Yd a écrit :
Sans absolutiser la notion d'inconnu, il faudrait tout de même savoir de quoi on parle, et après 33 pages de ce fil, je ne sais toujours pas où, Chrisor, vous êtes allé chercher ce que vous amenez. On peut découvrir par hasard des choses qui avaient été cachées, et il ne s'agit pas alors de véritable inconnu, mais on ne peut pas découvrir une chose qui était sous nos yeux depuis des milliers d'années et que personne n'avait vue, à commencer par ceux qui cherchaient. En admettant que vous ayez trouvé un gisement, vous n'y avez pas accédé par hasard, donc ce n'était pas si inconnu.
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Relisez d'abord mon message 797 et lisez le texte qui suit pour commencer à entendre les mots autrement:
Des fossiles de cris de douleur
«Aïe» est apparu en français en 1473 comme interjection onomatopéique de la douleur et par extension d’une surprise désagréable ; de même «ouïe» exprime l’émoi douloureux. Le grand dictionnaire françois et flamand, le Richelet de 1706, définit «ahi, ach, och» comme interjections marquant un sentiment de l’âme plein de douleur. L’onomatopée “aïe” ou “ouille” isolée traduit plutôt une douleur aiguë ou un désagrément subit, tandis que la répétition du type «aïe aïe aïe» ou «ouille ouille ouille” exprime plutôt la crainte d’une douleur ou d’une difficulté. Le linguiste a peu l’occasion d’ouïr ces haïs «aïe» et il lui est difficile d'entendre la résonance lointaine et profonde de cette onomatopée de la douleur que le médecin entend comme une litanie poignante tant au lit du malade que lors de ses consultations quotidiennes. Sous une forme un peu humoristique on peut résumer cette écoute à la rengaine d'une vieille chanson:
«Aïe, mon Dieu que c’est embêtant d’être toujours patraque !».
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«Docteur, qu'est-ce que je dérouille, j’ai les genoux tout rouillés, la tête qui s’embrouille, je m’ sens vasouillard, j’ai la voix éraillée et la vue qui se brouille, je me sens barbouillé, dans mon ventre ça gargouille, ça «grevouille ou rebouille» (franc-comtois), j’ai la gorge qui grattouille, je crache-ouille des graillons, je tousse-aïe, je rancoye (franc-comtois), j’crois que mon cœur défaille, ça me tiraille dans le poitrail, j’ai des cailloux dans le rein, un caillot dans la veine, je suis mouillé de chaud, bouillant de fièvre, je me suis fait une entaille, m’suis brûlé avec de l’eau bouillante, je suis grassouillette, rondouillarde, j’ai plus de cheveux sur le caillou, j’ai vraiment une sale bouille, quand j’urine «ouille ouille ouille», j’ai dû choper la chtouille! Sans oublier la grand-mère qui déraille et le grand-père qui se souille... » On comprend pourquoi certains se taillent les veines ou se jettent à la baille, voire avalent un bouillon de onze heure !
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Perspicace, Lacan avait bien saisi que le langage de l'inconscient est une chaîne de signifiants qui se répète et insiste, mais malgré cette analyse pertinente il semble ne pas avoir entendu cette redondance algique dont les rimes «aille» et «ouille» ponctuent le discours des êtres qui souffrent.
Ainsi la vie des gens, des ouailles que nous sommes, en général et en détail, ressemble à une succession de cris étouffés sous forme de radicaux onomatopéiques, de suffixes qui devraient nous avertir du risque de douleur mais que nous ne savons plus du tout discerner! Les onomatopées de la douleur aïe et ouille sont présentes dans une grande partie du lexique français, notamment dans la langue dite vulgaire. Ils marquent de leur empreinte phonétique nos mots conscients démotivés tels des codes de risque de douleur physique ou psychique que nous n'entendons plus, car notre conscience à la mémoire sélective, n'est devenue sensible qu'au sens global des mots. La perception sémantique consciente a éteint la perception phonétique reléguée dans le non sens et réservée aux jeux de mots. Comme le formulait avec justesse Henry de Montherlant. le mot a étouffé l'expression directe de notre ressenti, l'a enveloppé dans le paquet sémantique hermétique de sa globalité au point que « nos émotions sont dans nos mots comme des oiseaux empaillés», et ne peuvent que recourir aux cris ou aux mimiques pour s’exprimer, se communiquer et cela de façon instinctive. La répression de l'expression émotive est en effet un conditionnement familial, scolaire et social d'une redoutable efficacité. Observons les petits enfants qui pleurent pour un rien, passant des pleurs aux larmes en quelques secondes, et comparons avec un adulte dans le métro ou sur son lieu de travail!
