CONSTRUCTION DE LA PROPOSITION INFINITIVE
N. B. - Dans l'exposé qui va suivre, on emploiera, pour plus de commodité, les mots de datif et d'accusatif. Le sujet de la proposition infinitive est au datif quand il prend la forme d'un complément d'objet indirect: Je fais bâtir ma maison À CET ARCHITECTE, je LUI fais bâtir ma maison. - il est à l'accusatif quand il prend la forme d'un complément d'objet direct: Je vois venir MON PÈRE, je LE vois venir.
a) Après les verbes apercevoir, écouter, entendre, faire, laisser, ouïr, regarder, sentir, voir, lorsque l'infinitif se présente sans objet direct, son sujet se met à l'accusatif:
Je vois CET ENFANT obéir à ses parents, je LE VOIS obéir. Je vois venir VOTRE PÈRE, je l'enlends parler. Laissons faire NOS PARENTS. Je sens battre MON COEUR. - Il fait trembler LES MÉCHANTS, il LES fait trembler. - Je ferai renoncer CET HOMME à ses prétentions (LITTRÉ). - Cette aventure ( ... ) contribua beaucoup à LE faire croire aux visions miraculeuses de Swedenborg (BALZAC, Louis Lambert, p. 6I). - Personne au monde ne LE fera changer d'avis (J. COCTEAU, Bacchus, lIl, 7).
Parfois cependant, notamment après faire et laisser, l'infinitif sans objet direct a son sujet au datif:
J'aurais fait changer d'avis À LUCILE (MARIVAUX, Les Serments indiscrets, III, 5). - Si vous croyez que c'est commode de LUI faire changer d'idée (P. BENOIT, Axelle, p. 171). - Cela, peu à peu, LUI laissait espérer dans la clémence du sort (Fr. CARCO, L'Homme traqué, p. 184). - Laissons faire AUX POÈTES (A. GIDE, Attendu que ... , p. 167). Dans ces divers cas, l'infinitif intransitif est, pour la syntaxe, fort proche d'un infinitif transitif : changer d'avis, changer d'idée, espérer dans la clémence sont très voisins de : changer son avis, changer son idée, espérer la clémence.
b) Lorsque l'infinitif a un objet direct:
Après faire, en général le sujet de l'infinitif se met au datif (voir cependant Rem. I et 2 ci-après), ou bien il se construit avec par:
Vous faites dire À CICÉRON une chose qu'il n'a jamais dite (LITTRÉ). - Je ferai bâtir ma maison À ou PAR CET ARCHITECTE (ID.). - L'architecte À QUI, PAR QUI j'ai fait bâtir ma maison. Je ferai examiner l'affaire À CELUI-CI, PAR CELUI-CI, À CHACUN D'EUX, PAR CHACUN D'EUX. - Et l'on fit traverser tout Paris À CES FEMMES (HUGO, Chât.,V, II). - Je ferais réciter ses rôles À MON MARI (Ch. VILDRAC, Le Pèlerin, I).
La romance que je LUI ai fait chanter. - Il LUI fit boire un liquide ... (BRIEUX, La Foi, II, 3). - Blanche LUI faisait penser à une grosse poupée à cheveux rouges bourrée de son (R. SABATIER, Trois sucettes à la menthe, p. 41).
Après faire quand le sujet de l'infinitif est un pronom personnel, il se met parfois à l'accusatif:
On ne LA fera point dire ce qu'elle ne dit pas (SÉv., 17 janv. 1680). Et c'étaient des joies, des douceurs qui LA faisaient bénir Dieu de son sort (SAINTE BEUVE, Vol., XIII). - Les femmes les plus naïves ont un sens merveilleux qui ( ... ) LES fait ressaisir bientôt tout l'empire qu'elles ont laissé perdre (R. MARTIN DU GARD, Jean Barois, p. 114). - L'inquiétude naturelle aux malades qui LES fait essayer sans cesse de nouveaux régimes (P. BOURGET, Les Détours du coeur, p. 329). - Des nouvelles un peu moins bonnes LES firent précipiter leur départ (A. GIDE, La Porte étroite, p. 129). _ Je l'avais fait jurer qu'il viendrait (A. BILLY, Madame, p. 166). - Il m'est impossible de LE faire aborder ce sujet (G. DUHAMEL, Problèmes de civilisation, p. 13).
