Passer au contenu du forum

forum abclf

Le forum d'ABC de la langue française

Mise à jour du forum (janvier 2019)

Remise en l'état – que j'espère durable – du forum, suite aux modifications faites par l'hébergeur.

forum abclf » Histoire de la langue française » Origine des tournures populaires

Pages 1

Répondre

Flux RSS du sujet

Messages [ 17 ]

1 Dernière modification par Alco (07-03-2022 08:35:50)

Sujet : Origine des tournures populaires

J'ai déjà soulevé ici l'hypothèse d'une persistance du celtique dans la langue française, en particulier dans le parler populaire. Je crois me souvenir que la teneur des réponses était le scepticisme, compte tenu de la distance qui nous sépare de l'époque où on parlait celtique sur la majeure partie de notre territoire.
Et pourtant... en tant que celtisant, je suis frappé de certaines similitudes entre des formes de parler populaire, condamnées comme fautives par la norme officielle, et les équivalents dans les deux langues celtiques que je connais assez bien, le breton et l'irlandais.
Deux exemples :
- Le français populaire ignore les pronoms relatifs dont, duquel, de laquelle, desquels, et leur préfère la tournure avec que : la femme que j'ai vu son mari ce matin. Même syntaxe en breton et en irlandais.
- La condition, introduite par si, est normalement formulée à l'imparfait : elle boirait si elle avait soif. Or le français populaire, à l'instar du breton et de l'irlandais, utilise deux fois le conditionnel : elle boirait si elle aurait soif.

Ces traits de langage, parmi d'autres, m'ont choqué quand je me suis trouvé à côtoyer des milieux populaires (j'ai été élevé dans une famille où on avait à cœur de bien parler le français), tout formaté que j'étais par la norme scolaire. J'ai compris, par la suite, qu'il se répétaient et qu'ils appartenaient à une autre norme qui n'était pas celle de l'Académie.

Caesarem legato alacrem, ille portavit assumpti Brutus.

Re : Origine des tournures populaires

Alco a écrit:

- Le français populaire ignore les pronoms relatifs dont, duquel, de laquelle, desquels, et leur préfère la tournure avec que : la femme que j'ai vu son mari ce matin. Même syntaxe en breton et en irlandais.

Mais cette syntaxe simple est commune à beaucoup de langues, dans leur forme populaire,  y compris l'arabe parlé. C'est une simplification spontanée.

3 Dernière modification par Chover (07-03-2022 12:28:51)

Re : Origine des tournures populaires

Des tournures comparables à « la femme que j'ai vu son mari ce matin » ou « elle boirait si elle aurait soif » ont-elles été employées tout au long de l'histoire de la langue française ? Mon intuition, essentiellement, me fait répondre négativement à cette question. Par ailleurs, le conditionnel dans la principale et dans la subordonnée hypothétiques ne concerne pas que les langues celtiques mais aussi les germaniques, comme l'allemand : Wenn er mir geholfen hätte, wäre ich früher gekommen, S'il m'« aurait » aidé, je serais arrivé plus tôt.
Je tends par conséquent, pour le moins, au scepticisme quant à une « persistance du celtique dans la langue française » sur ces deux points.
Je découvre votre message, Abel, au moment de publier le mien : je vous suis.

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement… (Nicolas BOILEAU). Si possible !

4

Re : Origine des tournures populaires

Oui, mais simplification sous-entend une norme officielle plus compliquée. Or, à des époques où la majorité de la population était analphabète, la langue se transmettait de génération en génération sans se soucier de la langue des clercs.

Caesarem legato alacrem, ille portavit assumpti Brutus.

5 Dernière modification par Lévine (08-03-2022 08:57:38)

Re : Origine des tournures populaires

Alco a écrit:

J'ai déjà soulevé ici l'hypothèse d'une persistance du celtique dans la langue française, en particulier dans le parler populaire. Je crois me souvenir que la teneur des réponses était le scepticisme, compte tenu de la distance qui nous sépare de l'époque où on parlait celtique sur la majeure partie de notre territoire.

Ce n'est pas tant une question de temps que d'influence civilisationnelle.

