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forum abclf » Pratiques linguistiques » « Statut » de l'animal ?

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Messages [ 14 ]

1 Dernière modification par yd (01-11-2014 11:17:06)

Sujet : « Statut » de l'animal ?

Bonjour.

Toute la classe médiatique et politique adopte comme un seul homme ce terme de statut en l'appliquant aux animaux, et j'ai beau repasser sur le TLFi je ne vois aucun usage qui le permette, même de loin.

Nécessairement, on va distinguer bientôt entre « statuts » des animaux sauvages ou domestiques ou d'élevage ; dans ce dernier cas on distinguera encore plusieurs « statuts » selon la destination de cet élevage ; on ne verra pas le même « statut » à une truite d'élevage, à un poisson d'agrément dans un aquarium et à un chien d'avalanche ou d'aveugle. Si donc la loi adopte ce terme de « statut » pour les animaux en général, les applications vont se multiplier : les incidences linguistiques sont très importantes.

Il s'agirait d'une classification juridique, continuant de considérer les animaux comme un « bien » tantôt dit « meuble » tantôt dit « corporel » - qu'est-ce qu'un bien corporel ? -, et surtout d'une révolution les définissant comme êtres vivants sensibles, alors que je ne vois pas comment un être, différencié ici de l'existant ou du seul être-là, se pourrait autrement que vivant et sensible, et que la distinction aussi bien d'avec les végétaux et d'avec l'homme est cruellement insuffisante, pour ne pas dire, dans les deux sens du mot, insignifiante. Philosophiquement je ne vois que le degré d'autonomie et de conscience de soi et d'autrui, idée incluse dans celle d'autonomie, qui permette une différenciation satisfaisante. Rien qui se rapproche de l'idée de statut.

De surcroît, l'idée de statut au seul sens juridique impliquait semble-t-il jusqu'ici, au moins selon le TLFi, des droits et des devoirs. Or quelle idée un animal aurait-il de ses droits, et à bien plus forte raison de ses devoirs ?

Je trouve qu'on est en train de déconstruire notre langage et nos notions, et à chaque fois sous couvert d'un progrès : l'idée de progrès au service de la régression, je le dis carrément. En tant qu'être humain, en tant que personne civilisée d'une certaine époque et d'une certaine culture, et en tant que locuteur d'une langue, je me sens atteint.

Je sais qu'ABC n'est ni un forum naturaliste - classification du vivant -, ni un forum juridique, ni un forum politique, ni un forum philosophique, mais nous sommes en plein cœur de la langue et de ses usages, de la culture qui s'y rattache, de sa propre histoire et de son inscription dans l'histoire, de ses notions qui s'énoncent et se déclinent par le vocabulaire les unes par rapport aux autres en un corpus pensé et organisé.

Fille légère ne peut bêcher.

Re : « Statut » de l'animal ?

yd a écrit:

Toute la classe médiatique et politique adopte comme un seul homme ce terme de statut en l'appliquant aux animaux, et j'ai beau repasser sur le TLFi je ne vois aucun usage qui le permette, même de loin.

Même pas A4b ?
Situation qu'une réalité occupe dans un contexte donné

3 Dernière modification par yd (01-11-2014 12:22:57)

Re : « Statut » de l'animal ?

Non, même pas, puisqu'il s'agit alors d'une réalité au sens abstrait, ce qui convient on ne peut plus mal à l'animal.
Après vérification, le TLFi prend la précaution d'indiquer : « P. anal. [À propos d'une chose, d'une abstraction] ».
Vous ne faites qu'apporter de l'eau à mon moulin, puisqu'on chosifie alors l'animal sous prétexte de le reconnaitre comme être vivant et sensible.

Dans le TLFi je n'ai vu qu'un possible anglicisme en A1b, mais je n'ai aucune information qui me permette de le penser :

b) HIST. En Angleterre, loi issue de la volonté commune du souverain et du Parlement. (Dict. xixes.).

Fille légère ne peut bêcher.

Re : « Statut » de l'animal ?

Je ne suis pas de cet avis. "Statut" s'emploie aussi bien pour les personnes (A4a) que, par analogie et extension, pour les choses (A4b). Les animaux étaient traditionnellement considérés par la loi du côté des choses (des meubles, en l'occurrence) ; on les place aujourd'hui plutôt dans la catégorie des personnes, ou du moins des êtres doués de sensibilité. Cette catégorie est nouvelle et ne pouvait pas être prévue par le TLF, mais "statut" avait vocation à s'appliquer à toutes les catégories.

