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forum abclf » Écriture et langue française » "hululations en touffes épineuses" (La Modification - Michel Butor)

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Messages [ 21 ]

Sujet : "hululations en touffes épineuses" (La Modification - Michel Butor)

Bonsoir tout le monde,

  je suis en train de traduire un extrait de La Modification de Michel Butor et je me trouve bloqué par l'expression hululations en touffes épineuses. Voici l'extrait en entier:

Ici, dans ce compartiment, bercés et malmenés par le bruit soutenu, par sa profonde vibration constante soulignée irrégulièrement de stridences et d'huhulations en touffes épineuses, les quatre visages en face de vous se balancent ensemble sans dire un mot, sans faire un geste, tandis que l'ecclésiastique de l'autre côté de la fenêtre, avec un léger soupir d'exaspération, referme son bréviaire relié de cuir noir souple, tout en gardant son index entre les pages à tranche dorée comme signet, laissant flotter le mince ruban de soie blanche.

  Si quelqu'un d'entre vous avait la gentillesse de m'expliquer ce que l'expression signifie smile

Merci infiniment.

Re : "hululations en touffes épineuses" (La Modification - Michel Butor)

Bonjour Papy ! Quel bonheur de vous retrouver !
La Modification n'est pas un texte si facile, bravo.

Vous vous trouvez devant une double métaphore :
pour commencer, sonore : tentative de rendre le bruit du train de nuit tel qu'il est perçu par les voyageurs ; je me demande si hululation n'est pas un néologisme, formé sur hululer, le cri des rapaces  nocturnes ; sorte d'onomatopée imitant le sifflement du vent qui fait vibrer les vitres, enfin qui les faisait vibrer dans les années 50, où les vitres des trains pouvaient se baisser...
en touffes épineuses : ce n'est pas très cohérent, il faut bien le reconnaitre : on passe du sonore au tactile ; épineux vise sans doute l'effet désagréable produit par ces sons.

L'idée générale est que sur le fond sonore constant du roulement du train (tac-a-tac-tac-a-tac-tac-a-tac) se détachent des stridences (des coups de sifflets, nous sommes du temps des locomotives à vapeur, que j'ai connu, ce n'est pas si loin) et des hululements (le terme propre).
Ce n'est pas limpide pour un locuteur natif. Sans mon expérience personnelle des voyages en train la nuit, je n'aurais pas pu m'en sortir.

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

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Re : "hululations en touffes épineuses" (La Modification - Michel Butor)

Pas simple cette image, effectivement. Juste un détail en passant : l'usage est aujourd'hui d'écrire ululer, mais bien sûr Butor écrit comme il veut.

4 Dernière modification par yd (25-04-2012 13:34:26)

Re : "hululations en touffes épineuses" (La Modification - Michel Butor)

Outre la tonalité, à l'oreille, des touffes épineuses, elles semblent le plus simplement utiliser l'image des buissons, et plus précisément ces buissons qu'on voit en effet défiler comme des touffes dans un train roulant à une vitesse modeste, comme la plupart du temps à l’époque des locomotives à vapeur : on voyait principalement ce défilement des buissons, avec les ondulations répétées des fils télégraphiques. La difficulté demeure à mon sens d'associer les hululations et ces touffes épineuses : je ne me souviens pas qu'on ait entendu un bruissement au passage, si je puis me permettre, de chaque buisson, mais j'ai pu oublier. L'auteur n'en aurait-il pas parlé dans une description antérieure ?

Fille légère ne peut bêcher.

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Re : "hululations en touffes épineuses" (La Modification - Michel Butor)

Bonjour,


    Merci P'tit prof pour votre explication. Effectivement j'avais aussi cette image en tête, mais j'ai quand même beaucoup de mal à associer ces hululements qui se rapportent à l'ouïe aux touffes épineuses qui, quant à elle, stimulent la vue et le toucher. De plus, je ne sais pas comment rendre la même chose en anglais. Et ce n'est pas le seul passage qui me fait hésiter chez Michel Butor, dont l'écriture abonde en métaphores de ce genre.

   A coco47: en effet le mot hululations m'a peu ou prou froissé et je ne l'ai trouvé nulle part dans les dictionnaires, qui proposaient plutôt (h)ululements comme vous l'avez spécifié.

   Cher yd, dans le passage qui précède, l'auteur parle effectivement de buissons, d'arbres qui perdent leurs feuilles, etc. Je me permets de vous le soumettre ci-dessous:

La hauteur des maisons diminue, le désordre de leur disposition s'accentue, les accrocs dans le tissu urbain se multiplient, les buissons au bord de la route, les arbres qui se dépouillent de leurs feuilles, les premières plaques de boue, les premiers morceaux de campagne déjà presque plus verte sous le ciel bas, devant la ligne de collines qui se devine à l'horizon avec ses bois.

  En tout cas tout devient un peu plus clair pour moi maintenant.