Alco a écrit:


Et pourtant... en tant que celtisant, je suis frappé de certaines similitudes entre des formes de parler populaire, condamnées comme fautives par la norme officielle, et les équivalents dans les deux langues celtiques que je connais assez bien, le breton et l'irlandais.
Deux exemples :
- Le français populaire ignore les pronoms relatifs dont, duquel, de laquelle, desquels, et leur préfère la tournure avec que : la femme que j'ai vu son mari ce matin. Même syntaxe en breton et en irlandais.
- La condition, introduite par si, est normalement formulée à l'imparfait : elle boirait si elle avait soif. Or le français populaire, à l'instar du breton et de l'irlandais, utilise deux fois le conditionnel : elle boirait si elle aurait soif.

Pour dont, ce n'est pas si évident.
D'autre part, la tournure populaire que vous évoquez témoigne d'une simplification innée nullement propre au français. Quand je parle de simplification, ce n'est évidemment pas par rapport à une norme savante qu'ignorent les illettrés : il s'agit plutôt d'une sorte de création spontanée face à un énoncé complexe à fournir.  Cela dit, dans certaines langues, comme le grec moderne, ce n'est pas une tournure nécessairement incorrecte. En grec, le pronom relatif est presque devenu invariable dans les usages courants, et il faut le secours d'un pronom personnel dans la relative pour assurer la clarté syntaxique.
Croyez-vous que Robert de Clari, historien de la 4ème croisade sans prétention littéraire, ait été influencé par le gaulois quand il écrit ? Bien sûr, il devait connaître la norme latine classique, comme tout clerc, et pourtant il évite le calque en (ré)inventant un mode d'expression plus simple, et le gaulois n'y est sûrement pour rien ! :

Ceu vaslés si fu fix l'empereur Kyrsac de Constantinoble, que uns siens freres li avoit tolu l'empire.
= Ce jeune homme était le fils de l'empereur Isaac de C., à qui son frère avait ravi le pouvoir (on a que... li au lieu de cui ; jamais CdT n'aurait écrit ainsi).

Quant à si j'aurais..., c'est l'exemple même de la normalisation populaire qui a tout à fait sa logique. Dans votre exemple précis, on aurait les mêmes modes dans la subordonnée et la principale en latin, en grec, en russe, en finnois...

Alco a écrit:

Ces traits de langage, parmi d'autres, m'ont choqué quand je me suis trouvé à côtoyer des milieux populaires (j'ai été élevé dans une famille où on avait à cœur de bien parler le français), tout formaté que j'étais par la norme scolaire. J'ai compris, par la suite, qu'il se répétaient et qu'ils appartenaient à une autre norme qui n'était pas celle de l'Académie.

Sans doute, mais je ne vois pas comment on peut attribuer ces usages au gaulois. C'est une langue "qui n'a pas eu de chance" (je ne sais plus quel linguiste a dit cela), non en raison de sa nature - qu'est-ce que la nature d'une langue -, mais pour des raisons tout simplement historiques.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

6

Re : Origine des tournures populaires

Merci de vos réponses éclairantes.

Caesarem legato alacrem, ille portavit assumpti Brutus.

7 Dernière modification par Lévine (07-03-2022 23:06:30)

Re : Origine des tournures populaires

Oui, mais je suis désolé pour les fautes. J'ai légèrement corrigé le second paragraphe.

Le cas est différent, mais voici un exemple qui montre qu'on pouvait très bien enchaîner une relative et une complétive, ce qui serait incorrect de nos jours :

Les chevaus que vos dites que prins avés (Aiol, Ch de geste du XIIème)

= Les chevaux que vous dites que vous avez pris.

Bien sûr, on pourrait aussi trouver la tournure moderne : la langue littéraire du XIIème était infiniment souple parce qu'elle était encore dans sa jeunesse...

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

8

Re : Origine des tournures populaires

Lévine a écrit:

Sans doute, mais je ne vois pas comment on peut attribuer ces usages au gaulois. C'est une langue "qui n'a pas eu de chance" (je ne sais plus quel linguiste a dit cela), non en raison de sa nature - qu'est-ce que la nature d'une langue -, mais pour des raisons tout simplement historiques.

Il faut reconnaître que les langues celtiques dans leur ensemble n'ont pas eu de chance, mais c'est sans doute parce que ceux qui les parlaient (et les parlent encore un peu) ont été vaincus par des peuples plus puissants et mieux organisés.

Caesarem legato alacrem, ille portavit assumpti Brutus.

9 Dernière modification par Chover (08-03-2022 12:47:14)

Re : Origine des tournures populaires

Lévine a écrit:

Le cas est différent, mais voici un exemple qui montre qu'on pouvait très bien enchaîner une relative et une complétive, ce qui serait incorrect de nos jours :
Les chevaus que vos dites que prins avés (Aiol, Ch de geste du XIIème)
= Les chevaux que vous dites que vous avez pris.

Avec une véritable principale (en vert ci-après), cette dernière phrase pourrait devenir :

On voit les chevaux que vous dites que vous avez pris [hier].

On entend parfois des formulations comparables de nos jours. La complétive C.O.D. de « dites », en italiques ci-dessus, avec sa conjonction « que », me paraît là incluse dans la relative (en bleu), cette dernière commençant avec le premier « que », pronom relatif C.O.D. de « avez pris », et se terminant avec « hier », que j'ai cru bon d'ajouter.


Lévine a écrit:

Bien sûr, on pourrait aussi trouver la tournure moderne : la langue littéraire du XIIème était infiniment souple parce qu'elle était encore dans sa jeunesse...

Bien entendu, sont préférables, et de loin : On voit les chevaux que vous dites avoir pris hier, ou : On voit les chevaux dont vous dites que vous les avez pris hier. Mais après tout, dans la phrase réputée incorrecte, chaque mot n'est-il pas analysable grammaticalement ?

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement… (Nicolas BOILEAU). Si possible !

Re : Origine des tournures populaires

Il me semble que ces  constructions, tout à fait analysables et claires, étaient encore admises dans la langue préclassique et classique :
--& vous êtes d'autant plus coupable, que vous portez encore les chaînes d'un ennemi, que vous dites que vous haïssez, & dont vous avez secoüé le joug pour ne le plus reprendre.
https://books.google.fr/books?id=TegINE … mp;f=false

11

Re : Origine des tournures populaires

Abel Boyer a écrit:

--& vous êtes d'autant plus coupable, que vous portez encore les chaînes d'un ennemi, que vous dites que vous haïssez, & dont vous avez secoüé le joug pour ne le plus reprendre.
https://books.google.fr/books?id=TegINE … mp;f=false

Le passage que vous citez se trouve à la fin de la première page sous le lien.

1 « Vous dites que vous haïssez cet ennemi » comporte la principale « Vous dites » et la subordonnée conjonctive complétive « que vous haïssez cet ennemi ».

2 « Vous dites haïr cet ennemi », de même sens ou de sens très proche, est une indépendante dont le verbe conjugué, dites, admet un groupe infinitif complément, haïr cet ennemi.

La principale et l'indépendante peuvent devenir des subordonnées, amenées, par exemple, par le verbe connaître, cela conduisant, en 1, à : Je connais cet ennemi que vous dites que vous haïssez (cf. votre citation) ; en 2, à : Je connais cet ennemi que vous dites haïr.

Or on a l'impression bizarre, à entrer dans ces considérations, que « vous haïssez », en gras ci-dessus, ferait partie à la fois de la subordonnée relative (« Je connais cet ennemi que – ainsi que vous le dites – vous haïssez »*) et de la subordonnée conjonctive (… vous dites que vous haïssez [cet ennemi]).
Je m'en sors peut-être, mais laborieusement, en analysant « Je connais cet ennemi que vous dites que vous haïssez » comme une phrase complexe comportant une principale incontestable « Je connais cet ennemi », et une subordonnée relative « que vous dites que vous haïssez », incluant la subordonnée conjonctive « que vous haïssez », ainsi que je l'ai dit hier à propos d'une phrase comparable.

* L'incise entre tirets constitue une légère modification qui me paraît accréditer, s'il le fallait, la nature de subordonnée relative de « que vous haïssez » dans cette phrase.

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement… (Nicolas BOILEAU). Si possible !

12

Re : Origine des tournures populaires

Chover a écrit:

Je m'en sors peut-être, mais laborieusement, en analysant « Je connais cet ennemi que vous dites que vous haïssez » comme une phrase complexe comportant une principale incontestable « Je connais cet ennemi », et une subordonnée relative « que vous dites que vous haïssez », incluant la subordonnée conjonctive « que vous haïssez », ainsi que je l'ai dit hier à propos d'une phrase comparable.

* L'incise entre tirets constitue une légère modification qui me paraît accréditer, s'il le fallait, la nature de subordonnée relative de « que vous haïssez » dans cette phrase.

Ce qui n'empêche pas de pousser l'analyse à un niveau inférieur dans la relative : une arborescence montrerait clairement l'étagement de ces différents niveaux dans la phrase considérée.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

Re : Origine des tournures populaires

Sur ces constructions dans la langue classique, voir ce qu'écrivait Hasse :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k … f105.item#
https://i.ibb.co/KxkjrM3/Capture-d-cran-2022-03-09-142605.png
https://i.ibb.co/vZLvCHQ/Capture-d-cran-2022-03-09-142712.png

14

Re : Origine des tournures populaires

Merci, Abel. Je reviendrai peut-être sur cet extrait de Hasse, qui m'interpelle.

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement… (Nicolas BOILEAU). Si possible !

15 Dernière modification par Chover (11-03-2022 14:22:04)

Re : Origine des tournures populaires

Je relève dans l'ordre quelques éléments du texte de Hasse.

1 - « L'homme que je sais qui est venu [a disparu] » ! J'en reste comme deux ronds de flan ! Faut-il rappeler que « qui est venu », dans « je sais qui est venu », est interrogatif ? Hasse imagine que « qui » pourrait y valoir « qu'il », affirmatif. Ce n'est pas impossible, mais quel grand écrivain (Hasse n'en cite aucun) pouvait se permettre pareille chose ? L'auteur de cette phrase a probablement en tête « L'homme qui est venu [a disparu]», avec le pronom relatif (et non interrogatif) « qui », et éprouve concomitamment le besoin d'indiquer qu'il est au courant de cette venue (« L'homme qui est venu, je le sais, [a disparu] »). Mais alors, comment cela peut-il ne pas conduire à « L'homme que je sais être venu [a disparu] » ou à « L'homme dont je sais qu'il est venu [a disparu] » ?

2 - « Ce qu'on pense qui doive être sa fin, n'est qu'un de ses moyens pour y arriver » (BALZAC) rappelle davantage « [On voit] les chevaux que vous dites que vous avez pris ». En grammaire traditionnelle, on considère comme proposition principale, je crois, la partie que j'ai mise en orange. Restent deux subordonnées, forcément relatives, du fait de la présence de « qu' » (après « Ce ») et de « qui ». Or « penser » amène d'habitude des complétives (Je pense que tu te trompes). Là s'arrêtent donc la ressemblance avec « […] les chevaux que vous dites que vous avez pris »… et mon acceptation de la phrase de BALZAC ! Or on voit qu'il s'inscrit sur ce point dans une longue tradition. Je dois sans doute me remettre en cause.

3 - Toutefois, le même BALZAC écrit aussi (REMARQUE de Hasse) : « C'est une faveur […] que je ne sais encore si j'ai reçue […] », où je crois voir la confirmation du bien-fondé de mes réticences aux points 1 et 2 : • « que », pronom relatif y est bien C.O.D. de « ai reçue », • « si », conjonction (on parle parfois d'un adverbe en pareil cas) de subordination, y amène bien l'interrogative « si j'ai reçue », • tous les mots me semblent susceptibles d'y être analysés grammaticalement. Pour l'analyse logique, s'impose là, me semble-t-il, ce que vous avez écrit avant-hier, Lévine, à propos de « Je connais cet ennemi que vous dites que vous haïssez » : Ce qui n'empêche pas de pousser l'analyse à un niveau inférieur dans la relative : une arborescence montrerait clairement l'étagement de ces différents niveaux dans la phrase considérée.

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement… (Nicolas BOILEAU). Si possible !

Re : Origine des tournures populaires

Je comprends bien que ces constructions classiques peuvent étonner. Voici quelques éléments de réflexion tirés de la  Grammaire du français classique de Nathalie Fournier.

https://i.ibb.co/9wHVX8j/Capture-d-cran-2022-03-12-171415.png
https://i.ibb.co/hmHS9fx/Capture-d-cran-2022-03-12-171453.png
https://i.ibb.co/KXZNvC0/Capture-d-cran-2022-03-12-171607.png
https://i.ibb.co/pLtGY4k/Capture-d-cran-2022-03-12-171652.png

17

Re : Origine des tournures populaires

Passionnant. On trouve là davantage que ce qui a été dit auparavant sur ce fil. J'ai beaucoup aimé, en particulier : Ces relatives imbriquées, surtout celles du premier type, sont d'une très grande fréquence, et le resteront au XVIIIe siècle, malgré les critiques des grammairiens. Merci, Abel.

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement… (Nicolas BOILEAU). Si possible !

Messages [ 17 ]

Pages 1

Répondre

forum abclf » Histoire de la langue française » Origine des tournures populaires