Mais si nous réapprenons à mieux écouter nos mots, si nous parvenons à nous extraire du carcan sémantique lexical qui a emprisonné notre conscience, tout redevient audible et évident. La douleur physique et morale, dont l'empreinte phonétique a été conservée dans nos mots modernes, marque encore au fer rouge nos langues occidentales ! Et avec cette nouvelle écoute la dépouille criante de nos maux s’entend dans nos mots qui tressaillent (voire tressent «aïe» !).
Avec la flagrance de l'ironie prêtons une oreille attentive à cette résonance du risque douloureux physique ou moral dans le langage, écoutons jusqu’à l’excès caricatural cette litanie d'«aïe» et «ouille» qui a marqué de son sceau onomatopéique nos pauvres vies d'ouailles pour prendre conscience du degré de dédain ou de refoulement où l'apprentissage de notre langue nous a conduit!
Les ouailles et leurs dépouilles
Le mot «ouailles» (oeilles en ancien français, issu du bas latin ovicula, du latin ovis, brebis) est entré dans la langue française grâce à la Parabole du Bon et du Mauvais Pasteur. Les ouailles du clergé romain furent souvent des moutons, animaux doux, capables d’obéissance aveugle et de soumission sans borne! Phonétiquement, ouailles n'est-il pas la contraction de ouille et de aïe (aille), contraction saisissante de deux onomatopées de la douleur !
Il est intéressant de noter que l’étude étymologique du mot permet seulement de retrouver son évolution diachronique, tandis que l’écoute simple permet d’entendre la résonance double de la douleur. Les groupes de phonèmes ouille/aille éveillent dans notre cerveau affectif les cris quasi-fossilisés des onomatopées de nos ancêtres, que l’inconscient du peuple a réintroduit dans la phonétique des mots. Mais l’école de Charlemagne a si bien orienté le sens des sons vers une sémantique globale du mot, que, conditionnés, nous sommes devenus insensibles voire réfractaires à cette écoute primitive ! Le son «aïe» de païen ne résonne-t-il pas avec la douleur des hérétiques morts au bûcher, torturés par l’Inquisition, massacrés par les Croisés ! Le parpaillot calviniste l’a saisi lors de la Saint Barthélemy comme l’hébraïque accusé d’avoir crucifié Jésus.
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Le risque de douleur, physique ou morale, est aussi inscrit dans le mot «aïeul», issu du latin populaire aviolus désignant les grands-parents ou les ancêtres. «Aïeul» est marqué par les phonèmes onomatopéiques de la douleur, celle de la perte de personnes chères, dont la dépouille est partie pour un Ailleurs, couronnée de glaïeuls aux funérailles, et décorée de médailles, après s’être fait assaillir, mitrailler, zigouiller, réduire en bouillie lors d'une patrouille ou sur un champ de bataille à coups de baïonnette ou de mitraillette ! Que d'ouille et d'aïe pour cette piétaille, dont la terre à Verdun ou ailleurs a enseveli les dépouilles, ne gardant plus en son sein que les douilles perdues de tous ces tirailleurs ! Le poilu aura durement «douillé», un verbe familier du XIXe siècle, motivé sans doute par une reformulation de l'ancien verbe français «douloir» (souffrir), maintenu sous une forme dialectale, dont la forme mouillée est attestée : deuillant (souffrant). La transition du sens «d'avoir mal» à celui de «payer» est de nos jours explicite pour le mot «douloureuse» à la place «d'addition», une addition qui fut salée pour les combattants des tranchées qui ont trinqué avec les canons généreux de la grosse Bertha au label Krup !
Le fait que l'inventif et subtil Lacan ne se soit pas intéressé à ces signifiants là qui se répètent et insistent tellement douloureusement permet de réaliser la puissance de notre conditionnement ! Plus on étudie, plus on est conditionné et les psychanalystes, des intellectuels, n'ont réussi en raison de cet handicap culturel, à ne soulever que discrètement et subrepticement le drap blanc de la conscience pour ne deviner que l'ombre de l'inconscient qu'elle recouvrait de sa lumière trop éblouissante! Un impressionnant marquage phonétique criant, braillant, s'égosillant s’est pourtant effectué au fil des siècles par l'inconscient collectif langagier du peuple, mais il s'est réalisé à notre insu car l'éteignoir de l'apprentissage de nos mots «mis à gauche» dans les aires de Broca du langage nous a parfaitement rendu rebelles à cette écoute !