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Re : « Statut » de l'animal ?

Les animaux étaient traditionnellement considérés par la loi du côté des choses

Depuis longtemps oui, mais ce ne fut pas toujours le cas puisqu'au Moyen-Âge, les procès d'animaux n'étaient pas chose si rare. L'animal était alors doté d'une personnalité ou d'un statut juridique.
http://www.justicecanada.ca/wp-content/uploads/2013/12/Procès-animal.jpg

" Wer fremde Sprachen nicht kennt, weiß auch nichts von seiner eigenen."   J.W.v.Goethe

6 Dernière modification par P'tit prof (01-11-2014 13:09:56)

Re : « Statut » de l'animal ?

L'esclave est un bien meuble disait tout franc le code noir : meuble parce que mobile, à la différence des biens immeubles : champs, bois, sucreries, etc.
Que l'animal soit un bien (on l'achète, on le possède, on en est responsable...) meuble (qui n'a jamais cherché un chat fugueur ?) ne me gêne pas. Ce qui me gêne, c'est l'élevage en batterie, la ferme des mille vaches et toutes les délicates gâteries que l'homme réserve à ces compagnons de planète.


Un survol rapide de l'article statut du Tlfi offre plusieurs possibilités d'user du mot statut :

STATUT, subst. masc.

2. DR. INTERNAT. [P. réf. à l'ensemble des textes de lois concernant l'État, la capacité des pers. ou leurs biens]
Statut personnel. ,,Législation applicable à une personne d'après sa nationalité ou son domicile personnel`` (BARR. 1974).


On peut étendre ce sens aux animaux, puisqu'il s'agit de leur appliquer une législation.

b) P. ext.
[À propos d'une pers. ou d'un groupe de pers.] Situation d'un individu ou d'une catégorie d'individus dans un groupe. Amélioration des niveaux de vie, suppression du travail des enfants, limitation de la puissance paternelle, changement dans le statut de la femme, urbanisation (Traité sociol., 1967, p. 284).
Statut social. Position qu'une personne occupe dans la société; prestige dont elle jouit au sein de cette société. Synon. rang, rôle, situation. Le statut social (...) est caractérisé (...) par un certain nombre de facteurs variables selon les cas, tels que la profession, la propriété foncière, les revenus, le pouvoir, l'appartenance ethnique (BIROU 1966).

Cela s'applique aux animaux, individus au sein de la société humaine.

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

7 Dernière modification par yd (01-11-2014 15:35:47)

Re : « Statut » de l'animal ?

C'est bien ce que j'avais vu et que je n'avais pas dit, merci de vous être donnés tout ce mal  : par la notion de statut animal on nie le rang humain.

Quant à l'anglicisme, il s'agit bien évidemment d'un américanisme, Amérique anglophone d'où nous viennent les autres choses du genre.

Fille légère ne peut bêcher.

Re : « Statut » de l'animal ?

par la notion de statut animal on nie le rang humain.

Vous pouvez démêler ce peloton ?
En reconnaissant que l'animal, être sensible et doué d'intelligence, a le droit d'être traité avec humanité, on ne nie pas le rang humain, bien au contraire ! On place l'homme devant ses responsabilités : sa supériorité lui crée des devoirs, et c'est en ne remplissant pas ces devoirs qu'il renonce son humanité. Cruel envers les bêtes, cruel envers les hommes.

Un statut juridique de l'animal grandit l'Homme.

... ne supra crepidam  sutor iudicaret. Pline l'Ancien

Re : « Statut » de l'animal ?

regina a écrit:

au Moyen-Âge, les procès d'animaux n'étaient pas chose si rare. L'animal était alors doté d'une personnalité ou d'un statut juridique.

Ce fut le cas de la chèvre d'Esmeralda (Notre-Dame de Paris).
Pour le reste, j'ai toujours pensé que les animaux de n'importe quelle espèce sont dignes de respect, et cela constitue leur « statut ».

L'escrivaillerie semble estre quelque symptome d'un siecle desbordé

10 Dernière modification par yd (02-11-2014 02:57:44)

Re : « Statut » de l'animal ?

