne journée!

A pierre qui roule rien d'impossible et cœur vaillant nulle mousse t'amasse ! (Jim Carrey)

27

Re : Quelques poèmes remarquables...

Poème énigmatique:


Poison perdu

Des nuits du blond et de la brune
Rien dans la chambre n’est resté,
Pas une dentelle d’été,
Pas une cravate commune.
Et sur le balcon où le thé
Se prend aux heures de la lune,
Ils n’ont laissé de trace aucune,
Aucun souvenir n’est resté.
Au bord d’un rideau bleu, piquée
Luit une épingle à tête d’or,
Comme un gros insecte qui dort.
Pointe d’un fin poison trempée,
Je te prends. Sois-moi préparée
Aux heures de désir de mort.

(?)

Nomina si nescis, perit cognitio rerum. Edward Coke

28

Re : Quelques poèmes remarquables...

Ce poème est bien mystérieux.
J'ai pensé d'abord à un texte codé. Mais sans doute non.
Où l'avez-vous trouvé? L'auteur, qui est-il?

Avec nos pensées nous créons le monde. Bouddha

29

Re : Quelques poèmes remarquables...

J’ai rencontré ce poème par hasard en lisant un texte consacré à Mirbeau.
Voici l’adresse d’un document assez édifiant sur ce sujet.
http://mirbeau.asso.fr/darticlesfrancai … nperdu.pdf

Nomina si nescis, perit cognitio rerum. Edward Coke

30

Re : Quelques poèmes remarquables...

Merci Glop. Le document est intéressant.

Avec nos pensées nous créons le monde. Bouddha

Re : Quelques poèmes remarquables...

Merci infiniment

32 Dernière modification par Phamtomhive (25-10-2016 14:39:40)

Re : Quelques poèmes remarquables...

Je vous souhaite bien le bonjour. Je suis nouvelle sur ce forum.
Ysaur je trouve que vous possédez une précellente culture. Je vous remercie de l'avoir fait partager avec nous. Ne vous méprenez pas, tous vos poèmes sont beaux, je nomme Ysaur car c'est son poème que j'ai vu en premier lieu.

"Ce qui est perdu une fois est perdu à jamais" - Ciel Phantomhive

33

Re : Quelques poèmes remarquables...

Alors bonjour Phamtomhive. Soyez la bienvenue sur ABC.

Avec nos pensées nous créons le monde. Bouddha

Re : Quelques poèmes remarquables...

Je te remercie Ylou !

"Ce qui est perdu une fois est perdu à jamais" - Ciel Phantomhive

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