Cette surdité éducative a été renforcée par une culture sociale de la bienséance. Derrière les maux présentés par un malade devant son médecin, derrière ces plaintes adressées à leurs corps qui les fait souffrir, le diable de la pudeur, de la retenue et de l'étiquette, est là, vigilant, pour les aveugler avec le feu des projecteurs des conventions sociales, des règles morales, des craintes hiérarchiques, qui imposent le silence au vrai mal des gens, celui de leur divine âme qui aspire au Bien et au Beau, à l'amour entre les hommes et à une liberté retrouvée. Combien de vies cadenassées sur elles-mêmes, stérilisant toute vie autour d'elles? «Une vie non vécue exerce une puissance de destruction irrésistible», affirmait Jung.
Combien de ces êtres qui meurent sans avoir confié à personne ce qui leur tenait tant à cœur ou tant à cul! Captive des bras tentaculaires des règles sociales et familiales, qu'est-ce qu'une existence d'homme civilisé sinon une longue suite de renoncements! La femme de 2015 s'est-elle libérée totalement de la domination masculine des générations antérieures? Dans sa définition du mariage, Balzac affirmait que «La femme doit en se mariant faire un entier sacrifice de sa volonté à l'homme, qui lui doit en retour le sacrifice de son égoïsme» et Senancour, lucide sur le genre humain, ajoutait plus généralement: «la multitude des hommes vivants est sacrifiée à la prospérité de quelques-uns». Bossuait sur «les petites» gens dénonçait: «On les croit insensibles parce que non seulement elles savent se taire, mais encore sacrifier leurs peines secrètes». Himalayas des silences, abysses des secrets de familles, enlisements des haines indicibles, prisons verrouillées des résignations. Comment s'étonner alors de tous ces gens sous pression, dont justement les chiffres tensionnels révèlent une hypertension que le médecin officiel qualifie d'essentielle! Mais comment les «détendre» avec ce petit chef qu'ils ont sur le dos au travail, avec cette femme qui braille dès qu'ils rentrent à la maison, avec ce mari qu'elles doivent supporter alors qu'elles ne peuvent plus le sentir ou n'en souffrent même plus le contact! Broussailles des embrouillaminis, brouillard des brouilles, grisaille des sentiments et représailles des ressentiments! Aïe, ouille, ouille! «Sky my wife» crierait le GI!
Changer, fuir, mais les issues sont en sens interdits! Murailles des «qu'en dira-t-on», barricades de la morale, du «ça ne se fait pas», épouvantails des peurs, verrouillage de la culpabilité, ferrailles de la convenance qui entravent la liberté de fuir! Les règles, même hypocrites, ne se transgressent pas car elles ont été conçues pour qu'on s'y fonde. Ainsi malgré le masque opaque de l'hypocrisie posé entre les ombres de l'âme et le faux éclat du visage, malgré les sourires de circonstances et les embrassades dénuées d'affection, l'être humain survit mais son corps en paye le prix. Derrière ces camouflages de la comédie humaine, le médecin doit décoder les mots, deviner l'innommable et l'indicible, entendre les cris étouffés dans ce qui est dit ou tu. Vérité des lapsus, éclairs des rébus, jeux subtils des correspondances, magie de la polysémie, trahison de l'homophonie.
Plus largement on peut penser que la douleur nous construit comme nous le suggérait Alfred de Musset: « L’homme est un apprenti, la douleur est son maître, Et nul ne se connaît tant qu’il n’a pas souffert.[…] Fille de la douleur, Harmonie ! Harmonie ! Langue que pour l’amour inventa le génie !... Les plus désespérés sont les chants les plus beaux, Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots. ». Le langage de la douleur participe sans doute au fondement même de la langue comme l'affirme Raymond Queneau: « Les plaintes de la souffrance sont à l’origine du langage.»
