P'tit prof a écrit:Je maintiens cependant mon objection majeure à la méthode greg : déduire la valeur d'un temps d'une langue de la façon dont il est traduit dans une autre langue me semble parfaitement farfelu, pour ne pas dire plus.
Je vais t'en dire plus. Les leçons de latin prodiguées par mes vieux professeurs ne sont malheureusement plus qu'un souvenir, lointain et indigent. Je ne puis accéder à cette langue que par les traductions faites dans les rares langues vivantes à ma portée, dont le français. Ce que tu qualifies rapidement de "méthode" n'est en fait qu'une triste contingence née d'une insuffisance.
Pour autant le procédé ne mérite pas tes reproches. Si l'on part du principe que la traduction française est de bon aloi — et cela semble être le cas puisque tu as facilement identifié les traducteurs sans avoir relevé une éventuelle infidélité —, on peut alors examiner les choix du traducteur à l'aune du système grammatical de la langue d'arrivée, qui est nôtre.
J'ai cherché d'autres traduction en français. J'en ai trouvé une (Charles Durosoir) dans laquelle le présent latin <mittit> est rendu par le passé simple <envoya> au lieu du présent français <envoie> (voir message 22). Sans tirer aucune conclusion sur l'emploi latin de ce temps, on constate que les traducteurs ont rendu un temps latin par un couple de temps français. Ce couple, passé simple et présent, fait écho à ce que je disais plus haut au sujet du présent stylistique à valeur d'aoriste.
En revanche les deux traducteurs maintiennent l'imparfait français <reprochait> pour <accusare>, un infinitif latin. Ils n'ont pas choisi le passé simple qui est la forme simple française la plus proche de la forme complexe française qu'on appelle "infinitif de narration".
P'tit prof a écrit:Ceci encore :
[...] Christian Touratier dans Syntaxe latine :
litteras ad eum [...] mittit in quis mollitiam socordiamque uiri accusare, testari deos, per quos iurauisset, monere ne praemia Metelli in pestem conuerteret.
il lui envoie [...] une lettre où il lui reprochait sa mollesse et sa lâcheté, il attestait les dieux par lesquels il avait juré, il l'avertissait de ne pas tourner à leur propre ruine les offres de Metellus.
Je ne connais pas ce Touratier, mais l'exemple ci-dessus illustre la leçon sur le discours indirect.
La lettre de Nabdalsa ne constitue nullement une narration, c'est un discours injonctif lourd de menace.
Totalement hors sujet.
Je ne reviens pas sur le second exemple, qui est bien un infinitif de narration, sauf pour dire que Touratier a repris l'exemple d'Ernout et Thomas.
Comment analyses-tu <in quis> ?
P'tit prof a écrit:Le passé simple (bûmes, burent...) et l'infinitif (boire) ont ceci en commun : ils présentent le procès dans sa globalité (aspect perfectif) et en survenance. Avec l'infinitif, la survenance demeure foncièrement virtuelle car l'infinitif ne prescrit aucune époque (il est compatible avec toutes les époques). Avec le passé simple, la survenance du procès, toujours virtuelle, est malgré tout inscrite dans un passé d'époque coupé du présent auquel il est strictement antérieur.
Pétition de principe : la démonstration de greg s'appuie sur l' équivalence qu'il pose lui-même.
On pourrait envisager également :
Et tous ces oiseaux sautillaient, buvaient, chantaieent, jouaient, volaient, se roulaient et voletaient encore<et encore>.
L'équivalence avec l'imparfait fonctionne très bien.
