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forum abclf » Écriture et langue française » Mémoires d'Hadrien.

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Messages [ 5 ]

Sujet : Mémoires d'Hadrien.

Bonsoir,
délire du corps. Il n’est pas indispensable que le buveur abdique sa raison, mais l’amant qui garde la sienne n’obéit pas jusqu’au bout à son dieu. L’abstinence ou l’excès n’engagent partout ailleurs que l’homme seul : sauf dans le cas de Diogène, dont les limitations et le caractère de raisonnable pis-aller se marquent d’eux-mêmes, toute démarche sensuelle nous place en présence de l’Autre, nous implique dans les exigences et les servitudes du choix. Je n’en connais pas où l’homme se résolve pour des raisons plus simples et plus inéluctables, où l’objet choisi se pèse plus exactement à son poids brut de délices, où l’amateur de vérités ait plus de chances de juger la créature nue. À partir d’un dépouillement qui s’égale à celui de la mort, d’une humilité qui passe celle de la défaite et de la prière, je m’émerveille de voir chaque fois se reformer la complexité des refus, des responsabilités, des apports, les pauvres aveux, les fragiles mensonges, les compromis passionnés entre mes plaisirs et ceux de l’Autre, tant de liens impossibles à rompre et pourtant déliés si vite. Ce jeu mystérieux qui va de l’amour d’un corps à l’amour d’une personne m’a semblé assez beau pour lui consacrer une part de ma vie. Les mots trompent, puisque celui de plaisir couvre des réalités contradictoires, comporte à la fois les notions de tiédeur, de douceur, d’intimité des corps, et celles de violence, d’agonie et de cri. La petite phrase obscène de Poseidonius sur le frottement de deux parcelles de chair, que je t’ai vu copier avec une application d’enfant sage dans tes cahiers d’école, ne définit pas plus le phénomène de l’amour que la corde touchée du doigt ne rend compte du miracle des sons. C’est moins la volupté qu’elle insulte que la chair elle-même, cet instrument de muscles, de sang, et d’épiderme, ce rouge nuage dont l’âme est l’éclair...

J'avoue que ce passage m'intrigue un peu, je vous suis reconnaissant si vous m'assister un peu :

<<  Je n’en connais pas où l’homme se résolve pour des raisons plus simples et plus inéluctables, où l’objet choisi se pèse plus exactement à son poids brut de délices, où l’amateur de vérités ait plus de chances de juger la créature nue. À partir d’un dépouillement qui s’égale à celui de la mort, d’une humilité qui passe celle de la défaite et de la prière, je m’émerveille de voir chaque fois se reformer la complexité des refus, des responsabilités, des apports, les pauvres aveux, les fragiles mensonges, les compromis passionnés entre mes plaisirs et ceux de l’Autre, tant de liens impossibles à rompre et pourtant déliés si vite. Ce jeu mystérieux qui va de l’amour d’un corps à l’amour d’une personne m’a semblé assez beau pour lui consacrer une part de ma vie.>>

Merci infiniment.

« La perversion de la cité commence par la fraude des mots. » PLATON

2 Dernière modification par Lévine (03-08-2020 16:26:05)

Re : Mémoires d'Hadrien.

Bonjour rabah75,

Je préfère vous expliquer en deux mots le contenu de tout le passage sans m'en tenir à l'extrait qui vous pose problème ; vous pourrez aisément comprendre le détail à partir de ces quelques indications. 

A la différence de l'ivresse, l'amour implique l'autre. Or ce dernier n'est pas seulement simple objet de désir, mais aussi une personne :

Ce jeu mystérieux qui va de l’amour d’un corps à l’amour d’une personne m’a semblé assez beau pour lui consacrer une part de ma vie.

La passion, la chair, la sensualité ne sont pas rejetées par Hadrien, mais l'amour ne se limite pas à eux : Hadrien parle d' "exigences et de servitudes" dans la relation entre les deux êtres. Car l'esprit (ou l'âme) a sa part dans cette relation, et même la raison (cf. "choix"). Ce principe spirituel ne s'oppose pas à la passion (le problème moral classique n'est pas ici abordé, du moins de façon traditionnelle), mais forme avec elle un ensemble indissociable. Cette relation s'apparente à un jeu, à de la "galanterie", pourrait-on dire :

À partir d’un dépouillement qui s’égale à celui de la mort, d’une humilité qui passe celle de la défaite et de la prière, je m’émerveille de voir chaque fois se reformer la complexité des refus, des responsabilités, des apports, les pauvres aveux, les fragiles mensonges, les compromis passionnés entre mes plaisirs et ceux de l’Autre, tant de liens impossibles à rompre et pourtant déliés si vite.   

Mais elle est consubstantielle à un amour plein et véritable (ce qui ne veut pas dire éternel).

Comme l'amour engage la chair et l'esprit, on comprend qu'il révèle pleinement l'Homme dans son essence, pourrait-on dire ; mieux que l'attitude cynique de Diogène, il le met à nu :

Je n’en connais pas où l’homme se résolve pour des raisons plus simples et plus inéluctables, où l’objet choisi se pèse plus exactement à son poids brut de délices, où l’amateur de vérités ait plus de chances de juger la créature nue

Car les mots trompent, de même que les images qu'on pourrait prendre pour décrire l'amour :

(toute la fin du texte)

La chair n'est-elle pas vivifiée par l'âme, rendant vaine toute approche matérialiste ?

cet instrument de muscles, de sang, et d’épiderme, ce rouge nuage dont l’âme est l’éclair...

(Ailleurs dans ses Mémoires, Hadrien avoue n'avoir pas pu découvrir le siège de l'âme chez l'Homme : c'est le signe qu'il n'y a pas dualisme, encore moins antagonisme)

Voilà : j'espère que c'est un peu plus clair. Vous me direz.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

3 Dernière modification par rabah75 (03-08-2020 19:19:15)

Re : Mémoires d'Hadrien.

Bonsoir Lévine,
C'est quoi au juste :

dépouillement qui s’égale à celui de la mort ?
complexité des refus, des responsabilités, des apports, les pauvres aveux, les fragiles mensonges... ?

« La perversion de la cité commence par la fraude des mots. » PLATON

Re : Mémoires d'Hadrien.

Oui, c'est parce que la passion qui envahit l'être "chosifie" (ou déifie, mais c'est la même chose) l'être aimé. Mais du fait que l'amour n'existe qu'avec l'autre, l'état de possession qui fait de l'être un "mort" ne peut subsister, la raison faisant entreprendre à l'amant une cour faite d'avances maladroites (ce que j'appelais galanterie), de réactions d'amour-propre, de "compromis", afin que la relation s'inscrive, non nécessairement dans la durée, mais au moins dans la cohérence. Hadrien s'émerveille de cette possibilité qu'a l'être (ou qu'il a eue lui) de comprendre que l'amour doit se confronter à l'autre pour exister.

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

Re : Mémoires d'Hadrien.

Merci infiniment, c'est ce que je remuais intérieurement. Je voulais pas me l'expliquer singulièrement ou passer à côté par orgueil, c'est pour cela que je fais appel à votre jugement.
Comme ça j'en ai le coeur net. Merci encore.

« La perversion de la cité commence par la fraude des mots. » PLATON

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