De galbĭnŭm à jaune
Époque républicaine : galbĭnŭm > galbĭnŭ : le m final derrière voyelle ne se prononce plus.
IIIème : galbĭnŭ > galbẹnŭ : le i bref latin prend le timbre du e fermé.
IVème : galbẹnu > galbẹnọ : le u bref latin prend le timbre du o fermé. Les anciennes oppositions de quantité ont disparu.
IV-Vème : galbẹnọ > galbnọ > galnọ : la voyelle qui suit la voyelle acentuée subit la syncope ; il en résulte un groupe de trois consonnes : celle du milieu, plus faible, chute.
Vème - VIème : galnọ > d̬alnọ > d̬žalnọ > džalnọ : le g initial devant a et e subit une palatalisation, puis une avancée de son articulation pour aboutir à l'affriquée dentale + chuintante sonores. Ce traitement complexe est régulier en « francien(1) », mais absent en picard. Cf. gamba > jambe ; gaudia > joie, etc…
VIIème : džalnọ > džalne̥ : affaiblissement du o final, qui ne disparaît malgré tout pas car il fournit un appui au groupe -ln-.
VIIIème : džalne̥ > džałne̥ : vélarisation du l devant une consonne (sans doute ébauchée bien avant, cf. le l « pinguis » dont parlent les grammairiens anciens).
XIIème : džałne̥ > džaune̥ (vocalisation complète du l vélaire ; cf. le ł polonais, fixé au stade [w])
XIIIème : džaune̥ > žaune̥ (simplification de l’affriquée).
XVème : žaune̥ > žaunə (l’affaiblissement du e final se poursuit)
XVIème : žaunə > žaunə > žọnə (réduction de la diphtongue après déplacement probable de l'accentuation ; le résultat est un o fermé)
XVIIème : žọnə > žọn(ə) (jaune) (le e final devient caduc).
Graphie :
Pour noter le son (d)ž, inconnu du latin, les scribes ont eu d’abord recours au i (j dans les éditions modernes) qui servait à noter le ž provenant du yod initial latin (jugum > joug, jam > ja, etc…). On lit donc jalne dans la CdR (écrit ialne), puis jaune (iaune) chez CdT.
Puis, par souci étymologique, ils ont maintenu le g latin, mais avec le risque qu’on lise [gone], ce qu’il ne faut évidemment pas faire. On trouve donc gaune, surtout à partir du XIIIème.
Le i de giaune, que l’on trouve parfois, est un moyen d’éviter de confondre les sonorités, de même que le h de ghaune, qui correspond à la graphie ch- provenant du traitement corrélatif de c + a (canem > chien); il ne saurait provenir de la loi de Bartsch du fait de l’entrave ancienne du a (alors que canem > chien).
Les formes ganne, gane sont dialectales : assimilation du l dans un cas, disparition du l dans l’autre ou simplification de la géminée.
Le j n'est devenu d'usage courant qu'au XVIème, avec l'introduction de la lettre j ; le mot aurait pu aussi être écrit « geaune », comme dans gageure.
(1) N'en déplaise à M. Cerquiglini, je maintiens l'usage du terme appliqué à la langue littéraire "commune" forgée peu à peu par les clercs à partir d'éléments dialectaux divers. C'est cette langue que l'on étudie principalement dans les manuels spécialisés, et qui est à l'origine du français standard actuel. Le mot "français" est évidemment possible, mais il prête à confusion.
Les dialectes anciens les plus "éloignés" du francien sont le picard et l'anglo-normand, mais ceux-ci ont eux-mêmes subi des influences qui les ont éloignés des parlers populaires. C'est ainsi que les traits anglo-normands présents dans le texte de la Chanson de Roland peuvent paraître bien discrets...
Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil