Tiens, en regardant les livres sur la prononciation dans ma bibliothèque, je tombe sur ce vieux bouquin, pas très épais, que j'avais complètement oublié : Observations sur la prononciation et le langage rustique des environs de Paris, par Émile Agnel, 1855. Il contient des observations fort intéressantes sur notre sujet, à partir de la page 53 sur les verbes, qui confirment ce qui a déjà été dit. Je m'apprêtais à le recopier, mais finalement Google Livre m'épargne cette peine :
http://books.google.fr/books?id=AeATAAA … mp;f=false
On y donne la conjugaison "rustique" des verbes, notamment à la première personne du pluriel :
avoir : j'ons ou j'avons au présent ; j'avions ou j'aviens à l'imparfait, j'ons évu ou j'avons évu au passé composé, j'aurons ou j'arons au futur, etc.
être : j'sommes ou nous sons ; j'étions ou j'étiens ; j's'rons, etc.
nous laisserons : j'lairons.
nous ouvrirons : j'ouveurrons
nous verrons : j'voirons
nous allons : j'allons ou j'vons, etc.
Pages 72 et 73, il y a un savoureux rappel des Dialogues du nouveau langage français italianisé, 1579, d'Henri Estienne :
» Philalethe. — Ce n'est pas en cela seulement que trouble leur est faict par les courtisans, mais aussi en plusieurs autres façons de langage, et notamment en ceste-ci : j'allions, je venions ; et, je disnions, je soupions; pareillement j'allons, je venons ; je disnons, je soupons. Mais encore ce sont les mieux parlant entre plusieurs qui prononcent ainsi. Car les autres font une autre faute en ne prononçant point la lettre s, mais disans : j'allion, je venion; et je disnion, je soupion.
» Celtophile. — Or ça, Marot toutefois les en avait repris, car il me souvient qu'il dit eu son premier coq à l'asne :
« Je di qu'il n'est point question
« De dire, j'allion ne j'estion,
« Ni se renda, ni je frappi,
« Tesmoin le comte de Carpi
« Qui se fit moine apres sa mort. »
» Philalethe. — Ils veulent montrer que ce qu'a dit Ovide est vray : Nitimur invetitum.
» Celtophile. — Mais encore ne puis-je croire qu'autre que des souillards de cuisine ou autre racaille de la cour usent de ces mots : j'allion, je venion.
» Philalethe. — Si vous ne le pouvez pas croire, je n'en puis mais, tant y a qu'au contraire on oit ce langage de la bouche aussi d'aucuns des plus grands. Or je vous laisse penser combien les grands trouvent incontinent d'imitateurs, les uns par ignorance, les autres pour leur complaire.
On trouve aussi l'essentiel des Dialogues sur Google Livres :
http://books.google.fr/books?id=cmV7BC1 … mp;f=false
(le passage ci-dessus est pages 209-210), ou chez Gallica dans la version originale :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54441n.r=.langFR
Il est intéressant de noter au passage que Estienne note la disparition du "s" sonore dans ce type de conjugaison, qu'il considère comme encore fautive, alors qu'elle est aujourd'hui la norme.