A d'autant plus forte raison qu'AMHA l'infinitif simple est d'aspect imperfectif, c'est l'infinitif composé qui est perfectif
L'objection à la "pétition de principe" ne tient pas une seconde. En effet, si tu poses que :
Et tous ces oiseaux de sautiller, de boire, de chanter, de jouer, de voler, de se rouler et de voleter encore.
est glosable par :
Et tous ces oiseaux sautillaient, buvaient, chantaient, jouaient, volaient, se roulaient et voletaient encore.
c'est que les imparfaits sont stylistiques. L'imperfectivité de ces imparfaits n'est que formelle et illusoire : ces imparfaits ont la perfectivité foncière du passé simple, sinon ils ne pourraient commuter avec l'infinitif de narration. La forme d'imparfait n'est pas là pour rendre imperfectif ce qui ne saurait l'être, mais pour rendre plus expressif ce qui le serait moins avec une forme aoristique pure. La présence des imparfaits à valeur perfective est ici l'ornement d'un style fleuri. Lequel, se limitant ici à l'alternance perfective PS/imp qu'accorde la langue, témoigne que la morphologie verbale fait avec une grande économie de moyens ce que de longues envolées lyriques peineraient à rendre.
Si, réciproquement, tu considères que dans la phrase :
Et tous ces oiseaux sautillaient, buvaient, chantaient, jouaient, volaient, se roulaient et voletaient encore.
les imparfaits conservent leur aspect grammatical imperfectif, alors à aucun moment tu ne pourrais les remplacer par des infinitifs de narration. Car si tu le faisais, tu échangerais une forme simple imperfective (imparfait) contre une forme complexe perfective (infinitif de narration).
Pour forcer le trait, tu ne peux remplacer :
Et tous ces oiseaux étaient en train de sautiller, en train de boire, en train de chanter, en train de jouer, en train de voler, en train de se rouler et en train de voleter encore.
par ceci :
Et tous ces oiseaux de sautiller, de boire, de chanter, de jouer, de voler, de se rouler et de voleter encore.
sans perdre l'inchoation virtuelle de l'infinitif (forme grammaticalement perfective par ailleurs).
Ce qui nous ramène à la dernière phrase de ton message : « [...] AMHA l'infinitif simple est d'aspect imperfectif, c'est l'infinitif composé qui est perfectif ». Non, l'infinitif simple n'est pas d'aspect grammatical imperfectif. Il est d'aspect grammatical perfectif, tout comme l'infinitif composé (dit "passé").
Quand on dit <bu>, on signifie non seulement l'engagement initial du procès "boire" mais aussi, et surtout, son dégagement intégral dans l'accompli par dépassement de son terme final. La forme <bu> est perfective.
Quand on dit <buvant>, le procès "boire" est réputé engagé sans pour autant être totalement dégagé dans l'accompli : il reste une part du procès qui n'est pas encore accomplie. Cette part restante, même infime, n'est jamais grammaticalement nulle. Si elle l'était, <buvant> et <bu> seraient la même chose. L'imperfectivité de <buvant> provient de sa dissociation intrinsèque.
Si tu prends <boire> à présent, le procès n'est pas engagé dans son déroulement interne. S'il l'était, ne serait-ce que très peu, il serait soit <buvant> soit <bu>. Or <boire> n'est aucun des deux. Et puisque cette forme suppose l'absence de tout engagement du procès, c'est qu'elle le représente entièrement sous forme virtuelle, sans considération donc pour ses bornes effectives — la borne initiale et la borne finale, ainsi que l'intervalle qu'elles définissent, sont ici tous trois sans objet. D'où le caractère perfectif de l'infinitif français.
De là aussi vient que, pour approcher <boire> autant qu'il est possible de <buvant>, on utilise <en train de boire> pour rendre extérieurement l'engagement dont l'infinitif est intérieurement dépourvu. Tu noteras aussi que *<en train de buvant> et *<en train de bu> ne se disent pas : le secours d'une locution externe est inutile car <buvant> et <bu> supposent solidairement l'engagement du procès.
Vois aussi :
je l'ai vu boire une bière
je l'ai vu en train de boire une bière
je l'ai vu buvant une bière
je le vois boire une bière
je le vois en train de boire une bière
je le vois buvant une bière
je le verrai boire une bière
je le verrai en train de boire une bière
je le verrai buvant une bière.
Enfin, quand on dit <avoir bu>, on est virtuellement dans la subséquence d'un procès engagé et accompli. La forme est doublement perfective.