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forum abclf » Histoire de la langue française » Habiter un climat au XVIIIe siècle.

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Messages [ 9 ]

1 Dernière modification par yd (27-05-2015 15:46:54)

Sujet : Habiter un climat au XVIIIe siècle.

Lien sur Gallica.

Bonjour.


Du Père Amiot (1718 - 1793), Discours du traducteur in Art militaire des Chinois, 1772, pp. 7 à 11 :

Que sais-je encore si par la communication que j’ai moi-même avec les Tartares et les Chinois, et par la lecture assidue des ouvrages composés dans leur langue, mes idées ne se ressentent pas un peu du climat que j’habite depuis de longues années, et si mon langage n’est pas une espèce de jargon inintelligible pour un Français qui fait son séjour dans sa patrie ? Si cela est, les lecteurs équitables m’excuseront sans peine, et diront, du moins, laudo conatum[1] ; c’est tout ce que je demande d’eux.

[1] Je loue l’effort.

Le TLFi comme le Littré donnent beaucoup d'usages du climat pour désigner un pays, mais ni l'un ni l'autre ne permettent d'envisager qu'on ait anciennement habité un climat*.

Un usage bourguignon cité par le Littré, « En Bourgogne, nom de certains territoires propres à la culture de la vigne. Ce propriétaire a des vignes dans les meilleurs climats », pourrait bien témoigner d'un sens parlant à la fois du lieu et de son climat, voire de tout ce qui s'y rattache. Quand le Père Amiot parle ici de climat, il pourrait bien inclure, à mon avis, le contexte culturel et linguistique. Le mot aurait été historiquement plus riche qu'il en a l'air.

Il avait écrit sur la musique traditionnelle chinoise et ce document a disparu. Il avait encore écrit sur le magnétisme tel qu'on le concevait en Chine, voire tel qu'on l'avait étudié : je ne sais même pas si ça a été publié, mais dans son livre Yves Rocard, si je me souviens bien, semble n'en avoir jamais entendu parler.

Sun Tzu ne me passionne pas plus que cela, mais plutôt le Père Amiot. Toute une vie consacrée à l'étude. Si le colonel Lucien Nachin n'avait pas publié en 1948 le texte d'Amiot en français contemporain, on ne connaîtrait peut-être même pas les ouvrages d'Amiot.

Cela intéresse notre sujet, puisque le reste que je lis d'Amiot me semble très accessible ; retenons que Nachin avait une opinion différente. Il est vrai qu'il dédiait probablement son propre ouvrage à l'enseignement militaire.


Morceaux choisis :

Les Chinois ont cela de particulier, que leur langue ne ressemble en rien à aucune de celles qu’on parle dans le reste du monde […]. Cette langue singulière, que les Japonais appellent la langue de confusion, ne présente que des difficultés à un Européen, sous quelque point de vue qu’on l’envisage. Les caractères qui sont faits pour exprimer les idées chinoises, sont comme ces belles peintures dans lesquelles le commun, ou les connaisseurs médiocres ne voient qu’en gros l’objet représenté, ou tout au plus une partie des beautés qu’elles renferment, tandis qu’un vrai connaisseur y découvre toutes celles que l’artiste a voulu exprimer.

On apprend à s’exprimer en latin, naturellement et avec délicatesse, en lisant les Commentaires de César : pourquoi n’apprendrait-on pas à bien parler tartare en étudiant dans des Commentaires faits pour former des Césars mandchous ?

Il a raison : chez les militaires il est recommandé de se comprendre parfaitement.

Toujours sur Gallica : Joseph Amiot et les derniers survivants de la Mission française à Pékin, Camille de Rochemonteix, 1915, avec en tournant la page un nihil obstat pas si vieux.

* en couleur : je n'avais pas vu la citation de Voltaire dans le Littré, voir le message d'Abel Boyer qui suit.

Fille légère ne peut bêcher.

Re : Habiter un climat au XVIIIe siècle.

yd a écrit:

Le TLFi comme le Littré donnent beaucoup d'usages du climat pour désigner un pays, mais ni l'un ni l'autre ne permettent d'envisager qu'on ait anciennement habité un climat.

Littré cite pourtant Voltaire (à la rubrique "planche") : VOLT., Mél. litt. à M. Rosset.: J'ai été étonné que vous adoptiez la nouvelle méthode de M. Tull, anglais, de semer par planches.... je puis vous assurer qu'elle est détestable, du moins dans le climat que j'habite.
On trouve de nombreuses occurrences de  habiter un climat, habiter des climats dans la littérature du XVIIIe siècle. Le sens est bien celui qu'attestent les dictionnaires de l'époque :
Académie 1694 : On le prend quelquefois indeterminément pour Une region
Académie 1762 : On le prend d'ordinaire pour Région, pays, principalement eu égard à la température de l'air.