Re : "hululations en touffes épineuses" (La Modification - Michel Butor)

Ce n'est pas que je connaisse bien l'anglais, mais je pense au titre du roman d'Emily Brontë : Wuthering Heights, par pour heights, mais pour wuthering.

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

Re : "hululations en touffes épineuses" (La Modification - Michel Butor)

P'tit prof a écrit:

je me demande si hululation n'est pas un néologisme, formé sur hululer, le cri des rapaces  nocturnes.

papy a écrit:

le mot hululations m'a peu ou prou froissé et je ne l'ai trouvé nulle part dans les dictionnaires

Il s'agit plutôt d'un archaïsme maquillé par le "h" initial en néologisme. Le terme ancien est ululation, du latin ululatio (hurlement funèbre).
Le TLFi met les deux mots dans la même rubrique et cite bien sûr Butor.

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Re : "hululations en touffes épineuses" (La Modification - Michel Butor)

P'tit prof a écrit:

Ce n'est pas que je connaisse bien l'anglais, mais je pense au titre du roman d'Emily Brontë : Wuthering Heights, par pour heights, mais pour wuthering.


  Vous m'avez donné la nostalgie smile. Ce livre, je l'ai étudié au lycée et j'ai bien aimé.


  Le mot ululation en tant que tel existe en anglais aussi et me semble plus usité qu'en français.

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Re : "hululations en touffes épineuses" (La Modification - Michel Butor)

Le Belin latin-français, qui ne donne que l'essentiel, nous aide peut-être à ululare, si toutefois Butor s'est inspiré du sens premier. Le mot viendrait de ulula, « chat-huant », peu usité, alors que nous pensions à la chouette. Il me semble mieux comprendre maintenant, car en effet on entendait de curieux bruits, des effets sonores dus à la vitesse, du temps où la vitesse  permettait encore de tout entendre. Le chat-huant, c'est bien ça, et c'est tout autre chose que la chouette, si toutefois j'ai jamais entendu une chouette : je connais bien les bruits de la forêt mais je ne sais pas bien les nommer.

Fille légère ne peut bêcher.

Re : "hululations en touffes épineuses" (La Modification - Michel Butor)

Vous voulez de l'anglais, Papy ? Voici la traduction anglaise du mot latin ululatio

ŭlŭlātĭo , ōnis, f. id.,
I. a howling, wailing, lamentation over a deceased person, Inscr. Grut. 705, 11.

Tirée du Charlton and Lewis, plus ancien mais bien meilleur que le Gaffiot. Évidemment, les traductions sont en anglais, mais le corpus d'exemples permet de se faire une idée.
Et, oui, on le trouve en ligne sur le site Perseus.

Charlton et Gaffiot sont d'accord : ululatio est un hapax. Le terme courant en latin est ululatus.
La traduction par hurlement me semble contestable : je comprends  le hurlement comme un cri continu, sans modulation. L'ululatus est une lamentation funèbre, le terme français le plus proche serait youyou.
Youyou qui convient fort bien au corpus d'exemples déniché par Abel Boyer.

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

Re : "hululations en touffes épineuses" (La Modification - Michel Butor)

L'anglais emploie encore ululation au sens de youyou. Les deux mots ne sont cependant pas connotés de la même façon.

Dites donc, P'tit Prof, votre Charlton and Lewis, c'est comme si vous parliez de Félix et Gaffiot !
Charlton est le prénom de Lewis (Charlton T. Lewis) dont le comparse était Charles Short. Vous vouliez parler du Lewis and Short ! Leur dictionnaire reprend en partie celui de l'Allemand Freund, encore plus complet puisqu'il prend la peine de citer le hapax en contexte : ULULATIO QVOTIDIANA MISERABILI DAMNATI, recueilli par Gruter dans ses Inscriptions.
Hapax ou pas, le mot a fait une plus longue carrière que ululatus, mieux attesté chez les bons auteurs.

Re : "hululations en touffes épineuses" (La Modification - Michel Butor)

« Brigadier, répondit Pandore,
Brigadier, vous avez raison ! »

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

13 Dernière modification par glop (26-04-2012 02:09:54)

Re : "hululations en touffes épineuses" (La Modification - Michel Butor)

Lorsqu’on voyage en train et que l’on regarde à l’extérieur, on peut avoir l’impression de regarder un film surtout si l’on associe le son et l’image.
Josef Fourier (1768-1838) avait imaginé ces graphiques en forme de touffes épineuses qui seront lues plus tard sur la pellicule des films pour restituer le son synchronisé avec l’image.

Je n’ai pas lu Butor; je me fourvoie (de chemin de fer) peut être complètement.

http://images.vefblog.net/vefblog.net/t … 48_art.jpg

http://tpecinema.vefblog.net/2.html

Les informations qui parviennent aux yeux sont si complexes que le cerveau humain n’analyse environ  que 24 images par seconde (peut être le double en état de vigilance extrême). Par contre le tympan vibre en continu et le son ne saurait être morcelé en 24 séquences par seconde puisqu’il n’y a de rémanence que rétinienne.
Je pense que notre auteur somnole. Il croit voir les sons et écouter les images au rythme de ce projecteur gigantesque qu’est le train.