Il s'agit bel et bien d'une nouveauté, alors que l'homme a toujours su ce qu'il devait à l'animal, jeûnant par exemple avant d'aller chasser, puisque sur Google Livres avant 2000 on ne trouve que huit livres utilisant exactement l'expression de statut de l'animal, la première fois en 1980 :

1980 Gisèle Mathieu-Castellani
1987 Michel Cartry
1989 Alain Couret, Frédéric Ogé, Annick Audiot
1994 M. Picard, R. H. Porter, J. P. Signoret
1996 Liliane Bodson
1999 Jean H. Duffy
1999 Jean-Paul Duviols, Annie Molinié-Bertrand, Araceli Guillaume-Alonso
1999 Arouna P. Ouédraogo, Pierre Le Neindre

Je me rappelle que Pasteur avait donné lieu à de sévères critiques à l'Assemblée Nationale pour avoir inoculé la rage à des chiens, à ce point que ce sont les pays étrangers qui ont imposé sa reconnaissance. Si on ne parlait pas de statut de l'animal, ce n'est nullement qu'on n'avait aucune notion de nos devoirs envers les animaux, bien évidemment. C'est bien que la notion de statut était inappropriée, et terminé.

Depuis j'ai trouvé un article qui explique un peu mieux : il s'agit essentiellement d'animaux de compagnie. Jusqu'à présent la reconnaissance des animaux comme êtres sensibles, donc qu'on doit traiter correctement, était implicitement ou explicitement dans le Code rural et dans le Code pénal. La nouveauté, c'est un amendement en cours au Code civil, qui continue de considérer les animaux comme des biens meubles, plus précisément comme des biens corporels, ce qui donne à penser qu'il s'agit d'indemnisations au tribunal ou par les assurances, tout en réparant une insuffisance du texte en définissant les animaux comme êtres vivants sensibles, ce qui en réalité n'est pas nouveau. Vous remarquerez que cet article, qui explique à mon avis le mieux, ne parle pas de statut de l'animal, et les vaches sont bien mieux gardées.

Dans le Code civil l'animal ne peut être vu que de façon aberrante, n'y figurant qu'en tant que bien meuble, et il ne s'agit nullement de ses droits, mais de ceux du propriétaire ou du maître. La reconnaissance proprement dite de l'animal et de ce que nous lui devons n'est pas du ressort du Code civil, ou faute de mieux il faudrait une annexe au Code civil.

Je ne sais même pas si le débat à l'Assemblée a usé de cette notion de statut de l'animal ; mais de très nombreux articles de presse ont titré, à ce sujet, sur la reconnaissance nouvelle d'un statut de l'animal. C'est bien ce qui me fait réagir.

Être un humain ou un animal ou un végétal n'est pas un statut. Et en effet, si on y insiste, on se retrouvera tous dans des statuts en tant qu'êtres humains, de l'intouchable au maharadjah. Les statuts, on joue avec comme on veut, et ceux qui jouent avec se font maîtres. Ce que nous nous reconnaissons mutuellement en tant qu'hommes, ou ce que les hommes reconnaissent aux animaux, personne n'en fait ce qu'il veut.

Fille légère ne peut bêcher.

11 Dernière modification par glop (02-11-2014 12:58:16)

Re : « Statut » de l'animal ?

En fait, les animaux d’une ferme n’avaient pas tous le même statut (si j’ose dire).
Lorsque l’on vendait une exploitation agricole, on pouvait emporter avec soi les troupeaux et les animaux de basse-cour mais on devait laisser les chevaux de trait qui étaient considérés comme partie inhérente à l’outil de travail. Les bêtes de somme entraient donc  dans la catégorie des biens immobiliers.
En ce qui concerne les règles régissant les soins à apporter aux animaux domestiques, elle ont tout d’abord été destinées aux chevaux, tout particulièrement dans les différents corps militaires de cavalerie mais ces règlement n’entraient pas dans le cadre du code civile. Cela permet peut-être d’expliquer en partie pourquoi certaines personnes qui militent pour la défense des animaux domestiques sont également des chasseurs.
En Australie les gens nourrissent leurs chats avec des aliments en boite contenant du kangourou et on utilise des hélicoptères pour tuer les chevaux sauvages. En suisse on cuisine la viande de chat, en France, et ailleurs, les jardins des villas sont de plus en plus souvent bétonnés pour éviter qu’une taupe ait l’outrecuidance d’y séjourner.
Je crois que l’on n’est pas prêt de considérer d’égal à égal le chien, le rat, le ténia et la bergeronnette.

