Nous ne connaissons actuellement que trois cartes postales. Impossible de savoir quelles autres peintures ont pu faire l'objet d'une édition en carte. Le casse-tête provient de l'absence d'un éditeur, sa mention aurait permis de faire une recherche plus approfondie.
Quotidien Le Matin. 29/08/1898. Extrait d’un article de Solness.
Le passage sur la salle des morts du Château-Rouge est…disons cocasse.
LES BOUGES.
Il y a encore, en effet, des endroits curieux à explorer, mais ils ne sont pas là où la tradition les place, là où la renommée les signale. Chercher le « Lapin blanc » d'Eugène Suë et les tapis-francs du temps de Louis-Philippe dans le centre de Paris équivaudrait, pour un étranger, à se rendre au palais Royal afin d'y rencontrer la foule des oisifs, des viveurs, des femmes cherchant l’aventure et des joueurs désespérés ou joyeux encombrant les restaurants ou s'enfonçant dans un endroit écarté pour s'y faire sauter la cervelle, ainsi qu'il est rapporté dans les oeuvres de Balzac.
Les établissements des halles ne sont plus du tout les endroits pittoresques et dangereux décrits par les romanciers d'autrefois. Les restaurants Bordier, Baratte, le Père Tranquille, le Pied de mouton sont des établissements tout à fait paisibles, manquant même un peu d'animation.
Le Grand Comptoir, Sausserousse et le Caveau sont les derniers refuges des noctambules et surtout des miséreux. La clientèle n'y est plus du tout composée de bambocheurs venant terminer devant une douzaine d'huîtres et une soupe à l'oignon les libations de la nuit. Il n'y a presque plus de bouges sérieux à Paris. La tournée des « grands-ducs » a fait disparaître ces repaires et en a changé le personnel. On sait qu'une des distractions favorites des grands-ducs de Russie Alexis et Vladimir, de passage à Paris, était de se faire promener par un inspecteur de la sûreté — généralement l'agent Rossignol – dans les cabarets réputés suspects et pittoresques.
A l'exemple des grands-ducs, des caravanes d'artistes, de cocottes, de clubmen, de grandes dames et même de paisibles bourgeoises, accompagnées de leurs maris, de leurs frères ou de leurs amis, commerçants, fonctionnaires, avocats, notaires, se sont organisées assez régulièrement en vue de visiter le célèbre Père Lunette, rue des Anglais, ou le Château rouge, avec sa salle des Morts. Mais qu'est-il arrivé ?
C'est que l'affluence des visiteurs dans ces deux établissements les a transformés en une sorte de musée Grévin ou de Chat noir crapuleux. La police, pour protéger les élégants pèlerins, a doublé ses surveillances. Logiquement, les malfaiteurs ont décampé, cherchant des endroits moins à la mode pour combiner leurs coups ou se régaler après une affaire fructueuse.
On n'a plus eu sous les yeux qu'une sorte de figuration loqueteuse, qui accourait dès qu'une bande de touristes était signalée. Le poète Fernand, troubadour du lieu — un cadet de Gascogne qui n'a pas réussi — accordait sa guitare et chantait un rondeau descriptif du cabaret. Des femmes dépenaillées et des éphèbes vicieux, abrutis par l'alcool représentaient, aux yeux des visiteurs impressionnés, MM. les bandits de Paris. Ses comparses faisaient la quête et, la recette empochée, retournaient à leurs affaires, à leurs plaisirs, à leur sommeil. Quelques-uns rentraient dans leur famille. Ces prétendus assassins n'étaient que des mendigots. Ils venaient dans le cabaret qualifié de sinistre jouer honnêtement leur rôle d'assassin sans ouvrage et se retiraient, paisibles, comme un artiste qui touché son cachet, sa soirée finie.
Au Château rouge, vaste cabaret sombre, divisé en deux salles, la représentation changeait. On ne chantait pas. Le décor était sombre, et le spectacle macabre. Les visiteurs avaient la distraction de considérer, sur des planches inclinées, des cadavres couverts de guenilles, allongés comme dans une morgue. Tous ces morts se dressaient sur leur séant à un signal donné par le patron et tendaient la main en poussant des exclamations pitoyables. On partageait la recette avec le tenancier, les visiteurs sortis.
Pas un de ces truands avachis par la misère n'aurait eu la force ni le courage de donner un coup de couteau. Les belles visiteuses frissonnaient, cependant, comme si elles s'étaient trouvées en face de Vacher ou de Ravachol et faisaient vider dans ces pattes amaigries et tremblantes la bourse de leur cavalier. Quand on sortait de là et qu'on revoyait les becs de gaz de la rue tranquille, avec des sergents de ville à chaque porte, on respirait et l'on était fier comme si l'on était échappé de quelque caverne farouche pleine de brigands.
Les vrais bouges actuels les repaires dangereux où le reporter américain aurait pu se faire dévaliser plus sérieusement, mais d'où il aurait rapporté des impressions suffisamment colorées se trouvent dans des quartiers beaucoup plus neufs que les Halles et la place Maubert. Voulez-vous, si le goût vous en dit, que je vous indique quelques endroits d'excursions scabreuses et d'observations pittoresques ?
C’est d’abord le pont Caulaincourt et les cabarets qui l'avoisinent ; ensuite, les cabarets dans le voisinage du Moulin-Rouge, puis l’Oeil crevé, place Moncey, le cabaret auprès des omnibus, au bas de l'avenue de Clichy, un ou deux coins de la rue Lévis, et, par-dessus tout, les guinguettes, riantes le jour et sinistres la nuit, des berges de Billancourt, que Jean Lorrain, plein de compétence, a décrites avec une précision qui n'excluait pas la poésie.
Tout se transforme aujourd'hui, et, de même qu'il n'existe plus d'estaminets littéraires où l'on voyait les gens de lettres pérorer et travailler en savourant la demi-tasse ou la chope, comme au café de l'Europe, au Tabouret, au Procope, à la brasserie des Martyrs, au café de Mulhouse et au café de Madrid, il n'y a plus de cabarets spéciaux où rencontrer les «Mohicans de Paris ». MM. les assassins et voleurs professionnels n'ont plus de bouges attitrés. Il faut venir d'Amérique pour chercher encore aux Halles les salons du crime.
Source : gallica.bnf.fr