Tels les cris de douleur des blessures (entailles, se tailler, s’ébouillanter), des activités belliqueuses (bataille, mitraille, baïonnette), des outils dangereux (cisaille, maillet, bouilloire, douille...), des travaux et accords aléatoires (semailles, faillites, fiançailles, épousailles, retrouvailles), des disputes (se brouiller, avoir maille à partir, se chamailler), des enterrements (funérailles, dépouille, Ailleurs, aïeuls).
Poursuivons la caricature pour entendre autrement les mots !
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Les ouailles que nous sommes ou fûmes sont parfois débraillées, dépenaillées, en haillons, rien qui nous aille ! Drôles de bouilles, les cheveux mal taillés, en bataille, ou sans un poil sur le caillou, quels épouvantails! Une paillasse pour dormir, un vase pour se débarbouiller, une vie de pouilleux, et au travail, vaille que vaille, maillon d'une chaîne qui tire l'autorail des puissants sur les rails !
Vasouillardes, les ouailles déraillent, s'embrouillent, cafouillent, bredouillent, bafouillent telles un couillon, une andouille, une pauvre nouille ou bidouille qu'on raille! Elles en bâillent de belles avec une gouaille affreuse, une voix rocailleuse ou éraillée, taillent une bavette au voisin et souvent rouscaillent. Qu'on les bâillonne!
Les ouailles graillent, aspirent un maigre bouillon, quelque bistouille, une soupe à la citrouille où flottent de tristes nouilles et deux ou trois fayots. Que de la mangeaille, de la boustifaille, de la cochonnaille! Un peu de lait caillé, un œuf brouillé pour tremper ses mouillettes. Pauvre tambouille! Bien du mal à faire bouillir la marmite et dur de se ravitailler car rare est la victuaille pour faire ripaille !
Les ouailles sont peu recommandables, souvent canailles, fripouilles ou arsouilles, bref de la racaille haïssable prête à assaillir pour un picaillon ou quelque ferraille, mitraille ou bigaille. Faillibles, douées pour la débrouille, les embrouilles et les magouilles, elles ont maille à partie avec la flicaille et finissent parfois derrière les murailles verrouillées de la prison.
Ces mots sont nés dans la souffrance. En 1950 encore, beaucoup de ces mots en «aille» et «ouille» étaient à bannir d’une dissertation, sauf quelques mots officiels (travail, vitrail, portail, émail, etc.). Rares sont les textes anciens qui restituent le chant/champ des expressions et mots populaires. Par définition la langue parlée s'écrit peu. Tout ce qui venait du peuple était par définition vulgaire comme les cris, les pleurs, les plaintes ou la colère. L'émotion est portée hors du champ sémantique, il faut se tenir ou se contenir!
En France, la langue des textes officiels n’est le français que depuis peu (Ordonnance de Villers Cotterêts sous François Ier). Sur les territoires de l’Occitanie, de la Bretagne, de la Comté, de l’Alsace, de la Provence, « peuchère », seule la bourgeoisie utilisait un français de bon aloi appris au collège religieux. Jusqu’en 1900, le peuple, au sens large, a toujours parlé basque, berrichon, comtois, provençal ou normand, des langues reléguées au rang de patois, interdits par l’école gratuite, laïque et obligatoire de Jules Ferry.
P. Guiraud fait allusion à ce règne du mépris, lorsqu’il définit le français des gens cultivés qui n’acceptent un terme venu du peuple que s’il est démotivé et que son origine cesse d’être sentie. Cependant l’inconscient des gens du peuple effectue en permanence un travail phonétique inscrivant en particulier dans la langue de la rue ces onomatopées de la douleur. Ainsi ces vestiges onomatopéiques souvent suffixaux et maintes locutions ont gardé, malgré le temps écoulé, comme un relent de leur provenance. Ils subsistent, comme l’écrit P. Guiraud, malgré le filtre d’une société trop polie, jalouse de ses biens comme de ses mots, réalisant bien un tiers-état du langage, tenu à l’écart de la bienséance, celle des nobles puis des bourgeois, ces «puritains... que souille le seul contact des autres hommes», selon Maupassant. Le marquage onomatopéique des mots est souvent d’origine populaire comme en témoignent les patois français. Le franc-comtois en est une illustration patente que souligne un accent local qui traîne sur ces sons“aïe et ouïe”.