3 Dernière modification par yd (26-05-2015 08:18:31)

Re : Habiter un climat au XVIIIe siècle.

Je n'ai pas vu la citation de Voltaire ou j'ai supposé sans doute à tort - j'ai survolé - la construction habiter dans un climat. Voltaire n'utilise-t-il pas climat dans le même sens que le climat bourguignon, suffisamment différent pour que Littré le cite un peu à part, puisqu'il parle de semis ?

Voir encore le TLFi à habiter :

P. anal. [Le suj. désigne un animal, un végétal] Vivre dans un espace qui offre les conditions nécessaires de vie et développement. Qu'on me dise dans quel pays une plante semblable habite naturellement, c'est-à-dire, sans y être la suite de sa culture dans quelque voisinage ? (Lamarck, Philos. zool., t. 1, 1809, p. 227).

Fille légère ne peut bêcher.

Re : Habiter un climat au XVIIIe siècle.

Voici la phrase complète : « J'ai été étonné que dans votre premier chant vous adoptiez la méthode de M. Tull, Anglais, de semer par planches. Plusieurs de nos Français (que vous appelez toujours François, et que par conséquent vous n'avez jamais osé mettre au bout d'un vers) ont voulu mettre en crédit cette innovation. Je puis vous assurer qu'elle est détestable, du moins dans le climat que j'habite. »
C'est clairement l'acception commune : Région, pays, principalement eu égard à la température de l'air.

On  note au passage, dans cette lettre de 1774, l'activisme prolongé de Voltaire pour la graphie "français" au lieu de "françois". Voir :
http://www.languefrancaise.net/forum/vi … 44#p118044

5 Dernière modification par yd (26-05-2015 09:12:44)

Re : Habiter un climat au XVIIIe siècle.

Semer par planche dans un chant ? Soit j'abandonne, soit il s'agit de chant 2, champ 2 du TLFI, et nous serions bien dans un contexte de semis. Comment une méthode pour le chant chanson pourrait-elle réussir diversement d'un terroir à l'autre ?

TECHNOL. Face la moins large d'un objet parallélépipédique. Le chant d'une brique, d'un livre, d'une planche ; poser à, de, sur chant. ,,Poser de chant des briques, des pierres, des solives`` (Ac.1932). Cf. barrique ex. 2. L'angle formé par le chant de la plinthe et le mur (Bonnel-Tassan 1966) :

Il serait encore étonnant que Littré aurait coupé un texte en suscitant pareille confusion.

Si habiter un climat est commun au XVIIIe dans le sens d'habiter une région ou un pays, le TLFi pèche en n'en citant pas un seul exemple. Heureusement que nous avons Littré, ici, et pour ses deux exemples, et ce n'est pas la première fois que je le remarque.

Fille légère ne peut bêcher.

Re : Habiter un climat au XVIIIe siècle.

Ben si, c'est le chant premier d'un poème sur l'agriculture, de M. Rosset, destinataire de la lettre de Voltaire.
À comparer aux Géorgiques !

7 Dernière modification par yd (26-05-2015 09:50:17)

Re : Habiter un climat au XVIIIe siècle.

Soit. Mais donc Voltaire s'amuse avec habiter un climat : au sens d'habiter un pays sa remarque serait stupide. Justement, l'usage que fait Joseph Amiot dans un contexte culturel et linguistique serait lui-même une finesse d'esprit, avec un sens assez proche de celui de Voltaire.

Fille légère ne peut bêcher.

Re : Habiter un climat au XVIIIe siècle.

Pourquoi donc ? On peut très bien écrire : cette méthode d'agriculture ne convient pas pour le pays (la région) que nous habitons.

9 Dernière modification par yd (26-05-2015 10:23:59)

Re : Habiter un climat au XVIIIe siècle.

Alors retour à mon message 3 : Voltaire n'utilise-t-il pas climat dans le même sens que le climat bourguignon, suffisamment différent pour que Littré le cite un peu à part, puisqu'il parle de semis ?

Et Voltaire n'aurait-il pas dû écrire : J'ai été surpris dans votre premier chant que vous adoptiez la méthode de semer etc. au lieu de  J'ai été surpris que dans votre premier chant vous adoptiez la méthode de semer etc. ? Adopte-t-on dans le climat de Voltaire une méthode d'agriculture dans un chant ? Voltaire s'amuse.

Fille légère ne peut bêcher.

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