2° Après apercevoir, écouter, entendre, laisser, ouir, regarder, sentir, voir, le sujet de l'infinitif se met indifféremment à l'accusatif ou au datif, ou bien il se construit avec par:
a) On LE vit briser ses meubles (G. SAND, Lélia, VIII). - S'ils ont laissé toute la mèche que je LES ai vus acheter (MAUPASS., Mont-Oriol, p. 38). - En LA voyant faire l'aumône (É. AUGIER, Les Effrontés, II, 6). - Il avisa Emilia de LE laisser conduire l'intrigue (É. BOURGES, Le Crépusc. des dieux, III). - Si encore on LE laissait emmener sa femme (M. PRÉVOST, La Nuit finira, t. I, p. 158). - Comme une souris QUE le chat laisse faire quelques pas en liberté (A. de CHÂTEAUBRIANT, M. des Lourdines, p. 132). - Je l'entends remuer la casserole (J. ROMAINS, Lucienne, p. 65). - Comme certains mendiants QUE j'ai vu [sic] humer l'odeur des plats (E. ESTAUNIÉ, L' Infirme ... , p. 95). - Je LA sentis serrer mon bras (M. ARLAND, La Vigie, p. lI9). - J'ai vu, j'ai laissé CES JARDINIERS planter des choux.
b) Je LUI laissai sans fruit consumer sa tendresse (RAC., Brit., IV, 2). _ Nous LUI vîmes enfiler des aiguilles fort menues (DIDEROT, Lett. sur les aveugles). _ Je LUI ai même entendu dire qu'il avait appris la flûte (J. ROMAINS, Lucienne, p. 64). _ Il n'était plus possible de LUI laisser tout ignorer (ID., ib., p. 145). _ Il resta toujours fidèle aux exercices de piété qu'il LUI avait vu pratiquer (H. BREMOND, Ames religieuses, p. 10).
c) Un garde ( ... ) a laissé admirer PAR MA FEMME son poignard (M. GENEVOIX, Afrique blanche, Afrique noire, p. 62). - J'ai vu, j'ai laissé Planter des choux À CES JARDINIERS, PAR CES JARDINIERS. Les jardiniers À QUI, PAR QUI j’ai laissé planter des choux.
Remarques. - I. Quand le sujet et l'objet direct de l'infinitif sont tous deux des pronoms personnels, si les deux pronoms sont joints devant le verbe principal, le pronom sujet de l'infinitif se met au datif:
Vers un vieux bâtiment je le LUI vis porter (LA F., F., IX, I). - On le LUI fit bien voir (ID., ib., VII, I). _ Ce devoir, je le LUI ferai recommencer, ne le LUI faites pas recommencer. Ce livre, ne le LEUR laissez pas lire.
Mais si les deux pronoms ne sont pas joints devant le verbe principal, le pronom sujet de l'infinitif se met à l'accusatif:
Ce mot d'«estime», ( ... ) LA faisait me remercier (SAINTE-BEUVE, Vol., XIX). - Je l'ai vu la battre (M. PRÉVOST, La Nuit finira, t. II., p. 50). - Elle ne veut pas, peut-être, qu'on LA voie me regarder (J. SARMENT, Jean Jacques de Nantes, p. 247). - Il LES regarde le regarder (ID., ib., p. 234).
En particulier, lorsque le verbe principal est à l'impératif et qu'il n'est pas précédé des deux pronoms conjoints, le pronom sujet de l'infinitif peut être: 1° au datif, dans des phrases comme les suivantes:
Ce livre, laissez-le-LUI lire. Ce devoir, faites-le LEUR recommencer.
2° à l'accusatif, dans des phrases comme les suivantes:
Ce livre, laissons-les le lire en paix. Laisse-LE te guider. Ne LES laisse pas nous injurier. Ne LE laisse pas te perdre. Voyez-LES nous accuser.
2. Quand l'infinitif est un verbe pronominal, son sujet se met à l'accusatif:
Qui LE fait se charger des soins de ma famille ? (CORN., Hor., V, 3.) _ Je LA vis se rapprocher de sa soeur (E. FROMENTIN, Dominique, XIII). _ Elle LES entendait se disputer (M. PRÉVOST, La Nuit finira, t. I, p. 162). - Une mollesse parfois LA faisait s'étendre sur l'herbe drue d'une pente (MAUPASSANT, Une Vie, II).
Il est exceptionnel que le sujet soit au datif:
Une résolution qui LUI fait se diriger vers la place de la Concorde (P. BOURGET, L'Émigré, p. 323).
3• Lorsque les verbes apercevoir, écouter, entendre, etc. (surtout faire et laisser) sont à la forme pronominale, le sujet de l'infinitif s'introduit par une des prépositions par ou de:
Il se laisse entraîner PAR LE COURANT. Il se fait estimer DE TOUS. Il se sentait envahir PAR UNE TRISTESSE MORTELLE.