Je vais essayer d’aller somnoler aussi.

Nomina si nescis, perit cognitio rerum. Edward Coke

14 Dernière modification par BakaGaijin (26-04-2012 14:27:36)

Re : "hululations en touffes épineuses" (La Modification - Michel Butor)

Fascinant, vraiment fascinant

Une première chose,
Par expérience personnelle je ne trouve pas que les sens soient totalement dissociés les uns des autres. Aucun d'entre vous n'a-t-il jamais ressenti une réaction physique en écoutant de la musique ?
Pour moi qui ne supporte pas le crissement d'une craie sur un tableau noir, le touffes épineuses serait une description assez juste de ce que ressent physiquement

Une deuxième chose,
Pourquoi s'offusquer de hululations et trouver acceptable ululation ?

"L'orthographe est plus qu'une mauvaise habitude, c'est une vanité" R. Queuneau

Re : "hululations en touffes épineuses" (La Modification - Michel Butor)

La question se posait entre hululement/ululement et hululation/ululation. Hululation/ululation est tellement littéraire qu'il a disparu des dictionnaires courants d'où la perplexité de Papy... et la mienne.
Personne ne discute le fait que le vent hulule autour des trains dont il fait vibrer les vitres (enfn, faisait, du temps où ces vitres pouvaient se baisser, et donc vibraient dans leurs coulisses).
Personne ne discute non plus le caractère épineux de ces touffes.
Ce qui est surprenant c'est le manque de suivi de la métaphore : hululations (sonore) en touffes (visuel et spatial) épineuses (tactile).
Votre explication est lumineuse : tous les sens concourent à l'impression de malaise, chez cet homme qui quitte sa femme pour rejoindre sa maitresse.

La seconde question est une question de traduction : comment rendre en anglais ?
Comme nous ne sommes pas ici devant une locution figée, mais une création stylistique, et comme c'est une figure de pensée, selon la terminologie de nos Anciens, et non un jeu sur les mots, le plus sûr est de la rendre terme à terme.

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

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Re : "hululations en touffes épineuses" (La Modification - Michel Butor)

P'tit prof a écrit:

La seconde question est une question de traduction : comment rendre en anglais ?
Comme nous ne sommes pas ici devant une locution figée, mais une création stylistique, et comme c'est une figure de pensée, selon la terminologie de nos Anciens, et non un jeu sur les mots, le plus sûr est de la rendre terme à terme.

  C'est ce pour quoi j'ai opté aussi smile. Même si, à vrai dire, ça fait pas beau du tout dans mon texte anglais.

17 Dernière modification par Butorienne (22-03-2017 11:30:40)

Re : "hululations en touffes épineuses" (La Modification - Michel Butor)

C'est une image synesthésique qui me paraît exactement aussi cohérente que "des bruits qui transpercent (l'oreille, le tympan, etc.)"

Concernant "du temps de", "du temps de", "du temps de"... Vous prenez Butor pour un écrivain de la Belle Epoque?!? Du temps que les trains étaient à vapeur et roulaient si lentement qu'on pouvait encore tout entendre..!?

Le Paris-Rome de Butor est un train électrique CC 7100 qui roule à 200km/h avec des pointes à 330! Pas un fardier de Cugnot! big_smile

Sinon, c'est vrai que Butor était excessivement complexe dans certaines de ses images. Explication: c'est "d'abord un poète", comme il l'explique dans le dernier entretien qu'il a accordé de son vivant.

Re : "hululations en touffes épineuses" (La Modification - Michel Butor)

Le Paris-Rome 1950, train électrique, vitesse 200 km/h, pointes jusqu'à 330.

http://trainsdefrancois.free.fr/images/joud37.jpg

Re : "hululations en touffes épineuses" (La Modification - Michel Butor)

Concernant "du temps de", "du temps de", "du temps de"... Vous prenez Butor pour un écrivain de la Belle Epoque?!? Du temps que les trains étaient à vapeur et roulaient si lentement qu'on pouvait encore tout entendre..!?

Les trains à vapeur n'ont disparu que dans les années 60/70. J'ai vécu l'électrification de lignes et je ne date pas de la Belle Epoque !

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

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Re : "hululations en touffes épineuses" (La Modification - Michel Butor)

Je confirme : j'ai photographié une des dernières locomotives à vapeur en banlieue nord de Paris en 1970. C'était une 141TC.
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/92/141-TC-19.jpg

Caesarem legato alacrem, ille portavit assumpti Brutus.

Re : "hululations en touffes épineuses" (La Modification - Michel Butor)

Bravo, Alco !
De plus votre locomotive est une vraie loco tandis que celle de Butorinette n'est qu'un jouet.

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

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