Nomina si nescis, perit cognitio rerum. Edward Coke

Re : « Statut » de l'animal ?

yd a écrit:

Il s'agirait d'une classification juridique, continuant de considérer les animaux comme un « bien » tantôt dit « meuble » tantôt dit « corporel » - qu'est-ce qu'un bien corporel ? -,

Les biens corporels ont une existence matérielle (une maison, par exemple), au contraire des biens incorporels (des droits d'auteur, par exemple)
Les biens meubles sont par définition ceux qui ne sont pas immeubles, donc en gros ceux qu'on peut déplacer ou qui se déplacent eux-mêmes comme les animaux.

yd a écrit:

Il s'agit bel et bien d'une nouveauté, alors que l'homme a toujours su ce qu'il devait à l'animal, jeûnant par exemple avant d'aller chasser, puisque sur Google Livres avant 2000 on ne trouve que huit livres utilisant exactement l'expression de statut de l'animal, la première fois en 1980 :

C'est une nouveauté de vocabulaire, pas forcément une nouveauté de concept. Par exemple l’expression "statut de l'homme" n'existe pratiquement pas avant le XXe siècle. Ça ne veut pas dire que l'homme n'avait pas de statut juridique avant 1900.

13 Dernière modification par yd (02-11-2014 16:01:54)

Re : « Statut » de l'animal ?

J'ignorais ces notions de biens corporels et incorporels, je vous remercie.

Pour le statut de l'homme, je n'ai jamais rencontré cette expression, et la notion m'est étrangère. Je ne connais que les statuts relatifs à une fonction, exemple pour un diplomate, un métier, une mission, un ordre, exemple pour un ecclésiastique : des usages particuliers, donc, et non pas un usage général. J'ai lu un nombre non négligeable d'ouvrages ethnologiques, je ne pense pas que j'aurais rencontré un tel usage sans m'y arrêter. Je n'ai pas lu en revanche d'ouvrages de sociologie ni de Droit, sauf par exception sur les associations ou en histoire.

Pour moi un statut appliqué à l'homme précise des conditions particulières, sans toucher à la nature ou au rang de l'homme. Je comprendrais de la même manière, dans ce que dit Glop, qu'on précise le statut des chevaux de ferme ou des chevaux de cavalerie ou des chevaux de course. Animal de compagnie pourrait constituer un statut. Ce qui me heurte au plus haut point, c'est l'usage au sens général pour l'homme aussi bien que pour l'animal, ou entre les deux.

On rencontre statut animal approximativement depuis 1945, mais le plus souvent pour préciser ce qu'il y a d'animal en l'homme, ce qui ne nous intéresse pas ici.

En théologie chrétienne, dans les débats à s'arracher les cheveux sur la christologie, on pourrait s'attendre à rencontrer le statut, or on ne parle que de nature ou de substance, d'état, je ne l'exclue pas, dans des acceptions qui nous sont particulières. Parler de statut de Dieu ferait bondir le monde entier. Le statut d'archange, peut-être.

Même le titre de l'article que j'ai proposé en lien comme le plus pertinent sème la confusion : Les animaux reconnus comme des êtres "doués de sensibilité", car le contenu parle d'autre chose, s'il n'explique pas le contraire. Cela arrive aussi dans les concours, avec une documentation où rien ne concerne la question posée. C'est devenu très fréquent dans la presse. En réalité le Code civil n'entendait pas nier la nature animale, elle est simplement hors de propos quand il s'agit d'indemniser les propriétaires ou les maîtres de ces animaux, voire de leur proposer des services relatifs à ces animaux.

Ce qu'on voit c'est qu'en Droit il nous manque un code qui positionnerait l'homme relativement à la nature. Il y a une immensité d'applications. C'est là où l'on pourrait prévoir des chapitres classifiant les animaux - on n'y est jamais arrivé, mais ici le travail est plus restreint que pour les sciences de la nature - et formalisant les choses.

Fille légère ne peut bêcher.

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Re : « Statut » de l'animal ?

http://insitu.revues.org/9644#tocto2n2

Ce document ne manque pas d’intérêt.

Page 20 :
(Le cheval : un membre du personnel ?)

Nomina si nescis, perit cognitio rerum. Edward Coke

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