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acaillener ou cailloucher, pour lapider - une aille, un aigle- l’atchail l’orteil - buchailles, éclats de bois - catrouiller, marcher en écartant les jambes - cramaillot, le pissenlit - dégouaillée pour débraillée- la braillote, voix bruyante - le caillon, le désordre - chenailler, se livrer à des ébats amoureux bruyants - chenaillot, le gamin - drouillou, coureur de filles - ébouailles, épouvantail - échaille, écharde - fieraillu, orgueilleux, prétentieux - fouilla, terre communale louée aux pauvres - frouiller, tricher au jeu - gouillarder, courir le cotillon - gavouiller, tripoter dans l’eau avec les mains - gouilland, vaurien, débauché - gouillasse, gouille, flaque d’eau, boue - pas graillot, peu - avoir une maillée, être ivre - rancoyer, se racler la gorge -rebouiller, fouiller…
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L’argot est moins riche :
fouilles (poches), zigouiller (tuer), trouiller (diarrhée), bafouille (lettre), mouscaille (malchance), glandouiller (travailler avec flemme), enfourailler et défourailler (sortir son arme), flicaille (police), curaillon et curetaille (curé), crouille (arabe pour un raciste), douiller (payer), les douilles (les cheveux), vadrouiller (errer), graillonner (expectorer), merdouiller (foirer)...
Des onomatopées douloureuses composites
Construits avec les onomatopées de la douleur physique ou morale, ces mots passés dans l’usage courant, ont perdu pour notre conscience cette connotation douloureuse. Cela s’explique par le conditionnement sémantique du langage conscient, qui de l’école à la société privilégie le signifié sur le signifiant, un conditionnement qui a provoqué l’extinction d’un autre langage antérieur, sans doute archaïque. Cette longue rengaine douloureuse, exposée d'entrée de livre, n'est-elle pas une première prise de conscience de la résonance des mots, propice à décontenancer et désarçonner les certitudes de notre raison sur leur origine arbitraire ?
Encore faut-il apporter quelques précisions nécessaires, car la douleur et son risque ne sont en réalité «codées» que par une partie des séquences signifiantes «aille» ou «ouille». En effet seule la variation de l'aperture de la bouche qui se ferme pour passer du /a / au /i/ dans ''aïe'' et du /ou/ au /i/ dans ''ouille'' est responsable de ce sens inconscient comme il l'est pour le passage du /a/ au /ou/ dans le ''au'' douloureux allemand. La sensation douloureuse provoque une réaction quasi réflexe d'expiration brutale de l'air de nos poumons, bouche grande ouverte un exutoire aérien, suivi d'une contraction des muscles de nos mâchoires qui se crispent, à l'origine de la modulation de la voix d'une voyelle ouverte à une voyelle fermée. Ces séquences vocaliques /aï/ et /ouï/ sont devenues dans nos mots des sons fossiles de nos cris onomatopéiques et répètent le geste phono-articulatoire engendré lors de la production de ces cris de douleur. Le lexique porte donc les traces fossiles, quasi archéologiques des processus gestuels articulatoires de nos cris primitifs, des traces incarnées toujours présentes dans la biologie et la corporéité de l'acte du langage.
La séquence /ille/, comme il le sera montré ultérieurement, est reliée, elle, aux notions de pénétration/renversement: le médecin parle d'ailleurs de douleurs transfixiantes, en coup de poignard et certaines douleurs nous renversent, voire nous terrassent ou foudroient. Pour le langage courant il est question de douleur en vrille, qui font vaciller, se tortiller, se recroqueviller, sautiller, qui engendrent des fourmillements, qui piquent comme des aiguilles jusqu'à nous torpiller. Le concept évoqué est la représentation d'un mouvement, un schème dynamique qui, par exemple pour le renversement, pourrait être le spectacle de quilles renversées par une grosse bille. L'expression enfantine désignant les filles comme «des quilles à la vanille», n'est donc pas innocente et n'est pas dénuée d'une connotation sexuelle inconsciente agressive, que le mot ''fille'' colporte de génération en génération à son détriment.
Rappelons que nos mots, des ensembles symboliques, sont déjà des sortes de phrases où existe une syntaxe sommaire où par exemple la lettre n peut annuler le sens de la séquence qui suit: nouille de grenouille ou de nouille (alimentaire) n'ont jamais fait de mal à personne!
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Voilà cette liste de mots ou de cris de douleurs n'a vraiment rien d'extraterrestre et n'est pas inconnue des médecins et de Monsieur tout le monde ! Si, Glop ?
Science sans conscience n’est que ruine de l’âme !