Sujet : Habiter un climat au XVIIIe siècle.
Bonjour.
Du Père Amiot (1718 - 1793), Discours du traducteur in Art militaire des Chinois, 1772, pp. 7 à 11 :
Que sais-je encore si par la communication que j’ai moi-même avec les Tartares et les Chinois, et par la lecture assidue des ouvrages composés dans leur langue, mes idées ne se ressentent pas un peu du climat que j’habite depuis de longues années, et si mon langage n’est pas une espèce de jargon inintelligible pour un Français qui fait son séjour dans sa patrie ? Si cela est, les lecteurs équitables m’excuseront sans peine, et diront, du moins, laudo conatum[1] ; c’est tout ce que je demande d’eux.
[1] Je loue l’effort.
Le TLFi comme le Littré donnent beaucoup d'usages du climat pour désigner un pays, mais ni l'un ni l'autre ne permettent d'envisager qu'on ait anciennement habité un climat*.
Un usage bourguignon cité par le Littré, « En Bourgogne, nom de certains territoires propres à la culture de la vigne. Ce propriétaire a des vignes dans les meilleurs climats », pourrait bien témoigner d'un sens parlant à la fois du lieu et de son climat, voire de tout ce qui s'y rattache. Quand le Père Amiot parle ici de climat, il pourrait bien inclure, à mon avis, le contexte culturel et linguistique. Le mot aurait été historiquement plus riche qu'il en a l'air.
Il avait écrit sur la musique traditionnelle chinoise et ce document a disparu. Il avait encore écrit sur le magnétisme tel qu'on le concevait en Chine, voire tel qu'on l'avait étudié : je ne sais même pas si ça a été publié, mais dans son livre Yves Rocard, si je me souviens bien, semble n'en avoir jamais entendu parler.
Sun Tzu ne me passionne pas plus que cela, mais plutôt le Père Amiot. Toute une vie consacrée à l'étude. Si le colonel Lucien Nachin n'avait pas publié en 1948 le texte d'Amiot en français contemporain, on ne connaîtrait peut-être même pas les ouvrages d'Amiot.
Cela intéresse notre sujet, puisque le reste que je lis d'Amiot me semble très accessible ; retenons que Nachin avait une opinion différente. Il est vrai qu'il dédiait probablement son propre ouvrage à l'enseignement militaire.
Morceaux choisis :
Les Chinois ont cela de particulier, que leur langue ne ressemble en rien à aucune de celles qu’on parle dans le reste du monde […]. Cette langue singulière, que les Japonais appellent la langue de confusion, ne présente que des difficultés à un Européen, sous quelque point de vue qu’on l’envisage. Les caractères qui sont faits pour exprimer les idées chinoises, sont comme ces belles peintures dans lesquelles le commun, ou les connaisseurs médiocres ne voient qu’en gros l’objet représenté, ou tout au plus une partie des beautés qu’elles renferment, tandis qu’un vrai connaisseur y découvre toutes celles que l’artiste a voulu exprimer.
On apprend à s’exprimer en latin, naturellement et avec délicatesse, en lisant les Commentaires de César : pourquoi n’apprendrait-on pas à bien parler tartare en étudiant dans des Commentaires faits pour former des Césars mandchous ?
Il a raison : chez les militaires il est recommandé de se comprendre parfaitement.
Toujours sur Gallica : Joseph Amiot et les derniers survivants de la Mission française à Pékin, Camille de Rochemonteix, 1915, avec en tournant la page un nihil obstat pas si vieux.
* en couleur : je n'avais pas vu la citation de Voltaire dans le Littré, voir le message d'Abel Boyer qui suit.